Il y a un an Sameer Ahmad sortait son nouveau projet. Un side project nommé Un Amour Suprême, et un Jovontae EP. Un groupe fictif pour se créer une nouvelle identité, se libérer des contraintes d’un style, ou s’éloigner de son classique Perdants Magnifique.Plutôt que de se risquer à chroniquer ce génial OVNI musical, et n’ayant que très peu de choses à rajouter à l’article de nos compères de l’abcdr, nous avons préféré nous laisser absorber par l’extraordinaire feeling qui se dégage d’Un Amour Suprême, pour y écrire nos scénarios. Six chapitres, pour autant de titre, afin de reproduire, de manière décalée, notre plongée dans l’univers de ce Jovontae EP et symboliser notre quête de L’Amour Suprême
Partie 1 : Retour à Harlem – Florian
Le docteur Ahmad est reconnu par ses pairs comme archéologue de la rime.et anthropologue du beat, considéré comme un perdant magnifique par ces quêtes extravagantes et perdues d’avance. Ahmad se lance dans une dernière quête : trouver l’amour suprême. Larry Pitte, reporter intrépide, se lance sur les traces d’ahmad afin de couvrir en exclusivité cette quête exubérante.
A Paris, il les avait toutes arpentées, ces petites ruelles de pavé. Les Jazz club, il en avait fait un, puis trente. Il l’avait d’abord cherché au Vieux Colombier puis au Club saint germain, en vain. Un soir, il lui avait même semblé l’apercevoir au Caveau de la Huchette. Mais finalement, rien. Larry arrivait toujours trop tard. Ne subsistait de son passage que quelques indices, quelques traces éparses. Le serveur sifflotait un air, un habitué évoquait une jam d’exception, parfois une note, un simple son. Juste de quoi le narguer, lui faire comprendre qu’Ahmad était passé par là. Dans sa quête de l’amour suprême Sameer, le devançait toujours. D’un an ou d’un jour.
Mais ici à New York, les règles avaient changées. Devaient changer. La ville était immense, pourtant le terrain de jeu semblait pour Larry bien plus restreint. Depuis que le Cotton Club avait fermé ses portes, il y a presque 10 ans, les clubs de Jazz de la grosse pomme étaient peu à peu devenu lisses et respectables, envahissant L’Upper East Side ou The Village, imposant leur cocktails hors de prix, et leur tenue correct exigées. Dans ces endroits, Ahmad ne mettrait jamais les pieds. Ca, Larry en était persuadé. Il était ici à Harlem. Quelque part, confiné dans ces quelques kilomètres carré.
Pourtant, mardi soir, au Milton’s Playhouse, personne ne semblait l’avoir croisé, n’avoir rien remarqué. Il y a quinze ans encore, Mecque du bepop, le club avait aujourd’hui totalement délaissé les Jam Session au profit des spectacles des grands noms en déclin. Désormais loin de l’effervescence des premières années, dans les entrailles du Rez de chaussée de la 118ème rue, ronronnait sans âme une musique sans cœur. Larry ne s’y était pas attardé. Il commençait à douter. Peut être l’avait il déjà raté, peut être Ahmad avait-il déjà sauté dans le premier car pour Chicago, Baltimore ou L.A. emportant avec lui tout espoir de terminer sa quête.
Prêt à renoncer, il avait jeudi retrouvé un peu d’espoir quand, au Savoy Ballroom, son voisin de comptoir lui avait demandé, intrigué, ce qu’il cherchait. Visiblement dans ce décor, il détonnait. De fil en aiguille et de scotch en bourbon, les langues s’était délié et petit à petit dans l’oeil de son interlocuteur, Larry avait cru discerner une lueur.
« Ici ? C’est remplit de petit joueur, de profiteur. Tu vois tout ces gens ? Costume cintré, et sourire coincé. Ca se prend pour des spécialistes. C’est plein de théorie, et de grandes phrases sur ce qu’est le Jazz, ce qu’il doit être. Hargneux chiens de garde d’un genre qu’ils s’usent à asphyxier. Change une note, ralenti le rythme, calme le jeu, et tous se mettent à hurler au démon, à l’abomination. Mais tu sais ce qui me désole le plus, c’est que quand tu grattes un peu, ces mêmes peigne-cul, trois verres plus tard sont à court d’argument, et se rabattent sur leur sempiternel « Le Jazz c’était mieux avant. ». A croire qu’ils ne savent dire que ça ces réciteurs de bons mots, ces assassins. Mais à tes yeux je vois bien que tu connais déjà le refrain… Laisse ici les bourgeois s’encanailler et les nantis divertirent leur rombières, je joue demain dans un rade pas très loin. Viens me voir. Ca me fera plaisir, et ça te donnera l’occasion de rembourser ta tournée. »
Sur un bout de papier, l’homme griffonna une adresse à la hate et lui glissa tout en lui serrant la main. Au fait je m’appelle Stanley. Mais tu peux m’appeler Stan. Stan Getz. »
Partie 2 : Sur les Docks de Chicago – Nadsat
Larry retrouve Ahmad à la sortie d’un club. Dès les premières secondes, Larry sent que les choses ont bien évolué pour celui qu’il poursuit depuis des années. Admiré de tous, Ahmad grimpe dans sa Corvette flambant neuve et prend la route pour un retour aux sources, sur les traces de son passé.
