Mauvaise année, bon vin. Et si l’on ne peut pas dire que 2015 soit l’année la plus folichonne que la décennie nous ait servie, elle comporte tout de même son lot de grand cru musical. Cette année donc, Virus remet le couvert, et nous sert avec Huis-Clos, un EP 4 titres, condensé et concentré. Dans la continuité direct de Faire-Part, le Rouennais nous dépeint ici un univers bien à lui, composé d’une multitude de nuances de gris. Dans Faire Part, Virus exploitait la mort sous toutes ses formes. Depuis « Capharnaüm » et son ode aux morts-vivants, jusqu’à la mort d’un proche, marquante et traumatisante, de « Des Fins« . Avec Huis Clos, celui qui n’a pas su mourir doit cette fois réapprendre à vivre. Virus fait donc face aux conséquences de son désordre intérieur et à son enfermement. En développant un enfermement réel (Bonne nouvelle), ou provoqué (Marquis de Florimont), le MC s’exclut toujours plus des convenances et sombre petit à petit dans la folie.
Plutôt que de se risquer à chroniquer une oeuvre d’une telle densité, nous avons décidé de nous laisser absorber par l’univers cinématographique et angoissant qui se dégage de Huis Clos pour y écrire nos scénarios. Quatre nouvelles, quatre histoires fictives, pour une plongée dans l’univers oppressant de ce Huis-Clos magistral. Toutes ressemblances avec des situations réelles seraient recherchées, mais fortuites.
Rédemption de Thomas Thadrill
Mais quel horrible crime a commis Brooks Halten pour rester croupir plus de 49 ans à l’ombre ? A l’aube de ses 72 printemps, Brooks apprend la bonne nouvelle, celle qui l’emmènera, lentement mais surement, vers un final libérateur. Le cas du détenu Brooks explore les tréfonds de la réinsertion des prisonniers et dresse des portraits en creux d’une Société en mal de repères. Subversif et grotesque, Rédemption décrit un monde qui marche sur la tête, où la liberté est emprisonnée et la mort positive et libératrice.
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– 1 –
Il a beau ne plus avoir beaucoup de sensations à l’extrémité de ses doigts, mais comme par réflexe ou pour se rassurer, il fait rouler les graines d’oiseau entre le pouce et l’index dans sa poche droite. Dans le couloir, il avance en regardant les murs dont la peinture s’effrite, se demandant qui des deux est le plus âgé, faisant rouler sa bibliothèque mobile, les autres incarcérés se demandant qui pousse vraiment l’autre.
– « Hé Vîrus, t’as Le Vieil homme et la Mer dans ta roulette ? » lui lance son ami Andy.
– « Bonne nouvelle, je viens juste de le récupérer », lui répond-il en lui tendant une édition complètement défraîchie.
– « Dis-moi Vîrus, c’est quand ton anniversaire, que je t’offre une édition en meilleur état ? »
– « A mon âge, on ne compte plus mon pauvre Andy… »
Par oubli ou par volonté, il ne sait plus vraiment le nombre d’années empilées sur sa carcasse, tout en étant capable de dire exactement le nombre de carreaux que compose le carrelage de sa cellule. Le croassement de son ami Jake le sort de sa bulle, il s’approche de l’animal avec la même sympathie qu’un vieil ami. Ce moment de réconfort n’est qu’une courte durée, au loin résonne les pas froids d’Andy Hadley, dit la Banane, avançant en faisant claquer ses talons et raisonner sa matraque sur les barreaux des cellules. Quand l’homme s’arrête devant votre cage, ce n’est jamais une bonne nouvelle, faisant ainsi retenir la respiration des prisonniers jusqu’à ce qu’il la dépasse.
Si le vieil homme continue à retenir sa respiration, c’est dans un évanouissement qu’il s’arrêtera, car Banane est bel et bien planté devant lui. Grand, aussi rigide qu’un bâton et le regard antipathique, le maton n’exprime rien, excepté sa supériorité, et rompt le silence par un « Vîrus, dans le bureau du directeur ». Sans se soucier que le vieil homme ait entendu, il reprend sa route, sachant pertinemment qu’il n’osera s’y opposer.
Des convocations chez le directeur de la prison, Vîrus y est un habitué. Non pas à cause de son comportement, car l’homme fait partie des murs, et depuis le temps n’a plus trop envie de se battre. Surement un service ou une demande particulière, se dit-il. Arrivé devant la porte, Vîrus se dit que si l’équipe d’entretien mettait autant d’entrain à faire briller les lettres dorées du nom du directeur sur la porte qu’à nettoyer les parties communes, il n’aurait pas à craindre de s’attraper des hémorroïdes. 3 coups sur la porte, silence, 6 secondes, Vîrus hésite à réitérer, Warden Norton fait partie de cette catégorie d’enflure qui aime démontrer son autorité, ou plutôt sa supériorité par ce type d’attitude. Posé derrière son bureau, les mains croisées, il se délecte de cette attente, puis lâche sobrement : « Entrez ! »
– « Monsieur Brooks Halten, il vous en a fallu du temps pour venir. »
– « Mes excuses Monsieur le Directeur Norton, que puis-je faire pour vous ? »
– « Pour moi rien, mais par contre, vous pouvez commencer à empiler vos affaires : bonne nouvelle Halten, vous sortez demain. »
– « Sortir ? mais pourquoi faire ? Je.. je n’ai rien demandé, je… »
– « Ecoutez-moi bien Halten, vos sentiments, je n’en ai rien à faire. On ne gère pas une prison si on n’est pas capable de savoir faire des économies. Et désolé pour vous mon pauvre vieux, mais à 72 ans, et après 49 ans de prison, vous êtes un facteur d’économie tout à fait sans risque. Maintenant, merci de sortir de ce bureau en prenant mes costumes à amener à la buanderie, puis de préparer vos affaires. Vous êtes libre, nom de Dieu. »
– « Oui Monsieur le Directeur Norton, je… merci. »
Sorti de son bureau, Warden Norton semblait fortement remonté suite à l’attitude de ce vieux détritus ingrat. Se plaindre d’être libre, en voilà une façon d’être reconnaissant envers la société et cette seconde chance qui lui est offerte. Ce monde le dégoûte, toute cette modernité des mœurs digne d’un laxatif à la naphtaline, putain de monde dégénéré où les coupables deviennent les victimes, où l’homme se croit au-dessus de tout. Il voulait quoi, ce vieux connard décrépi, qu’on le laisse dans sa cellule de merde ? Qu’on se le tape jusqu’à ce qu’il devienne impotent et incapable de marcher ? Les matons ne sont pas des putains d’auxiliaires de vie, qu’il aille crever dans un mouroir et finisse dans une fosse septique afin qu’on oublie à jamais le nom de Brooks Halden !
Sa haine intérieure se stoppe sèchement à la première intonation des hurlements advenant de derrière sa porte. Au son des « arrête Brooks, tu vas avoir des emmerdes » ou de la voix nerveuse et sans concession de Banane « retire ce couteau de ma gorge espèce de vieux fou », Norton sait très bien ce qu’il se passe derrière cette porte, et sort donc de son bureau sans aucun étonnement sur son visage.
