T.I.S cultive sa ‘Soulitude’

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On a rencontré TIS, que l’on suit depuis un bail, et plus précisément depuis sa mixtape La Petite Voiture. Projets passés, à venir, collaborations, entretien avec un MC qui possède l’indépendance et la bonne musique comme moteurs.

ReapHit : Bonjour T.I.S, pour commencer, que du banal : peux-tu te présenter ?

T.I.S : Salut, moi c’est Tis ou T.I.S, et j’ai choisi ce blaze parce que je m’appelle Baptiste dans la vie réelle. Je rappe pour combattre l’ennui, et éviter de faire des choses inutiles comme de regarder la chaîne NRJ12 ou faire des dérapages en frein à main sur les parkings. En 2007, à la grande époque de Myspace, j’ai sorti une mixtape qui s’appelle La Petite Voiture. Après deux années d’errance,  j’ai sorti fin 2010 La Petite Voiture remixtape, avec, comme son nom l’indique, des remixes de la première tape, mais aussi d’autres morceaux inédits. L’année suivante, et grâce à mon pote Gustav, j’ai fait le clip J’ai Besoin (Kronos Remix) qui a pas mal tourné sur le net.

Mais c’est vraiment en 2012 que j’ai été le plus actif en sortant le projet franco-suisse Aller Simple, avec le rappeur parisien Nehr et les beatmakers suisses RizeKronosCross-Y et Nuam. Et toujours en 2012, j’ai sorti un album solo en deux volumes qui s’appelle Le Monstre Sans Nom. Sinon, j’ai fait quelques vidéos freestyles avec Hippocampe Fou, et d’autres choses que les gens pourront facilement retrouver sur le net.

Comment et à quel moment tu découvres le hip-hop?

J’ai la plus mauvaise mémoire du monde, mais je crois que j’ai été piqué en 1994 ! A l’époque, j’étais fan de basket américain (je le suis toujours), et les highlights et autres top ten étaient souvent accompagnés de rap US, donc je crois que ça vient de là. Et puis je suis tombé par hasard sur les morceaux « C.R.E.A.M » du Wu Tang, et « Flava in ya Ear » de Craig Mack, et là, c’était parti, j’avais vraiment trouvé la musique qui me correspondait.

Il faut quand même rappeler aux jeunes internautes qu’en 94-95, c’était vraiment la folie au niveau des sorties, que ce soit le rap américain ou français. Chaque mois, tu tombais sur des albums de dingues, qui sont considérés comme des classiques aujourd’hui, comme le premier Nas, le premier Jay-Z, ou chez nous, les albums des Sages Po ou de La Cliqua. C’était impossible pour moi de passer à côté de cette musique, et c’est encore aujourd’hui, celle que j’écoute le plus. Après, j’écoute très souvent les mêmes vieux albums, tu ne trouveras pas de Rick Rossdans mon iPod !

Pour la bannière de ton bandcamp, tu as choisi une photo sur laquelle tu poses devant un mur graffé très coloré. Y-a t’il, chez toi, un lien entre les différentes disciplines du hip-hop ?

C’est une photo qui a été prise quand j’ai été au 5 Pointz, le fameux spot de graffiti dans le Queens. D’ailleurs, je voulais changer de bannière, mais quand j’ai vu qu’ils allaient détruire l’endroit, je me suis dit qu’il fallait absolument que je la garde ! Moi, je suis un fan de toutes les disciplines dans le hip-hop, mais plus particulièrement du rap et du graff. Après, bien sûr que toutes ces disciplines sont liées. On met très souvent le rap en avant, et du coup, on a tendance à oublier les autres éléments de la culture, mais toutes les disciplines sont importantes dans le hip-hop, et devraient être à égalité en terme d’exposition.

J’ai cru comprendre, dans une autre interview, que tu n’étais pas tellement intéressé par la scène. Est-ce par faute d’événements valables à tes yeux ? Ou alors c’est quelque chose que tu n’aimes pas faire?

Je n’ai pas dit que je n’étais pas intéressé par la scène, tous les rappeurs aiment la scène ! C’est l’occasion de se jeter dans la foule et de balancer de l’eau sur les gens sans que ça paraisse bizarre. C’est juste qu’une scène, ça s’organise, ça se prépare, et moi, je n’ai pas le temps de le faire. J’ai déjà du mal à finir mes projets, alors t’imagines une série de concerts, c’est de la science fiction pour un mec bordélique comme moi. (rires)

Et puis, si c’est pour faire des freestyles sur des faces B, ça ne m’intéresse pas. J’ai vu Hippoen concert quand il était encore dans La Secte Phonétik, et c’était carré, chacun savait ce qu’il devait faire et à quel moment. Pour moi, qui suis tout seul, et qui ne retiens pas la moitié de mes textes, c’est compliqué la scène. Par contre, je ne peux pas dire qu’on manque d’évènements valables, surtout dans la région parisienne. L’année dernière, il y avait la soirée Bim-Bim avec mes gars du Dirty ZooPhases Cachées etc… et c’est vraiment le type de concert auquel j’aimerais participer, mais comme je l’ai dit, c’est trop compliqué la scène pour moi pour le moment. C’est con d’ailleurs, parce qu’il y a des gens qui m’ont invité à faire du live, et hors de Paris, même en dehors de la France, mais j’ai dû refuser parce que je n’allais pas être prêt, donc autant ne pas y aller. Il faut savoir aussi que, plus jeune, j’ai déjà fait des lives horribles, à des anniversaires, ou dans des salles des fêtes obscures, et ça, je ne veux vraiment plus le faire (rires).

