Pouya, 5’5 et roi des tunnels de Miami

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Installé sur la scène de Miami bien avant les XXXtentacion, Lil Pump ou autres Smokepurpp, Pouya fait figure de précurseur de la scène underground actuelle aux côtés des Bones, Xavier Wulf et SpaceGhostPurrp. Et pourtant, il est rarement cité aux côtés de ces légendes caverneuses lorsqu’il s’agit d’ériger le Hall of Fame des tunnels du game. Après 7 années de service et de nombreuses mixtapes de qualité, Lil Pou a sorti début mars son deuxième album : FIVE FIVE.

« It’s FIVE FIVE because I’m 5’5”. » explique simplement Pouya dans les rares interviews qu’il accorde. Si le Florida Boy a choisi ce titre pour son album sorti le 5 mars dernier, c’est avant tout pour la métaphore : derrière sa taille de 5’5 » (1 ,65m) se dresse un rappeur qui n’a plus rien à prouver. Une nouvelle fois nominé pour les Freshmen d’XXL Magazine, il serait même insensé de le voir dans les 10 tant Pouya fait figure de pionnier aujourd’hui. Sa solide fan base se gausse, car cela fait bien trois ans qu’il aurait pu y être.

5’5 » MAIS UNE OMBRE INFLUENTE

Rappelons-le, dès 2012, Lil Pou qui a déjà laissé l’école pour cause d’anxiété sévère, abandonne son incroyable émission « Nick and Pouya Show » qui lui promettait un avenir doré de youtuber pour connecter avec le Raider Klan de SGP. Très vite, il est pris dans l’énergie créatrice du gang et sort la même année la mixtape Don’t Sleep On Me Hoe. La tape est digne de celle d’un sombre Raider, accueillant NellGrandmilly et Denzel Curry, sentant la Memphis shit à plein nez, suintant les Tommy Wright III, Three Six Mafia et Gangsta Pat.

Quelques mois plus tard, le morceau « Get Buck » de sa tape Baby Bone est clippé par FXRBES et cartonne sur Youtube. Le monde découvre alors Pouya, 5’5 », taillé comme une brindille, en claire carence de vitamine D, à l’air juvénile et arborant un carré à la Anne Frank, mais qui crache bars sur bars sans respirer pendant 4 minutes, alternant différents flows impressionnants. Suivent plus tard les très bons projets Stunna et Warbucks, après lesquels il s’associe aux $uicideBoy$ pour le fameux EP South Side $uicide (dont on attend toujours la suite d’ailleurs). En solo, il sort son excellent South Side Slugs, l’une des meilleures mixtapes de 2015, dans laquelle il mêle sa rythmique héritée des Bone Thugs et d’Outkast à des sonorités plus modernes, toujours teintées de G-funk.

L’année suivante, son premier album Underground Underdog voit le jour. Alors qu’il mange des chicken nuggets au Wendy’s à LA avec sa bande, il apprend que son disque est numéro 2 derrière le Views de Drake. L’ancien Jimmy Brooks de Degrassi avait lui aussi choisi le 29 avril pour envoyer sa sauce canadienne, un choix qui n’était pas du goût du miamian qui a recraché son poulet pané avant de relativiser et d’aller finalement fêter cette belle deuxième place avec sa troupe. Produit par Getter, le projet oscille entre dirty south et west coast. Pouya offre au passage un sacré casting : Fat Nick bien sûr, mais aussi les $uicideBoy$, les Ying Yang TwinsGermRamirezSdot Braddy et Shakewell… Deux ans plus tard, et après une éternelle attente, voici FIVE FIVE, son deuxième album.

UN PREMIER VRAI ALBUM

Si le titre FIVE FIVE sert à rappeler que le natif de Miami n’a plus rien à prouver, c’est également un nom évocateur. En effet, ce dernier opus est beaucoup plus personnel que les précédents, souvent remplis de featurings où Pouya ne semblait être parfois qu’un invité parmi les autres. Ici, lorsque l’on regarde la tracklist, on ne voit qu’une seule collab’, le violent « Don’t Bang My Line » avec Night Lovell, un artiste qu’il apprécie beaucoup. Lil Peep devait aussi être présent et faire le refrain de « Voices » sur les chords funky de Mikey The Magician, mais le destin et les opiacés en ont décidé autrement.

La volonté affichée par le Florida Boy est bien claire : il veut qu’on l’écoute lui, sa musique, sa voix, ses textes, et pas seulement ses feats. « I just started making songs and the songs got really good. I was like, “these songs can’t be on a mixtape, they’re way too good,” and I just put a project together. » explique-t-il pour Hypebeast. FIVE FIVE est donc en quelque sorte son premier véritable album, dans le sens où pour la première fois il délivre une dizaine de pistes sur lesquelles il rappe seul.

On pouvait légitimement avoir des doutes sur sa capacité à faire un véritable album solo consistant, mais dès la première écoute, tout scepticisme s’envole. Déjà parce le projet est court, onze morceaux pour 33 minutes de musique. On n’a donc pas le temps de s’ennuyer comme dans un Culture II interminable par exemple, ou dans un bref Day Nine salement répétitif, pour prendre deux albums marquants de ce début d’année. Loin des stratégies commerciales consistant à gaver les plateformes de streaming en balançant des tracklists de quarante sons pour assurer sa visibilité, Pouya délivre un projet équilibré,  plaisant, qui se laisse réécouter sans modération. Le choix de travailler essentiellement avec son pote Mikey The Magician (qui a produit dix des onze tracks) à la place de Getter est une décision majeure.

