La Vie d’Artiste – Ferré, ce Rap

In Chroniques by Florian ReapHitLeave a Comment

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Le temps manque à tous et pour différentes raisons. Parfois on s’en invente, et rarement la chose à accomplir semble si dure et longue à réaliser, que l’on se perd en cogitations giratoires. Puisqu’il faut commencer quelque part, ce sera ici et maintenant. Il y a des jours où le projet qui sera résumé ci-dessous résonne dans un coin de ma tête, comme un slogan pour une marque qui resterait à inventer. Pourtant, la musique qui s’en est inspirée a marqué mon enfance. Peut-être pour ça d’ailleurs… En espérant que ça ne ressemblera pas trop à une publicité, mais bien à une critique. Aussi positive soit-elle !

Le temps manque à tous et pour différentes raisons. Parfois on s’en invente, et rarement la chose à accomplir semble si dure et longue à réaliser, que l’on se perd en cogitations giratoires. Puisqu’il faut commencer quelque part, ce sera ici et maintenant. Il y a des jours où le projet qui sera résumé ci-dessous résonne dans un coin de ma tête, comme un slogan pour une marque qui resterait à inventer. Pourtant, la musique qui s’en est inspirée a marqué mon enfance. Peut-être pour ça d’ailleurs… En espérant que ça ne ressemblera pas trop à une publicité, mais bien à une critique. Aussi positive soit-elle !

Impossible pour les mélomanes, les amateurs de poésie ou les libres penseurs de la génération de nos parents, d’ignorer Léo Ferré, tant son discours a été novateur et puissant. Pour les plus jeunes et les trentenaires, l’œuvre du Monsieur est un peu compliquée à appréhender, de par la musique qui reste très classique, et peut-être barbante, à force, mais aussi par la subtilité de la plume.  C’était sans compter sur Trublion qui a sorti ce 18 novembre 2013 un album rappé, reprenant des textes écrits sur quarante six ans. Avec l’aide de SupafuhNamsen et Martis à la production et au sampling des thèmes originaux, l’univers du poète chanteur prend un coup de fraîcheur incroyable. David Hazak à la basse et Pierre Grenet à la batterie rejoindront le groupe pour défendre le disque sur scène, ce qui promet des concerts vivants et…poignants !

Le disque ouvre par l’un des deux morceaux qui ont servi de mise en bouche promotionnelle sur le net.
Il s’agit de « La Solitude » ; des scratches de voix laissent place à une boucle de flûte traversière courte et répétitive, mais apte à recevoir nos rêveries, posée sur un jeu de batterie très 90′s.
Viennent une ligne de basse aérienne et la voix de Trublion parsemée de cuts. La thématique de base s’étend à la place de l’homme dans la société, et aux leurres qu’elle nous force à accepter comme des faits réels. L’évolution, si on peut l’appeler comme cela, qui induit une distance de plus en plus grande entre chacun, et nous empêche de voir plus loin que nos propres personnes. Le flow démontre une grande maturité, par ses placements de respiration et intonations.

Le second titre est le deuxième teaser de l’album à avoir tourné : « Vingt ans ».
Saxophone tamisé et filtré sur les couplets, qui se fait plus présent sur les refrains et ponctué defly horns, que Supafuh affectionne particulièrement, s’étalent sur une rythmique façonThe Roots et une basse ronde, très efficace.
Un air nostalgique et emprunt des amours de jeunesse marquent les lyrics. A l’unisson, le MC et son backeur nous rappellent que l’on a la certitude que d’avoir une seule vie et que tout au long de l’existence, nos réflexes sont ceux d’adolescents, même si le corps vieillit et que tout fout le camp parfois. On pourra en tirer des conclusions comme vivre intensément, ne pas avoir peur de faire des choix à n’importe quel âge, et puis de rester humble et assez fou, parce que sans cela, on finit vite par être des vieux cons.

Enchaînons sur « Psaume 151 ». Une courte boucle d’orgue et une trompette lancinante imposent une atmosphère lourde, appuyée par un beat carré et une basse bondissant de l’aigu au grave la plupart du temps, si elle ne reste pas sur les notes profondes, comme dans de la bonne vieille soul aux accents de blues. En forme de prière, le texte égraine les métaphores courtes sur l’aspect vicieux et les écueils de la vie actuelle, comme en gros décalage et pied-de-nez à la religion, et à la pensée en place.