Dans tous tes projets, on peut capter une certaine ligne directrice. A savoir, la multiplication des échanges. On écoute un invité quasiment sur chaque morceau, sans compter les nombreux remixes. Est-ce que c’est un choix ? Ou tout le monde veut bosser avec toi ?

C’est un choix, totalement ! Je connais de bons rappeurs, et de très bons beatmakers, alors j’essaye d’en profiter, et d’en faire profiter l’auditeur également. Sur l’album Le Monstre sans Nom, c’est un peu spécial, parce que j’ai fait cet album comme si c’était le dernier (on ne sait jamais, avec cette histoire de fin du monde dans le calendrier maya), et du coup, j’ai invité presque tous les gens que je connaissais. Et puis, en règle générale, j’aime bien faire des projets avec plein de personnes différentes. Si j’avais dû tout faire tout seul, je n’aurais probablement jamais rien sorti ! D’ailleurs, si je n’avais pas rencontré des gens comme Mr. Hone, il n’y aurait sûrement pas eu La Petite Voiture. Par contre, je ne peux pas dire que tout le monde veut bosser avec moi parce qu’il y a déjà des gens qui ont refusé de participer à mes projets. Mais ça n’est pas bien grave.

Est-ce que c’est une façon de partager et de donner sa chance à des gens qui méritent d’être soutenus ? Comme Meyso, par exemple, que certains ont pu découvrir par un de tes tracks, et qui a produit entièrement l’album de Lomepal, plus récemment.

Quand je sors un projet, j’espère toujours qu’il permettra de mettre en avant les personnes qui y participent. Si ça n’était pas le cas, je ne ferais jamais de featuring. Après, pour Meyso, je savais qu’il n’avait pas besoin de moi pour être reconnu, mais disons que j’en profite justement avant que le monde ne se rende compte de son talent. Et ça a été le cas aussi avec Enzoo, qui travaille aujourd’hui avec Nemir, ou Mister Hone. Je savais que ces mecs là allaient faire parler d’eux, que ce soit avec ou sans moi. Et je pense que la même chose va arriver pour Goomar et Get Eye. Et pour finir avec Meyso, ce qu’il a fait avec Lomepal est vraiment très bon, c’était l’un des meilleurs albums de 2013 selon moi.

Revenons sur La Petite Voiture. Comment se sont faites les rencontres avec les différents MC et beatmaker ?

Le réseau de Myspace a bien facilité les choses, et j’ai tout fait par ce biais là. Toutes les rencontres ont été virtuelles, j’ai eu la chance de rencontrer des gens comme Kronos ou Rizebeaucoup plus tard, des années après que soit sorti la tape, en fait.

Quelle est ta relation avec Nehr, avec qui tu as sorti Aller Simple, assez récemment ?

Nehr, j’ai commencé à rapper avec lui en 2000 ! J’ai enregistré toute La Petite Voiture chez lui. Je le connais depuis des siècles, mais ce qui m’a particulièrement motivé, c’est le morceau qu’on a fait ensemble pour la compil Orjazzm de Rize et Kronos. L’album Aller Simple, on aurait pu, et on aurait dû le sortir juste après, mais comme on ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie, ça n’est sorti qu’en 2012. Il faut dire aussi que Nehr a déménagé 15 fois en 3 ans. Et puis moi, je suis toujours bordélique, donc c’est déjà bien que l’album soit sorti. Il fallait qu’il sorte un jour ou l’autre, par respect pour tous ceux qui ont participé au projet, et que je remercie encore.

Le pressage de disques, ça a donné quoi ? Tu as vendu autant que tu le souhaitais ?

Comme prévu, on est double disque de platine, on devrait bientôt signer chez Def Jam France (rires).

Non, en vrai, on a pressé une petite centaine de skeuds, via De Brazza Records, et je suppose qu’ils sont tous partis. Et je dis bien je suppose, parce que je ne dispose pas de l’information. On en a vendu la moitié de la main à la main, et le reste, il faut demander à Bursty ! (le gérant du label, ndlr). De toute façon, le plus important, c’était vraiment d’avoir l’objet dans les mains, et d’en donner un exemplaire aux suisses et à nos proches. Le reste, je m’en fous un peu. Je ne devrais pas d’ailleurs, mais je m’en fous.

On t’a vu dans le clip de « J’ai besoin » remixé par Kronos, aux côtés de figurants qui ne sont pas du tout des inconnus. As-tu l’envie de reproduire cette expérience ?

