Arm (Psykick Lyrikah), l’interview

In Interviews by Julien LVRFLeave a Comment

Rencontre avec Arm, à l’occasion de la sortie de Jamais Trop Tard, sixième album du groupe Psykick Lyrikah, aux identités sonores toujours aux antipodes de la scène raptraditionnelle. Une entité à « géométrie variable », dans laquelle Arm balance ses mots, personnels bien qu’assassins, accompagné d’Olivier Mellano aux guitares, ainsi que de Robert le Magnifique à la basse et aux machines.

On apprécie le parcours des rennais, on les suit depuis un bail, et on a aimé le dernier album. Ces quelques questions au « leader » du groupe n’étaient donc pas de trop.

ReapHit : Jamais trop tard est le titre de votre dernier album. Mais « jamais trop tard » pour quoi, en fait ?

Arm : Disons que la formule me plaisait. On dit toujours que ma musique et mes textes sont sombres, j’avais envie de souligner qu’ils étaient surtout combattants. Puis le lien entre le parcours musical et personnel : jamais trop tard pour bouger les choses, les changer, les détruire, les rattraper. Même si ça tient évidemment plus de la formule qu’autre-chose. En tout cas, j’aimais aussi l’idée d’un titre d’album simple et sans sens forcément poétique ou trop caché.

Derrière Moi, le dernier album en date, était très personnel. Pour celui-ci, tu as (ré)invité des producteurs (Le Parasite…), les guitares de Zone Libre, les micros d’Ancrages et d’Iris…

J’étais parti sur le même délire pour cet album-là, et assez rapidement je me suis rendu compte qu’il ne fallait pas que je fasse ce disque trop seul. D’abord, pour éviter la redite, et puis par rapport à cet état d’esprit dont je te parlais, il fallait que je m’entoure un peu. J’ai donc tout simplement fait appel aux proches, potes, gens dont j’aimais le travail. Mais toujours des gens que je connais. La nouveauté, et ce qui m’a fait du bien, ça a été de multiplier les couleurs musicales avec de nombreux beatmakers différents.

Dans tous vos albums, comme dans le dernier, les influences rock, le blues, se ressentent beaucoup. Dans la musique, bien sûr, mais aussi dans la voix, le flow employé qui ne relève parfois quasiment plus du rap… Musicalement, vous vous situez où ?

Pour la voix, très franchement, y’a rien sur la forme qui s’éloigne vraiment du rap. Mais un flow particulier, et des images non communes, c’est peut-être ça qui fait que les gens ont l’impression d’écouter un autre truc. Après musicalement, oui, j’ai plein d’influences, dans tous les styles, donc forcément quand je fais un disque, ces frontières de genres n’existent plus vraiment, parce que je me dis que s’il y a un fil rouge, tout est possible. Après « où je me situe », je pense que le fait de ne pas trop cogiter à ça est la force du projet, mais une chose est sûre, je ne « m’oppose » pas au rap comme plein d’autres, car c’est une musique que j’aime. Les choses médiocres ne sont pas propres à cette musique.

La série de vidéos « guitare/voix », ça n’était plus vraiment dans un style hip-hop, par exemple.

Peut-être, parce que là la forme est vraiment rock et épurée, mais si tu prends le texte, tu le mets sur une face b, tu verras que c’est un truc qui a été écrit comme du rap, pas comme un texte dénué de tout placement. Après oui c’est sûr que c’est une formule particulière et je peux comprendre que ça ne parle pas à l’auditoire rap, mais ça c’est autre-chose.

D’où te vient cette écriture, quasi littéraire (au sens noble du terme), somme toute assez rare dans le milieu rap ? Elle apparaît aussi comme « instinctive », comme des pulsions que tu aurais…

Ahah, des « pulsions », ça fait flipper ! Franchement je ne sais pas, j’ai toujours aimé écrire, j’ai toujours lu, j’ai toujours eu le goût des mots et des images. Donc j’ai développé mon truc au fur et à mesure des albums.
Mais dans le rap, il y a plein de styles d’écriture que j’aime et qui ne sont pas « littéraires », tout dépend ce que ça dégage. Et c’est un tout aussi, la musique, le grain de la voix, etc, heureusement qu’il n’y a pas une recette qui s’applique à nos goûts et que parfois ça va au-delà de ça.

Un site comme Rap Genius recense une bonne partie des textes de rap français, et explique ligne par ligne les « subtilités ». Tes textes peuvent-ils objectivement être analysés ? On parlait d’instinct, au-dessus…

Bon courage à celui qui voudrait s’y coller ! Sérieusement, il y a tellement de choses personnelles dans Jamais Trop Tard, qu’objectivement, toute analyse serait à côté. Par contre, le disque peut évidemment être écouté sans ces données, donc ce qu’il y a avant tout, ce sont des chansons. Peut-être que c’est ça finalement, j’écris plus des « chansons ». Peut-on analyser des textes de Radiohead, de Pink Floyd, de Nirvana ? Les gens adhèrent aux chansons et souvent ne cherchent pas à ce qu’on leur développe un exposé, mais se laissent porter par l’oeuvre générale. J’aime bien cette idée.