– « Qu’est-ce que c’est que ce bordel qui vient interférer sur mon travail ? »
La remarque semble surréaliste. Alors que l’ensemble des protagonistes essaie de faire en sorte que la scène de drame ne se transforme pas en scène de crime, le directeur Norton vient comme geler la situation avec sa remarque mettant l’ensemble des protagonistes en arrêt sur image, les pleurs intensifs de Vîrus remettant tout le monde sur lecture. Au sud de la salle d’accueil du bureau, Brooks maintient par derrière le maton Hadley avec la main droite, armé d’une lame de fabrication artisanale sur le cou de Banane. Face à eux, à 3 mètres, Andy essaye de calmer le jeu :
– « Calme-toi vieux, qu’est-ce qui te prend ? »
– « Ils veulent me faire sortir, Andy. Ma vie, elle est ici. Je ne sortirai pas, même si je dois crever cet enfoiré d’Hadley. C’est bien en liberté que je me sens le plus en prison »
Des gouttes de sang commencent à apparaître du cou de Banane. Norton, ne supportant pas le désordre, s’interpose avec prestance, et fixe dans les yeux Brooks avec intensité :
– « M. Halten, que les choses soient bien claires, quoique vous fassiez, vous sortirez, la décision est actée, vous pouvez toujours égorger ce pauvre Andy, ça ne changera rien », annonce sèchement le directeur avant de retourner dans son bureau en fermant la porte.
Halluciné par ce retour de bâton, Vîrus lâche l’emprise sur Hadley, qui en profite pour lui mettre un vrai, de retour de bâton…
– 2 –
C’est dimanche, il pleut, et tu viens de te faire téj de prison, le vieux Brooks reste là, dehors, dos au grillage du bâtiment. Dans sa tête, le vide, l’homme tremble, non pas des complications que lui provoque son âge, mais devant l’immensité qui s’offre à lui. Il cherche un repère, quelque chose à quoi se raccrocher, mais tout lui semble étranger. Curieusement, il se remémore le pas rigide et glaçant de Banane, le bruit presque robotisé et métallique de ses allers et venues. Ces souvenirs lui donnent la force de se déplacer. Dans sa poche droite, les graines de Jake ont laissé place à un papier plié en quatre. Inscrites en lettres noires, sans autre détail, une adresse, celle d’un centre de transition où Halten devra séjourner pour que l’on puisse jauger de sa capacité à se réadapter. « Je n’aurais qu’à en tuer un pour revenir ». Plus facile à dire qu’à faire, quand on a plus de chance de mourir avant d’y arriver. Mais ce sentiment de pouvoir encore contrôler son destin lui permet de retrouver une once d’espoir.
Après 5 minutes passées à essayer de faire comprendre le fonctionnement de validation des tickets de transport à un vieux qui rester obstiné à vouloir le faire poinçonner, le conducteur abandonna et le laissa monter sans payer. Dix minutes après, alors que ce même vieux s’était mis à gueuler que le chauffeur n’avait pas marqué l’arrêt, il freina brutalement, ouvrit la porte et ne chercha même pas à tenter d’expliquer à ce débris d’une autre époque qu’il y avait des boutons pour signaler sa volonté de descendre. Brooks avait beau être agacé, il souriait intérieurement. Même pas libre depuis une heure qu’il arrivait à faire chier le premier venu. Par compassion, il lui aurait bien offert un peu de tabac. Dans sa tristesse d’être condamné à sortir de prison, Brooks s’était réconforté en pensant ne jamais retrouver un endroit aussi sale que sa geôle, mais cela était avant d’avoir foulé le pas de l’entrée du centre de transition…
– « Monsieur Brooks, je présume », lança une voix sur sa droite. « Bachir, je suis votre agent de liaison. »
– « Mon quoi ? » interrogea Vîrus sans autre mot à l’égard de son interlocuteur.
– « Agent de liaison, c’est moi qui ait la responsabilité de faire la bascule entre la vie carcérale et votre condition de liberté »
– « On peut peut-être éviter la bascule et directement me renvoyer de là où je viens. »
– « Très drôle, veuillez me suivre, que je vous montre votre appartement. »
Numéro 402 sur la porte, et une clef, voilà Brooks presque réinséré. Alors que Bachir lui rappelle les joies du vivre ensemble à base de « ne pas » et autres « obligations de », il se demande pourquoi il n’a pas cané d’un cancer dans sa cellule 5 ans plus tôt. Cette pseudo liberté à base de non-droit semble bien plus douloureuse que des métastases aux intestins.
– « Donc il est vraiment important de respecter les règles de communauté du bâtiment, afin que tout le monde puisse vivre en paix », continue Bachir sans se demander si le vieux coulant en face de lui l’écoute.
– « J’ai la prostate qui m’empêche de dormir, les mains qui tremblent à chaque mouvement de mon corps, et les os poreux, pourquoi on ne peut pas me laisser en prison crever de ma belle mort ? »
– « Je suis sûr qu’il vous reste de belles années devant vous M. Halten, vous êtes libre désormais, n’est-ce pas là le plus beau cadeau que pouvait vous faire la société, après tout ce temps passé en prison ? »
Le silence s’installe, de quoi faire constater que l’isolation de l’immeuble ne fut pas une priorité lors de sa construction, entre le voisin de droite qui teste ses films pornos en rendu dolby surround et celui du dessus qui dépose des amis à la piscine en tirant lourdement sur la chasse d’eau, les nuits risques d’être agitées.
– « M Halten, plus sérieusement, vos conditions de vie ne vous permettent pas cependant de jouir d’une pension de retraite, les années passées à travailler en prison ne compte pas dans le système de retraite. Il va donc falloir travailler si vous souhaiter subvenir à vos besoins. »
– « Ça ne pourra pas être pire que de rester ici… »
– « Nous avons un partenariat avec une grande épicerie du coin, il vous suffira de vous y rendre lundi à 7h, je vous laisse l’adresse sur la table », conclue Bachir en se levant, blasé mais quelque part compatissant.
– 3 –
L’appartement est trop grand, sommaire, mais trop grand. A quoi bon avoir tout cet espace et ces pièces quand une cellule suffit ? Ça le met hors de lui, en fait non, ça ne l’énerve pas, il cherche juste à cacher sa tristesse dans sa colère, rentrant dans sa chambre qui sent le renfermé et l’humidité, il ferme la porte d’un grand claquement comme pour retrouver le bruit métallique de sa grille de cellule. Il ferme les volets et essaie tant bien que mal de calfeutrer les derniers rayons de lumière rebelles qui transpercent encore l’obscurité. Fatigué, il s’allonge en position fœtus, les larmes ne mettent pas longtemps à couler, et les cris qu’il cherche à étouffer en mordant la couette ne semblent pas être stoppés par les murs de sa chambre.
Réveil en sursis, 9h de l’après-midi, de mémoire d’homme. Vîrus ne se rappelle pas avoir dormi autant auparavant. Les yeux collés, il n’a pas le temps de se faire à sa première matinée d’homme libre que sa vessie tire déjà la sonnette d’alarme. Dédaignant cette première sommation, Halten ne rêve que d’une chose : rester enfermé dans cette chambre de 9 mètres carrés. Alors il ouvre les volets, puis la fenêtre donnant sur l’intérieur cour et pisse par la fenêtre, essayant d’atteindre le mur de brique rouge d’en face. Pragmatique par défense naturelle, prenant les murs de sa chambre comme des remparts, Vîrus sait pertinemment qu’il devra sortir pour s’alimenter. Mais comme tous les septuagénaires, il a l’appétit très limité, de quoi tenir et encore patienter quelques heures.
