Vinnie Paz, « The Cornerstone of the Corner Store »

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Il semble loin, le temps où nous prenions une énorme mandale de papa dans les chicots à la première écoute de Violent By Design. A cette époque, le nom de Vinnie Paz raisonnait de sa plus grande splendeur. MC atypique avec ce timbre de voix propre et dissociable de la masse, le Paz se distinguait aussi par son écriture : capable de mixer tous les grands maux de la société en un seul raisonnement, politique et religion côtoyaient langage de rue – agrémentés de quelques relents homophobes, pas vraiment excusables mais propres à l’époque.

Deux décennies après ses premiers pas dans le mceeing, Vinnie Paz fait toujours figure de padre et bien plus encore sur la scène de Phily, un leader aussi bien au niveau de sa formation initiale Jedi Mind Tricks que du super collectif Army Of The Pharaoh. Excepté son ancien acolyte, Jus Allah, peu de gens osent s’aventurer à venir lui manquer de respect mais pourtant, Vinnie Paz est devenu ce type de rappeur, respecté certes, mais clairement moins impactant sur le game. Essayant de rétablir le tir de cette perte d’impact en développant ses skillz via une carrière solo qui casserait cette image trop AOTPienne, on ne peut pas dire que l’on soit positivement frappé par ses deux premiers solos. Sans ligne directrice et cumulant les featurings jusqu’à la nausée, les aventures de Vinnie Paz en solo sont très loin de lui rendre sa superbe, même si tout n’est pas à jeter et que l’on arrive au final à des albums sympathiques mais sans plus. The Cornerstone of the Corner Store, 3ème album solo de Vinnie Paz, pourrait venir perturber sa routine musicale quelque peu ronflante depuis une dizaine d’années.

The Cornerstone of The Corner Store, tout un concept où l’on s’attend à suivre en trame de fond un Vinnie Paz en témoin adossé au mur de l’établissement, nous contant les anecdotes violentes de son quotidien, une espèce de mix entre Smoke de Paul Auster et Menace II Society, ou, tout du moins, de retrouver Paz en espèce de refourgueur de toutes sortes de produits loin du légal. Comme pour ses deux premiers solos, il fallait bien mettre un titre histoire d’identifier le produit, mais pour la trame de fond vous pouvez toujours vous brosser : ce troisième solo ne déroge pas à la règle des deux premiers, The Cornerstone of The Corner Store reste juste un fourre-tout sans queue ni tête. Si vous vous attendiez un premier cru la part de Vinnie, il faudra vous contenter du gros rouge qui tâche, même si comme d’habitude tout n’est pas à jeter aux encombrants.

Là où il y avait de quoi faire un très bon EP, on se retrouve avec un LP sans intérêt. A se demander si tous ces artistes ne feraient pas partie d’une conspiration universelle fomentée par les francs-maçons et le Pentagone, avec l’aide d’une espèce extra-terrestre financée par Israël sous logistique qatarie, consistant à nous appâter au départ avec des produits de très bonne facture pour ensuite nous gaver avec de la merde, nous rendant ainsi dépressif afin d’enrichir les laboratoires pharmaceutiques et voter Trump. Autre possibilité, épuiser le filon jusqu’au bout pour remplir le frigo, quitte à perdre sa crédibilité. Cette hypothèse étant bien moins crédible que la première, on restera sur la version complot.

Dans les points positifs à tout de même défendre, on se consolera avec un Vinnie Paz qui reste le même dans son delivery, cette voix digne d’un pilier de comptoir qui continue d’étancher sa soif au whisky et à fumer ses gitanes sans filtre malgré sa trachéo , ce côté « j’arrive à la réception de Madame La Comtesse avec mes sabots tout crottés histoire de m’essuyer sur les tapisseries familiales », ce côté sérieux dans ses délires psycho-religieux pour te lâcher deux secondes après un truc pas du tout gay friendly, bref Vinnie fait du Paz, et sauf si vous êtes adeptes de glory hole à base de gode à schlass façon Seven, on ne comprendra pas que cela vous importune. Autre point positif, une liste d’invités bien moins fournie que la liste de Schindler habituelle, un choix qualitatif avec des valeurs sûres comme Ghostface Killah, O.C. et A.G. du D.I.T.C., Agallah, Rass Kass et des valeurs montantes comme l’inévitable Conway et les deux gangster galants Hus Kingpin & Smoovth.

Si bien que l’on arrive, oh miracle, à un tiers de l’album où Paz pose en solo et quand on connait son style particulier ça rend le tout moins indigeste, ou seulement redondant. En terme de morceaux, on retiendra l’enchaînement de départ : « Melatron » pour son côté pédagogique, « The Void » pour son ambiance bordel d’usine même si le hook d’Eamon est plus hurlé que chanté, « The Ghost I Used to Be » toujours avec Eamon mais clairement mainstream assumé et « Steel Sharpens Steel » où Demoz amène une note pertinente. La première réunion entre Paz et Ghostface Killah sur le track « Herringbone » est surement le meilleur morceau de l’album où face au tueur masqué, Paz se démène plutôt pas mal. On finira avec deux morceaux sans renfort, « Yev Kassem » bien porté par un instru simple mais percutante et « Nineteen Ninety Three » qui par son titre nous renvoie au sample jazzy à la Gangstarr (ou qui vous voulez).

Si la nature n’aime pas le vide, il semblerait que le Vinnie soit sur la même fréquence, sauf que remplir le vide par du vent, ça remplit rien du tout. Première grosse déception, « Iron Tusk » où Conway se voit invité sur une instru pas du tout adéquate à son style, rendant le mec limite inécoutable. The Alchemist étant peut être la plus grosse pondeuse de copycat du game, il eut été facile de prendre un ersatz pour au moins sécuriser la combinaison, là c’est complètement raté. Conway n’est pas le seul invité à faire les frais d’une sélection instrumentale plus que douteuse. En tête de la liste des victimes, O.C. & A.G. mériteraient le Grammy Award des meilleurs acteurs de drama dans un soap mexicain. « Hakim » n’est pas juste un raté, c’est une insulte à notre sens auditif, même un éditeur de jeu vidéo des années 80 n’aurait pas osé. Après ces deux sons, tout semble digérable sur cet album, il faut un temps de réadaptation pour se rendre compte que « Pistolvania 2 » n’aurait jamais dû voir le jour, déjà que le premier ne cassait pas non plus des gueules, on a ici une combinaison instru+hook digne d’un lot cadeau d’un bingo de maison de retraite. « Blood Addiction » finira de vous achever, imaginez le pire de Kavinsky mélangé au pire de Jean-Michel Jarre, et vous aurez l’instru aux relents électro des années 80 correspondante.

Vinnie Paz fait partie de ces rappeurs qui ont su apporter au rap, avec ses faiblesses et ses qualités, mais que ce soit en groupe ou en solo, ces 6 dernières années ont plutôt ravagé son patrimoine. Tout n’est, bien sûr, pas à foutre à la corbeille, mais la prépondérance des morceaux déchets qui jonchent sa route commence clairement à polluer la vue d’ensemble. Dans le cas de The Cornerstone of the Corner Store, la tâche semble encore plus grosse et davantage indécrassable qu’habituellement. Avec des choix d’instru qui gâchent la plupart des combinaisons, surtout dans le cas de C-Lance – dont tous ceux qui ont pu écouter son travail sur la discographie de Tha Soloist savent pertinemment que le beatmaker vaut mieux que ça – on ne peut même pas se rattraper sur une ligne directrice calquée sur le titre de l’album. Ce troisième solo de Vinnie Paz mérite d’être très vite oublié.

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