En mai 2013 sortait un album de 19 titres, Escape Music, premier opus d’un groupe anglais au nom curieux, The Mouse Outfit. On a voulu en savoir plus sur cette formation atypique, ces musiciens faisant rapper une partie de la scène hiphop de Manchester. De passage à Paris le 30 janvier dernier, ils ont posé leurs instruments à La Java, accompagnés des deux rappeurs qu’ils embarquent lorsqu’ils montent sur scène. 9 membres, d’âges et de backgrounds différents, mais animés par la même envie de faire de belles choses. Entrevue avec cinq d’entres eux.
ReapHit: Commençons simplement, pourriez-vous vous présenter et nous dire ce que vous faites au sein du groupe?
Chini : Chini, je suis l’un des membres fondateurs du groupe avec Defty, qui n’est pas là, je m’occupe principalement des productions, du travail avec les rappeurs, et je suis également au clavier.
Sparkz : Je suis rappeur dans le groupe, et dans deux autres crews aussi: Voodoo Black et Levels.
Joe : Je m’appelle Joe, j’aimerais avoir un petit surnom mais je n’en ai pas (Sparkz, doucement: « Cheeky Joe! »). Je suis batteur à temps plein.
Pitch : Je travaille sur les prods, comme Chini, avec MPC et Maschine.
Dr Syntax : Je travaille avec et indépendamment de Mouse Outfit. Sparkz et moi sommes les principaux MCs du groupe lorsqu’on part à l’étranger. J’ai commencé par travailler avec The Foreign Beggars. J’étais sur leur label de 2003 à 2007, on a fait beaucoup de tournées ensemble. Mais maintenant je suis installé à Manchester. C’est assez impressionnant d’être témoin de ce qu’il se passe là-bas. Cette ville a toujours été très connectée à la musique. Et en ce moment, l’émulation se fait autour des mouvements Hiphop et Bass music.
Vous êtes amis ? Comment est-ce que vous commencez à travailler ensemble ?
Chini : On était en quelque sorte le groupe attitré d’un club de Manchester, The Loop. On jouait, des rappeurs venaient pour freestyler, on proposait des titres originaux mais aussi des classiques Funk et Hiphop. Beaucoup de gens différents avaient l’habitude de venir, Sparkz, Dr Syntax et Pitch faisaient partie de ces gens-là, comme beaucoup de rappeurs de Manchester. On a rencontré à peu près tous les rappeurs avec qui on a collaboré par la suite dans ce club. Ca a pris un ou deux ans. Et je suis aussi professeur de musique, et Pitch était un de mes élèves.
Donc vous vous rencontrez, et vous décidez tout de suite de faire un album ?
Chini : On travaillait avec plein de gens, vraiment beaucoup de gens, et on se disait : « Est-ce qu’on a besoin de faire un album? Est-ce qu’on peut ? ». On y pensait pas vraiment mais en parallèle, on a commencé à faire des vidéos, à sortir des singles, et ça nous plaisait. Au bout de 4, 5 singles, on s’est rendu compte qu’on avait 15 titres prêts, d’autres en cours de préparation, en faire un album ne nous paraissait plus si idiot (…). Au moment de le faire, on avait encore plus de matière, on a choisi ensemble les morceaux qui nous plaisaient le plus, et Escape Music reflétait bien le projet : boire, fumer, se détendre, ce genre de choses (rires). On a toujours beaucoup composé, et il faut savoir que si 19 titres sont sur l’album, au moins 19 autres existaient au moment de l’enregistrement mais n’y sont pas. Disons que nous sommes très exigeants sur le contrôle qualité : rien ne sort si nous n’aimons pas vraiment.
Comment est-ce qu’on s’organise lorsque l’on est si nombreux ?
Pitch : En fait, les tâches sont plutôt réparties; le live band comporte effectivement neuf membres, mais la partie studio est principalement gérée par Defty, le bassiste, Chini et moi, qui formons le « noyeau dur » (core members) du groupe.
Chini : On essaie de prendre les décisions ensemble, avec les rappeurs aussi, mais les musiciens sont les premiers concernés par tout ce qu’il se passe en studio. Quant à la scène, ces 5 dernières années, on a dû travailler avec quelque chose comme 35 musiciens, donc bon (un peu gêné)… à un moment il faut que certains prennent les décisions, et en général, ça tourne entre Defty et moi.
Dr Syntax : Ce serait idéal si l’on pouvait enregistrer avec l’ensemble des musiciens et des rappeurs, mais d’un point de vue logistique, c’est compliqué, même s’il l’on sait que les fondements de la musique résident dans cette manière de faire. Et peut-être que dans un futur plus ou moins proche, avec un peu de chance, on arrivera à le faire, mais pour l’instant c’est bien plus simple de séparer tout ce qui concerne le studio de ce qui se fait sur scène.