Assis sur son lit, il scrute la fenêtre, espérant qu’à chaque bruit lointain, Jake, son vieil ami, vienne se poser sur le rebord. Mais Jake ne vient pas, et surement ne viendra-t-il jamais, se raisonne-t-il. Il n’en est pas triste car Andy lui a promis qu’il prendrait soin de lui. Libre et isolé, chaque minute se transforme en sentence, et chaque heure en peine.
– 4 –
Lundi matin, sept heures, Halten poireaute depuis plus d’une demi-heure en état végétatif devant l’entrée principale de l’épicerie, les épaules courbées et le regard porté sur l’asphalte, une attitude de résigné en sorte. Les bruits de pas qui se rapprochent de lui le reconnecte à sa condition actuelle. Devant lui, un asiatique, crâne rasé et l’air impassible, se pointe sous son nez, et évitant les formules de politesse lui assène un :
– « Il y a une sonnette sur le côté, si vous appuyez dessus ça vous évitera de pointer comme un con. Veuillez me suivre. »
Sans un mot, Vîrus suit l’homme comme son ombre, sans porter attention au reste. L’homme se stoppe devant une allée proche du rayon du fond et se retourne, toujours impassible :
– » Je ne sais pas si l’hygiène est accessoire en prison, mais en dehors cela reste un critère d’intégration. Vous puez Halten, vous me ferez donc le plaisir de venir demain et les autres jours sans votre hygiène douteuse. Après mes explications, vous y irez chercher une tenue convenable dans la réserve. »
Vîrus ne sourcille pas.
– « J’aime les gens qui savent fermer leur gueule. Bonne nouvelle, à la vue de votre attitude on devrait donc bien s’entendre. Mon nom est Tcho Nguyen, mais pour vous ça sera Chef. Cette allée et celle d’à côté sont à votre charge, tous les matins vous trouverez une palette au milieu. Vous déferez la palette et rangerez les produits dans leur étagère, tout en respectant les DLC. En clair, vous mettez devant les produits qui ont une date de péremption proche de la fin. Les aliments périmés devront être stockés dans un caddie et envoyés dans la réserve. L’établissement ouvre à 9h, vous avez donc deux heures pour que cela soit nickel et garder votre travail. Ensuite vous resterez dans le magasin et répondrez aux attentes des clients, vous veillerez à ce que vos allées soient toujours bien ordonnées et quand je vous dirais de partir, vous partirez. C’est clair ? »
Avant même que Tcho puisse en placer une, Vîrus se dirige vers la palette et commence à inspecter son contenu. Son chef le regarde en se demandant si cette vieille branche est complètement conne ou très intelligente…
Rien n’est parfait en ce bas monde, et encore moins le travail effectué par Halten qui absorbe sans broncher les multiples critiques de son chef durant toute cette première journée. Sans un au revoir de rigueur, Halten se dirige vers la sortie. Dehors, le ciel est gris pâle, mais il ne s’en aperçoit même pas, ou s’en contrefout, la douleur de ses os lui semble intenable. A quoi bon sortir de prison si cette nouvelle chance se transforme en calvaire ? Autant distribuer des bouquins enfermé que de ranger des conserves libre. Décidé à rester en isolement, dans sa chambre sous-scellé, il rêve que ce putain d’avion qui passe au-dessus de lui finisse planté dans l’épicerie, ou tombe sur ce putain de centre de transition.
– 5 –
Le réconfort de sa chambre comme seul échappatoire, Vîrus se replie et se robotise, suivant le même programme jour après jour : chambre, travail, chambre. La nuit, ses démons l’empêchent de fermer les yeux comme une double peine, ses tympans tapent sur sa boite crânienne, lui rappelant les pas marqués d’Andy Hadley dit la Banane.
C’est donc un mercredi après-midi que Brooks Vîrus Halten décida qu’il avait assez payé pour être libéré, après une journée comme les autres à se rabaisser pour mieux se faire humilier par son chef. Planté pour une fois dans le salon de l’appartement, il aurait aimé partager cette bonne nouvelle avec Jake, mais il n’y a que lui dans cette pièce, et au fond c’est bien mieux se dit-il. Pour la première fois, il remarque que le mobilier de la pièce est à son strict minimum, pas de canapé, deux chaises et une petite table carrée, ce qui limite très fortement l’envie d’inviter. Décidé, il centre la petite table au milieu de la pièce sous la poutre, attrape la corde qu’il a dérobée dans l’épicerie et la noue. Il sort son vieux canif, et commence à sculpter méthodiquement dans le bois de la poutre pendant plus d’une demi-heure.
Une fois son œuvre terminée, il replie son coutelas et le range dans sa poche droite, tout en se disant qu’avec 20 ans de moins, il l’aurait surement utilisé pour régler le cas Tcho Nguyen. Ayant peur de rater son train, il attrape sans pause la corde et la passe à son cou. Là où certains auraient surement essayé de se remémorer de bons moments avant de passer à l’acte, Vîrus commence déjà à faire basculer de gauche à droite la petite table. Après quatre bascules, la table se couche sur la moquette élimée et très suspecte, dans la foulée la corde se tend. Les pieds d’Halten sont à dix centimètres du sol, il avait donc bien mesuré, mais le dénivelé n’étant pas assez conséquent, sa nuque ne se brise pas sous la pression. Sans chercher à gigoter dans tous les sens, Brooks suffoque, attend que l’air quitte son corps et patiente en revoyant des images flashs de sa vie, entre haine et amour. Il relativise en se disant qu’il avait vécu ce qu’il avait à vivre sans regret. 4 minutes plus tard, Vîrus n’était plus là, seule sa carcasse restait, flottant au-dessus du sol comme un pendule. Vîrus est enfin libre, ne laissant comme leg à l’humanité que cette inscription gravée dans le bois « T’es là pour quoi ? T’es là pourquoi ? »
5 jours plus tard, le téléphone se met à sonner dans le bureau du directeur de la prison. De nature antipathique, Norton détestait le pouvoir qu’avait le téléphone sur le cours des choses, cette capacité à sonner à n’importe quel moment était pour lui une vraie forme d’impolitesse.
– « Allô ! » lâche-t-il d’un ton très irrité.
– « Monsieur le Directeur, Bachir au téléphone. Bonne nouvelle, la 402 est à nouveau disponible. »
La Mort de Virus Ilitch de Florian ReapHit
Monsieur le Marquis est fort à son aise dans cette fresque, basse et frivole de son quotidien ordinaire et étriqué. Sous l’emprise perpétuelle de terribles remords, il livre ses nuits entières à disséquer, plein de haine, le mensonge et l’hypocrisie humaine. S’interrogeant sur son affreuse solitude et le total échec de sa vie sociale, il se détourne peu à peu des convenances, et chaque nuit cède à l’égoïsme des plaisirs faciles. Seules ces petites morts semblent pourtant lui apporter un douloureux repentir, une quasi rédemption. Et la mort ? Où est-elle ?
