Dans la chaleur d’une nuit estivale, deux étoiles illuminent un ciel d’une lueur sombre, mystique, aux relents schizophréniques. Une ondée nouvelle, lunaire, celle de deux frères qui se griment en hérétiques pour écrire un premier tome des Rezinscontes dans la spontanéité de leur rencontre. Des pages de sombre introspection, de fantasmes crus, de rêves jamais devenus adultes, mais plus encore, des pages d’amour.
La Terre a connu son lot de rotations, les pages de ce premier volume se sont cornées sous le poids de mes yeux, mais ces étoiles brillent d’une chaleur obsessionnelle. En cette chaude nuit de mai, une pluie de Météores s’abat quelque part entre Rennes, Angers, Pigalle et Montréal. En sortent deux êtres hybrides. Le premier a les membres hauts estropiés, l’un bricolé d’une lumineuse machine aux diodes multiples et l’autre alourdi d’un antique gramophone modernisé, « Rezo » me confie-t-il. Interrogateurs, mes yeux se posent sur celui qui, dans une lumière éthylique, l’accompagne. L’homme aux sons m’avoue dans un demi-souffle qu’il est bien nu sous sa salopette en jean élimé. « Oui, mais j’ai un bonnet » répond l’intéressé sans un regard vers moi, décrochant la lune de ses yeux enfantins et traçant dans la fumée de sa cigarette « Pepso », un mot, un nom, celui de l’autre moitié de l’entité qui conte. Une nouvelle histoire s’ouvre sous mes yeux, peut être celle d’Aurore, elle qui nous réveillera à l’aube.
Sur ce toit hors du temps Rezo déplie ses longs doigts sonores, alors que Pepso fait une rechute schizophrénique tel un capitaine Cousteau aviné à qui j’aurais volé une poupée. « Sale bâtard, hérétique, chien de la casse, hérétique » m’insurge-t-il avant de se reprendre, m’intimant alors de faire ma place dans leur épopée nuptiale. Hurlant à la lune sa folie d’enfant adultéré et autodidacte n’ayant « jamais eu peur de pleurer devant une fille » voulant simplement « tomber amoureux mille fois »… Les lampadaires plongent la ville dans une torpeur que lui entonne, d’une voix braillant à qui veut l’entendre, que Caligula n’est plus et qu’il sera seul, empereur de l’orgie romaine qui s’annonce, vautré dans la luxure de cette Rezinshit. La nuit sera longue, il n’y en aura pas mille mais une, avant que la terre ne redevienne bleue comme une orange.
Déambulant en nous saoûlant sur les pavés, nous croisons une petite fille aux allumettes salvatrices pour nos cigarettes, les deux dernières avant que « La Nuit S’arrête ». Une mélopée ibérique fait vibrer ses cordes vocales quand ses yeux croisent ceux de Stavinsky. Tombant en amour, il hésite à la poursuivre lorsque celle-ci s’enfuit dans le dédale des impasses. Lui sait qu’ils sont « déjà pleins dans [sa] tête à [lui] faire la guerre » mais en repensant à toutes ces soirées ulcérées et fourbues d’excès où l’amour lui a échappé, il jette belliqueusement son tesson. Des ombres s’arrêtent et mélancolique ils s’adressent à elles, laconique : « Foutez-moi la paix !». La tête basse, les passants s’en vont. Solitaire, le visage de Pepso s’adoucit, s’illumine d’un sourire étoilé et alors je le vois divaguer, tirer des plans sur la météorite et nous conter tout ce qu’ils feraient s’ils se retrouvaient. Nous reprenons notre route, je souris lorsque je l’entends crier dans le vent « on ne laissera pas un bout de latex déchirer le feu de l’action cette nuit ».
Les déclarations utopiques et désormais chimériques me rendent perplexe, soucieux pour sa santé mentale enfantine, et alors il me rassure, éludant, voulant partager « juste l’effet miroir d’une dernière folie d’un soir ». Maquillant sa solitude en embrassant une bouteille de tequila, l’homme au bonnet d’âne se trouve ce soir être ange. Hasardeusement, sur le fait d’une église, la jolie môme hispanique balance ses pieds hors d’atteinte nous indiquant que « ce n’est pas le ciel qui crie, [mais que] c’est la lune qui réfléchit ». Sautant sur cette occasion inespérée, il lui demande son nom « Ourdia » dit-elle en disparaissant dans un éclat de rire « je ne sais plus comment tu t’appelles, je l’avoue, je m’en fous ».
Le silence se fait criant, seulement brisé par le gaz s’échappant de nos canettes. Rezo passe un nouveau disque alors que nous tournons en rond. Une mélopée lente épaulée par un breakbeat que viennent chatoyer des voix lointaines et abyssales. Notre empereur déchu et en mal d’amour prend alors l’initiative de nous mener vers les ancestrales rues des louves, cherchant à trouver la joie d’une fille pour honnir le KO. Sur la route, Pepso se fait plus introspectif que jamais jusqu’à « ressasser la nostalgie du passé qui macère au fond du verre, tel du sucre sur une tranche de citron déshydraté »… Des problèmes d’alcool au besoin de se désinhiber, d’un manque sexuel criant aux fantasmes les plus obscènes, il revient sur une vie d’excès à l’aube de ses 30 balais. Au détour d’une rue, un marginal nous accoste, Stavinsky reconnait K.Oni à sa voix lancinante. Un double constat sans appel lorsque le saxophone tire ses dernières notes à la lune, partout, tout le temps, ce même besoin de s’évader dans les paradis artificiels et tous les soirs s’user, sortir et s’arracher la tête pour contrer une misanthropie rongeante. Pigalle n’est plus la même pour ces amoureux de la ville lumière perdue dans sa pénombre tant « la seule extravagance qui se dessine [à nous est] de croiser Philippe Catherine sous extasy sur un vélib ».