Larry était en planque devant le club depuis plus de deux heures. Il voyait défiler les fêtards, les plus endurants arborant encore un air frais, tandis que certains semblaient déjà au bord de l’écroulement. Dans la file d’attente, tout le monde tentait de garder son air le plus fier. Des gamins en attente de validation, pensa-t-il. Rentrer ici, c’était un accomplissement social en soit. Larry peinait encore à comprendre pourquoi Ahmad s’était lancé dans une telle entreprise, et en quoi cette dernière pouvait se relier à sa quête. L’enquêteur commençait à s’assoupir quand l’homme qu’il attendait survint enfin.
D’un pas décidé, Ahmad sortit du club en enfilant sa veste en cuir teinté. Il en extirpa un paquet de cigarettes, en sortit une qu’il embrasa du bout de son zippo, avant de glisser à nouveau le paquet dans la veste. Il admira la file d’attente : une foule disciplinée, au style vestimentaire maîtrisé. Ils ne faisaient pas de vagues. Du moins, pas à cette heure-ci … Peu importe, la sécurité du lieu ne lui était plus confiée depuis quelques mois déjà. Ahmad pressa le pas et rejoignit son véhicule : une corvette rouge flambant neuve. Tous les yeux étaient sur lui. Ce n’était pourtant pas l’objectif … Ahmad s’était procuré ce véhicule pour ce qu’il représentait en terme d’évolution personnelle, plus que pour attirer les regards. C’est sur le tard qu’il avait découvert que les deux allaient de pair. Il grimpa dans la voiture, et ouvrit la boîte à gants afin d’y jeter le contenu de ses poches. Une bonne partie des objets contenus dans le réceptacle s’écrasa au sol. Diverses paires de lunettes de soleil, des briquets, des ceintures. Il attrapa une paire de lunettes Gucci et les admira. Il ne se rappelait même plus quand il avait bien pu se les procurer, ni même quand il avait pu les porter.
D’abord, la fin avait justifié la moyen. Puis les moyens avaient finit par justifier la gourmandise.
Il inséra la clé dans le contact et démarra. Le véhicule se déplaçait doucement sous une conduite calme et précise. Ahmad évitait les obstacles matériels et humains avec sérénité. L’agitation du quartier réputé pour sa vie de nuit laissa peu à peu place à des rues de plus en plus anonymes. Le jeune homme se laissait absorber par les enseignes. C’était son ex-périmètre. Il se souvenait de tous ces visages. Eux, qui tenaient ces petits commerces. Eux qu’il avait régulièrement racketté pour leur propre bien, les forçant à garder leurs arrières assurés. Cette époque lui paraissait déjà lointaine. Des petits tracas qui ne le concernaient plus. Les kilomètres défilaient peu à peu sur une route terriblement droite. Personne pour traverser, tous les feux au vert. Ce périmètre était conquis. Ahmad se concentra sur le marquage au sol, laissant les lignes défiler sous ses yeux. A cette époque, il avait tout à prouver. Il avait fourni un travail appliqué, se laissant simplement guider par son instinct pour toucher à la bonne stratégie. Son parcours, il l’avait tracé à main levée.
Au fil de la route, l’espace qui l’entourait devenait de plus en plus délabré. Les facades bienveillantes laissaient place à des commerces de plus en plus étriqués, au goût de plus en plus douteux. Ahmad ralentit quelque peu son allure, levant épisodiquement la tête vers le ciel. Le brouillard avait d’abord gâché la vue des étoiles, mais l’horizon se débouchait peu à peu. Le bruit rugueux de la mécanique se mêlait avec une harmonie bringuebalante au son des pneus dominant la route. La sonnerie du téléphone sortit le jeune homme de sa rêverie. Il décrocha. C’était sa mère, qui désirait savoir quand il arriverait enfin. Elle s’inquiétait pour lui, ne voulait pas rejoindre Morphée avant qu’il ne soit arrivé. Ahmad lui proposa à nouveau de lui offrir un nouveau chez-elle, peut être plus proche du centre-ville, proposition qu’elle refusa avec une ardeur renouvelée. Elle était chez elle, et ne comprenait pas pourquoi son fils désirait la voir en partir. Il raccrocha le téléphone. Cette conversation, il l’avait déjà eu bien des fois avec sa mère. D’abord persuadé de la nécessité d’insister, Ahmad commençait à mieux comprendre ce qui la bloquait.