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– 1 –
Il avait changé, depuis la dernière fois qu’il avait pris la peine de se regarder dans un miroir. Il était en sueur. Les balafres disséminées sur son crâne chauve étaient maintenant bien visibles. Il avait les tempes creusées et un nez proéminent qui éclipsait presque totalement ses deux minuscules lèvres bleues et pincées. Déjà, quand il était môme, on l’appelait « Tête d’Homme ». C’est sûr, depuis, il avait maigri. A se demander qui portait l’autre entre lui et son falzar. « Une tête de cadavre » se lança t’il tout haut par pure provocation.
Aucun écho pour lui répondre. Il sourit. Qu’est ce qu’il foutait là ? L’endroit lui était familier, tout comme la cuvette sur laquelle, quelques minutes auparavant, il s’était écroulé. Les chiottes de « La Cascade ». De tous les bars-tabac miteux de Rouen, il a fallu qu’il finisse là…
Ouvrant le robinet du lavabo crasseux qui se dressait devant lui, il se rinça la bouche, puis la gerbe accumulé sur son t-shirt. « Cette saloperie sèche déjà. J’suis dans un sale état ». Ça le fit marrer, de toute façon, il ne l’aimait pas vraiment ce t-shirt. Parcourant les murs des toilettes, tagués de haut en bas, il énonça les blazes à haute voix, d’abord le sien, puis ceux de tous ces chiens. « La moitié de ces enculés voudrait me voir crever » conclut-il dans un sourire. Tournant les talons, il se dirigea vers le bar. 22h22. La soirée n’était pas encore terminée. Pas question de rebrousser chemin en cours de rouste.
– 2 –
– « Banane, j’ai besoin d’un verre. Sers moi un truc fort et pas cher. »
Sans un regard sur la salle presque vide, Vîrus venait de s’installer au comptoir. Désormais perché sur son tabouret de bar, ses jambes pendouillant mollement, il se dégageait de sa silhouette une profonde lassitude. En face de lui, de l’autre coté du zinc, se dressait Banane, le chien de garde de La Cascade. Un mastodonte aussi aimable qu’un sourire de bacqueux, et aussi accueillant que le coup de matraque qui l’accompagne. 30 ans de maison, pas un sourire. On était loin de l’image du gentil commerçant. Banane ne rentrait dans aucune case, aucun cliché. Ce n’était pas un tavernier, plutôt le mec que t’évitais de faire chier. Non, définitivement, Banane n’aimait pas les gens.
Son regard se posa sur la tâche jaunâtre à peine estompée, balafrant encore le t-shirt de son client.
– « Putain Vîrus, j’te préviens, j’espère que tu m’en as pas encore foutu partout. Sinon j’te file un seau, une éponge, et j’tenvoie nettoyer tes saloperies !
– « Quel accueil de merde ! Ça te dérangerait d’être agréable ? Arrête d’aboyer et contente toi de me servir à boire. Faut que je soigne mon mal de gorge. Et oublie pas qu’si tu m’saoûle, j’peux vite changer d’saloon. »
Immédiatement, les traits de Banane se tendirent et son visage se fendit d’un inquiétant rictus. Surpris, Vîrus recula. Ce type lui foutait vraiment les jetons. Pourtant, à cet instant, Banane lui souriait. Sans broncher, il fit disparaître son bras sous le comptoir pour en ressortir une bouteille sans étiquette, remplie d’un liquide brunâtre, et un verre ébréché.
A peine le verre rempli, Vîrus le vida d’un trait.
– « Remets moi la même, et ajoute une bière pour l’écraser. Et évite tes doses de pédé, à cette heure-ci j’ai pas besoin de déguster. »
– 3 –
– « Oh ! Vîrus ! Oh ! Tu m’écoutes ? »
Il rouvrit les yeux. Le rade était maintenant désert. Lui n’avait pas bougé, (sus)pendu à son tabouret de bar, un verre ébréché entre les doigts. Il jeta un coup d’œil à son t-shirt. La tache commençait à disparaître, mais l’odeur qui s’en dégageait ne laissait guerre de doute quant à sa provenance. « Ok, c’est bon. On est le même jour » pensa t’il. Combien de temps était-il resté là, perdu dans ses pensées. A vue de verres, quelques minutes, ou quelques heures. La bouteille était maintenant quasiment vide. Par réflexe, Vîrus se resservit.
– « J’ferme le rade, faut que tu t’arraches. Règle moi la note et rentre chez toi»
Dans un demi sommeil, d’un pas lourd mais décidé, Vîrus se dirigea vers Banane et la sortie, quelque peu déséquilibré par cette salope de gravité. Il ne savait pas encore comment l’annoncer, mais ce soir, il n’avait pas envie de payer. Une sorte de carte de fidélité improvisée. Pour dix cuites, la dixième est gratuite. Et bien la dixième, c’était ce soir. Et au vu de l’accueil, il pouvait toujours aller se faire mettre pour avoir un pourboire.
– « Ecoute Banane, y’a un problème, j’suis un peu dead, un peu à sec, en gros j’suis raide. Ce soir j’vais pas pouvoir payer l’addiction, faut qu’le bar m’aide. »
D’abord, Banane crut avoir mal entendu. Puis il eu peur d’avoir bien compris. Enfin, le chien de garde se mit à aboyer. D’un geste, il saisit Vîrus par l’arrière du crâne avec la ferme intention d’organiser une rencontre, brève et fortuite entre le comptoir et ses gencives. Il n’en fit rien.
– « Cette fois, il s’agit de fermer ta gueule et d’ouvrir tes oreilles. Tu m’as pris pour un con et tu m’as mis dans la merde. Alors tu te démerdes comme tu veux, tu vends ton cul ou tu braques le Super U, mais demain soir tu m’as payé ce que tu me dois. J’passerais, chez toi vers 19h03. »
Il se dégagea de son emprise.
– « a te aire outre, Anane ! »
A cette heure, Virus ne prononçait plus toutes les consonnes.
– 4 –
Il sortit de « La Cascade » la tête en fumée. Avec un coup de sang pareil, sur qu’il allait désaoûler. « Fais chier ». Il prit à gauche, rue de la République en direction de Notre Dame et des quais. A l’angle de la rue Saint Romain, son regard se posa sur une camionnette. Le modèle mignon, une Partner neuf d’un blanc immaculé. La tire était trop propre et il n’avait pu s’en empêcher. Et puis ça le détendrait, ça l’aiderait à oublier. D’une main tremblante, il attrapa un vieux Posca presque sec dans la poche arrière de son jean et malgré l’heure tardive, son poignet se mit à danser une chorégraphie qu’il connaissait par cœur. « J’tiens pas l’alcool » se dessinait progressivement, calligraphié sur tout son flan. « Ok, signe, trace les guillemets et disparais ». Vîrus s’éloigna de quelques pas puis se ravisa. Il ressortit le crayon pour ajouter : « … Mais j’y tiens tellement». Il se relit, fier de lui, et disparut dans un rire gras.