S’écroulant Place Lino Ventura, Pepso redevient Benjamin une fois défait de ses habits d’impromptu. Se confiant à moi d’une voix blanche, il me conte son idylle avec une muse que je m’imagine jeune, les cheveux fauves et d’or, au regard plus chaud que la braise de sa cigarette d’où s’échappe un rayon de fumée masquant son minois. Cette même jolie dont la voix hante son esprit d’un ordre inexorable, deux mots faisant tomber l’amour : « Quitte-moi. ». Éternels amoureux, l’hérétique bande désormais mou épris d’un manque chronique causé par une errance sans fin, guidé par un espoir vain. L’hérétique redevient homme dans la simplicité de son désarroi, tirant les forces de se relever dans l’écho d’une dernière mélopée.
Dans une ruelle voisine, les petits pains blancs qui scintillent au sol nous mènent vers un loup sorti de sa forêt blanche de Chapelet les Halles, le Hustler du quartier, Grems de son patronyme, se dresse devant nous, provoquant Pepso pour un hommage houleux à la défaite des rappeurs spés que sont les rappeurs blancs. Entre égotrips militarisés et cruelles désillusions, humour et cynisme, insolence et dégoût, les deux jongleurs se lancent des rimes incendiaires puisque d’autres ont « fourrés la crémière pour qu’elle accouche d’un million de connards ». D’Eminem à James Dean, cette nuit nous fêtons, tels 4 mousquetaires, les 20 ans d’un rap blanchi « collé à une époque [qu’il] n’a pas connu ». Je me sens traîner avec des grands rois détrônés de leur art, mais fidèles à une passion qui les mut puisqu’ils continuent de faire ce qu’ils aiment, les couilles à l’air, loin des sphères bienséantes de journalistes en manque de sensations à qui ils offrent un thé à la pisse. Une semi-craquante sous le jean, cette rencontre à des allures d’expiation salvatrice face à « l’imposture de la posture ».
Dopés par cet épisode, nous plongeons au galop dans les caves de Paris tels 3 étalons de la compagnie Bartabas prêts à un spectacle de haute voltige, tant qu’il y a de la MDMA partout et pourvu que les bras bougent. Le mot d’ordre est donné, les hérétiques sont survoltés et je me joins à eux face à cette masse qui « bastonne, consomme, prend la came, destroy l’encéphale, bosse dur pour la maille ». En somme, ces ordures dégradables en costume de travail que notre arrivée repousse dans l’ombre des néons de cette boîte glauque. Seul au milieu du dancefloor, Pepso est inondé de la lumière sonore que projette Rezo en ayant chassé le discjockey coké. S’assurant que chacun de ces losers de « classe moy » ait pris pour son grade, je contemple stupéfait mon guide nuptial qui me transmet sa virulence véridique. La hype est outrée, les êtres hybrides sont contentés. Mais bien vite, nous voilà empoignés par des armoires à glaces qui sans remords ni ménagement nous jettent de ce récif à rafiots. Nous atterrissons sonnés, le cul dans la neige d’une rue de Québec… Le froid nous enivre dans la chaleur de l’adrénaline nouvelle, tandis que le belvédère de Montreal nous couve de son regard lunaire.
Harassés mais pas en reste, le duo prend péniblement le sentier menant au sommet de la terrasse, je les suis encore pour observer et voir où prendront fin les dernières lueurs de la nuit. Pepso « danse tout nu sous la foudre, attend un éclair de génie » et se livre à sa cavalière d’un soir, la belle Andréa qui a élu domicile au fait de la ville. Noyé dans les excès, je ne me souviens même plus de comment celle-ci nous a rejoint, mais elle est là. Elle qui n’est plus une jolie môme mais une belle femme, elle l’épouse d’un richissime montréalais, elle qui succombe pour un soir aux avances d’un angevin aviné. Benjamin avoue ses tares, ses obsessions, ses besoins et ses utopies puisque « l’on ne fait pas de plans sur la comète quand on choisit d’être une étoile filante ». Poète crachant sur la tombe de Baudelaire, écrivain se suicidant avant la dernière ligne, il rend éloge à la nuit, sa nuit, la mère de tous ses fantasmes. Dans un demi souffle, je lui glisse « Benjamin parler des filles c’est bien, en parler avec elles c’est mieux ». Il me regarde et je vois que l’enfant est adulte, alors la foudre le frappe dans les rayons solaires naissants et dans un dernier adieu à Andréa, à moi, nouvellement hérétique et à la terre, il avoue que « quand on court après la romance, tomber en amour est une savoureuse souffrance, l’incandescence n’a pas de cœur à prendre ».
L’hérétique que je suis devenu n’a qu’un constat face au soleil perçant la nuit, repensant à celui qu’il était en cette hybride compagnie, il élude silencieusement que cette nuit-là « ils se marrèrent et burent heureux. »
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