Perplexe sur le fait que rien ne l’arrête, Ahmad s’arrêta à un feu vert. Les voitures s’accumulèrent peu à peu derrière lui. Les cris des klaxons se superposaient les uns aux autres. Il attendit que le feu passa au rouge et fonça. Sur le bas côté, des échoppes fermées fautes de moyens, côtoyaient des liquor stores aux enseignes électriques, des drogueries, des alimentations, … Il n’était plus très loin.
Quand Ahmad arriva finalement au quartier, il fut célébré par tous les jeunes qui traînaient encore ici à cette heure tardive. On riait, se prosternait devant son véhicule. Il gara finalement sa voiture sur le bas côté. Plusieurs jeunes vinrent lui dirent bonjour. Au loin, il aperçu, le regard de sa mère, sur le perron. Ses yeux sombres étaient éclairés par la pleine lune. Il cru distinguer une once de fierté dans son regard, ou peut être était-ce de l’inquiétude. Il l’embrassa sur les deux joues et rentra à la maison. Il savait que c’était peut être la dernière fois avant longtemps.
Larry observa la scène au loin. Il avait le sentiment d’avoir compris quelque chose de supplémentaire sur Ahmad, mais il connaissait bien l’imprévisibilité de ce dernier. La quête n’était pas encore terminée.
Partie 3 : Si les filles sont de joie, peut-être sont-elles aussi d’amour ? – Maëlle
Constamment échappé et jamais véritablement retrouvé, c’est au tour de Los Angeles d’accueillir le Docteur dans le dédale de ses rues. Moins ange que démon, le territoire bleuté l’entraine, et, tandis qu’il poursuit la chair et l’amour, Larry s’enivre de ses vices, de sa beauté crade et de ses putes tristes. Filles de joie, filles d’amour.
Los Angeles, Crips territory, planète toute bleue depuis la Genèse ; les lumières sont douces, l’amertume est palpable, la brume est friable, c’est l’Aube. Ces rues sont le territoire du vice, du tabou et du rouge sexe, du rouge sang. Les putes sont fatiguées. Bientôt le jour, bientôt le retour au bercail, bientôt le calme, avant une nouvelle tempête.
Le libre-arbitre volé, violées, la chatte éreintée et les reins démontés, mal au corps et mal au coeur, elles continuent, inlassablement, à héler le passant. « Faire la pute, faire la thune », rien d’autre ne compte ici, toutes s’accroupissent devant Cerbère, de force. Héroïnes de faits divers, en plein été comme en plein hiver, quand c’est trop dur, elles se répètent : « ouvre les yeux et serre les dents », jeune plante, c’est pas ce soir que t’y passeras.
Dans ces quartiers où « on joue le jeu, on grandit mal », où on n’a peur que de Dieu et de Candy Man, Larry sait qu’il y trouvera Ahmad, qui lui avait glissé, lors de leur dernière rencontre : A LA, si les filles sont de joie, peut-être sont-elles aussi d’amour ?.
Le poète sobre, un jour a chanté : « Bien que ces vaches de bourgeois, les appellent des filles de joie, c’est pas tous les jours qu’elles rigolent ». Ahmad est venu vérifier ces dires, c’est chose certaine, il est venu s’enivrer de « scènes louches sur chaine hertzienne », en quête de l’amour suprême.
Larry a donc fait trois fois le tour du coin, tourné, rôdé, et trainé. Larry les a observées, ces femmes de la rue, elles qui rêvent d’ailleurs, d’un tapin moins sale, d’une ambiance intimiste, dans un de ces bars aux murs en velours bordeaux, où les hommes sont assez distingués pour laisser aux fauteuils leur propreté, avec un de ces beats tranquilles en fond, ceux qui apaisent et qui font oublier. Il a observé leur peur et leur douleur, leur soumission et leur honte, leur rancoeur et leur détresse.
Tout ça, Larry le voit dans leurs yeux, dans leurs mouvements et dans leurs strings trop grands. Ce qu’il ne voit pas c’est Ahmad. Mais elles, elles savent, elles connaissent la rue, elles sont la rue, elles l’ont forcément vu.
