Chronologie d’un Sample : Mother Nature

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Il y a quelques temps, nous vous proposions de revenir sur une chanson, The Ballad Of Casey Deiss de Shawn Phillips, et sur la façon dont elle a été par la suite samplée au fil des années. ReapHit poursuit sa lancée avec un morceau dont les premières notes ont fait vibrer plus d’un fan de rap français, mais qui pourtant continue bien après celles-ci. Si bien qu’aujourd’hui, il a été samplé une dizaine de fois, de l’underground au mainstream, le genre de sample que l’on qualifie de « cramé ».

THE TEMPTATIONS – MOTHER NATURE (1972)

Années 70, les Temptations sont au sommet de leur succès, emmenés par un Norman Whitfield qui leur produira leurs plus grands titres. Sort alors All Direction, véritable masterpiece dans la discographie du groupe, d’où est extrait Mother Nature. Quelques notes de piano délicates, une basse feutrée, la voix délicate de Denis Edward, les sections de cordes et de cuivres qui gagnent en puissance : la richesse du morceau justifie facilement le nombre de fois où il fut samplé. Plus qu’une ode à la nature, c’est un voyage musical que le groupe propose.

BLAC MONKS – SECRETS OF THE HIDDEN TEMPLE (1994)

C’est à Houston que l’on retrouve un premier passage du titre dans un sampler. Composé de Mr. 3-2, Da et d’Awol, le groupe des Blac Monks viennent livrer leur esprit désabusé sur la célèbre boucle de piano de Mother Nature. Extrait de leur premier album du même nom, Secrets of the Hidden Temple se fait le triste théâtre dans lequel les Blac Monks viennent se livrer. Le côté angélique du sample s’efface pour une ambiance mélancolique, renforcée par le blues de la guitare et la nonchalance du synthé. Si certains secrets sont douloureux, ceux enfermés derrière les portes du temple en font assurément partie.

THE FIRM FT WIZARD – UNTOUCHABLE (1997)

The Firm, le groupe fait penser à ces gros castings dont raffole en ce moment les productions hollywoodiennes, et pour cause. L’espace d’un instant, Steve Stoute (le manager de Nas) réunit Nas, AZ, Nature et Foxy Brown pour sortir The Album, qui a tout du film à gros budget. Parmi les producteurs, le docteur le plus célèbre de Californie est allé chercher dans la discographie des Temptations pour le titre Untouchable. Le sample de mandoline à l’ambiance mafiosi en introduction cède la place à la célèbre boucle de piano, de même que Nas cède la place à Wizard, invité sur le titre pour faire tout le boulot. Si l’utilisation du sample est loin de l’original, le résultat pourrait être honorable grâce aux batteries de Dre donnant au morceau un côté percussif et dynamique. Mais quand les Temptations passent dans les machines du Docteur, on aurait été en droit d’en attendre un peu plus de la part de l’auteur de deux Chronic classiques.

PSYKOPAT – SI SEULEMENT (1998)

https://www.youtube.com/watch?v=LP4-RaXWSmk

Dans les années 90, si le saint âge d’or du rap français a vu naître une multitude de talents aujourd’hui entrés dans la postérité, il a également eu le droit à ses oubliés. Proches d’NTM, Animalxxx et Bad Reak sortent en 1998 leur premier album, L’Invasion. Notes cradossées, changements de tonalité, le piano de Mother Nature est utilisé ici de façon originale par rapport aux autres productions. La sonorité cristalline du piano devient lugubre, la basse parait souffrir, l’ambiance est glauque, musicalement nous sommes bien en 1998 ! Dans ce rap sorti tout droit des égouts, Animalxxx et Bad Reak viennent évoquer leurs regrets. Ici pas de nostalgie, seulement de l’amertume, couplée à des paroles dont l’acidité pourrait brûler les lèvres des rappeurs à mesure qu’elles sont prononcées. Mère nature semble bien loin au milieu du béton et de sa grisaille.

ARSENIK – SEXE, POUVOIR ET BIFTONS (1998)

S’il est inutile de présenter le morceau, cela l’est d’autant plus quand il s’agit de présenter le groupe. Véritable standard du rap français, Sexe, pouvoir et biftons est tellement connu qu’il pourrait presque faire passer le titre des Temptations pour une reprise. Il faut dire que Djimi Finger a su tirer parti du côté envoûtant de la boucle de piano en la complétant d’une magnifique section de violons. Le résultat est enchanteur, le terrain parfait pour que Lino et Calbo viennent peindre le portrait désabusé d’une époque en peine d’espoir. Versant quelques gouttes de poison sur une peinture du paradis.