Pour l’instant, aucune intention de vous séparer donc…
Chini : Honnêtement, on s’entend tous super bien, les choses se passent bien et mieux encore. Pour tout dire, après toutes ces années, c’est plus simple aujourd’hui que ça a pu l’être dans le passé… En plus de ça, nous venons de et/ou travaillons à Manchester, et plein de choses se passent là-bas, plein de projets se créent et nous connaissons la plupart de leurs auteurs, ce sont nos amis! Donc on se balade un peu; si un de nos membres sort un morceau avec un autre groupe, pas de problème, on sera content d’en faire la promotion parce qu’en plus, s’il a du succès, ça nous profite à tous.
Dr Syntax : Quand tu viens à nos concerts, tu te rends compte de cet esprit. Quand j’ai commencé à travaillé avec Mouse Outfit, j’avais déjà un répertoire, et en répétant, ils ont joué quatre de mes morceaux, ça m’a fait vraiment plaisir ! Je sors un album avec Pete Cannon début mars – Killer Combo – et on a prévu d’en jouer quelques morceaux sur la tournée Mouse Outfit. Il n’y a pas de règle fixe.
En parlant de scène, est-ce que vous y avez pensé quand vous enregistriez ? Parce que votre musique est définitivement faite pour la scène.
Chini : Pas au début, mais plus on a avancé et plus on s’est rendu compte qu’on avait pas mal de mélodies douces et lentes, et sur scène, à une heure du matin, quand la foule est super excitée, c’est pas ce qu’il y a de mieux à jouer. Heureusement, on a sorti des titres de Dr Syntax du placard, des morceaux dont certains ont dix ans et d’autres sont plus récents. On se fichait du fait que le show soit complètement inédit, ou qu’il nous appartienne totalement, on voulait juste qu’il soit aussi réussi que possible. Pour répondre à la question, maintenant, oui, on pense plus aux performances live parce qu’en général, on joue tard, et dans des salles agitées.
Vous avez une méthode de travail particulière ? Des étapes par lesquelles vous passez systématiquement ?
Sparkz : En général, même si Pitch et Chini n’ont pas complètement fini leurs prods, ils nous fournissent les premières découpes, mélodies, les premières versions des beats, ce genre de chose. A partir de là, en ce qui me concerne, je peux commencer à écrire, et après d’autres musiciens voient s’ils en envie d’ajouter quelque chose ou non.
Chini : Pour faire simple, Defty, Pitch et moi-même travaillons ensemble ou séparément sur plein de beats, je les récupère tous et on les passe ensuite en revue avec Sparkz et les autres rappeurs pour voir quels sont ceux qui leur plaisent, et avec lesquels d’entre eux les beats pourraientt fonctionner. On en choisit 5 ou 6, on fait des tests voix… encore une fois, on prend tout ce qui est de qualité. Parfois une prod ne convient pas à Dr Syntax, mais rend super bien quand Sparkz pose dessus, donc ça prend un peu plus de temps… ça dépend.
Sparkz : C’est arrivé qu’ils me fassent écouter 40 beats à la suite et voilà ce que ça donne ça pendant une demi heure : “ouais, ouais, non, ouais, non, non, ouais…”. Mais plus on le fait, et plus le processus et simple et rapide parce qu’on a pris l’habitude et qu’on se connait de mieux en mieux.
Vous avez écouté votre album comme produit fini ?
Chini : Non, je ne suis pas encore posé pour l’écouter… je pense que pour Pitch et moi, c’est différent et plus difficile parce que, quand tu es impliqué dans la production de A à Z, tu ne peux plus réécouter ce que tu as fait sans entendre toutes les petites erreurs que tu as commises, et que personne n’entendra probablement jamais mais sur lesquelles tu restes focalisé.
Sparkz : Moi j’accepte l’album comme il est !
Dr Syntax : C’est probablement plus simple pour Sparkz et moi parce que nous ne sommes finalement que sur un tiers de l’album, qui devient donc pour nous une compilation à laquelle nous avons simplement participé; c’est pas comme pour tes propres albums solo.
Changeons de sujet. Qu’est ce que c’est que ce nom ?
Chini (rires) : On n’a pas de très bonne réponse à cette question mais disons que nous sommes une équipe, il y a donc beaucoup de gens qui s’agitent à faire plein de choses; Defty par exemple, s’occupe de l’organisation des concerts, il réalise les vidéos, il conduit le van… et puis il y a tous les rappeurs. On est comme de petites souris qui courent dans tous les sens, qui font chacune leurs trucs tout en créant un mouvement d’ensemble… Bon, c’est pas la vraie histoire, mais c’est une meilleure réponse que la vérité ! En réalité, on était dans un pub et l’un d’entre nous a dit qu’il devait rentrer chez lui voir son chat et qu’il allait mettre un costume de souris pour l’effrayer : Mouse Outfit… Mouse Outfit, Mouse Outfit, c’est un bon nom de groupe ! Et c’est devenu le nôtre le lendemain.
Dr Syntax: Et bizarrement, j’ai aussi une vieille photo de moi, à 8 ans environ, dans un costume de souris… je les menace de la sortir un jour ou l’autre.
En France, votre musique a été rangée au rayon musique old school. Comment est-ce que vous le prenez ? Vous revendiquez ce label qu’on vous a donné ?
