Producteur, rappeur et chanteur, Tree sait pratiquement tout faire. A l’heure où la copie remplace très facilement l’orginal, le MC de Chicago se targue même d’avoir inventé un genre, la soultrap, mélange de samples venant de la soul, additionné aux folles batteries de la trap music. Si l’on rajoute encore à tout ça le talent de production du chicagoan, ainsi que la capacité à sortir de sa gorge une voix éraillée digne d’un bluesman post-2000, l’on obtient une musique de l’âme, blessée par un parcours unique en son genre et par un monde qui le dépasse. De la jeunesse perdue de Windy City à MTV, en passant par les Sunday School ou le Project Mayhem, on revient avec MC TreeG sur son parcours, sa carrière et sa vision de la vie, lors du très court (mais très bon) passage en Europe qu’il a pu nous offrir.
ReapHit : Salut Tree, pourrais-tu te présenter pour le public français qui ne te connaîtrait pas ?
Tree : Salut, je m’appelle Tree, je viens de Chicago dans l’Illinois. Je rappe, je chante, je produis, je performe, et j’illustre la lutte urbaine de la jeunesse des centre-ville, d’Amérique ou d’ailleurs. J’ai créé un genre musical, la « soultrap ».
R : Tu es né à Chicago, et c’est la ville dans laquelle tu as grandi. Comment s’est passé ton enfance et ta vie de jeune adulte à Windy City ?
T : Mon enfance a été partagée entre les logements Cabrini-Green (des bidonvilles un peu plus modernes qu’au Brésil, pour exagérer un peu) et ma famille et mes amis, les drogues prises ou vendues, les personnes tuées et les fêtes tous les soirs…et j’ai voulu échapper à tout ça. J’ai l’impression d’être béni, j’ai perdu beaucoup de gens que je connaissais. J’ai écrit un morceau qui s’appelle « Most Successful« , et il est tristement vrai : sur la dizaine de milliers d’habitants de ce quartier d’où je viens, je suis le seul en 30 ans qui ai pu faire la première page du Chicago Sun, Times, Reader ou Tribune sans avoir commis d’actes atroces de violence, ou être parrain d’un réseau de drogue. Je suis l’anomalie ! Je suis soultrap.
R : Quels ont été tes premiers contacts avec la musique ?
T : C’est grâce à mon frère aîné que j’ai découvert la musique, et le rap en particulier. Vers la fin des années 80 et le début des années 90, il ne faisait qu’écouter LL Cool J et NWA à fond. Et dans le quartier, tout le monde ne jurait que par 2Pac, Das EFX, MC Breed, 8Ball…c’est la culture dont j’ai hérité, et tout ce que j’ai connu depuis ma tendre enfance.
R : Et qu’as-tu commencé en premier, le rap, ou la production ?
T : A rapper en premier, mais ça n’a été qu’une question de semaines avant que je commence à produire. Je n’aimais pas la musique trap « de club », et ne trouvais pas de producteurs à mon goût pour harmoniser mon chant, mon flow, avec la sonorité trap. On n’est jamais mieux servi que par soi-même.
R : Tu as sorti des projets avant les deux volumes de Sunday School, mais la plupart des gens t’ont découvert avec ces deux albums. Comment tu l’expliques ?
T : Hé, c’est le jeu ! Se faire oublier, jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus le faire. Dans tous les cas, je suis heureux de voir de nouvelles personnes aimer Tree. Quand on repense à cette lutte de tous les jours, et à comment j’ai pu grandir…ce qui me fait du bien, c’est que j’ai ma place maintenant, les gens ne pourront plus m’oublier. J’ai une fanbase solide comme l’acier. Les gens m’aiment et aiment mon son, ma vision. Mais ce game est inexplicable. Chaque succès possède un chemin différent, on ne peut pas le deviner avant de l’emprunter.
R : C’est vrai que l’explosion a été rapide. De l’artiste confidentiel que tu étais au début, tu as maintenant de gros médias, comme MTV, qui te suivent, une tournée en Europe… Comment tu vis tout ça ?
T : Je suis toujours en explosion, il me reste tellement de territoires à conquérir ! Le plus fou dans tout ça, c’est que toute l’attention qui m’est portée, soit grâce à ma musique, et juste ma musique. Mes fans sont mon équipe et mes distributeurs. Et la musique que je distribue, je le fait de mon lit, jusqu’au reste du monde. C’est fou n’est-ce pas ?
Ma musique n’est que lutte et misère, tandis que tout ce qu’il se fait aujourd’hui n’est que party & bullshit. Comme s’ils tentaient d’oublier les vrais problèmes. Personnellement, je ne suis pas riche, ce qui me met sur un pied d’égalité avec quasiment six milliards de gens ! Des gens de partout m’écrivent en disant comprendre mes heurts, mes peines et ma passion. « I am you, we are us« . On vit, on lutte, on meurt, et entre les deux on boit, on saigne, on pleure, et on paie les factures. La soultrap, ça n’est pas américain, ni chicagoan, c’est humain.
R : Tu es de Chicago, on en a parlé, mais tu pratique le rap d’une manière assez différente de toute la scène drill qui peut se démarquer en ce moment. Tu aimes ce genre de son ? Comment tu vois ce mouvement ?
T : J’aime la drill music, mais j’essaie malgré tout de rester en dehors. Pourquoi ? Parce que ça représente finalement tout ce qui va mal à Chicago. Mais bon…je ne dénigre pas. Ce serait comme si on disait que la prostitution était la raison du sida ou des divorces…on a quand même besoin des putes dans ce monde. La drill est ainsi recherchée dans certains cercles. Je souhaite aux drillers le meilleur, mais ce n’est jamais quelque chose que je ferais, je suis trop conscient des problèmes urbains pour les glorifier jusqu’à en faire un style de vie. J’ai l’impression d’être mature à ce sujet. Pour moi, promouvoir l’ignorance ne pourra que te desservir tôt ou tard.
