Sameer Ahmad, Entre Perdants Magnifiques

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Aujourd’hui est sorti ce qui est sans l’ombre d’un doute l’un des projets rap français de l’année. Il faut dire qu’on l’a attendu, ce nouvel album du montpelliérain. Après un parfait teasing avec « Ne mourez jamais seul » et ses quelques extraits dévoilés, la tension était palpable au sein du microcosme initié, l’attente presque inhumaine. 

Privilégiés dans cette guerre de l’information, nous avions pu découvrir l’intégralité du projet a peine sorti du mastering, en septembre dernier. Une claque énorme, une admiration sans bornes et l’envie soudaine, immédiate, de sauter dans un train, traverser la France pour allez dénicher chez lui ce personnage atypique, ce Perdant Magnifique. 

Durant les quatre heures de trajet qui nous sépare de l’Hérault, les dix titres du projet s’enchaînent dans le casque, en boucle, sans lassitude aucune. Ahmad ne refait pas sa vie, il la continue en un seul paragraphe, épurant ses textes, ajustant son univers avec une musicalité impressionnante. Le train rentre en gare en même temps que se dessine une certitude : Perdants Magnifiques est un album comme il y en a peu, comme il n’y en a plus. Ceux que l’on écoutera encore dans dix ans, que l’on aura envie de faire découvrir à nos enfants. A peine le temps de sourire à ce constat limpide que nous nous installons devant le rappeur amical, timide, pour quelques heures de discussion… Morceaux choisis.

ReapHit : Pour commencer, peux-tu nous dire dans quelles ambiances musicales tu as grandi ? 

Ahmad : Renaud beaucoup, Fairuz une chanteuse libanaise que ma mère adorait, elle écoutait Moustaki aussi.  Et … Michael Jackson. Mon père aimait  une chanson de Ferré, « Avec le Temps ». C’est la seule que je connaisse. Pas du tout de soul, pas du tout de jazz, c’est venu beaucoup plus tard. Après le rap même.

Tu donnes l’impression de fournir un travail très méticuleux sur ton usage de la langue française, d’où te vient ce goût ? 

C’est surtout l’oralité qui m’intéresse, les dialogues notamment.  C’est le sens de la formule que je trouve mortel, les traits d’esprits plus que l’écriture léchée. Ce n’est pas que l’écriture mon truc, j’aime bien, mais je veux construire autre chose. C’est délicat à expliquer (sourire).

Ça semble abstrait…

Ce n’est pas abstrait, en fait c’est un ressenti. Mes textes ne sont pas écrits en un jour, mais ils comportent une continuité, une couleur.  C’est un ressenti que je mets sur le papier.

Au fil des projets, on note que tu es de plus en plus minimaliste dans la construction de tes phrases, par exemple : « Rêve brisé, destin plexiglas » ou encore « Crapaud bave, colombe waterproof ». C’est ça l’idée ?

Oui, je trouve que ça marche bien. C’est une soirée diapo, ça envoie des images. Tu sais, c’est de la matière la langue française, ce n’est pas de l’écriture. On n’est pas dans l’écriture, t’envoies des mots quoi. Avec du flow et de la tension. Et tu les comprends sans les verbes, sans les compléments. J’essaie d’épurer tout le temps, j’aime que chaque phrase ait son petit truc, comme une scène de film. Le cinéma, je l’aime quand c’est épuré, net. Tarantino, même si ça peut paraître baroque, il arrive à faire quelque chose de net. Melville est impressionnant pour ça. Ils travaillent en soustraction; c’est bien quand  il n’y a plus rien à enlever. J’aime cet art là.

Puis des jeux de mots, tu peux en faire plein mais c’est nul ! Surtout quand tu connais le truc. C’est comme quand un magicien fait un tour et que tu connais le truc, ça ne t’impressionne pas. Il faut que ce soit impressionnant, compréhensible et inédit. Tu envoies des images plus que des mots. « tac tac tac » ça va très vite. « Colombe, waterproof ».

Certains disent que la langue française est plus difficile à manier dans les sonorités, tu es d’accord avec ça ? 

