Grems, Sans Titre et sans reproche

In Chroniques by Antoine GoresLeave a Comment

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Date de sortie : 19 janvier 2018

Label : Gremsindustry / Musicast

Production : RROBIN, Nikitch, Tambour Battant, Jayel Flex,

Featurings : Le Jouage, Elea Braaz, Manon Cluzel, Hedi Yusef

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Sans titre #7 est d’une implacable spontanéité à la manière d’un Jackson Pollock, il est coloré d’un esprit enfantin comme Joan Miro, mais aussi ancré dans une certaine spiritualité héritée de Kandinsky. C’est avant tout un disque né de son amour pour l’art abstrait et son penchant pour l’’anarchie maîtrisée. Le maître mot est la versatilité. Grems en 2018, comme pour le reste de sa carrière, s’empêche obstinément de se complaire dans ce qu’il sait faire.

Depuis Vampire, son sixième album solo en 2013, Grems n’avait sorti que des EP’s (Green Pisse, PRAF, Buffy) ou des projets en groupe (Ascenseur émotionnel). Rappeur trentenaire qui lève la pédale sur la vie de punk, il a pris le temps de mettre au propre les 15 dernières années qui au fond n’étaient pour lui qu’un brouillon. Le teasing  laissait entrevoir que l’album s’appellerait P.O.M, puis A&a, on aura finalement Sans titre #7. Toujours soucieux de la symbolique et du sens qu’il donne à son oeuvre, (le bonhomme est friand de concept) on peut se réjouir pour lui : si le disque porte ce nom, c’est qu’il peut désormais vivre en bon père de famille, loin des vampires.

L’hyperactif revient avec ce qui est en fait un concentré de ce qu’il sait faire, de ce qu’il a pu faire et de ce qu’il est. Rappeur transparent et sincère dans sa démarche, ayant depuis bien longtemps considéré le rap comme un simple exutoire.

Sur Sans titre #7, il n’hésite pas à lancer le voyage par un morceau jazzy nonchalant,  sur « Kuduru » c’est son côté zulu caillera qui parle. Une fois la première passée, on turn up direct sur « Fantomas », Nikitch à la prod balance une basse vrombissante, un rhodes qui répète sa dernière note en rafale, tandis que la douce Elea Braaz hypnotise le tout avec sa voix mielleuse. Quant au principal intéressé, il nique plus que jamais les mères du game tout en étant moins agité et burlesque qu’avant.

Moins agité ? Pas si sûr, à l’écoute de « Babyliss ». Véritable jet de crottes de nez lancées avec virulence à la jeune génération sur fond de trap qui rend gogol concocté par les petits génies de Tambour Battant, Grems nous fait part de l’importance de son identité chauve. Il arrive tondeuse à la main, et comme un jeune perdu qui signe à l’armée, vient te raser de gré ou de force, déterminé plus que jamais à te secouer les tifs, pendant l’écoute de son album. Après les joggings de l’OM et la violence de « Babyliss », le chat retombe sur ses pattes, sur un beat house typée Chicago de préférence. Derrière cette parfaite association de malfaiteurs, il y a Robin, aka The Imposture aka l’Homme des montagnes. L’homme qui avec un PC à 10 balles et deux vieilles Altec Lansing te sort des missiles comme « Catman&Robin ». Bombardant de prods Grems depuis plusieurs années, les deux s’inspirent mutuellement pour sévir dans l’« underground comme Joe lucazz ou Rat Luci ».

Ces derniers temps, Grems diminue les collaborations avec les autres rappeurs, se recentrant sur, l’essentiel. En 2015, il acceptait de remettre le couvert pour un troisième projet Hustla avec son ami de toujours, Le Jouage. En 2018, c’est avec plaisir qu’on se prend à fredonner « J’suis dans ta chatte, j’suis bien » grâce à la voix suave de Manon Cluzel, la prose inimitable du Jouagie et le retour du pervers polymorphe scorpion.

Dès 2004, il disait « mets d’la vaseline, mon rap est porno », en 2018, c’est toujours d’actualité. « C’est d’la bombe tu say », si les interludes complètement absurdes étaient déjà présents dans Sea Sex and Grems, son troisième album solo, sur Sans Titre #7, Grems revient ricaner de toutes ses dents, et y ajoute quelques effets, faisant passer le mix d’une oreille à l’autre, sur un son house lo-fi bien crade, «  le cul du game est fissurey ».

