Droogz Brigade, décryptage d’un synopsis

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Le périph rennais transformé en aquaboulevard, les routes de campagne, un champ de boue, et nous voilà arrivés trente bornes plus tard. Plélan-le-Grand, festival des Bonnes Z’ambiances. On s’envoie un flash, la météo n’est pas bonne et les infos non plus, nos lascars ont du retard. Ils ont loupé l’avion et n’ont pas sauté sur les rails, mais dans la voiture ça blablate. Les concerts débutent, les fraîcheurs sont arrivées après l’averse, les Nike au sec. On se pose derrière le chapiteau où Davodka fait sa mise au poing. Le chef brigadier nous accueille et quand le dernier droogiz arrive les lumières changent, la salle plonge dans l’obscurité, les yeux s’écarquillent sous les feux du Projet Ludovico.
Il y a eu « montée de vellocet », un de vos premiers clips, où vous vous réappropriez les codes vestimentaires et où vous faisiez des clins d’œil à des scènes mythiques du film. Il y a maintenant ton dernier projet perso en date Al’Tarba pour lequel tu as exprimé l’ambition en cette phrase« Je souhaite qu’à l’écoute de cet album, les gens voient Travis Bickle roder dans Gotham City, avec quatre droogies à son bord.”. Et puis il y a eu le paroxysme de votre relation avec l’œuvre d’Anthony Burgess, le Projet Ludovico. Vous pouvez revenir sur la genèse de votre rap couleur orange mécanique ?

Staff : On s’est connus plus ou moins au lycée, Al’Tarba et Sad Vicious se connaissaient déjà un peu avant avec leur groupe Sade, et on a commencé à rapper à la même période. Il y avait aussi un autre groupe avec moi-même, Herken et Sad Vicious, encore lui ! On appelait ça M.A.V et ça voulait dire pas mal de choses dont Mort Aux Vieux, Mort Aux Vaches et pas mal de trucs comme ça… On tournait pas mal ensemble et on faisait souvent des concerts, des dates jusqu’à notre rencontre avec Rhama Le Singe, on est devenus potes et à ce moment-là on s’est dit qu’il fallait faire les choses ensemble pour de bon. C’est Al’Tarba et Sad Vicious qui ont proposé le délire Droogz Brigade.

Al’Tarba : Le nom sonnait bien mais c’était aussi pas mal l’idée de reprendre le langage, le nadsat d’Orange Mécanique.

Ca vous offre quoi d’utiliser un pareil argot dans vos textes, c’est pour parfaire votre filiation à l’œuvre tout en vous offrant une plus grande liberté linguistique ?

Al’Tarba : C’est ça, c’est cette liberté de jeu ! En plus c’est un argot venu de pas mal d’endroits, y a du russe, du gitan. Ca nous permet plus de punchlines, d’assonances, de sens cachés.

Sad Vicious : Après ça nous a permis de nous confectionner un univers musical, même si il ne tient évidemment pas qu’à ça. On est un groupe influencé par le Wu-Tang, et moi personnellement j’aime bien ces groupes qui arrivent vraiment avec un truc particulier, qui amènent leur univers…

Al’Tarba : Ouais qui font des ponts avec le cinéma ! Après on n’est pas que bloqués sur ce truc-là, on peut pas nous résumer à ce film. On adore faire des clins d’œil, lâcher des petites références mais on ne fait pas que ça. C’est des ponts vers un élément phare pour nous. Mais ça aurait pu être The Warriors…

Staff : Ou C’est arrivé près de chez vous !

Al’Tarba : Mais celui-là il nous apportait toute une profondeur, une réflexion sur la violence, avec ce côté psychédélique et cet humour un peu grinçant, sur notre violence à nous, notre violence verbale. Mais aussi toute une réflexion sur la société et la récupération qu’elle fait de la violence, sur le cynisme et l’humour froid. C’est toutes ces ficelles que tu peux tirer de ce film qui te permettent de retranscrire quelque chose de plus grand… Maintenant quand tu vois toutes nos références, elles sont vachement étendues, à plein de genres de films, d’œuvres…

Staff : A l’époque, j’étais avec une meuf qui faisait du droit et elle me disait qu’elle étudiait ce film, Orange Mécanique, en fac de droit. C’est quand même marrant qu’il traverse tant d’univers ! C’est un reflet du système pour nous.