Non, elle est différente. Si tu veux faire sonner le français comme les américains, tu te plantes complètement,. Le français a sa spécificité, ça ne sert à rien de le transformer. Tu sais, ça me fait penser à un gros rouquin qui veut s’habiller comme Michael Jordan. Non non, t’es ridicule ! (rires)

Tu choisis les sons qui te vont bien. Le français a ses sons. Et le rap français ne sera plus le petit frère du rap US quand il aura trouvé son truc, sa propre identité. Là on est encore dans une période yéyé ; il y a beaucoup de Dick Rivers, on veut faire Gene Vincent (rires). Et je pense que le rap français tu peux lui trouver une vraie spécificité en étant inspiré par pleins de trucs. Aujourd’hui, tout le monde sait rapper, mais le vrai challenge c’est de ramener un peu d’âme, un peu de soi-même.

Et ça passe par quoi ?

Se foutre du regard des autres, du public Kev Adams. Je vais être plus intéressé par un mec qui amène un vrai univers que le technicien de malade. C’est d’une froideur, c’est super scolaire, carré, nickel, mais il n’y a rien quoi. C’est de la démonstration, ça ne m’intéresse plus trop. Après, clairement il en faut…

Dans « Genesis », on reconnaît, entre autres, le sifflement d’Omar [personnage de la série The Wirendlr], pourquoi ce choix ? 

J’arrive pour remettre ma justice (sourire). Et puis c’est pour moi, ça me fait kiffer même si on ne comprend pas. C’est pour ça que j’aime beaucoup Tarantino, t’as vu Django ?

Oui, bien sûr.

Alors Django, t’as des trucs, ce n’est que ça : t’es pas obligé de les comprendre pour saisir l’ensemble de l’histoire mais quand tu les comprends t’es content. Par exemple, à un moment tu as Jamie Foxx qui arrive au bar d’un salon où DiCaprio organise des combats de renois. Il s’assied et un vieux monsieur qui vient de perdre, arrive à sa hauteur et lui dit : « Comment tu t’appelles ? » «  Je m’appelle Django, (il épelle) mais le D ne se prononce pas » et le vieux lui dit «  Ouais, ouais je sais » et il part.

Plein de gens n’ont pas compris mais le vieux c’est Franco Nero qui jouait Django dans les années 70 et qui est venu juste faire ça. Je kiffe ce genre de délires ! Et si tu ne comprends pas tu t’en fous, mais quand tu comprends ça fait plaisir, tu vois ?

Oui, savoir référencer et construire subtilement un univers …

Mais il ne faut pas qu’il n’ y ait que ça. Dans un texte, il faut qu’il y ait des phrases nettes en plus des phrases codées, c’est un jeu d’équilibre entre la petite phrase poétique et la grosse punchline.

Il y a une image que j’aime beaucoup, « Regarde le ciel : t’hallucinera / J’ai pris la lune pour m’asseoir / Le soleil comme allume-cigare ». Je la trouve belle. Tu la reprends plusieurs fois dans différents morceaux. Qu’est-ce qu’elle symbolise pour toi ? 

C’est une image concrète pour dire les choses. Tout part des mathématiques, le big bang. Il y a eu ce souffle magique, qui est en constante progression et tu en fais partie. On en fait tous partie, autant que la lune, le soleil, les étoiles… et tu joues avec tout ça. Le « diable », fait partie de ça.

René Guénon, un grand philosophe français soufi qui vivait en Égypte mort dans les années 50, appelait ça la tradition originelle. On fait tous partie de la tradition originelle : que tu y crois ou pas, tu es dedans, on est tous dedans. Donc c’est une façon de dire que c’est à toi. Ce n’est pas de l’inconnu.

On parlait d’impact, tu joues souvent sur le paradoxe aussi, pourquoi ? 

Peut-être par rapport à mes croyances. Tu nais pur, tu nais bon. C’est vrai, un enfant tu lui mets une claque, il ne comprend pas. Ensuite tu t’abîmes. Tu sais quand tu fais le mal. Le paradoxe, j’y pense souvent.

Et quand tu dis « c’est qu’des rappeurs j’suis un putain d’paradoxe » ?

C’est le refus du game tout en faisant du rap. C’est juste ça en fait. C’est une façon de dire que je suis ailleurs, ni au-dessus, ni en dessous, je suis à part. Hors jeu.

C’est comme ça que tu envisages ta musique ?

Ouais, ouais ouais… Tout en étant meilleur qu’eux quand même…  (rires)

Il y a une omniprésence du jeu du temps également, «  j’suis trop vieux pour mourir jeune ».

Dans les années 70 on pouvait trouver ça bien, la jeunesse au pouvoir, etc. Mais aujourd’hui c’est devenu con, c’est du merchandising. Vieillir, c’est ni bien ni mal, on s’en fout. Cette peur de l’âge que les gens ont, je ne comprends pas. Mais bon, si après 25 ans tu es hors forfait, c’est cool aussi. C’est du bonus, faut profiter.