Si l’album trouve ici un certain rythme, à la moitié du disque, on comprend que Grems se joue de nous et de sa tracklist, réservant à l’auditeur quelques surprises bien cachées dans la dizaine de morceaux qui lui reste à parcourir.

Sur « Mike Rofone », et sa prod thug à souhait, le franco-belge vient nous prouver que le rap c’est « que de la pratique et du toupet ». Spécialiste de l’égotrip, Grems nous rappelle qu’en bon stakhanoviste caféiné, il n’a pas chômé. L’intégralité du CV se voit énuméré et ses hobbies les plus sains dévoilés. Avoir son nom sur du champ’, finir au musée et écouter du Count Bass D… entre autres.  Tandis que sur « Waikiki », Elea Braaz revient faire le singe deux minutes avec Grems, on se laisse prendre par le comique de répétition, se rappelant que ce n’est pas la première ni la dernière fois qu’on tombe sur un tel ovni dans les projets du franco-belge. Toujours taquin, c’est juste après ce morceau franchement spé, petit plaisir malsain dans la tracklist, qu’il glisse un tube. « Balaras les flows », un nouveau feat avec Hedi Yusef qui officie sur un  refrain légèrement vocodé qui te phagocyte vite fait bien fait le cerveau. Imparable.

Le fil rouge de l’album commence à apparaître en même temps que les premiers signes de tachycardie provoquée par le morceau d’épileptique qu’est « Jabba le Hutt », une véritable dédicace à tous les « cafards de club », cette espèce qui sort en crop top Choker et susceptible de te refiler un herpès ou plus. Ce n’est pas la première fois que Grems nous fait part de morceaux crades sur des harpies, comme le très dark « Gothic » dans Airmax. On imagine déjà le morceaux clippé avec une maîtresse BDSM de seconde zone, un stroboscope et une peau adipeuse qui dégouline du legging de tchoin.

Autre capitale du cafard de club version legging : Londres ! Parce que la culture de Grems, ce n’est pas que l’Amérique, l’interlude UK est propulsé par une prod techno qui galope à plus de 135 avec un synthé 90’s super deep derrière, un couplet et un refrain de C.Sen « main de fer, langue de velours, comme Eurostar des aller-retours » et des références à une ville centrale dans la musique depuis des décennies. De la scène broken beat de West London au dubstep de Croydon, Grems veut montrer qu’il a eu beaucoup de Roll Deep dans les écouteurs, et ça avant que les ricains sucent Skepta.  Autre écho fait à Brokabilly, c’est « Michael » : une nouvelle fois c’est Nikitch aux manettes avec une instru très future beat ultra énergique pour que « Michael » puisse faire un ego trip hommage aux légendes, avec un petit rappel aux gens qui viennent lui parler alors qu’ils ont le pif plein de poudre.

A l’approche de la fin de l’album, l’énergique devient lumineux, et dans « Apple-Pomme », le père de famille prend le temps de parler de son combat et des années difficiles sur une prod mélancolique de RROBIN. Touchant récit du parcours d’une décennie de la trentaine semée d’embûches, et d’une lumière en bout de tunnel, qu’il commence seulement à apercevoir. Cette délivrance se ressent sur les deux derniers morceaux. Plus libre que jamais, plus libre car plus seul, plus réfléchi, en quelque sorte moins parasité par les gens « depuis que j’suis seul je suis meilleur, depuis que j’suis seul elle est là ». « Tokup », une house bien punchy par RROBIN, qui passerait même en peaktime d’une soirée en club, on voit que Miki est à l’aise dessus, « un peu Johnny un peu Héraclès ».

Grems terminera l’album par « Hollywood », bonus track produit par Jayel Flex et pur bijou. Une mélodie féérique qui laisse imaginer un coucher de soleil sur Venice Beach, une poignée de meufs aux culs bronzés en bikini avec des rollerskates, les étoiles du boulevard. Une outro aussi douce que l’hiver en Californie. C’est sur cet air apaisé que nous laisse Grems. Une fois décodé l’algèbre, on est obligé d’admettre que cet album est un de ses tout meilleurs, si ce n’est le meilleur, il a infusé toutes les facettes de son complexe personnage pour contenter son public et séduire ceux qui étaient réticent à l’écouter.

Et même pour ceux qui ne veulent pas en entendre parler, le trublion devrait sortir une mixtape d’ici quelques mois rien que pour vous faire chier, avec du Nikkfurie et du Ichon, du Aelpeacha, et même du Joe Lucazz. De quoi rêver d’ici là.

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Antoine Gores
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