Controversé, déroutant, hors norme, Xxxtentacion s’est imposé en 2017 comme le meilleur exemple de la diversité que le rap a à nous proposer. Des tréfonds de Soundcloud aux Freshmen d’XXL, Jahseh Onfro a su mêler les styles et brouiller les pistes, jusqu’à réaliser avec 17 l’album le plus abouti de sa carrière et le plus beau contre-pied de la rentrée.
Pur produit de Soundcloud et des blogs spé, le rappeur de Floride s’est forgé une visibilité à force de mixtapes et projets collaboratifs, et ce dès 2014. Après une mixtape Revenge faite de morceaux inégaux, sans véritable attrait, XXL classait Xxxtentacion parmi les Freshmen de l’année, lui permettant d’acquérir un tout autre statut et une dimension internationale qui jusqu’alors n’était qu’esquissée. Mais si X s’est construit musicalement autour d’une petite entité de médias spécialisés, il s’est forgé auprès du grand public par ses polémiques et un solide casier judiciaire.
A l’age de 16 ans, il passe un an en centre de détention pour vol et possession d’arme à feu. Un an plus tard, en 2015, il est impliqué dans un cambriolage à main armée chez Che Thomas. Condamné pour vol qualifié à l’aide d’une arme létale, Look at Me ! sort lorsque Jahseh Onfroy purge encore sa peine. Plus récemment, il s’est retrouvé au centre d’une affaire bien plus sordide, puisqu’en octobre dernier, il était accusé de violence aggravées, violence conjugale, strangulation, séquestration et intimidation de témoins. Il aurait tabassé presque à mort son ex petite amie, enceinte. Et comme si cela ne suffisait pas, à peine sa libération sous caution acceptée, on l’a vu amener violence et problèmes à chaque concert.
DAMN!!!!!!! @xxxtentacion got sucker punched by @youngrobstone on stage! pic.twitter.com/kyONqyl0G6
— KEEM ? (@KEEMSTAR) 8 juin 2017
Xxxtentacion punches fan at concert pic.twitter.com/DETyhre0RP
— Rap Spotlights (@rapspotlights) 18 juin 2017
Paradoxalement, c’est à chaque fois que X se retrouve mêlé à ce genre d’affaires que sa popularité décolle. Réalisant près de 100 millions de stream en une semaine, malgré l’évidente immoralité du personnage et de ses textes (notamment lorsqu’il évoque sans remords cette fameuse petite amie), X devient en quelques mois un phénomène transcendant le microcosme du rap spé. Un personnage et des antécédents qui à priori peuvent rebuter, mais qui ne doivent pas nous faire oublier la nécessité d’écouter. Car Xxx intrigue. Que ce soit en terme de musique, de promo ou même de physique, Jahseh Onfroy ne laisse pas indifférent. Multiple, dérangé, l’artiste et sa musique nous paraissent insaisissables. Et si l’on sait rarement exactement pourquoi, Xxx vise juste et touche sa cible.
Si l’on prenait au début les références à Nirvana ou Papa Roach pour de la simple communication, Look at Me ! nous a donné une idée plutôt convaincante des talents de X à mêler les styles, et tendre vers un registre franchement rock. 17 finit lui, de nous convaincre que X n’est pas « seulement » un rappeur, voire pas un artiste rap du tout. Sur les 11 titres qui composent ce premier album, seuls 2 ou 3 morceaux peuvent clairement être identifiés comme hip-hop. Pour le reste, X nous gratifie pour nous narrer ses histoires de dépression, de chagrin et de suicide d’un concentré de traumatismes, de douleurs et de peines, génial mélange entre goth-r&b, rock prog et grunge.
Sur Instagram, l’artiste avait d’ailleurs prévenu son éclectique public. « Si vous m’écoutez pour être dans la hype sans réfléchir, n’achetez pas cet album. Celui là est pour la dépression, les dépressifs et les disparus ». En guise d’introduction, sur 17, X confirme ses propos. S’adressant directement à l’auditeur, il nous ouvre lui même les portes de son univers. « Voici ma douleur et mes pensées mises en mots. Je livre tout cela dans l’espoir que cela vous aidera à guérir, ou au moins à alléger votre dépression. Je vous aime. Merci de votre attention. Profitez. »
Avec simplicité et franchise, 17 incarne à la perfection toute la souffrance de X, et le récit de ses (réels) soucis psychologiques. Voyage de 22 minutes dans son esprit torturé, à demi-conscient de ses erreurs et pas certain de vouloir les éviter, X n’a « que faire de notre argent, il vise notre acceptation et notre loyauté ». Si le personnage de X a tout de l’adolescent perturbé, l’album se révèle d’une maturité étonnante. Les peines sont multiples, les influences le seront tout autant. Loin de proposer un rap-fusion daté, X mélange les styles avec élégance et une étonnante maîtrise de leurs codes, si bien qu’il est impossible de parcourir l’album sans entendre, cachés derrière une guitare, le mix d’un micro, ou une ligne de chant d’illustres aînés, allant de Pink Floyd aux Smashing Pumpkins.
Des 11 chansons, plus de la moitié ne dépasse pas les deux minutes. Rappelant par là ce que l’on peut trouver dans le grind ou le noisecore. Un concentré pur de haine et de dépression déversé avec bruit et fracas. Un flash de lucidité. Comme si aussi, les titres tout comme les pensées de X n’étaient pas tout à fait achevés et qu’ils s’agissent, comme le suggère la cover, de simples rimes, écrites sur un bout de papier et oubliées.
Aucun répis, aucun espoir ne viendra éclaircir ce projet. Même « Save Me » et sa mélodie si entêtante sera scandée sans vraiment y croire, sans trop le vouloir. Alliant une musicalité parfaite, à un univers anxiogène et étouffant, X réalise le plus beau contre-pied de la rentrée, et sans nul doute le projet le plus étonnant et abouti de sa carrière. Même Kendrick n’a pu décrocher.
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