Il rejoins les quais via Saint Denis et ses dédales de petites rues. C’était loin d’être un raccourci, mais ça permettait d’éviter Notre Dame et son parvis. Il n’avait pas trop la gueule à croiser le gyro ces temps-ci. Dans le quartier, en journée, il fallait quasiment zigzaguer entre les dealers de H, de C. Un ballet incessant, un plan millimétré visant à arnaquer la future élite commerciale du pays. Une juste redistribution des richesses en somme. Mais au milieu de la nuit, l’ambiance était toute autre. Les porches délabrés qui fourmillaient encore de clients quelques heures avant étaient désormais déserts. Des pochons vides jonchaient le sol à intervalles réguliers. Slalomant entre chacun d’eux, Vîrus se mit en tête de les compter, petit poucet alcoolisé.
Lorsqu’il se décida à réagir, il était déjà trop tard, le premier poing évita la mâchoire mais accrocha le nez. Un coup dans le nez, une patate dans le pif. Le sang gicla immédiatement, à peine le cartilage commença t-il à se compresser sous l’effet du choc que les deux narines déversèrent un véritable geyser. Au premier « crac », il sentit la douleur. Au second, il hurla. Il était au sol et ne voyait plus rien. L’arcade sectionnée déversait un flot ininterrompu d’un sang noir et épais qui lui collait presque les paupières. « Putain, mais combien ils sont ? »
– 5 –
Il eu a peine le temps d’ouvrir la porte. Il faut dire que la serrure ne lui avait pas facilité la tâche. Le verrou était capricieux depuis la dernière fois qu’il l’avait défoncé. A un moment, excédé, il avait hésité à recommencer. Foutre un coup de pied dedans, la défioncer, juste pour être sûr d’y arriver à temps. Sorti victorieux de cette lutte centenaire entre un Homme et un trou, Vîrus déboulait maintenant en trombe à travers son appartement. L’entrée, le salon et les toilettes enfin. Tête la première sans hésitation aucune, pour la deuxième fois de la soirée, Vîrus s’effondra.
Le choc fut amorti, et lorsque sa joue rencontra le plastique jauni de la cuvette, le froid du siège se propageant sur son visage, Vîrus se sentit soulagé. « Salut toi » pensa t-il dans un sourire. Bon, là faut l’avouer, il avait peut être un peu forcé. C’était la 3 ème fois cette semaine, mais on était que jeudi. Il n’eut pas le temps de plus folisopher sur la cocasserie de sa situation, qu’un jet brûlant et acide lui sortait déjà par la bouche et les trous de nez. « Pour les odeurs, j’mettrais un coup de Febreze, j’préfère que ça pue, plutôt que ça caille » eu t’il le temps de planifier peu avant l’arrivée d’une seconde vague.
Une odeur nauséabonde envahit la pièce. « N’y pense pas, habitue toi, dans 30 secondes tu sentira plus rien ». Devant lui s’étendait l’unique pièce de son studio. 9 ou 10m² en fonction du taux d’humidité. Un canapé-lit qui ne s’ouvrait plus, une table basse qui ne roulait plus, et une cuisine qu’on ne voyait plus. Des canettes de bière jonchaient le sol, l’évier était jauni de calcaire et de crasse, et rempli à ras le bol. Un taudis. Son chez lui.
Sur la table basse, une petite plaquette était à moitié déballée. Pas des tonnes, quelques dizaines de grammes de com à refourguer au premier pigeon qui passe. De toute façon, avec la dette de Banane, il n’allait guère avoir le choix. Qui sait, avec un peu de chance, il pourrait même le gonfler et doubler son billet. Tout s’achète quand tu sais à qui le vendre.
A coté, coincées sous une bouteille de J&B, quelques photos de famille étaient éparpillées. Vîrus les prit. Les couleurs étaient passées. La plupart des clichés, d’une autre époques, représentaient des grands oncles, tantes, cousins germains ou par alliance dont Vîrus ignorait jusqu’aux noms. Il les gardait pour se rassurer, se créer quelques racines, quelques piliers, même sur papier glacé. « A la votre les cirrhosés ! » leur lança t-il gaiement en se servant un nouveau J&B.
Tout à coup, il éprouva une douleur connue, sourde, lancinante, persistante, et, dans la bouche, le même dégoût. Intercalé entre deux clichés, ses doigts venaient d’effleurer un papier noir et épais. C’était son Faire-Part. « Ça aurait du être moi » se dit il machinalement. Il s’allongea. Il venait de toucher le fond, et enfin, Vîrus semblait serein. « J’ai pas de problème, j’en suis un. » Il s’endormit béat. Cette nuit là, il ne rêva pas.
Au bout de la ligne de Nadsat
La ville, et la distance entre son chez-soi et ses points de chute. Parfois c’est dans ces moments de voyage que les réponses les plus importantes surviennent. Écumer la ville au travers de ses artères, se glisser au milieu des pistes électroniques, prêter attention au fourmillement des murs. C’est à l’intérieur que tout se passe.
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« Je ne crois pas en des valeurs spirituelles, parce que je ne crois pas avoir d’esprit, mais un corps, mon intelligence c’est mon corps, et rien de plus. » Antonin Artaud
Je n’avais pas de visage. Je le voyais bien, mais autour de moi, personne ne semblait le remarquer. J’observai tous les badauds descendre le boulevard, et aucun d’entre eux ne semblait faire attention à moi. Je marchai à côté de mes pompes, littéralement. A la poursuite de moi-même, je prenais la direction de chez Banane, près à cracher ce qu’il me restait d’énergie dans le microphone. Une fois de plus. Graver ma voix sur des pistes numériques, c’est tout ce que j’avais trouvé pour ne pas exister. Me glisser au milieu des circuits électroniques pour mieux disparaître dans une masse d’informations. C’était devenu mon unique désir.
Je descendis les escaliers du métro et me dirigeai vers le train. Je me rangeai patiemment à côté de la porte pour laisser passer les personnes désirant descendre, mais sentit soudainement des poussettes dans mon dos. Derrière moi, un petit homme, quarantenaire, dégarni et au visage boursouflé, me poussait pour que je pénètre plus rapidement dans le train. Il était essoufflé, comme si les trois mètres qu’il avait couru pour atteindre la rame avaient eu raison de son endurance. J’attendis que tout le monde soit bien descendu pour monter, sous les soupirs de l’autre raclure. Une femme se précipita sur la dernière place assise de la rame comme si sa vie en dépendait : je ressentis un frisson de dégoût. Je me rangeai le dos calé dans les parties caoutchouteuses de liaison entre les rames, face à moi-même. Le bruit strident de la sonnerie du métro résonna, alors que la lumière rouge de sécurité m’aveuglait. On se croyait en pleine guerre nucléaire.
J’observai l’organisation compartimentée du train. Deux banquettes de deux places assises, face à face. Au dessus d’elles, deux barres d’accroche. Un peu plus loin, deux mini-rangées de deux strapontins accrochés derrière deux boxes de quatre sièges. Tout était organisé. Tout se répondait, en miroir. Tous les sièges étaient habillés du même assortiment de rayures de couleurs : on passait du orange abricot au rouge garance, en passant par un jaune impérial du plus mauvais goût. L’idée était sans doute de mettre un peu de joie dans les transports mais le temps, l’usure, et le poids de l’homme étaient passés par là. Je cherchai à me souvenir du temps où tout n’était pas si délavé. C’était peine perdue. Au milieu de ça : le chaos. Des piaillements incessants de discussions de boulot, des types qui braillaient dans des langues inconnues et des flopées de SDF qui s’excusaient de « déranger notre voyage. » Toutes ces absurdités se mêlaient à de répétitives incantations désincarnées d’une voix pré-enregistrée qui nous indiquait le nom des différentes stations. La magie avait disparue.
