Si Eau Calme avait éveillé chez nous une fascination intriguée et Eau Max confirmé les espoirs placés en eux, 2020 marque la consécration du phénomène TripleGo, l’explosion de ce rap bien à eux, unique et reconnaissable entre tous. De Montreuil aux studios d’OKLM, le duo suscite désormais toutes les attentions, Momo Spazz et Sanguee allant même jusqu’à revendiquer leur spleen dans les colonnes des Inrocks.
Porté par une montée en puissance remarquable, ce projet est un couteau soigneusement aiguisé, attendu et dégainé avec adresse. Fluide, il coule tranquillement mais sûrement, et sonne comme une libération, une transition d’Eau Max au futur. Le crescendo est logique, les instrus toujours belles et dialogiques, le flow toujours saccadé et mélancolique. Confiants, ils entrouvrent même leur studio pour y laisser s’exprimer, leurs compères Freaky Bagel et Juxebox. Fidèles à eux-mêmes, Momo Spazz et Sanguee progressent, ils ne s’arrêtent plus, toujours plus loin, objectif 2020.
Tombe avec moi, ou reste sans moi, voilà le message qu’ils leur adressent, à elles ou bien à eux, les autres. Dans la planque, le décor est posé en douceur, le tremblement de terre est amorcé, au ralenti. Il l’appelle, habibi… il écrit son nom dans la buée, mais bientôt tout s’efface, au goutte à goutte Sanguee se noie dans l’ivresse. Déjà, le premier morceau passé, l’amour a fui et la réalité grandit, grandit jusqu’à prendre toute la place et les obnubiler. L’amour a fui, l’espoir a fui mais une mélodie arrive de l’Atlas, les appelle et les enchante : ce ne sera pas la kétamine mais la résine de Ketama. Vers le Rif ils vont tracer, deux solitaires, liés par la hass, incompris et jamais en liesse. Cette vie n’est « pas un film, on n’refera pas la prise », Sanguee et Momo Spazz n’ont pas signé ils ont saigné, tous deux ils sont tombés puis tombés d’accord, comme chien et chienne ils sont raccords.
En binôme, ils y vont pianissimo mais sûrement, la nuance est de mise et le nuage est de fumée. Se détacher d’elles, choisir l’autre perversion, celle qui ramène la villa et la mula ; la décision est prise, ils auraient fait la paire mais Sanguee préfère la fourrer avec Excalibur et se jurer, « Plus jamais comme avant, plus jamais comme hier ».
Montreuil saouls, Montreuil sûr, d’ailleurs c’est avec Prince Waly qu’ils plomberont les ailes des anges. Jettez-leur l’oeil et la pierre, ça ne changera rien, ils sont ensemble et inflexibles sur les tarifs. Puisque Montreuil est à la ride ce que Cali est à la salsa, la benz se fond dans le décor, et « convertit dirhams en dollars ». Le plan est élaboré, la Yamaha bien huilée. A deux heures du matin, elle part, elle revient, mais c’est trop tard… « Tu rappelles enfin, tu rappelles en vain, loin je suis loin, bien trop loin pour ces tchoins, elles twerkent et elles pleurent, twerkent sur ton cœur. ». Désormais, Sanguee « ne croit plus en l’homme et sa bonté, passe toute (sa) vie à compter » et ce n’est que par les euros qu’il se laisse border. La décision est prise, peu à peu la détermination s’est installée, inébranlable. « Tout ça va changer, tout va s’arranger ».
« Gagne, perd, recommence », tel est donc le credo nouveau, pas fiers mais il fallait le faire. Face à toutes ces portes fermées, c’est décidé, Sanguee rentrera dans cette vie comme dans sa teuch, comme un cheval de Troie. S’il faut ruser ils choisiront leur réalité et prendront le temps ; 9 vies pour édulcorer cette haine, 9 vies de félin pour amadouer ses démons et déchiffrer le bruit des enfers. Trouver la paix, ou bien trouver le salut, ce sera l’un ou l’autre et pas sans péchés. Pleure, danse, benz, trie, pleure, danse, baise, trie. Rien d’autre, ils tomberont sans eux et sans elles, vers l’enfer et surtout vers le salut. Pochon dans le fut’, foncD pour quitter cette terre, Sanguee et Momo sont prêts, seuls face au monde ; il est temps de partir, vers le Rif et ses merveilles, vers le biff et le soleil.
De l’autre rive ils entendent déjà l’appel lancinant, depuis la MPC de Freaky Bagel, et le quanûn leur rappelle l’essentiel : fuck les vacances, à 220 ils les doublent, « triple as, brelan » ; le go fast sera un coup de poker ou ne sera pas. « ‘ana guapo drogue dans le chapeau », de belles mélodies en paroles enchanteresses, les magiciens exposent leurs charmes et techniques, laissent planer l’illusion pour mieux subtiliser tous les sous du rainté, toute la résine à effriter ; le cœur sur la main et la main dans la merde, celle qui est rentable et friable. Et, très vite, le sablier s’est évidé, les lovés sont propres ou sales, mais ils ont survécu à la tempête de sable. Accompagnés de Juxebox, le cœur vide et l’âme trempée, sur le retour et chargés, Sanguee et Momo Spazz restent ces hippies du 93, de Montreuil à Casablanca, puis du Rif à la casa. Vendre pour faire son chemin vers le salut, fumer pour s’élever vers le salam. La paix, dans chacune de ces phases, qui partent en fumée et laissent pour seule trace une effluve chantée.
Eau large de Tanger, dans les eaux agitées de méditerranée, hash dans la cale, darbuka dans les oreilles et darija sur les lèvres ; Momo Spazz et Sanguee se sont damnés, et TripleGo s’est sauvé. Dans ce projet sans amours, dans cette lettre à ses démons, Sanguee expie les fautes, et comme un aigle il « vole au dessus des pechés ». Un EP de péchés et de contradictions, entre nostalgie de ces temps fuis et furieuse envie d’une autre vie. En souvenirs des derniers go fast, le duo est déjà mélancolique du bled parce que bientôt ils n’en n’auront plus besoin ; bientôt la fin de la hass, bientôt des lovés au cube, des lovés dans le carré VIP. Les démons à gauche, leur frappe est démentielle, puisque ni la vie ni les tchoins ne sont belles. Faire des lovés, terminer et ficeler, pour que la hass ne les hante plus jamais.
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