LES SAGES POETES DE LA RUE FT DON CHOA – POUR QUI ? POUR QUOI ? (1999)

Nous sommes encore dans les années 90, le boom-bap bat son plein, et les compilations aux nombreux featurings prennent leur essor. Ce n’est donc pas une surprise de trouver une bonne ligne de batterie avec un sample de voix pitchée. Cette fois-ci, le classique des Temptations n’est pas le sample principal, le morceau fonctionne d’ailleurs très bien sans lui. La boucle de piano séquencée sous adrénaline est le parfait terrain de jeu pour les Sages Po’ et Don Choa, Mother Nature venant adoucir le tout, sans toutefois faire oublier l’ambiance oppressante du morceau. Les notes de piano ne suffisant pas à camoufler l’odeur de soufre.

VIRTUOSO – REMEMBER (2001)

Après avoir samplé la boucle de piano du début de morceau pendant près d’une décennie, Virtuoso vient briser la tradition. En 2001, dans les obscures ruelles de l’underground parisien sort World War One: The Voice of Reason, premier album du rappeur de Cambridge. Sur Remember, ce dernier décide d’échantillonner la montée en puissance du morceau, le piano se faisant plus solennel tandis que les violons accentuent la pression. Le résultat donne un morceau martial et combatif, clôturant l’album de la meilleure façon qui soit. Il n’empêche que les premières notes de piano de Mother Nature restent présentes, venant alléger par moment le morceau. Comme quoi, peu important le nombre de fois où elles seront samplées, ces notes n’en finiront pas d’envoûter le rap.

ED O.G. & PETE ROCK FT JAYSAUN – PAY THE PRICE (2004)

Sample cradossé, re-séquençage, filtre, basse amplifiée, c’est le menu que nous réserve le génie Pete Rock avec Pay the Price, réunissant Jaysaun et Ed O.G sur l’album commun entre ce dernier et le beatmaker. La boucle est entêtante, presque mécanique et froide, et l’ambiance suffocante. Sur une instru sentant bon la fatalité, les rappeurs viennent rappeler quel prix peuvent coûter certaines actions.

DOUJAH RAZE – PLASTIC WORLD (2005)

Quand la musique démarre, on se demande jusqu’où le sample va continuer. Car dans Plastic World, c’est toute une partie de Mother Nature qui est utilisée. Concernant la boucle principale, il s’agit de la même partie que le titre de Virtuoso, à la différence que Doujah Raze offre une version survitaminée en pitchant le sample. La monté des cuivres et les notes de piano prennent une autre dimension, et l’idée d’incorporer les vocalises finissent de faire de Plastic World un morceau avec un groove certain. Et rappelle toute la richesse du morceau original.

ALPA GUN – MEIN SCHICKSAL (2012)

Si Alpa Gun a une carrière plutôt récente, il n’en demeure pas moins plutôt prolifique. 3ème solo en 5 ans, Ehrensache nous apprend que de l’autre côté du Rhin, Mother Nature et ses notes cristallines fascine aussi. Utilisant les notes de piano de façon classique, c’est dans les arrangements que la production vient clamer une petite part d’originalité. Ici, le groove est donné par la ligne rythmique, dont l’alternance entre divers types de hat se marie bien avec le flow d’Alpa Gun et la sonorité de la langue allemande. Dans la lignée des morceaux de Blac Monks ou d’Arsenik, la sérénité du sample cède la place à la mélancolie une fois la mélodie découpée et la basse accentuée.

DMX FT ADREENA MILLS – COLD WORLD (2012)

18 ans après The Secrets of the Hidden Temple, DMX est le 10eme artiste à utiliser Mother Nature. Et pourtant, dans Cold World, il ne semble pas y avoir de réelle volonté à faire quelque chose de vraiment nouveau. Après des années de carrière et une vie privée douloureuse, le MC revient avec Undisputed en 2012. Cold World sonne alors comme l’envie de rapper mélancolie, amertume, et rage en toute simplicité. La boucle de piano tourne au ralenti, même la batterie est nonchalante. Le résultat est froid, triste, et il n’est pas difficile d’imaginer pourquoi DMX a choisi cette production pour mettre en musique ce monde froid.

FAT JOE – 9TH WONDER (2013)

https://www.youtube.com/watch?v=sal2wht9-xc

Les années passent et la discographie de Fat Joe commence à s’étoffer. Le dernier fait d’armes du bonhomme : la mixtape Darkside III et sa belle palette de producteurs. Parmi eux 9th Wonder, qui donnera son nom au titre d’un des morceaux. Ainsi, lorsque commence le morceau en question et que résonnent les incontournables notes de piano de Mother Nature, on est d’autant plus surpris par la production du producteur amoureux de soul qu’est 9th Wonder. Samplant une bonne partie du morceau pour le séquencer à sa sauce, la continuité de la ligne de basse lui confère une ambiance rythmes & blues, amplifiée par les drums traînantes de l’instru. Fat Joe quant à lui, fait honneur à la production avec une prestation énergique et passionnée. Une collaboration à la hauteur du morceau samplé.

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Nicolas

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