La suite logique, c’est « Ni Dieu Ni Maître », une revendication acerbe de la liberté et un appel à la critique face à la soumission. Un piano, une basse et juste des roulements de toms forment la partie chantée du morceau. Une fois le texte terminé, la rythmique s’enclenche. Le jeu de roulements et les caisses sont alors entrecoupées de gros coups de crash. Ainsi, l’ambiance change et l’absence de texte en seconde partie nous laisse imaginer notre propre fin, et songer au sort qu’est réservé à la plupart par certains.

Valérian Renault des Vendeurs d’Enclumes entame « La Mémoire et La Mer » à la façon de Léo. Sa voix est remarquable, de par la proximité de son timbre, et de ses intonations par rapport à celle de l’inspiration. On est tout droit transporté derrière la vitre d’un phare, un soir de gros grain. L’alternance entre les deux voix est comme les coups de jours à l’horizon.
Poésie triste sur fond de piano avec une réponse de violons forment une atmosphère limite déprimante, et très fidèle à ce que l’on peut penser que le défunt chanteur aurait pu faire à l’heure actuelle.

Continuons sur un track qui réanime l’auditeur. « Poète, vos papiers ! » est comme l’apogée de cette claque aux wacks sur l’album. Violons en courant d’air et rythmique de guitare sur une basse qui nous prend par la main pour nous emmener regarder les étoiles, fondent les bases sur lesquelles Trublion grave les marques de son indépendance et de son ego, à la manière de son aîné. Un hymne magnifique à son amour de l’écriture, et à son désir de relever le niveau, en somme.
C’est ici une piste en guise de conseil d’ami, pour que tous ceux qui ont un excès de prétention littéraire et poétique, qui tombent dans la simplicité abusive, ou qui auraient oublié qu’un stylo sert aussi à écrire, se ravisent.

Pizko MC, l’un des producteurs de la K-bine (entre autres) et MC sur deux continents (la France et le Chili essentiellement) ouvre la parole en premier sur « La Violence et L’Ennui ». Des violons stridents en début de couplet permettent l’ouverture sur des samples de pianos et de xylophone. La violence et l’ennui sont, de fait, très bien imagés musicalement.
Les paroles qui y sont jointes forment une trame imbriquée en osmose. Les deux flows collent très bien ensemble et le texte, fin et précis, développe sur l’idée (vraie ou fausse) que l’on se fait de la violence. L’ennui étant pris comme la cause, et le guide de cette dernière.

Quel aurait été le meilleur choix après cela, que « La Marseillaise », ce chant guerrier, coulant de chair et de sang ?
Pas question d’éloge à notre hymne national ici, mais une version tout en douceur, comme couvant la rage en dessous. La nappe de violon exacerbe cette impression. Une rancœur non dissimulée dans une fausse douceur rappelle que ce texte a servi d’éponge à de nombreux conflits meurtriers.
De surcroît, elle est sensée représenter une nation aux valeurs humanistes derrière le nom d’une seule ville. Entre les clichés que notre hymne véhicule, et le décalage avec le discours officiel, cette version met au jour les travers de notre pays.

Pour partager le micro pour la troisième fois sur l’album, c’est Skalpel du groupe Première Ligne qui s’y colle. Le MC et écrivain engagé pose sa voix aux côtés de son hôte sur « L’Affiche Rouge ». Sample de contrebasse, de chant de femmes aérien (ou peut-être d’Ondes Martenot, l’un des premiers instruments électroniques ?) sur lequel vient se greffer un orgue pour la forme ; le fond, c’est celui que nos dirigeants ont touché lors de la première guerre mondiale, quand vingt-trois jeunes hommes furent fusillés pour l’exemple, car ils n’avaient pas envie de servir de chair à canon. Sujet qui fait encore débat actuellement, car ils n’ont toujours pas été réhabilités. Les images défilent au gré des mesures, touchent nos oreilles et nos cœurs comme des échos de l’histoire.

Tchad Unpoe prend le mic ensuite dans « La Grève ». Le MC toulousain aux plusieurs albums partage sa voix sur une contrebasse, un sample de violon et d’Ondes vagabondes. En développant sur la grève, la métaphore des fleurs coupées file. Une sorte de grimace aux travailleurs, qui voit ses droits revus à la baisse et que les syndicats font défiler régulièrement en promettant monts et merveilles. Ces mêmes syndicats qui sous la table, n’œuvrent qu’à obtenir des demies solutions qui ne satisfont personne, sauf peut-être le patronat. Sous-jacent, le fait que les grèves sont devenues une forme de main tendue aux faux airs de révolution.