Tu nous parles un peu de la lecture publique de « Cahier d’un retour au pays natal » d’Aimé Césaire, avec ton comparse Olivier Mellano, que vous avez ensuite sorti en écoute et en téléchargement ? Comment vous est venue cette idée ? Après Richard III et Hamlet, déjà interprétés sur scène, vous avez voulu renouveler une expérience du genre ?

Hamlet et Richard III c’était différent, puisque c’étaient des vrais gros projets de spectacles d’un metteur en scène et d’une compagnie. On était au milieu de projets qui n’étaient pas les nôtres, et des trucs avec des grosses équipes, création, tournée, etc… Pour le « Cahier d’un retour au pays natal », c’est Olivier Mellano qui m’a demandé si je l’avais lu, ce qui n’était pas le cas. Donc il me l’a offert en me disant qu’il venait de le lire et qu’il avait pris une grosse claque. Ensuite il m’a proposé d’en faire une lecture, ce qu’on a fait une fois à Rennes et une fois à Paris. On a créé ça en une journée et bim. L’idée c’est de le jouer de temps en temps, lorsqu’on nous propose.

Pour le coup, sur cette forme on est vraiment sur une « lecture » mise en musique, clairement plus dans le rap. Et pour anecdote amusante, Serge Teyssot-Gay et Marc Namour de La Canaille ont fait exactement la même chose au même moment, basé sur la même formule. J’ai hâte d’entendre leur version. C’est un texte magnifique. [à écouter, et télécharger gratuitement sur ce lien, ndlr]

Iris apparaît sur quasiment tous vos projets, et tu as même sorti Les Courants Fortssous l’étiquette « Iris & Arm ». On imagine que c’est quelqu’un avec qui tu aimes travailler. Quel est le lien qui vous unit ?

On s’est rencontrés sur l’album Soul Sodium en 2004, je crois. Depuis, c’est devenu un vrai pote, au-delà de la musique. On se voit régulièrement, et vu qu’il ne sort pas grand-chose j’ai envie que les gens l’entendent plus, alors c’est naturel pour moi de l’inviter à chaque fois. Sinon on parle assez peu musique quand on se voit, on déconne, on part en vacances avec nos gamins et nos femmes, on fait des barbecues, et c’est très bien comme ça. De temps en temps, on fait un morceau !

Tu as fait une apparition sur l’album de Lucio Bukowski, Sans Signature. Comment en êtes-vous arrivés à bosser ensemble ?

Lucio m’a contacté via internet et on a fait « Plus qu’un Art » à distance. Il est prévu qu’on retravaille ensemble et qu’on se rencontre enfin, dès que je passe à Lyon, pour l’instant nous ne sommes que des contacts mail ! Mais il aime Psykick depuis longtemps et ça me touche beaucoup.

Dans le dernier album, on entend, notamment sur le titre éponyme, des sonorités assez actuelles dans le hip-hop. Tu écoutes du rap récent ?

Oui, je suis un gros consommateur de rap US récent, je n’écoute quasiment que ça du soir au matin. Sérieusement, dans plein de styles différents, albums, mixtapes, j’ai quelques potes avec qui on s’échange des liens en permanence. Une copine aussi qui est devenue ma « dealeuse de son » officielle, haha. Elle te sors des trucs du gouffre hallucinants, je ne sais pas comment elle fait. Forcément, les gens avec qui je travaille dans Psykick ne sont pas tous auditeurs de ça, du coup ça donne des trucs intéressants en tournée, notamment dans le camion. Faire écouter SpaceGhostPurrp à Dominique A, ou Kaaris à Thomas Poli, des albums comme Yeezus de Kanye West, ou Good Kid M.a.a.d. City de Kendrick Lamar à des gens qui ne connaissent pas, c’est vraiment cool.

Et sur disque, j’aime bien que ces influences-là transpirent un peu, d’une manière ou d’une autre. Mais pas question de reproduire ce que j’écoute, non, aucun intérêt. C’est bien souvent ce qui fait la faiblesse créative du rap français d’ailleurs.

Tes textes sont assez sombres, mais on peut souvent capter, en tendant l’oreille, toujours une lueur d’espoir. Les lumières sous la pluie ?

Toujours, c’est d’ailleurs le vrai fond de tout ce que je raconte depuis dix ans. je suis quelqu’un de battant et de plutôt optimiste, j’aime les esthétiques musicales sombres mais je déteste les discours de pleureuses ou les trucs qui se veulent dépressifs ou suicidaires par coquetteries artistiques.

Merci à Louis, de Chakalaka. Ci-dessus, le dernier clip de Psykick Lyrikah, « Jamais Trop Tard », éponyme à l’album. Retrouvez le groupe sur son site officiel, sur Facebook et sur Twitter. Pour acheter le disque, c’est par ici. Et pour l’écouter en streaming, presse play sur le lecteur Deezer juste en-dessous.

Share this Post

Julien LVRF
Les derniers articles par Julien LVRF (tout voir)

Leave a Comment