Une jeune fille monta dans le métro au niveau d’une des plus grosses facultés de la ville, sac à main au bras droit, téléphone à l’oreille gauche. Elle racontait à ce qui semblait être une de ses amies, la manière dont elle avait largué son petit ami. Elle parlait d’une voix claire et haute perchée, comme si elle avait voulu que toute la rame comprenne bien ses exploits. Son impudeur me dégoûta. La gêne créée fut telle que je ne pus m’empêcher de m’arracher peu à peu la peau qui entourait l’ongle de mon pouce droit. Je parvins enfin à échanger un regard avec moi-même, une petite lueur ironique dans les yeux. C’était mon arrêt. Je descendis.
J’étais enfin chez Banane. Je m’observai devant le micro, pendant que mon producteur réalisait les derniers ajustements avant l’enregistrement. Je pus enfin cracher mon couplet, d’une traite, sans bavure. Le texte était bon, clairement. Bourré de références, de doubles-sens, de lignes à tiroirs, et ça avait en même temps une sincérité pure et touchante, comme un appel à l’aide. Des poupées russes à la mer, le message planqué dans la dernière d’entre elles. Mais le reste n’y était pas. Banane me le fit bien comprendre, c’était totalement désincarné, il n’y avait aucune interprétation. Il me demanda ce qui m’arrivait. Je réfléchis un instant. Je n’arrivais pas à me trouver. Je ne sentais plus grand-chose. Je lui expliquai vaguement que ce n’était peut être pas le bon jour, et décida de me lever et de filer sans demander mon reste. Banane ne parut pas surpris. Je rentrais dare-dare chez moi, me tapant le même trajet en sens inverse. Parfois, il faut parcourir la route à l’envers pour se retrouver. Prendre le chemin du retour pour trouver sa véritable maison.
J’étais enfin rentré. Des murs blancs, quelques meubles – le minimum – un pieu pour se reposer. Tout ce dont j’avais besoin. Je laissai les minutes s’égrainer, dégustant un thé vert amer, après l’avoir laissé trempé plus que de raison. L’ennui faisait tranquillement ménage, bien aidé par la théine. Je commençais à me sentir mieux. Encore quelques heures de ce petit jeu d’auto-contemplation morbide avant de comprendre que je me rejoignais. Un coup d’œil dans le miroir me permit de me contempler pleinement. Mon corps retrouvait mon visage, ma pensée retrouvait mon corps. A l’abri de ceux qui le peuplaient, j’étais pleinement réintégré au monde.
Avec le corps, m’était revenu la clairvoyance. J’éprouvais déjà des remords sur mon comportement lors des derniers jours, et tout redescendait dans ma chair. Chacune de ces auto-culpabilisations heurtaient les parois de mon cerveau, la honte faisait remuer mes nerfs, je sentais mon sang circuler tout au long de mon corps pour aller terminer sa pulsation au bout de mes membres, alors que l’acide dilapidait avec difficulté les restes de nourriture bon marché dans mon estomac. Tout tournait à plein régime. Si j’avais encore des cheveux, je les aurai presque senti pousser.
Je m’étais retrouvé. Je m’asseyais alors quelques secondes sur le lit pour souffler, prêtant attention au son des canalisations de l’immeuble qui ne cessaient jamais leur barouf. J’essayais de retracer leur chemin au travers des murs, analysait quel élément pouvait déclencher leur avancée à cet endroit précis de l’immeuble quand je fus soudain pris de vertige. Je compris de suite ce qui venait d’arriver. Quelques pas pour atteindre le miroir, tandis que mes baskets dégueu collaient à moitié au plancher. Pas de surprise lorsque j’arrivais enfin face à la glace. Dans mon dos se tenait un deuxième moi, complet cette fois-ci. J’avais deux visages.
Autopsie d’une auto-psy de Klément Talvas
Plongée fantasmagorique dans le quotidien de ces ours bipolaires. Entre deux eaux, aussi géographiquement que psychologiquement, le narrateur s’enfonce un peu plus sa folie à chaque pas. Accompagné d’apparitions tantôt réelles, tantôt créées par la nécessité d’avoir une icône à laquelle se raccrocher afin de continuer à avancer en enfonçant des clous, la tête la première. Car c’est bien souvent l’ennui qui précède les emmerdes. Les corps oisifs sont les jouets du diable.
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– 1 –
Il était autour de 10h08 quand le buzzer de notre bon vieux radio-réveil seize ans d’âge finit par nous tirer du sommeil. On avait ouvert un œil, puis l’autre ; réflexe moteur, comme tous les matins, on a parcouru la pièce des yeux par une belle diagonale divagante. Pas de doute, c’était bien un jour de plus. C’était les premières secondes les plus douces, on savait pas encore trop où on en était. Mais plus on sortait du brouillard, moins c’était jouasse d’entamer un cycle équatorial. Les gens comme nous n’ont pas le matin chagrin. On est encore vides de la tête, mais plein de merde au cul.
On avait tapé à l’aveugle sur le cube de plastique noir à l’écran rougi de cristaux carminés, comme tous les matins. Et comme tous les matins, on se retrouvait le pouce plein de cendre des mégots de la veille qu’on fumait jusque dans les chiottes. Le paquet à côté du cendrier se foutait ouvertement ne nos pommes. La gueule ouverte, il hurlait son vide. « P’tit bâtard… »…
On avait porté le pouce à la bouche, c’était qu’un peu de carbone. On a pas toujours l’hygiène, mais on a l’éducation. On ne s’essuie pas dans les draps. En parlant des draps, fallait les descendre au pressing aujourd’hui. Et y’en aurait pour un bout de temps. Lavage, rinçage, séchage, re-lavage, re-rinçage, re-séchage… C’qu’il y’a de bien quand on pointe, c’est qu’on a du temps pour soi. En parlant de pointer, on a une gaule d’enfer ; ça faisait longtemps qu’on avait pas bandé. Ou peut être que … non… ?
« Attends, deux secondes, j’vais gueuler « enculé » par la fenêtre, je reviens. ». Il nous avait suffi de trois pas pour atteindre la fenêtre. Dans nos vieux HLM, les chambres sont exiguës, et sa mère, pas bien isolées. On avait la main sur la poignée qu’on sentait l’air glacé couler sur l’avant-bras. Un simple mouvement circulaire, dans le sens des aiguilles de la montre à gousset d’un grand père qu’on s’était inventé, ouvrit la fenêtre carrée qui donnait sur du feuillu juste en bas. Vert, vert, vert, c’était tout vert. Le parking, qui dégoulinait par dessus et qui prenait de plus en plus de place. Puis la rue, celle-là, bien salope, avec tout ce qui va avec de dégueulasserie crasse. Bien au fond, tous alignés, les commerces du quartier. Ça puait la misère et la nourriture industrielle le jour. La décadence et le vomi de clodo la nuit. Une bien jolie bourgade, en somme. « Enculé. Enculé ! ENCULÉ !! ENCUUULÉÉÉÉÉ !!! »
Dans quelques instants, l’appartement sera envahi d’une odeur de café et de merde. Pendant que la cafetière italienne fait son office sur l’autel gazinière, on passe au toilettes, vidanger tout ce que l’homme-usine produit de la manière la plus simple qui soit : en ne faisant rien. Le café était trop amer. On met toujours trop de café. Mais le sucre était une option que l’on ne pouvait pas se permettre d’envisager. Pas assez raffiné. Tant pis, il restera refroidir sur la table.
