Requiem : La longueur de la laisse contre l’épaisseur de la liasse

In Chroniques by Florian ReapHitLeave a Comment

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Pour un blogueur musical, ou pour tout auditeur de rap français, écrire sur Lino n’est jamais chose aisée. La liberté d’expression, ici aussi, connaissant quelques restrictions. Si l’ensemble de la sphère rapologique semble s’entendre sans trop de difficultés sur le fait que Bors fasse partie des grandes plumes de ce rap jeu, s’attaquer au prophète, c’est à coup sûr s’attirer les foudres de quelques irréductibles inconscients. Chacun y allant de son poncif et phrases toutes faites pour expliquer pourquoi, ce petit quarantenaire attaqué par la vie, survole autant ses pairs.

Le degré d’alcoolémie étant trop souvent en corrélation avec la pertinence de l’argumentation, ces interminables débats se terminent chez nous inéluctablement de la même façon : « Tais toi Lino, c’est le meilleur et puis c’est tout… Tchh Tchh ». Une certitude scandée comme une incantation, une lueur d’espoir pour calmer nos craintes, guérir nos peurs, face à un rap français que l’on ne reconnait plus : Mr Bors incarne notre dernier garde boue.

Pourtant, inutile de passer par quatre chemins pour rappeler ce que nos collègues de Captcha ont déjà démontré. Requiem est une déception. Non pas un mauvais disque, mais un album en demie-teinte, dont il est presque impossible de ressortir sans un violent pincement au cœur, une amère rancœur. Dix ans après nous avoir chié son dernier classique, trois ans après avoir couché tout le rap français avec des chutes de studio, Lino nous offre avec Requiem un « tour de montagnes russes ».

« J’étouffe dans l’air du temps, le talent, c’est mon seul fond d’commerce. »

Mr Bors c’est avant tout une voix unique, un charisme inégalable et une attitude de sale gamin arrogant qui ne l’ont jamais quitté. Un vécu qui pue le macadam et le La Maunie, une plume instinctive et une carrière qui a elle seule nous fait parcourir les plus belles heures du rap français. Disons le clairement, Lino est un mythe, et il pourrait réciter Mein Kampf sur un sample bavarois que je trouverais encore le moyen de bouger la tête.

Pourtant, tout comme le choix cornélien suggérée par la pochette, l’album se construit autour d’une dualité permanente. Une opposition de ton, d’intention, de discours parfois, mais surtout de public, qui parcourt l’ensemble des 17 titres de Requiem. A tel point que l’album pourrait presque être analysé comme deux EP distincts.

Avec RequiemLino se dépeint comme la grande faucheuse venu rendre son jugement sur le rap français, ses dérives et son devenir. A travers des instru sombres et homogènes, à l’ambiance macabre, Bors nous délecte d’attaques cinglantes à l’humour noir et au cynisme qui font mouche. Dès « Choc Funèbre » le MC prévient « J’ai pris ma distance avec le game, je reviens lacérer les rappeurs ». Paroles sans concession et placements incisifs, la machine fonctionne encore, et Lino s’acharne sur les quatre premiers titres à nous prouver… qu’il n’a plus rien à prouver. Lino est beau, Lino est grand, Lino sait toujours écrire, et sur ce point s’avouer déçu ne serait que mesquinerie et aigreur déplacée.

En vérité, Requiem est un excellent EP. Impossible de ne pas se délecter bouche bée des assonances extraterrestres de « 12ème Lettre » et ses 5 minutes de démonstration technique impressionnante, ni de reconnaitre que « Suicide commercial » est un maître étalon qui fera date dans la carrière du Val d’Oiseur. « VLB » est une vraie prise de risque, et Lino prouve gentiment qu’il est capable de flirter avec les sonorités actuelles avec suffisamment de brio pour avoir l’intelligence de ne pas tomber dedans. « Le flingue à Renaud » est une cours de récréation et le thème de « Ne m’appelle plus rappeur » lui va comme un gant et permet à Lino de déverser – soutenu par Calbo et T Killa – quelques gouttes d’Arsenik sur un rap français qu’il domine avec dédain. Mais le featuring le plus intéressant est à chercher du coté de Sofiane et Niro pour un « Narco » street, violent, terriblement efficace.

