Rocade de Rennes, une voiture en panne avance laborieusement poussée par 3 ombres qui se la joue collectif afin d’avancer vers la station-service la plus proche. L’enseigne brille d’un jaune électrique, et les lettres B.A.L.U.S.K semblent clignoter de manière nerveuse dans la grisaille industrielle. Le conducteur nous fixe du regard, prêt à remonter au volant d’une étrange 206 aussi sombre que la Peste Noire. Un des passagers fait le plein, le regard posé sur le compteur. L’autre est au téléphone hochant la tête sans prononcer un mot, avant de raccrocher au son d’un énigmatique « Dis-leur, Rien Ne Change». Ces visages me reviennent soudain en mémoire : ce sont ceux des échappés de l’Asile. Je décroche mon téléphone, le réseau est brouillé par une mélodie aussi aérienne que mécanique me plongeant dans ce qui semble être, au cœur d’une folie inavouée, leur Projet Initial.
Ce projet « arrive d’autre part [porté par] Skid, Lucio, Dj Baz, [voulant] deux fois plus le trône comme Anne de Bretagne ». Le tempo est donné, le triptyque rennais, première formation du groupe L’Asile revient en ayant ôté sa camisole de force et remet les pieds sur terre après s’être envolé en famille vers Oulan Bator. Le projet est entièrement produit par Dj Baz, qui fait preuve d’une polyvalence et d’une solide maîtrise du beatmaking aussi bien que du scratch. Le diamant de la platine s’agite avec efficacité pour venir ponctuer les refrains dualistes des deux MCs, comparses de longue date. C’est cette complicité et cette étonnante symbiose qui ressort dès la première écoute, tant la dimension d’album écrit à deux mains se fait prégnante. L’EP transpire d’une dimension scénique indéniable, il a été écrit pour être joué et faire trembler les planches des salles de concert du grand ouest. D’ailleurs, alors que « La foule se soulève, que toute la salle lève le bras Le B, le L, le S, dangereux comme la peste noire » sont bien partis pour propager ce poison aussi fiévreux qu’une rue de la soif un jeudi soir estudiantin.
D’un point de vue purement textuel, les deux rappeurs débutent sur un égotrip en bonne et due forme au flow affolant, empli de références à une pop culture qui ne les quitte jamais et fait mouche quand Lucio annonce « J’navigue entre l’aiguille d’l’horloge et la clepsydre/Yuri Orlov et Albert Fish, cocktails molotov, manneken pis ». Dealer de rimes ouvrant les yeux non sans mal, et dressant un constat social grisonnant se faisant parfois défaitiste, le duo n’a qu’un message face à un quotidien en impasse où « On t’propose une vie de chien, tout ça sans RTT/Voilà ton choix, c’est la SPA ou l’ASVP » alors Dis-Leur que l’alternative est réelle et que même si « l’omerta est certifiée, faudrait pas se faire niquer ».
La diatribe sociétale n’en finit pas, et le débat reprend à l’arrière de cette 206 roulant à pleine vitesse, tentant vainement de rattraper un temps filant bien trop vite. Sa dimension cyclique est indéniable, pareille à l’Ouroboros se mordant la queue tant Rien Ne Change « Depuis la physique quantique et l’église byzantine/ Jusqu’aux nano-technologies, tous ces clonages de masse/Le baromètre biologique au chômage, c’est le naufrage »… Toujours ce constat d’une jeunesse perdue et que l’on perd pour laquelle « rien ne change, mais tout évolue » en somme celle pour qui « le futur c’est le doute entre clair et obscur ».
S’extirpant enfin de ce mal-être, le trio revient avec son énergie communicative et ce feu fédérateur, porté par cette envie qui se la Joue Collectif où les deux rappeurs se renvoient la balle à merveille. L’EP se referme comme le coffre de la gova, sur un claquement bruyant faisant ressortir par les 6 lettres de BALUSK la triple entité que ces rennais forment. Entre éloge du temps passé et présent, d’une passion qui les mu et les transcende, ce morceau se fait une balade en hommage au chemin parcouru en équipe. Un dernier titre aux allures de départ en trombe dans un crissement de pneu, nous rappelant qu’il ne s’agit que du Projet Initial et que la suite est à retrouver à la pompe d’une future station puisque « La distance est longue » et qu’ils se disent « déjà trop vieux pour mourir jeunes ».
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