Absolument ! Faire un clip tout seul, sans inviter mes potes et tous ceux qui veulent venir, je ne vois pas l’intérêt. Ce clip, c’était surtout une occasion de bien rigoler entre nous, alors si je peux le refaire, je le referais. En passant, je fais un big up à Gustav et à l’équipe de J’ai un permis pour ça, parce qu’ils ont fait preuve d’une patience incroyable.

Tu émets souvent des coups de gueule sur les réseaux sociaux vis à vis de personnalités ou de catégories de rap qui te déplaisent. On va éviter le vilain name dropping hargneux, mais à l’inverse, peux-tu nous citer des noms de rappeurs français vieux et moins vieux qui t’ont plu ?

Alors déjà, je tiens à dire quelque chose : pour moi, les réseaux sociaux, et Facebook particulièrement, ça sert juste à raconter des conneries ! Y a des mecs qui tentent de faire des révolutions et des débats sur le net, mais c’est ridicule. Moi je vais continuer à poster des photos de Nadine Morano et à me moquer de La Fouine quand il passe à L’école des Fans parce que Facebook, ça n’est pas vraiment sérieux. Mes statuts, il faut les prendre au huitième degré. Je ne vote pas UMP, et je n’ai pas vraiment envie de tuer Chimène Badi. Voilà, ça c’était pour le name dropping hargneux.

Sinon, dans les rappeurs français que j’aime, je vais citer ceux dont j’ai acheté les albums : K-Oni & Rezo, Paco & Mani Deïz, Veence Hanao (qui est belge, mais bon), Ockney & Chilea’s, Lemdi & Moax, Daz Ini & Tismé… à part ça, je suis down avec Fixpen Sill, Ol’Kameez, Hippo et Céo, L’énigmatic, Lomepal, Posei Manifest, et j’en oublie plein… et pour les vieux, je citerais L’indis et Grems parce que ces mecs là, ce sont les patrons. Je vais aussi citer des beatmakers comme Dandy Teru, 5kiem, le collectif Le Premier Sens, The French Connection, et tous ceux qui balancent de bons projets via bandcamp…

Tu gardes une touche originale et « classique » dans tes textes et ton flow, mais on sent bien l’influence d’autres styles de musique. Quels sont les musiciens ou chanteurs qui ont marqué ton parcours musical autrement que par le hip-hop?

Moi, je ne connais rien en jazz, mais Miles Davis et John Coltrane m’ont tué, et j’écouterais leurs albums toute ma vie. Sinon, il y a Billie Holliday et Minnie Riperton qui sont LES chanteuses pour moi. Je dirais aussi Portishead, parce que Beth Gibbons, c’est la Billie des temps modernes. A part ça, je dirais, comme tout le monde, Curtis Mayfield, Stevie Wonder, Otis Redding, Marvin Gaye. Je suis obligé de citer D’Angelo et Erikah Badu également. Et puis, y a des artistes comme Capleton ou Sizzla qui m’ont marqué. En français, ça va de Gainsbourg (au début de sa carrière) à Bobby Lapointe. Y a pas grand-chose de moderne finalement dans tous ceux que j’ai cité, donc je placerais aussi des gens comme Pauline Croze et San Severino. Et en dernier, je dirais un peu de musique africaine, comme celle de Fela Kuti. Je ne sais pas si on sent l’influence de ses artistes dans ce que je fais, mais en tout cas, ce sont ceux que j’écoute en dehors du hip-hop.

Avec qui aimerais-tu t’associer sur une future piste ?

Dans une autre interview, j’avais cité Joey Starr, et je maintiens ! Sinon, MC Solaar, parce que sans lui, il n’y aurait rien eu, pas de punchline, pas de multisyllabie, rien du tout. A part ça, j’en sais rien, ça serait pas mal de faire des morceaux avec des gens qui sont complètement en dehors du rap, j’attends que Bruel m’appelle ! Non, je déconne, mais y a des trucs à faire avec les autres musiques, pas seulement le jazz ou la soul…

J’ai cru comprendre que tu bossais sur un nouveau projet à sortir fin janvier. Peux-tu nous en dire plus ?

Ouais, le projet s’appelle Soulitude, et il est entièrement produit par un beatmaker qui s’appelle Tum’Soul. Il y a 10 titres, et c’est le premier volume. On vient juste de sortir le clip du morceau du même nom, donc j’invite tous ceux qui ne l’ont pas encore vu à checker ça. C’est une chanson avec la chanteuse Leslie Philips, dans un bel endroit qui s’appelle le Downtown Café. Sinon, sur l’album, on retrouve une autre chanteuse qui s’appelle Ayaba, les rappeurs None etEnz, et enfin, mes rappeurs préférés Hippocampe Fou et L’Enigmatic. Et Dj Venum nous a fait des cuts sur deux morceaux. J’espère vraiment qu’on va gagner un NRJ Music Award pour cet album (rires). Par contre, ça sortira début février, et pas fin janvier, il faudra patienter quelques jours de plus…

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