Malheureusement, si l’envie de distribuer quelques baffes et de confirmer son statut de plume du rap français est clairement audible chez notre MC, rien ne semble fait pour l’aider dans sa quête. Lino est seul. Seul contre tous, seul à ramer dans sa galère, le boulet de ses instrus accroché aux pieds. Difficile de faire plus interchangeable et monotone que les productions de Requiem. Alors oui, le piano et le violon sont de jolis instruments, et non, la virilité de Lino n’est pas en mise en cause, mais un peu de couilles dans les instrus aurait sans doute aidé à appuyer le discours.

« Je suis là où je veux être, et d’ailleurs qu’est-ce que ça peut te foutre ? »

Pourtant combatif, face à un tel niveau de médiocrité musicale, Lino lâche prise et dans une seconde partie de l’album – ce deuxième EP – la direction artistique lui échappe. Les prods ne crevaient déjà pas le plafond, ici nous creusons et passer de « Suicide Commercial » au « Jardin des ombres » ça vous fait débander comme un téléphone rose en québécois, comme dirait l’autre. Mais quitte à plonger, autant ne pas couler seul. Plus on est de fous, plus on rit et au grand bal de la médiocrité, des rimes insipides et des refrains immondes, Youssoupha et Zahosont les invités d’honneur. Et ça, Corneille ne le supporte pas, les featurings de merde, il maitrise, il connait, croix de bois croix de fer, il ne se fera pas voler la vedette. Ni une ni deux, il jette une pelle à Manon, jeune couineuse de son état et lui lance paniqué : « Tais toi et creuse. Creuse, comme tu n’as jamais creusé. C’est la seule solution pour que l’on nous cite dans une chronique ».

Clarifions le propos et arrêtons cette plume insolente. L’intention n’est pas ici d’affirmer un rejet viscéral pour les crossovers musicaux, ni même d’évoquer un dégout des plus total pour les refrains r&b ou chanté façon 90′s (ceux-là même que nous analysions dans notre article Homme-Femme : D’une imagerie à l’autremais par pitié, dénichez nous des gens qui savent chanter ! Un interprète avec une vraie personnalité vocale, une couleur musicale réelle et affirmée. Un artiste. Peut-on imaginer une autre raison qu’une demande d’Universal pour justifier la présence de Zaho sur l’album ? Peut-on espérer qu’il l’ai au moins sautée pour justifier son accord ? Aux antipodes de l’ambiance souhaitée par ce Requiem, ces piètres tentatives d’ouvrir l’album à un autre public, et aux formats radios nous font grincer des dents.

Difficile après cette soupe, de donner aux paroles de « Suicide Commercial » tout le crédit qu’elles méritent. Pourtant, dire qu’un album de Lino comporte de grosses lignes, un style d’écriture irréprochable, du remplissage de haut niveau, des refrains hideux et des prods bas de game, s’applique à plus petite échelle à chacun de ses projets. « Regarde le monde » sur le Quelque chose a survécu valait déjà son pesant d’or en 2002. Mais alors si Lino a fait du Lino, si il reste fidèle à lui-même et réussit, malgré une direction artistique déplorable, à nous prouver, à nouveau, toute l’étendue de son talent, pourquoi être déçu ? Parce que Lino n’a pas surpris.

Cela fait bien longtemps que Bors n’a plus rien à prouver, si ce n’est sa capacité à se renouveler. Passé le cap de la quarantaine, Lino aurait pu tenter de prendre des risques, s’affranchir des codes qu’il a lui même contribué à créer, et à nouveau prouver sa capacité à s’imposer comme un leader d’opinion musical, dans un registre moins évident que celui qui nous a été offert. Pourtant, les rares prisent de risques qui parsèment les 17 titres de Requiem sont de vraies réussites, à l’instar de « VLB » ou « Narco » .

Oui mais voilà, le challenge qu’a choisi Lino pour son retour est tout autre, et le véritable enjeu de Requiem semble être la conquête d’un nouveau public, trop jeune pour connaitre ses classiques – jusqu’à utiliser John Rachid pour des interludes d’une rare platitude – tout en contentant suffisamment ses fans. Un album coincé entre la longueur de la laisse et l’épaisseur de la liasse…

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