Larry s’approche de deux filles, deux trop jeunes, trop maquillées et surtout trop sexuées. Est-ce qu’elles n’auraient pas vu Ahmad ? Il décrit, elles restent silencieuses. Puis elles marmonnent entre elles, jettent de rapides coups d’oeil alentours, l’homme en costard ne voit pas, on peut lui répondre. On a vu un mec, un bizarre, se tirer dans cette ruelle, oui, celle-là. Y qu’un motel au fond, tu peux pas l’louper.
Larry s’y engouffre à son tour, comme dans un couloir de l’enfer. Ca pue, c’est sale, c’est sombre ; d’aucuns appelleraient ça « glauque ». Il entre ; le motel est trop propre et trop rouge, les néons sont trop lumineux et le personnel trop souriant. Il s’avance, pose des questions, décrit son larron. Les sourires s’évanouissent : Dude, tu baises ou tu vires, on a pas ton temps, on voudrait ton argent. Dégage. Larry insiste, il ne peut qu’être ici, vous l’avez forcément vu passer, il vous a payé. Le ton monte, les mots fusent, bientôt deux barraqués sont là, empoignent Larry et le trainent jusqu’à une sortie de secours. Dans l’arrière-cours, il se débat, en furie et apeuré, hors de lui. Les coups pleuvent, durs et démesurés. Au loin, il aperçoit un homme pressé, fuyant vers la ville de nouveau ensoleillée, fuyant vers son amour rêvé… C’est Ahmad. Et puis, c’est le coup de trop, celui qui fait sombrer, celui qui fait tomber.
Au réveil, les souvenirs s’assemblent, la confusion est grande mais une conclusion s’esquisse : ces filles sont tout sauf de joie, et encore moins d’amour. Ahmad a eu sa réponse, et il est sûrement loin déjà. Venu se vider dans une pute triste, s’oublier avec ces mauvaises actrices, il est reparti déjà, désabusé mais résigné, vers l’amour d’une reine, l’amour suprême.
Partie 4 : The Liar – Théo
A la recherche de l’amour perdu c’est à Baltimore que l’on a perdu Larry. Mort. Les titubations de l’homme ivre tentant de mettre sur écoute le Docteur Ahmad, d’entendre le poète sans poésie. Omar écrit l’Odyssée dans un nuage de crack heroïque, la voix de Nina Simone recouvrant les briques.
Dimanche. Aéroport international Thurgood Marshall de Baltimore-Washington. Toilettes hors services du terminal partie 4. « Tu voles en première classe Larry, doucement sur le whisky ! ». Ultime avertissement de cet enfoiré de rédac chef me tendant mon billet avec, sur ses lèvres entichées d’un mauvais cigare, son éternel sourire goguenard.
Le simple souvenir de cette odeur me fout le cafard, livide, ma tête de gorille me fait face dans le miroir. Je tire la chasse d’eau, évacue les restes du plateau repas et peste contre mes démons. Les gouttes de sueur chaudes perlent sur mes tempes, le visage entre les mains j’y tamponne une énième fois l’ultime feuille de papier pas très hygiénique que j’ai imbibé d’eau froide. Les souvenirs reviennent par flash, les consommations à volonté, l’hôtesse de l’air et sa volupté, ce putain de Yankee rougeâtre, les stewards qui me ceinturent, ma folle course vers cet havre de paix à l’odeur nauséabonde. Incident diplomatique qu’ils ont dit… Comment je pouvais savoir qu’il était sénateur ?! Et puis merde il y a des manières avec les femmes, alcool ou non, tu lui mets une claque au cul en commandant ton bourbon moi j’en mets deux dans ta gueule. Sale con.
On réglera ça plus tard. Mais je vais encore devoir rendre des comptes à l’équipe, leur assurer que non je ne suis pas alcoolique, que oui je vais lâcher la bouteille, que non après la réunion de rédaction je n’irai pas au bar, que oui j’irai voir ce connard de Dr Sommey. « Je vous emmerde, vous me faites chier. »
Il pleut. C’est ma veine. J’hèle un taxi qui s’arrête. A son bord un type sombre au duster beige digne d’un mauvais western me fait un signe de tête « On partage ? ». Et puis quoi encore ?! Je claque la porte, retourne sous la pluie diluvienne avant de me reprendre et de courir après la yellow cab. Honteux mais orgueilleux j’essuie sans sourciller le fou rire du chauffeur et de mon voisin de banquette. Ce dernier entame la discussion dans un argo auquel mon mauvais anglais répond en souriant. Il coupe son bipper et à mon regard interrogateur répond « Sur écoute ». Sa vie ressemble à l’Odyssée d’Omar, mêlant crime, drogue et code de l’honneur. « I ain’t never put my gun on nobody who wasn’t in the game ». Je lui réponds que là-dessus on est d’accord, que mon arme, ma plume, ne me sert qu’à m’en prendre aux rappeurs, pas de code de l’honneur non c’est juste que le reste je n’en ai rien à foutre. Il rigole et me file une grande claque dans le dos. Je pense tout bas qu’il devrait se calmer avant que je ne le prenne pour l’un de ces gangsters gays qui pavanent leur vertu entre Sodome et Gomora. Le reste du voyage se passe en silence, comme de vrais bonhommes, Baltimore de Nina Simone en fond sonore.
