Veerus, jeune MC dunkerquois du label Jay Fly, avait déjà attiré notre attention avec ses deux EP’s sortis en 2011 et 2012. Discret l’année dernière, il revient aujourd’hui avec le mini-album Minuit, dernier volet de la trilogie. L’occasion pour nous de revenir sur celle-ci et tenter d’en saisir toute la cohérence.
Les trois volets, qui constituent une œuvre globale, se répondent et s’articulent autour d’un thème principal : le temps. D’abord, celui d’une journée, manifeste dès le choix des titres – Nouvelle Aube, Apex, Minuit – et confirmé par les visuels. Veerus s’inscrit dans ce temps linéaire pour mieux en jouer jusqu’à y mêler, ensuite, par touches diverses et subtiles, l’idée du temps cyclique.
« Maître de mon échec plutôt qu’esclave de ma réussite » – 6h18
Tout commence en 2011 avec la sortie de Nouvelle Aube. Cet EP entièrement produit par J.Kid– issu lui aussi du label Jay Fly – et réalisé sans collaborations nous invite dans un univers intimiste. Sublimés par les productions de J.Kid les textes de Veerus portent sur des réflexions personnelles, universelles et intemporelles, et s’inscrivent dans un décor sombre et vide d’espoir. L’EP s’ouvre sur le morceau 6H18 qui donne le ton général du projet : morose et introspectif. S’enchaînent alors les titres évoquant tour à tour, et entre autres idées, son obsession du temps, ce temps qui, si on le laisse filer, transforme les projets en vagues souvenirs d’une vie rêvée et non accomplie.
A cette idée, s’ajoute, par bribes, celle du destin ; Veerus affirme sa détermination à s’octroyer un espace de liberté sur le chemin de sa vie. Au-delà de cette atmosphère brumeuse et mélancolique, mais jamais oppressante, Veerus et J.Kid savent aussi nous offrir des instants plus lumineux comme sur le morceau Né pour Briller. Et si on devait résumer cet EP à un seul morceau, Fils d’un Parcours Chaotique en serait, à mon sens, la meilleure illustration. La production de J.Kid à l’allure mélancolique et mystérieuse nous entraine à elle seule dans un autre monde. Veerus signe ici l’un des meilleurs textes du projet : son constat est sombre, il est comme désenchanté malgré son jeune âge, les images lugubres défilent sous nos yeux.
L’EP s’achève sur le morceau Introspection, un peu plus de deux minutes au cours desquelles Veerus déploie avec humilité tout son questionnement. En conclusion, le réveil qui sonne renvoie à la fin du morceau 6h18 et donne un indice supplémentaire sur ce que cherche à nous faire partager Veerus… La vie serait-elle animée de cycles ?
« Je marche sans destination, Je brille comme une étoile sans constellation » – Interlude
L’histoire se poursuit en 2012 avec la sortie du second chapitre : Apex. L’EP de 10 titres, introduit par le morceau Mauvaise Nouvelle, nous invite à découvrir une autre facette du MC. A l’image du visuel proposé par Quartier Graffik, aux couleurs claires et lumineuses quoique patinées par la brume du Nord, le projet se singularise du premier volet par la chaleur de la musique. L’omniprésence de la soul dans les productions des différents beatmakers (Aayhasis, Dave Izeidi, Everydayz, J.Kid, Just Music et Machinist) y est pour beaucoup car elle enveloppe d’une énergie solaire les textes de Veerus qui se font plus percutants. Les différents morceaux en collaboration avec Perso, Nemir et Alpha Wann offrent quant à eux une bouffée d’air frais.
L’écriture de Veerus mêle avec justesse la complainte à l’égotrip, la plume est plus fine, plus affutée, les images gagnent en densité et en puissance. Et celui qui cherche à « élargir sens et maîtrise » ne sacrifie pas pour autant le fond à la forme. A la recherche de son histoire et de sa place, Veerus se qualifie lui-même de « nouveau souffle » et se représente en permanence dans le futur. Le thème du destin, récurrent tout au long de l’ep, lui permet de se projeter, tant dans les morceaux egotrip que dans les morceaux plus introspectifs, comme Apex, dans un décor plus vaste.