R : Comment t’es venue l’idée de mélanger soul music et trap music ?
T : En fait, Kanye, Dre et d’autres l’avaient déjà fait avant moi, j’ai juste changé totalement de dynamique en y introduisant du chant.
R : Dans la vidéo de « Godlike », tu te mets en scène dans un rôle de bluesman. Le blues, c’est une de tes influences ?
T : Non, pas vraiment. En fait, quand il n’y a pas ou peu de boucles dans un style musical, j’ai un peu plus de mal. Par contre, sampler ce genre de son, c’est une science : créer un modèle, un schéma à partir de quelque chose qui n’en a pas…ça a été un challenge pour moi au début, mais je pense que j’y arrive très bien maintenant.
R : Tu crois aux supposés liens entre blues et rap ?
T : Je crois surtout que toute la musique vient d’une sorte de gospel, de cérémonials religieux, et qu’elle est toujours reliée. Tout est connecté, surtout dans la musique. Et dans le hip-hop encore plus, puisqu’elle s’inspire de tous les autres genres.
R : Dans un des couplets de « Hurt », Teddy Caine dit que la musique est un peu comme son médicament. C’est un peu ton cas aussi ?
T : Ah la musique c’est mon psy, mon conseiller de vie, mon journal intime… Je mets des choses dans ma musique dont je n’aurais jamais parlé en dehors. Comme mon enfance par exemple, ou le fait d’avoir un père accro, qui est tout de même resté un père pour moi et mes frères…ou encore cette femme qui m’a brisé le cœur, avec la fierté et l’ego qui va avec…je n’aurais jamais pu, sans musique, raconter tout ça. La musique, ça me fait éviter de vouloir être Al Capone. Je suis meilleur musicien que gangster, et ça j’en suis sûr.
R : Tu joues beaucoup avec ta voix pour transmettre tes émotions. C’est quelque chose que tu pratiques, tu t’entraînes, tu fais des vocalises ?
T : Ahah nooon, je me suis entraîné quand j’étais ado, des années à chanter et à faire de la musique sans rien sortir, juste par passion. Et ça a donné ce que vous pouvez entendre aujourd’hui ! J’avais onze ans quand ma voix a commencé à s’érailler de la sorte, et c’est à force de travail que j’ai pu la contrôler et donner ce que je donne aujourd’hui.
R : Dans tes morceaux, on ressent une attraction double : la rue et ses mauvais côtés, et quelque chose de spirituel, sans vraiment savoir exactement quoi. C’est une ambivalence, comme la soul et la musique trap ?
T : Comme je te disais, je suis humain. Je suis juste un homme qui combat ses démons, tous les jours. J’essaie d’être Gandhi dans une salle remplie de violents enfoirés, tu vois le truc ! C’est un combat conscient que je veux partager avec le monde, par l’intermédiaire de ma musique. Je suis comme toi, en tant que personne, on essaie de traverser cette merde.
J’ai plus de points communs avec le dealer du coin de ma rue qu’avec le curé, même si on a tous démarré à l’église, à apprendre la parole de Dieu, à dire merci, à dire oui à nos parents, à être poli… Mais on a depuis grandi, et le monde est devenu le lieu le plus bizarre que l’on connaisse ! On fait tous nos choix, mais connaître celui entre le bien et le mal est bien la chose la plus compliquée, qui dépendra de plein d’autres petites choses… Comme je disais dans un morceau : « Shit goes around like a circle, I got a son now I gave a fuck about my curfew » (en gros, « depuis que j’ai un fils, je fais gaffe à l’heure à laquelle je me couche », ndlr). C’est le cycle naturel de la vie, ces choses qui font que tu changes ton comportement, d’une façon ou d’une autre, du bien au mal. Ou être un tyran et vouloir la paix, parce que tu as vu ce que la tyrannie faisait à la justice !
R : Certains de tes titres sonnent vraiment homemade, pas très bien mixés, avec un son bizarre…et je crois que c’est fait exprès. Pourquoi ?
T : Parce que je me fous un peu de la perception du public. Je crée une nouvelle tendance ! (rires). Et si ça marche bien, tu vas voir un millier de rappeurs faire exactement la même chose, comme d’habitude. Hé, la musique rap n’a pas toujours été populaire… Quelqu’un en a fait quelque chose de populaire. Pareil pour l’islam ou le christianisme, la masse détermine ce que tu dois suivre ou pas. Politique, médias…same shit. Non, vraiment, quand le son est bon pour moi, je ne me pose pas plus de questions que ça.
R : Et ce dernier EP alors, quels ont été les retours ?
T : Formidables. Vraiment. Le @MCTREEG EP est celui qui me fait le plus voyager en tout cas, je suis même en Europe avec vous !
R : Est-ce que tu savais, avant de débarquer ici, que tu avais un public en France, en Belgique etc ?
T : J’avais une petite idée, après tout, si on m’invite à faire des dates chez vous, c’est qu’il doit y avoir quelques personnes qui me connaissent, mais j’ai vraiment été surpris. Voir des mecs (jeunes en plus), qui parlent à peine anglais connaître les paroles de mes chansons quasi mot pour mot… C’est gratifiant par tous les aspects. Je me sentais comme une star ! L’Europe, c’est ma deuxième maison maintenant, super séjour.
R : Un dernier mot « promo » pour la fin ?
T : Alors, vous pouvez me retrouver sur tous vos réseaux préférés, Twitter, Facebook, Instagram, et sur mon site web. Encore merci à ReapHit, vive la France !
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