Du coup tu es libre…

Ah oui ! T’es tranquille !

Avec cet album, je trouve que tu as réussi à apporter quelque chose de nouveau, c’est ce que tu cherchais à faire ? 

L’intention est toujours la même, c’est la même énergie mais je veux aller plus loin. Mais, c’est ouf, cet album je l’aime bien. Je l’aime vraiment bien. Je me rapproche un peu plus de ce que j’aimerais faire.

Donc tu n’y es pas encore ? 

Je ne sais pas. Je vais voir, il faut que je teste d’autres choses. Je me rapproche de l’idée et du projet que j’ai en tête et de la finalité. Par exemple mon 1er album, quand je l’ai fini, la pratique était très loin de la théorie au final. Et là, sur Perdants Magnifiques, je m’approche. J’ai beaucoup délégué sur la musique, les idées, je ne suis pas tout seul à avoir travaillé sur cet album, pour amener autre chose, pour que ça aille plus loin.

Pour ouvrir à d’autres perspectives tout en rappelant des choses connues ? 

Oui c’est ça.

Comme avec le morceau Barabbas par exemple ?

Un des dilemmes universels du 21ème siècle, je pense, c’est le choix entre la liberté et la sécurité. Soit tu choisis la sécurité, soit tu choisis la liberté. Moi j’ai choisi la sécurité quand même. C’est mon gros dilemme, tu travailles, t’as des enfants, t’es responsable et tu n’as pas le droit d’avoir les deux. C’est impossible. Et quand tu es jeune, souvent tu choisis la liberté. Mais la sécurité revient toujours.

Et les pharisiens ont choisi la sécurité mais ils ont choisi Barabbas, un truand. Ils l’ont choisi parce que ça leur permettait de ne pas être emmerdé. Là on est dans des hautes sphères. La mauvaise sécurité quoi. Judas a également été trompé par les pharisiens : « On sait que Jésus n’est pas le messie, mais emmène le nous, on va lui poser des questions, et on démontrera qu’il n’est pas le messie. » Et Judas a accepté d’emmener Jésus pour 30 deniers. Ces 30 deniers sont le symbole de la trahison. C’est ça Barabbas : le dilemme. Et à notre époque choisir Barabbas c’est choisir le court terme. On ne voit plus à long terme, le court terme a complètement pris le dessus.

C’est le genre de morceaux qu’on a envie d’entendre sur scène, on a une chance de t’y voir ? 

Un concert de rap, je ne suis jamais complètement dedans, contrairement à un concert de reggae par exemple. C’est bien, mais c’est jamais ouf un concert de rap. Jamais. Même avec des zikos. Je ne sais pas pourquoi. Même le meilleur artiste rap en scène, je trouve qu’il est très très loin d’un des moins bons artistes rock ou reggae. Ou alors sur une toute petite scène. C’est là que ça fonctionne. Tu vois la Rochelle, c’est dégueulasse ! Le rap à la Rochelle, c’est ridicule, on dirait de la zumba… (rires). A voir en petit comité ça fonctionne plutôt pas mal. Un public d’une cinquantaine de personnes ça suffit. Tout ce qui est calculé, chorégraphié, ça ne me parle plus du tout. Ce qui est impressionnant, c’est quand le charisme fait tout. C’est plus fort que la préparation. Les trucs trop préparés, ouais c’est mignon mais il y a un côté surprise partie, ça sonne faux.

Il y a quelque chose qui m’a marquée aussi dans F.451,  « Je suis pas père de famille, je suis l’père de ma fille… »

Ma fille je l’élève avec mes valeurs, mes principes. C’était le côté… je ne suis pas Charles Ingalls clairement. Tu sais le mec qui rentre à 18h etc. Je vais à l’encontre du carcan classique.

Et des pressions sociales ? 

J’aime bien la culture populaire mais pas l’art populo. Comme disait Desproges : « Je ne veux pas que le peuple vote parce que le peuple regarde Sabatier ». Et c’est ça.  Parce qu’arriver sur le canapé de Drucker ou plaire à Ruquier, est-ce que c’est ça le but du jeu ? C’est ça la finalité ? Est-ce que c’est ça vraiment ?

Tu n’as pas la volonté de plaire à un public plus large ? 

Dans certains labels, on me le disait qu’il fallait ratisser large. Mais non. Surtout pas !