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Pour cela, il utilise un vocabulaire plus riche et plus littéraire, multiplie les références aux étoiles, au ciel, à la lumière qu’il oppose à l’ombre, se joue du temps par ses figures de styles pour appréhender son destin et offre ainsi à ses textes une dimension plus poétique qui dépasse le carcan habituel, parfois étouffant, du rap français et capte alors toute notre attention. Une poésie nouvelle se dégage…
« Et je n’vois dans l’espoir que de vaines secousses, Mais je cherche encore l’apex quand le ciel se couvre » – Au-delà
« Deux feuilles je crée des mondes
Toi tu roules deux blunts, j’ai deux guns
A la place du cerveau j’ai un recueil » – Minuit
Minuit, la trilogie se clôture. Avec ce mini album, sorti il y a quelques jours, Veerus met en lumière l’univers impénétrable de la nuit, ce temps de la solitude, des murmures intérieurs, des réflexions, des rêves, des grandes discussions et aussi des déviances. L’arrière de la pochette, qui représente une accumulation d’horloges anciennes, symbolise le spectre du temps qui passe sans cesser de recommencer tel un manège éternel, une roue qui lui est tant une force pour avancer et écrire sa propre histoire, qu’une source de doutes.
Le mini-album s’ouvre sur l’ambiance ténébreuse et mystérieuse du morceau Minuit, la voix sourde de Veerus nous apparaît lointaine. S’en suit, Les Etoiles, premier extrait dévoilé le 9 mai dernier, qui illustre à merveille l’évolution artistique du MC. La technique est épurée, il trouve l’essentiel. Tout y est : les premiers jalons posés avec les précédents chapitres s’entremêlent, l’egotrip, la complainte, l’évidence de son écriture, ce décor si vaste qu’est le monde, son destin et ce temps toujours si précieux qu’il tente, peut-être, de maîtriser par ses figures de style. La production aux sonorités modernes d’Ikaz (Jay Fly) évoque à elle seule le scintillement des étoiles et porte le texte dans une dimension céleste. L’allure nonchalante du jeune prince accentuée par les effets de ralentis dans la réalisation du clip, révèle une grande sérénité et accentue l’impact du morceau. Le clip se conclue sur un proverbe soufi [il nous explique ici la raison] « sois humble car tu es fait de boue… sois noble car tu es fait d’étoiles… », émane alors un parfum de spiritualité…
Et que dire du 3ème morceau, et 2nd extrait clippé, du projet ? Crack, un rap luxueux, en featuring avec Espiiem, qui signe ici un couplet magique et Alpha Wann toujours stylisé, magnifié par la production enivrante de Just Music. La détermination dont nous parlions plus haut, avec laquelle Veerus cherche à écrire son histoire et à se sentir libre dans le cercle du temps, s’épanouit pleinement dans ce projet et en particulier dans un morceau comme Avant que tout s’arrête, porté par la composition d’Ikaz. Veerus exprime pleinement son désir d’être maître de sa vie. La belle et touchante nostalgie de Hier encore en featuring avec Perso et Ron Brice nous rappelle une époque tristement révolue. La force des images est à l’honneur dans Œuvres d’art. Veerus y assimile son rap à une peinture, mélange toujours subtil entre la description de son art et l’autocélébration. Elles premier morceau dédié aux femmes, qui jusque ici ne servaient qu’à, par quelques rares références, appuyer un propos sombre. Vient ensuite, le morceau Changent les choses en featuring avec Mr Maleek qui semble en continuité avec le morceau Avant que tout s’arrête. Et enfin Dernière fois : une pépite au milieu d’un projet élégant sur une production intériorisée de J.Kid sublimée par le saxophoniste Nicolas Baudino, semble terminer le projet.
Or, il n’en est rien… N’oublions pas, la réflexion de Veerus porte sur la répétition, l’horloge tourne encore et encore; Minuit se conclue donc sur Premiers Pas. Et si l’EP s’ouvre sur la peur qu’il en soit ainsi jusqu’à son dernier souffle, il se referme sur la certitude qu’il est en est ainsi depuis ses premiers pas. La vie est une succession de cycles…
Minuit est une histoire de rencontres… de rencontres d’influences diverses, de rencontres entre la nostalgie et l’envie d’avancer, d’une rencontre harmonieuse portée par l’ambiance aérienne et ample du projet. Les allers et venues entre la passé et le futur, l’élargissement du décor et du vocabulaire créent le rythme et la profondeur et surtout ancrent la musique que Veerus nous propose dans l’intemporel.
En constante évolution, Veerus transcende par sa liberté et son désir d’accomplissement artistique, la répétition monotone et mécanique du temps qui passe, et sait en faire sa puissance narrative. L’écriture de Veerus est riche, riche de mots, riche de ses influences puisées dans le passé, riche en intensité, riche enfin de perspectives… Comme une spirale : un univers en perpétuelle expansion.
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