La prison, voilà un sujet plus que traité dans le rap. Miradors, barbelés, béton armé. Sauf qu’il n’y a pas besoin de tout ça pour se sentir prisonnier, et c’est de façon subtile que Kohndo vient le rappeler, 6 ans après son précédent album. Paris, dans une nuit qui aurait été noire si les lampadaires ne la jaunissaient pas, quelques notes se font entendre. Dans le taxi d’où elles proviennent, un homme, prêt à livrer une partie de ce que la vi(ll)e lui enseigne.
C’est Paris, ville bondée, et il faudra attendre un peu avant d’avoir enfin un opérateur au bout du fil pour demander un foutu taxi. Le compteur se met à défiler, la virée nocturne commence avec un chauffeur bavard. Parcourant la ville, des grands boulevards aux petites rues, notre pilote a du métier, et soyez-en sûrs, il en a à raconter. Bien calé dans son siège élimé, le coursier déblatère et nous promet une course captivante.
4 ans après le lumineux Soul Inside, Kohndo semble vouloir assombrir le ton pour une virée nocturne dans la ville lumière. Mais bien loin des lampadaires et des grandes artères, c’est plutôt d’enfermement dont il est question. Un enfermement dans le quotidien, dans la routine, les mêmes galères, les mêmes questions et leur absence de solution. Pérégrinations incessantes d’un trentenaire désabusé épris de liberté divaguant dans un monde autocentré, quelque part entre le périphérique et les murs du quartier.
Au volant de son album, Kohndo ne présente pas les murs de la ville, mais ceux de la vie, cherchant à retranscrire avec justesse la façon dont ceux-ci composent l’existence. Parfois, l’enfermement est si subtil qu’on ne le remarque pas. Tout le travail du MC sera alors de le mettre à nu, de le révéler sous toutes ses formes, de la plus visible à la plus insidieuse, à travers son vécu et sa plume, échappés de la rue.
Plutôt que de dépeindre ces murs, le rappeur donne vie aux enfermés de la vi(ll)e. Mêlant à merveille pression claustrophobique des grands ensembles et fines fissures d’espoir entre les briques, Kohndo distille images et fragments de vie. Décrire le contenant par son contenu, pour mieux fragiliser les remparts et ses fondations écrasantes.
L’authenticité qui en découle fait la force d’Intra-Muros. Plus que de raconter une foule impersonnelle, Kohndo se raconte lui, ses proches, les gens de son proche milieu coincés entre les rives de l’Ile-de-France. Pour ce faire, là où beaucoup ont tendance à embellir par le fantasme, notre chauffeur d’un soir a fait le choix d’une poésie authentique. De fait, les images lâchées par Kohndo posent le décor, et donnent à l’ensemble l’effet cinématographique recherché. Mais surtout, ses mots donnent le sentiment d’être là pour se réapproprier une vie qui pousse au confinement, se libérer de ces murs, non de pierre, mais psychiques et sociaux. Tantôt armé d’ironie et d’humour, tantôt prêt à foncer en première ligne, le taxi bat le pavé, fier dans l’adversité, bien que chahuté par les nids de poules, évitant l’accident de l’écueil larmoyant ou de la glorification d’une vie dans un 9m².
Depuis le début de cette course, la radio est allumée. La musique était à peine lancée que le chauffeur s’est mis à parler. Pourtant, les notes sortant des haut-parleurs pourraient presque se suffire à elles-mêmes pour raconter le voyage. Transpirant le jazz en s’en inspirant sans faute de goût, teintée de soul et de funk, la composition sait ainsi faire preuve d’éclectisme tant dans les sonorités que dans les ambiances. Appuyant les propos du rappeur en ajoutant de la profondeur aux mots, les compositions deviennent déroutantes lorsque la funk sert à parler de colis quelque peu illégaux, et que des sonorités légères viennent enchanter les démons présents dans sa tête.
Le style du Koh est reconnaissable entre mille avec un flow léger, oscillant parfois entre espiègle et ironique, quand bien même le sujet rappé serait à l’opposé. Toutefois, Kohndo a su faire passer de légères bribes de nouveauté entre des murs pas si hermétiques que ça. Peut-être pas suffisamment pour que de nouveaux clients se laissent tenter par la course, mais bien assez pour que les passagers habituels prennent plaisir à la découverte d’un nouveau trajet. La preuve en est qu’avec « un gun sur la tempe », dans lequel notre chauffeur sait garder son style sans pour autant faire la grève contre les sonorités et les rythmes actuels. Si l’on ne peut pas savoir si la balade sera toujours aussi attrayante sur le long terme, force est de constater que les premiers trajets passent d’une traite, si bien que l’on redemande volontiers un autre tour afin de saisir ce qui nous a échappé lors de la virée précédente.
Kohndo voulait son album comme un film noir. Force est de constater qu’il l’a ponctué d’une multitude de nuances. Dans la peau d’un chauffeur de taxi, Kohndo raconte en musique la solitude d’une foule prisonnière du quotidien, et à travers elle se raconte avec hargne et authenticité. Si il n’y effectue pas de grand virage musical, Kohndo a su créer, une fois encore, une œuvre à l’identité propre avec ce style funky et old school qui lui colle à la peau. Peu nombreux, les invités que sont Nekfeu, Oxmo et A2H ajoutent une ouverture bien dosée à cet album. Une belle réussite en somme, qui nous révèle qu’il suffit d’un taxi pour pouvoir s’évader de murs qui pourtant nous condamnaient à rester prisonniers d’un compteur qui tourne en boucle.
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