Donc tu t’inscris dans quelque chose de confidentiel ? 

Vouloir plaire à tout le monde…c’est triste. Tu finis par faire des trucs pour les enfants et t’as ton public de Kev Adams. Qui te trouve beau, bon… Alors qu’en France, t’as des vrais trucs. Après tu as les mecs qui te disent « Moi je n’écoute pas de rap français ». C’est la mauvaise posture française. Eux, en fait, il faudrait leur donner, comme aux lepénistes, un département, qu’ils se débrouillent et qu’ils nous laissent tranquilles.

En France t’as des putains de cinéastes, de rappeurs français. Après c’est vrai que c’est gangréné dans le rap et le cinéma français, mais le problème, c’est juste le mode de transmission. Du coup, c’est vrai que ça bloque un peu.

C’est le manque de diversité culturelle qui nous a rendu frileux, auditeurs et artistes, face à la créativité musicale ? 

Je ne trouve pas qu’on soit frileux. En fait, les yéyés ont gagnés. Dans le sens général du terme. Dans la tête de beaucoup, le délire « populo » a gagné. Mickey a gagné ! (rires) Et le populo, comme disait Desproges, il a tort, tout le temps tort. Mais il ne faut pas tomber dans l’élitisme, ce n’est pas bon non plus…

Pourtant, tu es dans l’élitisme ?

Nougaro, il ne comprenait pas que les ouvriers ne l’écoutent pas: «  Je suis comme eux, je suis né avec eux. Pourquoi les ouvriers ne m’écoutent pas ? Pourquoi ils préfèrent les yéyés ? » Des mecs comme les X-Men à l’époque, Booba, ils avaient cette écriture, ces références. Quand tu écoutes les X-MenLunatic ils avaient des références de fou ! Après c’était codé, mais on avait les codes, donc on comprenait. Et je ne pense pas que ma musique soit élitiste, mais aujourd’hui, on est tellement dans l’immédiateté. Après, je sais très bien que je n’ai pas le même public que Lacrim. C’est une niche. Les gens qui écoutent mon rap ont les codes.

Les codes ?

Si tu fais écouter du Hard Bop façon Coltrane à un type qui n’a pas les codes, il va penser que c’est du bruit, il ne va pas comprendre.
Tu as des gens qui vont aimer le rap qui a enlevé le rap. Il existe du rap pour les gens qui n’aiment pas le rap. Alors que pour moi le rap c’est un vrai truc ! Le rap c’est comme le jazz, ce n’est pas fait pour tout le monde.

Vouloir plaire aux Ruquier, ça ne sert à rien parce qu’ils n’ont pas les codes. Alors qu’il y a des codes que tu dois maîtriser, apprendre et c’est après que ça devient un kiff. Pour moi l’idée, ce n’est pas que tu donnes, et après le mec s’assoit et kiffe là dessus. Pour moi, ce n’est pas ça. Ça c’est la culture du divertissement pur. D’autant plus qu’il y a des mecs qui ont pour objectif d’être divertissants, mais qui ne le sont même pas, c’est de l’entertainment foiré. Ça ne me divertit pas du tout ton truc, je ne suis pas du tout diverti ! (rires) Il faut chopper le mode d’emploi, la mécanique de l’artiste. Et c’est plus intéressant quand il y en a un, je pense.

C’est intéressant ce que tu dis parce que le rap français a, et c’est un défaut je pense, depuis longtemps ce besoin de se légitimer en permanence auprès de ceux qui ne l’écoutent pas… 

On s’en fout. Qui le perçoit mal ? Lui là, ou lui ? [il désigne au hasard des badauds dans la rue]. On s’en fout ! Il regarde quoi, il fait quoi ? C’est quoi ses codes pour dire qu’il perçoit mal le rap ? Moi je perçois mal le foot. Bon…et ils s’en foutent les gens. Ils ont le droit. Il faut arrêter de se légitimer. C’est comme quand tu es arabe et que tu dis « Non, mais regarde je leur ressemble pas trop ». Non, on s’en fout. Je suis arabe, point barre. Laisse moi tranquille.

Tu sais, c’est ce côté MJCJack Lang, tous ces délires. La poésie urbaine… non ce n’est pas de la poésie. Pas du tout. Le rap ce n’est pas du tout de la poésie urbaine. Pas du tout !