« Beau Saxo », c’est le titre qui vient ensuite. Sur un sample de … saxophone évidemment, Lila Tamazit, chanteuse dont la jolie voix colle parfaitement à l’ambiance jazzy rétro du titre, enchaîne avec Trublion les métaphores sur la musique et les instruments; les comparant à des gens parfaits en apparence. Tout le monde sait que ces dernières sont trompeuses. Les oppositions sont nombreuses entre la beauté des cuivres, cordes et autres marteaux, et la bassesse prolixe, mais dans le fond hors d’âge de notre dandy international.

Prend le relais, Fred Dorlinz, compère de Martis (qui a participé à la production) et compagnon de route de Supafuh et Trublion de longue date, qui pose ses vers sur un morceau très trip-hop, aux samples diffus de violons plus ou moins tus. « Les Romantiques », c’est le sujet. Il est toujours compliqué de critiquer ce qui touche à l’amour, mais quand on voit les manigances organisées par certains pour plaire à tout prix, et grâce à toute sorte d’artifices superflus, le sujet est toujours d’actualité, pour sûr. Les deux voix se font un peu tamisées pour l’occasion, l’ensemble est doux et sombre malgré tout. Un exercice plus que réussi !

S’en suit « Je t’aimais Bien tu Sais ». Seul, le chanteur exprime son dégoût d’un amour révolu sur un instrumental aux nappes de basses profondes, un sample envoûtant distordu, des cuivres progressifs et des vocalises paraissant sortir d’un film mythologique des années 50. La formule est cinématographique et dans celle-ci, les images noires associées à la frustration due à un échec sentimental s’échappent en fagots comme s’il les jetait au feu. Quand une relation dure et s’étiole, elle devient destructrice avec le temps, les pensées se font violentes et dégoûtantes. Ecrire sur ce thème, ou s’en approprier les mots, loin des sentiers battus, est sans doute salvateur…

L’enchaînement est encore une fois réussi. Lila Tamazit revient mêler sa voix douce et attachante à celle de Trublion sur un autre récit touchant et personnel. « Pepée », c’est la chimpanzée qu’avaient adopté Ferré et sa compagne pour leur tenir compagnie, avec de nombreux autres animaux, dans leur château du Quercy et avec laquelle il entretenait une complicité nuancée. Le chanteur ne revenant pas au domicile conjugal après une série de concerts, et le singe s’étant blessé, sa femme le fît tuer, ainsi que d’autres animaux, par un chasseur. Le geste fût perçu comme une trahison et donna naissance à une chanson en guise d’adieu. La reprise est colorée d’un trip-hop aux guitares et violons tristes et vindicatifs.

« Le Chien », interlude hip-hop’n roll aux scratches de voix et aux guitares très soixante-huitardes, est le seul morceau non chanté de l’album. Il sert de transition entre un passage assez personnel et affectif, et l’explosion anarchiste, limite nihiliste, qui s’en vient.

Cette explosion c’est « Il n’y a Plus Rien / 13 mn = 13 MCs », qui n’est pas sans faire penser de par le thème et le nombre de personnes y posant leurs idées à « 11’30 Contre les Lois Racistes ». L’époque troublée actuelle est sans doute plus nauséabonde qu’en 1997, date de sortie du dit projet, et la forme est différente, car devant coller au projet sur Léo Ferré qui lui avait écrit sa version en 1973, période qui n’était pas dépourvue non plus de cette pensée rotor. La nouveauté, c’est la forme musicale et la force du nombre (et peut-être une légère revue à la baisse de la prétention de l’objectif sur le dernier mot…).

Pour clore cet opus, et sur un riff de basse et une rythmique assez rock calmés par un piano songeur, Supafuh, reprend les paroles, en forme d’ego trip affectif, aux accents de revendication, ne dérogeant pas à la règle établie au cours de cette retranscription fidèle de l’esprit du poète.
Pour conclure, je conseille à tous, jeunes et moins jeunes, de soutenir les artistes qui ont participé à la réalisation de cet hommage, car sa fidélité à l’oeuvre originale est sans faille et de taille, que le travail sur l’adaptation des musiques est vraiment bonne et cohérente et que la suite qu’elle laisse présager, nécessitera sûrement un soutien conséquent. Bonne écoute.

En écoute intégrale, en vente (digital, CD) sur leur bandcamp, ci-dessous. Retrouvez La Vie D’Artiste sur leur site officielFacebook & Twitter.

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Florian ReapHit

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