Le moteur se coupe au beau milieu de la banlieue ouest face à une église. Une vieille dame qui, plantait là, semblait l’attendre toque à la vitre et demande au chauffeur « Où vous l’avez pris mon Little ? ». Le taxi lui répond que comme d’habitude il est allé le chercher après son travail de nuit, à l’aéroport, qu’elle se fait du souci pour rien. Dans un clin d’œil, Omar règle la course et descend en prenant soin de laisser un pochon d’herbe sur la banquette arrière. La voiture redémarre alors que je crois comprendre à demi-mots l’ancienne presser son petit-fils : le père Ahmad va livrer son sermon sur l’Amour Suprême… Mon sang alcoolisé ne fait qu’un tour, réflexe de l’homme embrumé, j’ouvre la portière, fini face contre terre. La petite famille me regarde interloqué, je les singe et demande confirmation « Docteur Ahmad, Sameer Ahmad ? ». Leur hochement de tête perplexe m’emplit de joie, moi qui pensais devoir graisser la patte de Stringer, politicien véreux, je vais plutôt pouvoir m’enfiler quelques spiritueux… L’intérieur de l’église paraît insalubre mais les voix gospels qui s’élèvent et la subliment lui rendent sa beauté lugubre. Mon sauveur me tend sa flasque qui par ailleurs me dérange l’ouïe et l’odorat avant de la reprendre pour en verser une goutte au sol et lâcher un énigmatique « j’verse de l’eau de vie pour ceux qui dealent dans l’au-delà. »
Mon héroïne, ma mignonne, Nina Simone, sort de la chorale et se dirige vers moi au son d’un « viens qu’on papillonne en temps et en lieux, on fera ce qu’il y a de mieux mais en mieux… et en vrai ». Le Pasteur/Docteur Ahmad le poète sans poésie, le prophète sans prophétie se met à rapper sur de la musique Hippie. C’est le jour sain, de sa voix mielleuse d’apiculteur et avec l’aide de ses apôtres du Killa Beez il me baptise dans le Jourdain d’un cri du cœur hurlé du bout des lèvres. Mon chant du cygne puisque tel Jeff Buckley c’est dans le Mississipi que je me suis noyé, au gros orteil l’ultime ticket. J’ai mené cette quête le pavot au fusil, pourtant le truc était libertaire, le pouvoir des fleurs vestes militaires vertes kaki…
Je me réveille de ce trip, à mes pieds une seringue, plus un rond on m’a tapé mon fric. C’est mon rédac chef qui va être dingue… Pourtant le grand Little m’avait prévenu : « Come at the king, you best not miss ». Sameer Ahmad a prêché son Amour Suprême et Omar m’a roulé dans son fil de fer. Je viens de connaître les paradis artificiels de Baudelaire en écoutant les bobards de celui qui s’en est allé avec mon portefeuille sous une pluie de beaux dollars.
Partie 5 : Philadelphie – Thomas
Toujours à la recherche d’Ahmad, attiré dans un trou à rat par un informateur aussi mal aimable que convainquant, Larry se perd dans le dédale des rues crades de Philadelphie. Sous l’éclairage glauque des néons rouges d’un restau chinois aux airs d’hotel de passe, il ne pourrait pas être plus perdu dans sa quête de l’Amour Suprême. Un véritable plan foireux.