Dans le morceau Droogz Brothers, qui transpire de sincérité, tu dis « on est que des ogres en peluches et droogz ça veut dire pote en russe, on tabasse pas d’clodos on viole pas mais on est noctambules ». Je voulais revenir sur cette phrase pour plusieurs choses, d’abord sur le fait que vous étiez des potes avant de faire de la musique, c’était qui les droogies avant de former la brigade, à quel moment vos univers se croisent ?

Al’Tarba : Je pense que la musique c’était presque secondaire entre nous, enfin on a passé des années à être potes sans faire de la musique. Ou alors on en a fait de la musique mais ça n’a pas vraiment abouti, parce qu’il y a quand même deux versions de l’album qui ne sont pas sorties et qu’on a fini. L’amitié nous a liés en premier lieu, puis la musique est arrivée, et les deux sont aujourd’hui sur le même plan.

Rhama Le Singe : Même le fait qu’on soit là depuis aussi longtemps, parce que ça fait plus de 10 ans maintenant qu’on est là, ça prouve qu’il y a autre chose que la musique qui nous tient.

Sad Vicious : On s’est tous rencontrés assez jeunes, et de fait on s’est construits ensemble musicalement en s’apportant des choses les uns les autres.

Rhama Le Singe : Je pense qu’on s’est carrément inspirés les uns les autres !

Al’Tarba : Ouais complétement, autant dans la vie que dans la musique d’ailleurs.

Vous trainez quand même dans des milieux particuliers, je pense au milieu punk, au milieu squat en disant ça, avec les gens qui font cette scène un peu sombre et extrême que ce soit La Gale ou Vîrus dans une autre mesure, c’est comment d’être dans cette marge du hip-hop qui se recoupe avec d’autres styles ?

Al’Tarba : Je sais pas si on est dans la marge du hip-hop…

Rhama Le Singe : Nous on se considère pas comme à la marge…

Sad Vicious : Mais on est le groupe le plus boycotté de tous les temps ! Tu pourras le mettre dans l’interview ça ?! Les gens nous détestent, les rappeurs nous détestent ! (rires)

Al’Tarba : Mais non les rappeurs nous détestent pas ! Bon après on se classerait pas dans une marge du hip-hop parce que ce serait déjà prétentieux en fait de dire qu’on est différents. On a ce côté punk-rock que j’essaye de mettre dans les refrains des fois ou des choses comme ça. Mais si moi perso j’écoute beaucoup de cette musique c’est pas le cas de tout le monde ici. Après on peut considérer que chaque groupe qui développe un peu son propre style, développe une certaine marginalité. Dans le rap il y a tellement de groupes qui sont des copies de copies de copies que ouais, avoir son identité c’est créer une forme de marginalité.

Staff : Après ce que tu veux dire et je te rejoins là-dessus c’est qu’on ne rentre pas dans la norme, on va dire traditionnelle et conventionnelle, du rap. On ne rentre pas dans les cases et pour moi, comme pour les autres je pense, c’est dans cette mesure une fierté. Ce qu’on aime le plus dans ce qu’on fait c’est la scène tu vois, on est un groupe scénique avec une énergie particulière et c’est ce côté sheitanesque, gremlinesque qui transpire !

Pendant un temps le rap a été très anti-drogue, on peut évoquer le morceau Sachet Blanc d’IAM. Maintenant c’est une imagerie qui est reprise sans cesse et on a réenchanté la bicrave et la cons. Toi Al’Tarba sur le morceau « Chiens Galeux » de La Gale tu viens casser le mythe du rappeur viriliste qui touche pas à la came et tu balances « J’aime les drogues dures qui font bander mou ! ». Vous pensez quoi de l’hypocrisie du milieu par rapport à tout ça et vous comment vous appréhendez les excès venant d’un milieu où c’est prégnant ?

Al’Tarba : Haha elle est rigolote celle-là hein ! Foutez-moi ça dans la gueule ! Moi je suis le seul qui ait envie de dire foutez moi dans le punk, dans le rock comme ça s’est réglé ! Au moins dans le punk-rock je te garantis que ça y va ! Bon j’en ferai jamais l’apologie mais je ne te dirai jamais non plus que j’en prends pas. Mais bon après c’est beaucoup de la provoc aussi, moi j’aime bien l’humour abject, gras…

Sad Vicious : En fait il a jamais pris de drogue !