Pourtant tu te définis toi même comme un poète…

Oui, moi je suis un poète, tous les autres non… (rires)
Ce qui a fait beaucoup de mal, et je parle pour Montpellier, mais c’est sûrement le cas dans les autres villes, c’est tout ce qui est MJC, Maison pour tous, les associations à la con. Les ateliers d’écritures !  C’est le truc qui a fait le plus de mal…

Il y a pas mal de rappeurs qui animent des ateliers d’écriture pourtant…

Ça, c’est des mecs qui n’ont pas de thunes. Mais libre à eux. Mais je suis sûr qu’au fond d’eux ils savent que c’est pété. C’est quoi ? L’écriture, ce n’est pas ça. Le truc encadré, MJC, le rap, ce n’est pas ça ! Qu’est ce qu’on va leur expliquer ? Et puis ça ne fait pas rêver. T’imagines Miles Davis à la « Maison pour Tous » de Celleneuve ? (rires)

C’est ce que ça représente qui te dérange ?

C’est des pansements pour la banlieue. Et des pansements à la con. On te donne des profs de guitare qui sont là en CAE. C’est de la fausse culture. C’est de la culture « populo »… Même la symbolique est nulle. On t’apprend à écrire du rap le mercredi après midi de 14h à 16h ? On t’apprend à écrire un rap ? Mais quoi ? Je ne vois pas le délire. « Écrire du rap… »

C’est un déclic, c’est un tout. On te donne le mode d’emploi, tu le lis deux fois et après, à toi de t’entraîner. C’est comme le foot, quand tu commences, tu n’es pas dans un club. Tu connais déjà les règles, tu t’entraînes et ensuite tu vas dans un club. Tu sais taper dans un ballon. Tu sais déjà quoi.

On t’apprend quoi dans un atelier ? Ça prend trois heures à t’expliquer une mesure, deux trois consonances, le mode d’emploi et après ça va tout seul. Les mecs vont venir tous les mercredis et écrire des textes, une rédaction ? En plus, il n’y a pas de règle dans le rap.

Non ? 

Les règles de base. Ce que t’imposent la rythmique, le choix lexical, les contraintes musicales. Une fois que tu les as… Et puis le côté faut écrire un message, toutes ces conneries là…

L’équilibre que tu sembles avoir trouvé dans ta musique, ça te suffit ? 

Oui, je pense, demain je te dirais le contraire, je ne vais pas en vivre.

La musique, c’est un vrai kiff. J’en ferai tout le temps. Et je pense que je prendrais vraiment le rap au sérieux à 40 piges. Comme un jazzman ; le jazz quand il est arrivé c’était de la musique de jeunes nègres de 20 ans, et c’est devenu la musique de vieux blancs de 60 ans. Et le rap, ce sera pareil. Je pense qu’on peut faire des choses intéressantes, un mec comme Coltrane qui est parti dans le Hard Bop vers 40 ans, c’est le but du jeu. Ce n’est pas du sport. Je pense qu’à 40 ans on peut vraiment faire des trucs de oufs dans le pe-ra. A 20 ans, t’es scolaire. T’as peur du regard des autres. Alors qu’à 40, tu t’en fous.

Qu’est ce que ça veut dire le prendre au sérieux ?

Pour l’instant, je travaille, j’ai des enfants en bas-âge. Peut-être que plus tard j’aurai plus de moyens, de l’argent et du temps, pour faire un gros truc. Et amener les choses plus loin. Ou moins loin…plus épurées. Ce sera une évolution. Et je continuerai le rap, c’est clair. Quand tu joues au basket le dimanche tu n’es pas professionnel, mais tu joues pour gagner. Tu veux gagner. Et je veux gagner. Et je pense que j’ai gagné ! Je suis Earl Manigault (rires). C’est beaucoup plus beau qu’un Jordan, que j’aime beaucoup aussi, mais c’est beaucoup plus lisse, plus classique. Earl Manigault c’est sale, c’est vrai.

En France, il y en a énormément aussi, des perdants magnifiques. Des gars qui ont étés super loin comme François de Roubaix par exemple, qui ont fait énormément mais  n’ont pas été compris au début. Ils étaient loin. Des grands. Comme le Gainsbourg à l’époque de Melody Nelson, c’était génial. L’histoire de Dutronc est mortelle aussi. J’aime bien ces gens là. J’aime ces destins. Je ne me le souhaite pas, mais je m’inscris plus là dedans. Perdants Magnifiques. C’est ça…

Propos recueillis par Juliette.

L’excellent Perdants Magnifiques est disponible en physique et digital sur le bandcamp de Sameer Ahmad, et en écoute ci dessous.

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