« Vous êtes sûr de ne pas vouloir un parapluie ? » Tente-t-il une dernière fois en me tendant mon sac de course. J’ironise qu’à part chercher la pluie, Philadelphie n’offrait que peu d’intérêt ce qui n’eut pas l’effet escompter et me valut une corrélation peu reluisante entre mon anus et des french fries, pas mieux pour attirer les foudres identitaires. Dehors, le déluge fait ressortir la pâleur des âmes et un échantillonnage de teintes de gris qui à mes yeux semblent bien plus apaisant qu’une carte postale des plages du Sri Lanka. En un éclair mes superstar partagent le même d’humidification que ma casquette, je suis là comme un poteau de signalisation avec l’impression qu’un cleps me pisse dessus et au loin toujours pas de Sameer Hamad. Je ne cherche même pas à compter les kilomètres et les billets brulés à sa recherche. Un air de saxo au loin joue sa complainte et se rythme comme un paratonnerre à chaque battement de foudre. Pas mieux pour me rappeler à ma magnifique perte, le mirage Ahmad s’évapore une dernière fois mais paradoxalement ce trou noir me redonne la motivation à mettre la main sur cette étoile descendante qui se la roule jeune espoir. Les derniers renseignements donnés par Larry m’amènent à l’Ouest de la ville je ne sais pas si le taxi roule ou flotte mais j’ai des nausées dignes d’une traversé bretonne. Le taxi s’arrête devant un store de nourriture chinoise planquant la misère de son intérieur par l’exposition de ces volatiles laqués en devanture de vitrine.
La salle est vide, je sens encore le plan foireux, un mec aussi bien bâtit qu’un des frères du Boo Yaa Tribe me fixe et vient se planter devant moi clope au bec. L’ascendant physique semble à son avantage et je me résigne à ranger ma frustration bien au fond de mon sternum avant de l’aborder « Sameer Ahmad ? », le mec fait demi-tour, j’hésite à prendre cela comme une invitation ou une fin de non-recevoir cordiale. J’opte pour le premier choix et traverse la cuisine, je glisse sur une tête de coq et me rattrape sur une flaque de sang dont la texture n’offre aucune assurance sur la fraicheur de la marchandise. Comme alternative à une défenestration ou un aller sous les roues du métro, vous ne trouverez pas mieux pour finir au Père Lachaise. On longue un couloir sans fin non pas par la distance mais le nombre d’obstacle à passer pour déboucher enfin sur un vestibule au néon rouge surement un effet se style imposé par la mégère faisant office de taulière qui s’y trouvé assise sur une chaise haute. Ça sent l’huile de massage et le foutre, tu rentres là-dedans avec un blocage d’un dos et t’en ressort avec mais les bourses massées par ces femmes victimes de l’esclavage moderne. Le mec m’indique une cabine et je me dis qu’Ahmad doit avoir une vision bien particulière de cet amour suprême.
A peine ai-je le temps de visualiser la pièce que je me reçois un jet d’eau tiède dans les yeux, l’odeur rance qui monte directement à mes narines m’alerte et comme un con j’essaie d’enlever de mes mains l’urine qui dégouline mon visage. Je m’affale sur le rockin chair continuant à alterner entre spasme physique de dégoût et cri aigu de honte. J’ouvre les yeux pour me retrouver nez à nez face à l’origine du monde perlant de cette femme fontaine attachée par des chaines en or ou en toc au plafond. Humilié je ressors de la pièce cherchant n’importe quel type de liquide qui pourrait laver cet affront. Je commence à gueuler à deux doigts de foutre dans la gueule du mec digne d’un ¾ Samoa qui m’a foutu dans cette pièce. Doté d’une dernière once de réflexion mes poings ne montent pas plus que mes mots évitant ainsi un mélange de mon propre sang au liquide intime de cette pseudo femme fontaine. Voulant comprendre, je lâche un très fulgurant « What the fuck ???? », la macrelle me répond avec autant d’aplomb « You Say Sameer Ahmad, that Sameer Ahmad, now pay for this ». Je lâche, défaitiste d’avance, mon flouze afin de m’extirper de cet asile de fou. Sur le trottoir la nuit est douce, l’urine me fait l’impression d’un masque sirupeux sur le visage, je vomis ce qui n’a pas pour effet d’ôter cette ignoble sensation. Les mouches tournois autour de moi comme des vautours, j’appelle Larry « c’est quoi ton problème, espèce de macaque de mes deux, je pète le cerveau à la recherche d’une ombre n’ayant comme résultat que mes longues nuit d’insomnie à cause de ce putain de décalage horaire et tu me files un tuyau pour que je me fasse pisser dessus ». Je déblatère comme un pilier de comptoir qui se fait virer du balto, Larry la ferme attendant que l’ébullition retombe. J’ai fait le tour de mon dictionnaire d’insulte et j’ai l’impression d’être le plus con des deux. Larry mesure ses mots et m’explique que la source lui avait été donnée par un évangéliste qu’il avait croisé à l’Arche Cafétaria sur l’autoroute A3. Je raccroche, éberlué par la logique de toute cette histoire me demandant au passage ce que j’avais foutu de mon sac de course depuis. N’ayant plus le courage d’avoir une quelconque once de dignité, j’entre à nouveau dans le resto, commande un canard laqué et des nouilles sautées.