Al’Tarba : Peut-être bien qu’est-ce qu’on en sait ? Il a jamais bandé mou non plus ! Avec Youri j’ai jamais bandé mou, même avec des drogues dures et tu peux le mettre dans l’interview ça !

Sad Vicious : C’est parce que je suis le plus beau. (Rires)

Al’Tarba : Tu vois on revient au Wu-Tang mais si tu lis leurs textes, tout comme Mobb Deep, eux ils ont aucun problème à te dire qu’ils s’en foutent plein le pif !

Rhama Le Singe : Même en France, t’as de plus en plus de rappeurs qui l’assument. Y a eu une longue hypocrisie anti-drogue mais ça change.

Al’Tarba : Après comme je disais c’est pas de l’apologie, c’est de la provoc. Dans le punk-rock c’est un truc qui se balance comme ça. Que ce soi tabou, en effet je pense que pour les petits c’est mieux tu vois mais en même temps je crois pas qu’en faire quelque chose de défendu soit une bonne façon d’empêcher la chose. J’ai un humour crade tu vois, j’aime l’humour de l’abject et ça va passer par ça aussi.

Staff : Après on a déjà parlé de ce sujet-là parce que comme tout le monde on s’amuse et quand tu vois les rappeurs qui disent rien, qui font les mecs clean mais qui en coulisses s’en mettent plein la tête c’est de l’hypocrisie. Jules (Al’Tarba, ndlr) il est vachement dans l’humour, c’est « faites ce que je dis faites pas ce que je fais ». Comme la phase d’Eminem «  Don’t you wanna grow up to be just like me ».

Al’Tarba : Exactement, c’est cet humour à la Cage, à la Eminem. Et en même temps est-ce que les petits ils ont envie de bander mou ?! Excuse-moi mais ça donne pas trop envie ! Regarde ! Regarde ce qu’il va t’arriver ! T’as les chicots qui tombent et le zgeg aussi !

Si on revient maintenant sur votre parcours il s’en est passé des choses entre votre EP « Dissection » et le Projet Ludovico. Vous pouvez revenir sur les 8 années qui ont nécessité la mise au monde d’un si beau démon ?

Staff : Eh beh on a bandé mou, et pendant longtemps ! (Rires)

Sad Vicious : Bon, on a sorti un ou deux morceaux par an quand même…

Al’Tarba : Ben du coup c’est ce que je te disais tout à l’heure, y a une quarantaine de morceaux qui sont pas sortis, des trucs commencés, pas finis, des trucs très vieux. Tout ça on va peut-être le sortir à un moment. Des trucs lourds aussi tu verras !

Sous quelle forme ça sortirait ça ?

Al’Tarba : Eh ben justement, c’est un très grand débat au sein du groupe. Si tu veux qu’on continue l’interview tu devrais arrêter cette question maintenant !

Staff : Non en gros ça va être une mixtape tu vois…

Al’Tarba : Ah non, pas une mixtape !

Staff : Soit en physique soit en téléchargement on va voir…

Al’Tarba : Enlève cette question !

Staff : Si on fait une version physique, on y rajoutera des nouveaux morceaux de maintenant…

Al’Tarba : Tais-toi !

Vous avez une écriture très visuelle qui atteint peut être son summum avec un morceau comme « O.W. Némésis » un story telling d’anticipation catastrophique maîtrisé d’une main de maître. Comment vous avez développé ce rap aussi cinématographique ?

Sad Vicious : Je suis complètement gêné et honoré merci ! Depuis tout petit ça me fascine un peu, je me suis toujours dit qu’il devait forcément y avoir de la vie ailleurs dans l’univers. J’ai toujours voulu faire un morceau un peu sur les extra-terrestres tout ça. Je me disais aussi que dans l’album il manquait un morceau science-fiction story-telling. Je voulais que dans la panoplie qu’on amenait il y ait cette touche là.

Rhama Le Singe : Ce qu’il dit pas c’est qu’il s’intéresse vachement au sujet et qu’il est super calé, et c’est pour ça qu’il a pu aussi bien en parler. C’est le plus friand de tous ces délires !

Staff : C’est quelque chose qui trainait depuis longtemps, des trucs un peu sciences fiction qu’on pouvait déjà voir apparaître et là il a concrétisé tout ça par un super morceau !

Al’Tarba : Moi j’ai essayé de construire l’instru autour du texte de Yuri. Elle est évolutive par rapport à son développement.