Dans une interview pour My Mixtapez, dont les premières secondes font plus penser à un casting interracial qu’à une Q&A, Pouya s’explique : « Getter is a really good producer that I like. But I don’t like email stuff, like you email me a beat and I listen to it. I like being in the studio while we make a beat. You can make it according to my style, my sound, whatever ».

Bien qu’Underground Underdog soit très bien produit, il est clair que FIVE FIVE est un cran au dessus. La complémentarité avec MtM est évidente : les flows et les refrains entêtants de Pouya se marient à la perfection avec les instrumentales G-Funk du magicien. Malgré une belle cohérence entre les morceaux, tous sont indépendants les uns des autres et proposent différentes ambiances. On passe ainsi d’un lourd « Aftershock » à un sombre « Weighing On Me » (seul track signé Chevali), puis de bangers comme « Five Five » ou « Don’t Bang My Line » au sincère « Suicidal Thoughts In The Back Of The Cadillac Pt. 2 », piste clé de l’album.

ANXIÉTÉ ET DÉPRESSION

Les pistes, aussi variées soit-elles, fusent tels les questionnements anxieux permanents dans l’esprit de Pouya. Il nous invite en quelque sorte dans sa tête, noyée par les chroniques flots dépressifs et ses émotions versatiles. Sujet à l’anxiété depuis sa plus jeune adolescence, il a du faire plusieurs sacrifices pour finalement devenir par hasard le rappeur qu’il est aujourd’hui. La musique comme échappatoire à tous ses maux qui le rongent de  l’intérieur. Ses instabilités se retrouvent évidemment dans ses lyrics. Car s’il y a bien une chose marquante dans ce projet, c’est cette dimension de catharsis bien présente, même si, bien sûr, le but du Florida Boy n’est pas de devenir votre Dr Melfi.

En vie mais pas vraiment, il décrit dans « Void » le vide qui le hante, causé par le succès. Ailleurs, habité par des pensées suicidaires à l’arrière de sa DeVille 96′, il parle de ces moments où il reste seul dans sa chambre pendant des heures, de son état dépressif palpable et de son addiction au jeu. L’argent, la retombée du succès qui le fait danser avec le diable comme il le rappe dans « Aftershock ». Mais l’argent comme prisme : on le comprend dans « Weighing On Me », chanson d’amour pour la maille dans un premier temps (Pouya l’a écrite il y a 2 ans) mais qui peut se comprendre autrement aujourd’hui. En effet, il y a quelques mois, sa fiancée publiait un message sur Instagram dans lequel elle expliquait être atteinte d’une maladie rare. Un texte à double sens donc, qui devient tragiquement plus puissant.

Car ce qui change également chez Pouya dans cet opus, c’est la place réservée à son amour. Décrivant les hauts et les bas de sa relation, il est en proie à un amour inconditionnel qui se transforme parfois en pensées haineuses incertaines.

« Sometimes I can’t fuck with your bitching, Wanna buy you a flight
Send yo ass back to yo daddy house, So you can think twice
But then I switch up my emotions, Rather be with you than forgotten »

Pouya dans « Daddy Issues ».

Sa girl est une présence à laquelle il ne pensait pas s’attacher autant. Une présence qui lui permet entre autre d’exprimer ses émotions, parfois troublées par l’anxiété, et qui, gardées pour soi, peuvent être destructrices.

TOUJOURS CE WHITE BOY AUX CHEVEUX LONGS

FIVE FIVE, c’est aussi une métaphore pour exprimer son humilité. Dans les quelques interviews qu’ils donnent, Pouya est impressionnant par sa modestie et sa sincérité. A l’inverse de beaucoup d’autres autour de lui, il ne se voit pas plus grand qu’il ne l’est. Il reste vrai envers ses fans et envers lui même, et ne se construit pas une image fausse et superficielle. Pas de Maserati ou de Lambo dans son garage, mais plutôt une bonne Cadillac 1996. Pas de Bape ou de Supreme sur ses épaules, mais les mêmes t-shirts délavés d’Outkast et de Peter Steele. Pas de ceinture Gucci autour de sa taille, mais un bon vieux lacet à l’ancienne. Pas de signature sur un label, mais toujours indépendant. Jamais aveuglément dans la tendance musicale, mais toujours fidèle à son art qui lui permet de sortir nettement du lot.

En exil pendant deux années à LA, il a également préféré revenir sur ses terres chaudes de Floride, où il se sent vraiment chez lui. Miami, sa ville natale, pour toujours gravée dans son cœur, où il veut qu’on le laisse mourir. Miami, qu’il place sur la carte depuis des années et à laquelle il rend hommage dès le premier track de FIVE FIVE. Une révérence présente tout le long de l’album, jusqu’à l’incroyable « Suicidal Thoughts In The Back Of The Cadillac Pt. 2 », dans laquelle il laisse la parole à son âme et son cœur, dans laquelle il crache un « I’m a down south Florida boy, ain’t goin’ back to Hollywood ». Bien que parfois perdu dans ses pensées instables, Pouya est sûr d’une chose : il est trill, et il le restera.

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Arthur Duq
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