Partie 6 : Retour à Montpellier – Clément
Tant de kilomètres parcourus, de piste suivis en vain, pour rien. De retour à Montpellier, Larry dresse le bilan de sa traque et renonce à tomber un jour sur Ahmad. Embarqué par un texto dans un dernier barouf d’honneur, Larry, entre JetLag et résignation s’interroge une dernière fois sur sa quête de l’Amour Suprême. L’empire de la sensualité ultime. Les rapports humains. L’amitié. Et si et Sameer ne venait pas ? Et si Ahmad n’avait jamais existé ?
Après un rapide survol de l’Hérault, l’avion arriva à l’heure. Larry s’éveilla doucement après avoir tenté de récupérer du jet lag par une courte sieste pas réparatrice du tout, le temps d’un Paris-Maugio. L’épuisement est total. Quelle heure est-il ? Ou sommes nous ? Rien n’est moins certain que la brouillardeuse réalité. Cet endroit merveilleux et instable situé en éveil et sommeil. Impossible d’avoir des réponses fiables pour l’instant.
Débarquant un à un, les congénères de vol de ce bon vieux Larry ne parurent pas étonnés de voyager aux cotés d’un macaque grimmé, casque et casquette vissés, lunettes fumées. Notre reporter de l’extrême avait déjà la clope au bec le pied posé dans le couloir desservant l’avion. Après que l’hôtesse lui ait gentillement rappelé qu’il était interdit de fumer au sein de l’aéroport avec un sourire de commercial sur vol l’étant tout autant, le singe grognât. Un peu quoi. Juste ce qu’il fallait de chaffouin pour manifester un mécontentement frustré.
Ahmad devait attendre Larry au Trib’s. Et comme prévu, il n’était pas là. Il fallait s’y attendre. A la recherche de l’Amour Suprême, on faisait fi de l’heure et des conventions. Larry prit place sur une table au plus prèt du bar et choisit un siège au dossier vert.
-C’est la couleur de l’espoir, parait-il…
Prenant ses aises, il déposa i-phone, casque et larfeuille sur la table. Alors qu’il avait descendu ses lunettes au bout de son nez en balayant le hall du regard, un serveur vint troublé Larry dans sa douce quiétude.
-Bonjour Monsieur, qu’est ce que je vous sers ?
Décidément, personne ne s’étonnait de rencontrer un singe attablé au beau milieu d’un aéroport.
-Un café, un croissant et… mettez mois un jus d’orange siouplé.
-Monsieur désire une formule petit déjeuner ? Elle est à 8€40 !
-Ouai, monsieur désire. Faites moi ça, vous s’rez gentil.
A peine le serveur avait-il tourné les talons que le téléphone vibra, comme un brusque retour à la réalité. C’était Sameer. « Petit contre temps. On se retrouve à Comédie ». Après avoir avalé son infecte formule « petit déjeuner à 8€40 » et laissé dix sacs sur la table, Larry rangeât soigneusement le ticket dans son portefeuille. Les notes de frais à envoyer à Flo… Il se leva en direction des portes battantes de la sortie quand nouveau sms arriva. « Je crois que je l’ai trouvé, j’te raconte ça tout à lheure… ». Larry laissa s’afficher un sourire aux dents jaunis par le tabac et la mauvaise hygiène bucco-dentaire des primates.
Sur la route jusqu’en centre ville, le Uber filait à toute berzingue. Seul le bruit des cigales couvrait le ronron du moteur de la berline allemande. Larry regarda par la fenêtre et se surprit à rêver. Là haut, tout là haut, sur un étrange planète, existerait il un autre petit singe astronaute ? Artiste de la paix, dessinant à l’encre de gouttes de pluie pourpres ? Les années lumières qui nous séparent nous rapprochent pourtant tellement de la Suprème découverte. L’Amour et des coups verts.
« Je crois que c’est à la mi septembre 96 que tout cela a débuté. » songea Larry à voix basse. L’Amour Suprême entra dans les rangs par la force, et dans les cœurs avec douceur. Rituels chamaniques des marécages, rôdent, rôdent les crococos. A l’extérieur, les cigales font toujours claquer leurs langues. Il était encore l’heure à laquelle la lune se couche et on pouvait, si on y étais aux fait, encore deviner la position des étoiles. Une bien jolie tambouille au dessus de nos têtes.
-Comédie m’sieur ?
