En attendant la sortie du prochain album de Vince Staples, Big Fish Theory, prévue pour le 23 Juin 2017, retour sur son dernier EP, Prima Donna, ainsi que sur le court-métrage qui l’accompagne.
Prima Donna est une expérience de mort imminente vécue au ralenti. La mise en images de cette sourde descente aux enfers s’étend sur un court-métrage de 10 minutes réalisé par Nabil, dont les courants stygiaux nous emportent sans lutte possible vers notre destination finale. Un hôtel étrange au fonctionnement réglé comme du papier à musique – industrielle –, à l’image d’un scénario aux rouages bien huilés dont tout ou presque annonce l’issue cauchemardesque.
Au terme de la chaîne de montage expertement pilotée, comme sur Summertime’ 06, par DJ Dahi et No I.D., auxquels James Blake apporte son précieux concours pour l’occasion : la confirmation que c’est ce son qui permet au rappeur de libérer à puissance maximale son nihilisme grognard et désemparé. Sauf qu’il s’agit ici d’orfèvrerie plutôt que d’industrie. Le projet parvient à faire cohabiter en toute cohérence une science des basses aussi profonde que l’obscurité des « alleyways » de Long Beach, laquelle rappelle tantôt le tout meilleur d’Hagler sur Hell Can Wait, tantôt l’esthétique bruitiste et grandiloquente de GOOD Music, avec un parti-pris réductionniste, lequel sert artistement le propos claustrophobe d’un type qui se sent cadenassé sous sa peau noire et qui comprend brutalement, passé le portique de la célébrité, que pas même celle-ci ne saurait le prémunir contre les injustices encodées dans sa couleur de peau : « In the black Benz speeding, with my black skin gleaming ».
A peine sortis du tournage du clip qui tient lieu de point de départ à notre aventure, il est grand temps de prendre notre place de choix dans ce tourbillon surréaliste où les hallucinations enfument les certitudes. Une chambre (une heure ?) nous a été réservée, et le lit bordé à dessein d’un linceul en prévision de notre venue. En effet, la boucle était déjà bouclée et notre sort scellé bien avant notre arrivée, et les personnages fantastiques jalonnant notre dernier tour de piste ont maintes et maintes fois répété, avec d’autres avant nous, les scènes et répliques conduisant à notre disparition. Le chauffeur de taxi (auquel on ne donnera en définitive jamais d’adresse), le réceptionniste (qui connaît déjà notre nom de famille) ou le bagagiste de l’établissement accomplissent ainsi leur mission avec un total désengagement, presque mécaniquement. Certaines interactions hautes en couleurs paraissent être le pur produit de l’imagination du rappeur ou éveillent tout du moins de sérieux soupçons quant à leur plausibilité. « Is it real ? » s’obstine en boucle sa conscience désorientée, interprétée sur le titre éponyme par la voix d’A$ap Rocky. D’autres, instinctivement moins inquiétantes du fait de leur normalité, alors qu’elles devraient l’être plus du fait de leur sens, présagent de la sinistre nature du rendez-vous arrêté avec la Première Dame (à moins que ce ne soit la dernière). A la meilleure convenance de l’Amérique blanche.
Et lorsqu’enfin, Vince Staples exécute d’une balle dans la cervelle son reflet dans la glace, se révèle l’autre côté du (neurone) miroir : devant les acclamations d’un public en liesse, son corps sans vie gît réellement sur le sol. Âpre face-à-face anticipé avec la Prima Donna. Nouvelle donne méta.
Au total, le projet dépeint la saison en enfer du rappeur en proie au règne insidieux de ses illuminations. Aux confins de la perdition, Vince Staples apparaît comme une version ghetto du dormeur du val, engagé lui au côté du mouvement Black Lives Matter et finalement sacrifié à son tour sur l’autel de son propre combat. « Tranquille. Il a un trou rouge au milieu du crâne ».
Il ne nous reste plus qu’à lui souhaiter d’apprécier sa croisière dans l’au-delà (« Every day is a long day. I need a vacation. ») et de nous revenir de ce voyage à nul autre pareil en au moins aussi bonne forme. A cet égard, le premier extrait de Big Fish Theory, dévoilé le 3 février dernier (ci-dessous), est assurément de bon augure. Pour changer d’un vieux chien déjà légendaire qui rêvait de se réincarner en lion, rien de tel que l’énergie crue et désabusée du jeune loup de Long Beach. « Norf Side Long Beach ! », très précisément.
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