Bron, Gray, Scott, Rice, et tant d’autres, des noms d’hommes noirs américains morts lors de rixes avec les forces policières, ou par la brutalité policière pour les plus radicaux. Des événements tragiques venus ramener les vieux fantômes de lutte raciale au sein des USA. La cristallisation de la société américaine actuelle, sous couvert d’un modèle de communautarisme bien ancré, renvoie clairement aux combats de la lutte des civil rights qui ont marqué la majorité de l’histoire américaine du 20ème. Le rap, capitaliste ou non, commercial ou non, celui qu’on s’amuse à diffamer par tout moyen, a toujours trouvé sa genèse à travers ces luttes.
D’abord dans une lutte égalitaire des droits civiques pendant la décennie des années 80, puis dans une lutte qui réclamait bien plus que l’égalité civile via la génération des MC’s des années 90. La volonté absolue de tout rafler qui, à petit feu, a fini par faire oublier le traitement égalitaire au détriment de l’enrichissement absolu dès la fin de la première décennie du 21ème siècle, pour nous trouver aujourd’hui autour du culte absolu de la monnaie, quitte à tomber dans le ridicule et finir par revenir au rôle de « nègre de service ».
Parmi ces quarante années de mutation, Public Enemy s’est constamment posé comme la base de la lutte : éléments bruts, frontaux et amateurs de thèses conspirationnistes, Public Enemy était ce nationalisme noir dérangeant face au suprématisme WASP. 40 ans fondés sur ces mêmes bases, sauf que les années passant, Public Enemy ne dérange plus, ne bouscule plus. Le travail de sape du dollar roi dans l’industrie rap a fini par les foutre au placard. Personae non grata, PE a suivi sa ligne exclu de l’intérêt général, devant sa survie à un public fidèle mais plus spectateur qu’acteur. Les événements actuels aux USA sont donc en quelque sorte une aubaine pour le groupe afin de pouvoir montrer une voix plus radicale que les quelques balbutiements contestataires de la nouvelle génération. Man Plans God Laughs, 13ème album du groupe, arrive à point nommé.
Quand Public Enemy enfantait des Paris, des Ice Cube ou des Dead Prez, le rap actuel venait casser toute âme contestataire à sa génération en nous larguant des embryons non viables et complètement apolitiques dont les leaders se nomment Joey Bada$$ et Kendrick Lamar. Pour le premier, la lutte se résume à un action aussi fracassante qu’un pet de chatte via le morceau No 99, track où Joey nous explique qu’il est pas trop content du traitement des forces policières et que le monde serait bien plus sympa avec des câlins plutôt qu’à coups de clef bras mortelles. Le second, sa mutation d’homme à petit papillon multicolore le fait se questionner sur sa propre condition, « puis-je continuer à claquer ma thune pendant qu’un homme crève à mes pieds ? », la réponse semble être oui, mais sa conscience aussi fragile qu’un coquelicot que l’on vient de cueillir l’oblige à apostropher le monde pour que l’on règle le problème sans lui (on ne reviendra même pas sur le sommet de pauvreté lyricale qu’est King Kunta). « So, its cool to be black » pourrait fredonner les deux tasses à porcelaine, ce à quoi Chuck D répond « until it’s time to be black », un constat simple mais qui vise directement l’artère fémorale du passéisme actuel.
Il n’en fallait donc pas plus pour mettre en rogne Chuck D, le pousser à redevenir cette « fear of a black planet » 25 ans après, sauf que l’ennemi n’a plus d’étiquette raciale depuis bien longtemps. Le combat ne se vulgarise plus uniquement à black VS white, mais bien à un combat général contre la diabolisation actuelle. Vindicatif et monté à chaud, Chuck D vise large en essayant de ramener vision individualiste à combat collectif, un discours toujours trop en décalage avec la société actuelle et qui ne trouvera aucun écho chez la jeunesse actuelle. Chuck D reste ce fameux radical anti-conventionnel, mais surtout non-objectif quand il retombe dans son nationalisme black, tapant la surenchère jusqu’à aller défendre Bill Cosby (non pas pour les faits reprochés, mais sur le seul motif de la couleur de la peau) et finissant par tomber dans du pro-black primaire sans intérêt, mais toutefois bien moins ridicule qu’un New Slaves de Kanye West. 24 minutes de bourrinage revendicatif suffisent amplement à faire passer le message, même si l’on ne peut pas appeler ça un vrai album, avec des morceaux peinant à dépasser les 2 minutes.
Mais Man Plans God Laughts n’est pas un mauvais disque parce qu’il fait du Public Enemy, ou parce qu’il tape dans un radicalisme excessif. Non, cet album manque clairement d’une vision musicale qui réponde aux messages d’engagement. Ici, on assiste plutôt au dernier souffle du Bomb Squad dans son processus de création musicale. Sous couvert de vouloir sonner plus actuel, G-Wiz, rescapé du Bomb Squad et seul aux manettes de l’album, offre une palette musicale bien pâle, du Bomb Squad coupé à l’eau comme sur Those Who Know Who, du Bomb Squad sans créativité comme sur Honkey Talk Rules. Reste quelques moments punchy, mais avec modération, Mine Again et No Sympathy From The Devil ont cette vitalité nécessaire pour armer le discours de Chuck D.
Public Enemy reste ce groupe qui symbolise le mieux la combativité du rap. Et même si Flavor Flav a depuis longtemps gagné la bataille des idées face à Chuck D, le groupe continue à avancer, boitillant par moment, et considérant la guerre comme loin d’être terminée. Man Plans God Laughts reste un album honnête, mais clairement pas assez travaillé pour remuer le rap actuel. Joey et Kendrick peuvent donc continuer à distiller avec parcimonie leurs soubresauts contestataires sans avoir à se protéger d’un revers main droite bien tendue de Public Enemy.
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