Pour Larry, atterrissage fut brusque . Tiré de sa torpeur par un chauffeur indélicat ; Ouai, on arrivait bientôt. « Mamène… ». Descendant le rue de la Loge et ses pavés étincelants, la Mercedes s’arrêta au niveau de la fontaine des Trois Grâces. Alors que Larry mit pied à terre, l’éclat d’un 9mm se fit entendre au loin. Ça ou autre chose, on restait dans l’agression sonore. Il décida donc de remettre son casque et de se passer le dernier album de Nakk. Se retournant, il pu distinguer derrière le carrousel, à gauche sur la façade du Monoprix, écrit en rouge et en lettres capitales « Vive le roi Ahmad ». Pas de doutes, il avait été parachuté sur la bonne zone. Remontant son sac sur l’épaule, Larry entreprit une déambulation nonchalante le long de la place de la Comédie, dans l’espoir d’apercevoir Sameer. Ce dernier avait la réputation de traîner ses basques dans le coin, à errer sans but mais toujours l’air heureux. Du moins, c’est ce qui se disait. Il existait même de sombres histoires de bastons de regards s’étant terminé en duel au fleuret dans un esprit très Coubertin. Pique comme une abeille… Le podium sera astral ou ne sera pas. Justement, Nakk enchaîna parfaitement.
Le temps passait, et toujours pas de nouvelles. Larry se dirigeât vers l’ombrageuse rue Baudin, dans laquelle dépassait de la façade une enseigne « Hôtel ». Une petite sieste ne serait pas de refus en attendant des nouvelles d’Ahmad. Sur le panneau des clés derrière le comptoir, seule une était encore accrochée. Le petit bonhomme assis sur son tabouret ne fit pas d’histoire et pris si peu la peine de lever le nez de sa Gazette de Montpellier que Larry n’eut même pas à le remercier. Troisième sans ascenseur, c’était assez peu cher payé pour atteindre l’Amour Suprême. Un petit effort et on y serait. Baissant les yeux sur la clé, Larry lu 6 et marcha jusqu’à la chambre. Visiblement, la télé était restée allumée à l’intérieur et ça braillait. La porte n’étant pas verrouillée s’ouvrit sans mal. Incrédule, Larry fit alors face à une petit bonne femme agenouillée devant un vieux poste de télévision dont le volume avait été poussé au maximum. Elle était vêtue d’un t-shirt rose, portait une collier d’or et une coupe de cheveux punk toute droit sortie de la mode des années 80. Mais le plus surprenant était sans nul doute le fusil mitrailleur sur dimensionné qu’elle avait dans les bras. Il devait bien faire la moitié de sa taille et peser au moins aussi lourd qu’elle. La grosse tête d’un vieux cubain aux cheveux gominés et au visage grêlé sortit alors de l’encart d’une porte située sur la droite. Il arborait une hideuse chemise jaune moutarde dégueulasse et un pantalon de golf à carreau.
– C’est pour quoi ?- Lâcha l’homme avec un accent forcé qu’on eut cru sortir d’un film de gangster mal doublé.
-Ah, excusez moi, j’ai du me tromper de chambre. J’ai lu 6, ça devait être 9. J’ai pas les yeux en face des trous. Vous savez, le jetlag, tout ça quoi. Et puis j’ai mal dormi. On dort toujours un peu mal dans un avion. Les turbulences, les gosses qui chialent, les hôtesses et leurs plateau repas à la con. Vous voyez ?
-Dégage, ça vaut mieux pour toi.
-J’comptais pas m’éterniser. D’autant que visiblement j’dérange. J’suis pas du genre à m’imposer. J’vais vous laisser finir de bosser. Et puis on s’voit pus tard. On prendra une tasse au bar de l’hôtel, hein ? Allez, salut !
Avant de sortir, Larry avait pu voir la nuque d’un troisième homme, brun, adossé au mur de la salle de bain. Et se demandant à qui ça allait encore les chemises à fleurs, il repartit en direction de sa chambre. La 9, cette fois. Celle ci était bien fermée et la télé éteinte. L’heure allait enfin être au repos. On continuera à chercher demain. L’Amour Suprême, c’est bien beau, mais si Larry n’était pas au max de ses capacités physiques et intellectuelles, ça allait devenir compliqué pour suivre. Il s’allongea sur le lit sans prendre la peine de soulever les draps et laissa son esprit partir au loin. La terre comme royaume. L’empire de la sensualité ultime. Les rapports humains. L’Amour Suprême. L’amitié. Et si et Sameer ne venait pas ? Et si Ahmad n’avait jamais existé ?
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