Sad Vicious : En fait j’avais posé une première fois sur une prod de PX, big up à lui d’ailleurs, on avait déjà trouvé le sample. C’était pour que je montre à Jules vers où je voulais aller puis je l’ai guidé, et il m’a sorti une putain de tuerie monumentale.

Al’Tarba : Le clip arrive bientôt !

Finalement, écouter votre album c’est subir le même sort qu’Alex, on se perd, on ne sait plus si c’est vous qui avez été sujets du projet Ludovico ou bien si vous venez nous le faire subir ?

Al’Tarba : C’est l’auditeur clairement ! Dans l’idée de la pochette, c’est la société entière qui le subit. Chaque personnage est là pour la représenter. Après on veut dire qu’on fait subir le projet Ludovico, mais dans le film c’est Alex qui le subit…

Staff : Après ouais on s’adresse à des gens, mais on fait partie de ces mêmes gens.

Al’Tarba : Si tu prends le morceau « L’œil d’Alex », on aime bien passer de cette vision bienveillante à une autre malveillante. Nos textes c’est notre regard sur le monde, un monde qu’on aimerait voir brûler, mais à la fois c’est pas vraiment nous qui le voulons ça. C’est toujours cathartique de pouvoir mettre ses pires côtés, ses pires pensées ainsi que ses meilleures dans un album.

Staff : A l’image du film, on parle de choses qui arrivent dans la vie, aberrantes ou non, injustes ou pas et on le représente à notre manière. Mais il n’y a pas que ça, il y aussi toutes les choses qui nous touchent, des morceaux plus tristes, plus introspectifs comme le premier « Commencer Par La Fin » ou le dernier « Toujours Avec Nous ». On s’adresse aux gens mais on fait partie de ces gens, donc on parle de ce qui nous atteint.

Face au Silence De Dieu, vous apportez une couleur atypique dans le hip-hop avec cette culture satanique, que ce soit le morceau Les Enfants De Baphomet ou bien des phases comme le refrain de Staff « Pourquoi la chatte c’est l’enfer ? Parce que Satan l’habite ». Ça vous vient d’où ce délire ?

Al’Tarba : Le problème avec ce mot, satanique, c’est qu’il est hyper galvaudé. T’as tous les mecs qui prennent ça au premier degré. Il faut se méfier de ce mot parce que pour moi, avant ça avait une vraie imagerie, de films d’horreur, de trucs occultes, comme dans les groupes de black metal. Mais les gens ont trop tendance à prendre ça au sérieux. Le morceau « Les Enfants De Baphomet », ce serait plus pour dire que si on ne croit pas en Dieu, on ne croit pas en l’existence de Satan. Mais que l’être humain, dans son vice et sa manière de se comporter, devient plus l’enfant de Baphomet que celui de Dieu.

Je voudrais finir sur une question assez égoïste Jules, mais tu peux revenir sur la genèse du morceau « La Nuit Se Lève » avec Vîrus et sur la participation de ce dernier au projet éponyme, notamment dans l’écriture des interludes ?

Al’Tarba : Depuis que j’ai ce projet d’album, j’avais cette idée des interludes et je voulais demander à Vîrus de les écrire et de faire le morceau éponyme. J’avais déjà le nom en tête et je lui ai balancé la prod, qu’il a kiffé. Ça a pris quelques mois, mais un jour on avait rendez-vous dans le 20ème, on a passé quelques heures à enregistrer ce morceau. Faut savoir que quand tu bosses avec Vîrus, chaque mot compte, chaque syllabe compte. On a passé des heures à enregistrer ce morceau, et en plus on a la sale habitude de tourner en rond tous les deux. Du coup t’avais les deux petits bruns qui tournaient en rond dans une pièce, les deux truands un peu. Ce qui est marrant, c’est que toutes les demi-heures on prenait une pause pour parler d’autres trucs pendant un quart d’heure avant de reprendre. C’est un featuring qui a marqué les gens, il y avait deux univers à rejoindre. On s’est rencontrés à la base sur l’album de La Gale où on est sur un morceau ensemble, et on s’est bien entendus. Il a une personnalité spéciale et moi aussi. Deux personnalités qu’on ne pouvait pas forcément rapprocher au premier abord, mais au final on s’entend très bien et ça donne un morceau pareil. On va le clipper très prochainement, et alors la nuit se lèvera !

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Théo

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