Pitch : Ce qu’on appelle le old school fait partie de nos inspirations, mais pas exclusivement (…).
Chini : Plein d’artistes tente de repousser les limites, de faire des choses absolument nouvelles et différentes de ce qui a déjà été fait. Nous ne sommes pas dans ce créneau là. On n’essaie pas d’être différents à tout prix, on essaie simplement de faire de la bonne musique et si ça sonne comme un morceau de 1992, ça ne me dérange pas. On écoute encore beaucoup de vieux morceaux soul et funk des 70s, et ne se dit pas que c’est chiant et qu’il nous faut de la dubstep!
Sparkz : De mon côté, j’organise beaucoup de soirées à Manchester plutôt orientées house, dubstep, drum&bass, et j’ai sérieusement commencé la musique avec ces influences là, il serait tout simplement impossible que je les abandonne d’un seul coup. Mais le hiphop old school est un véritable point commun à tous les membres de Mouse Outfit.
Dr Syntax : Ce qu’on fait reflète un peu un mouvement général dans le hiphop depuis quelques années, il y a une sorte de renaissance des classiques. Quand tu regardes ce qu’il se passe à New York, où des gamins de 16 ans écoutent du Doom dans Brooklyn, ça me fascine ! Pourtant, on était arrivé à un point où les mots jazz et boombap étaient presque devenus imprononçables, les gens te disaient que tu pouvais pas ressortir ce genre de choses, que c’était trop vieux. Et aujourd’hui, ça revient. Non pas que l’on fasse ce que l’on fait pour suivre la mode, on fait ce que l’on a toujours fait et ce que l’on aime. Mais tout est cyclique. C’est intéressant de voir qu’on a pas tous le même âge dans le groupe et… (s’adressant à Sparkz, en face de lui) je cherche pas à t’infantiliser Sparkz, mais tu as commencé avec de la house, du grime, ce genre de chose, et maintenant tu fais de la musique qui s’apparente à celle avec laquelle j’ai moi-même commencé à faire de la musique. De mon côté, je m’en suis éloigné, j’y reviens maintenant… donc c’est des histoires et des processus différents. Et pour le public, c’est pareil : pour certains, on retourne piocher dans des classiques et une toute nouvelle génération trouve Escape Music innovant parce qu’ils rejettent ce que faisait et écoutait la génération qui les a précédée.
Vous n’avez pas tous le même âge (Sparkz pointe Chini du doigt, l’air de dire « surtout lui », rires des autres). Qu’apprenez vous les uns des autres ?
Sparkz (plus jeune membre du groupe – 24 ans – avec Pitch – 21 ans) : Je pense qu’ils ont beaucoup à apprendre de moi, je suis un peu leur prof à tous… plus sérieusement, ça va dans les deux sens (…).
Chini : Oui, les jeunes n’en apprennent pas plus que les plus vieux, c’est un bon compromis entre les deux. Comme Syntax le disait, on a différentes expériences, il nous arrive par exemple à tous les deux d’entendre des morceaux et de se dire “ah tu te souviens, il y a dix ans” alors que les autres se disent que ça sonne très frais. Disons que les jeunes sont plus du côté de l’inspiration, là où les plus âgés pensent avec l’expérience, et ont plus tendance à penser “organisation”.
Dr Syntax : C’est exactement ça. Quand j’avais 17 ans, j’écoutais de la drum&bass, il n’y avait pas vraiment de hiphop encore, et je me levais avec plein d’énergie à dépenser, j’avais envie de rimer, et puis en vieillissant un peu je me suis dit qu’il fallait que je me calme… et peut-être que Sparkz est dans cet état d’esprit où il a sans cesse envie de faire des trucs; ce que je veux dire par là, c’est qu’il ne faut pas renier ce que tu as été ou ce que tu as fait avant et donner des leçons sous prétexte que tu as un peu évolué.
Sparkz : Dans la même idée, je sens parfois qu’il faut que je me calme un peu, et c’est dans ce sens qu’ils peuvent m’influencer, en me conseillant.
Pour finir, qu’est ce que vous prévoyez pour la suite ?
Chini : On a 12 morceaux en développement, qui devrait probablement sortir. En fait on continue sur notre lancée : beaucoup travailler, produire beaucoup de contenu pour ne garder que le meilleur. Et un autre album arrivera en 2014… ou deux.
Pitch : Mais l’un des deux réunira évidemment la même équipe que celle présente sur Escape Music, alors que sur l’autre, on travail notamment avec Mattic, et les projets seront assez différents.
Dr. Syntax : Je sors également un album avec le producteur Pete Cannon, Killer Combo, le 3 mars prochain, avec un premier extrait featuring Del The Funky Homosapien , Do What We Wanna Do.
Sparkz : Et Joe donne également des cours de batterie, si vous êtes intéressés (rires)…
Joe : Ouais, contactez-moi sur Facebook !
Sparkz : Plus sérieusement, je bosse aussi avec un autre crew, Voodoo Black, un EP est en route, et devrait sortir d’ici un ou deux mois.
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