De retour dans la chambre, on avait tiré grossièrement le drap du pieu. On avait mis la tête bien en dedans, pour renifler la saleté qui laisserait place au parfum lisse du savon de Marseille, ça allait me manquer, mais les puces de lits commençaient à revenir. On est toujours bien dans sa propre crasse. Ce matin, on attraperait pas de masque à humeur, collé à même la porte depuis que le porte-manteau s’était cassé la gueule. Pas que ça soit usant de porter des sentiments grimés, mais l’envie du jour n’était pas aux mensonges, alors que c’est ce que nous promettait l’avenir. C’est mercredi, c’est jour des gosses. La pudeur n’était pas de mise. On avait pourtant en vue de le réparer, ce putain d’accroche pelures. Y’avait même la boite à outil qui nous barrait le passage. Machinalement, on a glissé un marteau dans notre poche. Le jogging était assez ample. Ramassant une vieille nippe beige et laineuse, on s’assurait d’être en mesure de braver le froid mordant de la Normandie.
Dans un éclair de lucidité, volte face était fait à la lourde. On retourna au dessus de la table basse du salon pour se saisir d’un paquet de clope presque pas plein et d’un vieux larfeuille en cuir de vache marron qui était olfactivement toujours resté fidèle à lui-même. Omettant la trahison qu’il me faisait de penser savoir et exposer à la face du monde qui nous étions, il glissa également dans la poche intérieure de notre vieux gilet emmitoufleur. Idem pour les sèches qui atterrirent, elles, dans le range paluche extérieur gauche. On le ressortit immédiatement pour s’en coller une au bec. On tirait dessus machinalement et pour sentir le bon vieux goût du filtre propre. Pour en revenir à notre éducation, on fumait pas dans les parties communes.
– 2 –
La porte avait claqué derrière nous, on filait droit. La serrure n’était plus fonctionnelle depuis la dernière perquise. Pour une affaire de mœurs, ou de stups, on sait plus trop bien. Après avoir négligemment appuyé sur le bouton de l’ascenseur, on se rua par la porte des escaliers. « Bien baisés, ces enculés » S’enfermer dans six mètres cubes de ferrailles câblées, et puis quoi encore ? On aura bien le temps de mourir cent fois. Après les cinq étages descendus en sautant les marches deux par deux, on a enfin pu respirer l’air frigidaire urbain et allumer la tige qu’on avait pas lâché des lèvres. En sortant de l’immeuble, la rue filait toute plate vers la droite. Le reste du monde n’existait pas.
– « Hey ! »
Putain, le zippo était resté sur la table.
– « Hey ! »
On allait pas remonter. Tout le monde a son p’tit allume vite dans la poche de nos jours.
– « Ben alors, t’as meilleure gueule qu’hier soir, jeune ! »
Merde… On l’avait pas remarqué lui. C’était le mec du rez-de-chaussée. Il passait son temps à la fenêtre, comme le garde-frontière de ce pays de fou. Derrière lui, son matos audio crachait des bribes. « The lunatic is in my head… you raise the blade… lock the door… throw away the key… there is someone in my head, but it’s not me… »
– « B’jour » qu’on lui a dit en fuyant le regard et pour éviter l’hameçonnage.
– « B’jour ? C’est tout c’que tu trouves à dire ? T’étais plus loquace hier soir. Ah, t’avais des commodités dans la goule. T’étais un seigneur de la s’conde personne ! On aurait cru avoir gardé des machins ensemble. »
– « Ouai, on s’souvient plus trop… Les nuits, c’est brouillardeux, vous savez. » Les bières fortes sur la table derrière lui et sur le rebord de la fenêtre me faisaient dire que oui, il savait.
– « Z’avez du feu? »
– « Tiens, jeune. Alors, ça t’a fait du bien d’dormir un peu ? T’étais énervé hier. Y’en avait pour tout l’monde. Les jeunes, les patrons de bars, les chats, les profs d’histoire. Intarissable que t’étais, c’était pas joli à voir. Alors, jeune ? Hein ? T’es moins fier au matin ! T’as la gueule de bois ? Tu veux une Maximator ? Allez, rentre boire un coup. »
– « Bon écoute, j’ai pas ton temps, j’dois y aller. Merci pour le feu. Salut. »
On entama d’se carapater avant qu’il nous relance. On les connaît les vieux de rez de chaussée.
– « J’en reviens pas ! Mais quel con ! On essaie d’être sympa et ça prend pas cinq minutes. Pas la peine de revenir chialer au bureau des plaintes. Va mourir ! Et mon briquet, p’tit con ?! »
– 3 –
On entendait plus rien, pour de faux, mais on s’en branlait, pour de vrai. En longeant le trottoir jusqu’au passage clouté, on passait devant le carré poubelle. On avait toujours eu le rythme dans le sang, alors dès qu’un sonorité mathématique se faisait entendre à la ronde, ça éveillait en nous un p’tit truc obsédant. Et c’est ce qu’il se passa en cet instant précis. « Tic tic tac. Tic tac tac tac. Tic tac tac ding » Ça venait de là. Des gros bacs en plastique puants. C’était pas la peine de s’approcher, on était déjà presque dedans. Un simple regard suffit à se poser sur le coupable. Il était tout noir et tapotait son bec sur des boites de conserves cymbales et contre le couvercle de la poubelle grosse caisse. Y’avait de l’idée.
– « Où vas-tu, mon ami ? »
– « J’occupe mon temps. Je dois laver mon drap. «
– « Soit, considère moi désormais comme ton acolyte de rue. Le Charon des clous. »
On a de suite considéré qu’il serait très impoli de demander son nom à un corbeau. On aurait du le deviner. Il avait les pattes à demi enfoncées dans une espèce de bouille marron sortant d’un sac éventré. Malgré tous nos efforts pour paraître sous nos meilleures auspices, il remarqua qu’on zyeutait la scène. Après avoir baissé le regard, puis soutenu le nôtre à nouveau :
– « Banane. Ouais, banane ; Toujours banane. Allez, Toto l’Innocent, on s’arrache. Et marche doucement, hein. J’ai de petites pattes. »
On avait entamé la première bande du passage quand une nana aux cheveux couverts par un foulard rouge nous dépassa par la droite. Elle avait l’air pressée. Pas nous.
– « J’aime les cheveux. C’est dommage de les cacher. J’suis sûr qu’elle en a de beaux. Les Perses, elles ont toujours de beaux cheveux. »
– « Mouais… Moi c’que j’aime, c’est la pudeur. Ça marche aussi pour les sentiments. »
On avait pas encore rejoint la seconde bande qu’il nous fit remarquer deux jeunes filles de l’autre côté de la rue. La première portait ses sous vêtements bien trop hauts, c’était offensant pour des esthètes de notre trempe.
– « Et ça, Banane, t’en penses quoi ?
