Difficile de lever le voile sur la 75ème session. Paradoxalement, la discrétion du collectif et de ses membres participe à sa renommée, mais c’est bien son rôle d’incubateur de jeunes talents qui suscite l’intérêt du public.
Le dernier Grünt, la nouvelle émission radiophonique diffusée sur Radio Nova est formel : du Dojo, studio et place centrale dans l’organisation du collectif, on entend presque sans interruption un grave murmure. Celui des basses qui, même la nuit, résonnent inlassablement pendant que certaines rimes viennent marquer le temps qui passe. C’est dans cette bulle qu’est né le dernier projet d’un des rappeurs les plus attendu du groupe, Népal. 445ème Nuit, son nouvel opus 8 titres fraîchement sorti, fait écho au précédent projet de l’artiste, 444 nuits, scindé en deux CD’s qui possèdent leur propre caractère. Deux solutions, deux remèdes comme les deux pilules de Matrix.
Qu’arriverait t-il si le temps d’une nuit, une dernière, on pouvait prendre les deux pilules à la fois ? « 445ème nuit dans l’brouillard, pas du genre à déclarer les bails » Népal fait partie de ces rappeurs qui cultivent le mystère. Jamais le visage à découvert, ne donnant pas d’interview et ne communicant que très peu, l’artiste est pourtant en passe de mettre son nom sur toute les bouches des amateurs de ce rap prolifique et moderne que certain appelle la new school, délivré dans les couloirs du Dojo, le centre névralgique de la 75ème Session. Studio, squat, lieu de rencontre et d’influences, le Dojo a vu se croiser dans ses couloirs la fine fleur de la nouvelle génération : Georgio, Doums, le Panama Bende, Sopico y sont par exemple passés, toujours très bien conseillés par Sheldon, qui de la bouche des habitants des lieux joue plus le rôle d’ami que de directeur artistique. C’est dans cette douce effervescence que s’est construit l’artiste, et par la même une grande part de son dernier projet. Entre concurrence et collaboration, tous les membres de cette fine équipe partagent le goût de la performance et de l’efficacité.
445ème Nuit est avant tout un projet imprégné par cette ambiance, et on entend dès l’ouverture du disque « J’veux pas tuer la concurrence comme Nespresso et Mac / Y’a déjà pas assez d’bons MC’s, gros, la pression c’est quoi ? ». La punch trahit l’envie de l’artiste de ne rapper que pour lui-même tout en étant le meilleur dans ce qu’il fait. Rap technique, vif, tranchant, blindé de références aux univers de l’animé ou du jeu-vidéo, Népal découpe les prods et étale son talent pour la rime efficace et les placements venus d’une autre planète. Sur les deux premiers morceaux du projet « Niveau 1 » et « Maladavexa » c’est la pilule rouge que l’artiste choisi. Bellek , « vous allez rouler comme la te-tê à Ned Stark ».
La 445ième nuit de Népal, c’est celle ou le sommeil ne se montrera pas. Celle ou l’on peine à contenir sa folie, ou l’on erre en quête de lumière ou de repos. Une impuissance qui prend aux tripes, qui condamne à la solitude et qui offre une nouvelle lecture du monde. « L’insomnie m’a rendu bizarre/Pour le monde à l’envers, j’me suis pris un visa ». Un univers nocturne pour un projet assez sombre et mystérieux. Le rappeur ne semble pas avoir de fil conducteur, lâchant punchline sur punchline d’une manière décousue comme les traits d’esprits d’un cerveau en manque de sommeil. Il trahit une certaine lassitude de l’uniforme et du routinier « Neuf du mat’ ligne 10, pour m’endormir, j’compte les Stan Smith ». Un univers nocturne, brumeux, qui ne quitte pas Népal et qui donne profondeur et singularité à ses titres, qu’il a pour la majorité produit lui-même. Une signature déjà présente sur l’opus précédent, et qui est désormais reconnaissable grâce au très bon et très planant « Rien d’spécial », titre culminant aujourd’hui à 3 millions de vues sur Youtube.
A la différence du précédent EP, ses influences classiques du rap et sa touche très moderne sont enfin réunis, comme sa haine et sa lassitude. Il faut dire que l’on connait l’artiste pour ces nombreux singles cotonneux et ses prods signé KLM, mais c’est sous un autre nom, Grandmaster Splinter, qu’il se montre le plus vif et précis pour kicker. Népal joint le temps d’une 445ième nuit la performance à l’artistique, et parvient à faire cohabiter l’aube et le crépuscule, les sonorités modernes et les références classiques. Un aperçu de ce que donne la pilule rouge, celle du rap technique et hostile, lorsqu’elle est combiné à la bleue, celle des sons classiques et ouatés. Disponible uniquement en téléchargement gratuit, le projet est sorti de manière très discrète, entouré de mystère, et pourtant il commence à faire grand bruit. De quoi troubler le silence nocturne essentiel à l’endormissement. Le game est désormais prévenu, c’est la nuit que Népal vient tuer le truc.
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