– « Pouah ! On dirait qu’elles le font exprès. Ça lui ferait mal au cul d’en montrer un peu moins ? Plus elles en montrent, moins elles ont à démontrer. C’est désarmant et pas bandant. «
– « Et la deuxième, t’en pense quoi ? »
– « Sa copine, elle a pas d’cheveux. Le genre de meuf qui a passé son adolescence à faire des mèches et des teintures, qui aura fini avec un CAP coiffure mais plus un poil sur le caillou. Là ou c’est pas des extensions, c’est plein de fourches. Tu connais le dicton sur les cordonniers qui traînent de la sale savate ? Pareil ! »
Les filles, on avait arrêté de les regarder. Ça finissait toujours mal. On était des aimants à barjotes. Plus elles paraissaient normales, plus elles étaient cintrées. Et elles déteignaient sur nous. Ça faisait peur à voir. On a jamais aussi bien fourré ces connes que quand elles nous demandaient de leurs faire mal. Les strangulorgasmes, c’était bon qu’en terme de secondes. Et puis viennent les regrets, les remords. Obligés de se rassurer en se berçant tendrement.
– « Je suis normal… Je suis normal… Je suis normal… Je suis normal… »
– « Tu sais que tu parles tout seul ! qu’il nous avait balancé du haut de son bas. »
– « Hein ? Euh… ouais… fait pas gaffe. »
– 4 –
Chemin faisant, on était arrivé au bout du passage. Ça nous faisait comme un pincement au ventre de devoir quitter Banane, compagnon volant et musicien de dépotoir. Philosophe ailé, notre seul ami. On aimait les animaux parce qu’ils n’ont pas le sens de la trahison. On lui jetait un regard alors qu’il sautilla sur le bord du trottoir pour y grimper. C’est lui qui l’ouvrit en premier.
– « Le chemin commence, mais le voyage est déjà fini. »
On avait pas su quoi répondre et on l’avait regardé s’éloigner, suivant les deux donzelles vulgaires et peu touffues. La seule pensée qui nous vint fut : « A quoi bon s’assagir ? ». On continua de traîner nos grolles jusqu’à la laverie qui n’était plus qu’à une quinzaine de mètres, tout droit une fois les clous passés. Avant, les beaux jours, on avait des baskets biens blanches. Grisées depuis longtemps à force de piétiner les ruines d’un pays sale. Coup de chance, la laverie était vide, on y serait tranquilles. Après avoir fourré le drap puant au fond d’un tambour métallique et lâché quelques piécettes au distributeur de lessive, le grand lavement giratoire fut activé. Hypnotique. Apaisant. Cyclique. A peine on était assis qu’on réalisa que c’était bien trop calme. Trop silencieux pour le quartier, malgré la machine tournoyante ; y’avait bien le café d’à côté… Check up du reste de monnaie, y’avait assez pour un Picon bière. Ça soignerait le mal de caboche.
Le temps était gris, et pour pas dénoter, on s’installa en terrasse. De vieilles chaises en ferraille couleur vieux wagons low cost et une table ronde en Formica. On avait connu plus bandant comme lieu de débauche, mais c’était ça le quartier. Une belle fresque toute en équilibre coloré et en odorama ! Assis finalement, les immeubles majestueux et dégueulasses nous faisaient face. On aurait dit comme des foutues forteresses nazies. Cage à poules trop étroites pour les colombes délicates. L’Homme étouffe là dedans. L’espace vital, c’est pas une notion dépassée.
– « Qu’est- ce que j’te sers ? »
On était tant absorbé par la vison d’un ange ailé à la fenêtre du bâtiment d’en face qu’on avait pas capté le serveur. Une grosse tête sur un corps de lâche. Des cheveux noirs tellement épais qu’on l’aurait dit coiffé avec un aspirateur. Stelan… Ou Sorian… C’était un Roumain qui avait toujours des souliers impeccables. Et pour ça, il faisait des jaloux dans l’quartier. Un jour, il nous a expliqué l’importance qu’il accordait à ses pompes. Une histoire de faire son chemin, ou un truc dans le genre. On écoute rarement ce que nous disent les gens. Mais qui veut aller loin ménage sa monture, c’est ce qu’il en était resté. Bref… On en était où ? Ah oui, c’qu’on veut boire.
– « Tu mettra un Picon bière s’te plait ! »
Deux minutes plus tard, le verre était sur la table et la clope était dans la bouche. Le briquet du vieux posé sur le paquet étincela un instant, reflétant un léger rayon de soleil du ciel de la côte au mois de novembre. On avait pas remarqué le bouquet de roses imprimé dessus. On a souri à cet éclat d’espoir cynique survenu du fin fond de ce trou à merde. Dès la première gorgée, on a senti qu’il y’avait un truc qui clochait. « POUAH ! Qu’est ce que c’est que cette pisse d’âne ? Les salauds, ils en veulent à notre peau. Pas de vagues. Surtout, ne pas se faire repérer. »
Une malheureuse abeille venait d’être happée par cette toile de crachat mousseux qui avait jailli et finit sa course, toute alourdie qu’elle était, dans le cendrier. On avait plus la force de laisser les faibles souffrir. On tirait sur les ambulances. La clope était presque terminée, et servit d’épée de Damoclès à l’insecte zébré. Méchoui melliferant. Une fin sale, dans un lieu sale, par un type sale. On vit dans un drôle de monde. Les hôteliers tentent d’assassiner leurs clients avec un Picon rance et les mouches n’y mettent pas du leur pour prendre le relais. A la ruche, salopes !
Tachons de quitter l’établissement sans faire d’histoire. Ils seraient bien capable de nous flinguer pour un silence. Et on venait de se rendre coupable de crime contre l’insectité. Filons. « Greffier, veuillez noter, au cutter sur votre bras… »…
– 5 –
De retour dans la laverie, aussi vide que tout à l’heure, on se précipita sur la machine, pour sortir nos draps de là et quitter cet enfer au plus vite. Impossible de raccourcir le cycle. La machine infernale était lancée. La solution nous vint comme une épiphanie. Après avoir soulevé le seul extincteur présent sur place, on s’attaqua au tableau électrique. A grands coups, avec élan. Le cadenas n’avait aucun chance face à nous. Nous étions sans pitié pour la matière. Une fois la porte ouverte, il avait fallu faire un choix, Sur quel bouton appuyer ? Aucun. Notre bélier était déjà trop bien parti. Impossible à stopper. En quelques instants, tout s’était éteint. Seul le tableau pleurait quelques étincelles et les machines sonnaient. Nous pouvions enfin récupérer notre linceul, alourdi et moussant. Les tâches de sang au niveau de la tête, des poignets et des chevilles étaient toujours là. Après l’avoir enfilé comme une cape puis recouvert notre tête, nous sortîmes de là, vainqueurs, sous les regards de quelques passants alertés par les bruits sifflants des lave-linges.
Nous ne leur devions rien. Il était temps de fuir. Mais pour aller où ? Une pause s’imposait. Nous laissant glisser à même le sol, resserrant nos bras croisés contre notre corps, nous décidions de partir, à ce moment précis. Les yeux dans le vide, seule notre bouche était encore avec eux. Répétant inlassablement : « Je suis normal… je suis normal… je suis normal… je suis normal… »
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