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Y a des flics partout, des sirènes de fou, on sent que la bavure approche, arrive tout près de chez nous ; Driver le rappait en 1997, et 20 ans après, même constat : police partout, justice nulle part, et rappeurs en première ligne. En 2015, on parle d’un décès par mois lors d’opérations de police ou de gendarmerie, les blessés sont nombreux, et l’impunité des forces de l’ordre, trop souvent totale. Et si ce n’est pas systématiquement le cas, pour certains cas de bavures, comme ceux d’Adama Traoré ou de Théo Luhaka, des rappeurs français lèvent la voix ou le poing, pour réclamer « Justice ».
19 juillet 2016, à Beaumont-Sur-Oise, Adama Traoré meurt entre les mains des gendarmes. L’affaire est médiatisée, une partie du rap français se mobilise, peu à peu, une vieille habitude forcée par les bavures à répétition que subissent les quartiers français. Le hashtag #JusticePourAdama tourne sur les réseaux, un concert s’organise à la Cigale, le 2 février 2017. Nombreux sont les rappeurs à s’être mobilisés : Mac Tyer, Kery James, Youssoupha, Medine, Sofiane, Ärsenik, Dosseh, Tito Prince, Black M…
Un grand moment de rap, où Fianso, rassembleur du 93, roi d’un conte de Ferrari, d’Ile de France et même d’ailleurs, fait monter les proches d’Adama sur scène avant un « Tout l’monde s’en fout » des plus émouvants. Eux ils trinquent à la vie, nous on trinque à la mort, son phrasé sonne vrai et sonne fort. Le concert est d’anthologie, mais malheureusement sa raison d’être est la mort, malheureusement ce n’est pas la première fois. Pour Clique, Medine ironise : « D’autres associations ont fait des concerts pour les mêmes raisons il y a 20 ans ici, dans la même salle ! ». L’Histoire se Répète, raillait Keny Arkana…
Le même jour, le 2 février, à Aulnay-Sous-Bois, Théo Luhaka est frappé et violé par les forces de l’ordre. Goutte de sang qui fait déborder le vase, contexte socio-politique, les raisons sont à chercher à la fois partout et nulle part ; la frustration, la douleur et la colère sont les principaux composants de ce mélange explosif qui embrase Aulnay, Bobigny ou Paris. « Théo et Adama nous rappellent pourquoi Zyed et Bouna couraient » « On est pas des bamboulas » ou « Mais qui nous protège de la police ? » : les banderoles sont significatives. Lors de la manifestation de soutien à Théo qui a lieu à Bobigny le 11 février, Sofiane, celui-là même qui s’arguait de préparer un putain d’coup d’Etat dans la cité dans « C’est nous les condés », se pose en médiateur entre forces de l’ordre et manifestants. A la suite d’un organisateur appelant les manifestants au calme, il lâche : « Moi j’veux pas faire le Malcolm X wallah, mais c’est vrai, il a raison, on est éduqués, c’est fini la sauvagerie (…) », et élève également la voix à l’avant du cortège pour calmer la rue.
Certaines personnalités, comme Youssoupha, se rendent au chevet de Théo. Nombreux sont les rappeurs qui ajoutent son prénom aux hashtags réclamant justice. Quartiers XXI, média d’information sur, pour, et par les quartiers populaires, lance un « Appel des artistes contre l’impunité des violences policières », dans lequel plus de 400 artistes et personnalités publiques prennent position, dont nombre de rappeurs.
Et Booba, depuis Miami, d’apporter son soutien, et pas des moindres, au mouvement amorcé en France. Sur Instagram, il s’élève, s’engage même dans cette énième affaire de bavure ; Booba politique, défier le Duc à mains nues on évite. Lorsque les forces de l’ordre plaident le geste accidentel, Kopp rétorque : « Quand ça va tenter l’émeute accidentelle on va voir c’que ça donne ». Puis, en légende d’une vidéo de bavure policière :« Arabes dans la seine, saluts nazis et cris de singes dans les stage, Guerlain nous traite de nègres au journal télévisé, matraque dans l’cul, bamboula c’est convenable, affaire Traoré…… Rendez-nous la justice on vous rendra la paix. ». Les références sont nombreuses et diverses, symboles d’une frustration sans cesse alimentée par de nouvelles injustices, violentes et trop souvent invisibilisées.
Durant ce mois de février 2017 également, le procès de Jo Le Phéno, pour incitation au meurtre et à la haine, pour « Bavure », reporté en septembre en l’absence de représentation d’un syndicat policier. Un cas de plus dans l’histoire opposant le rap à la justice, mais aussi, ici, opposant le rap à la police. Le rap représente, vit et survit à la rue, la police fait sa loi, ou, parfois, subit la rue ; le rapport est violent, depuis toujours, et inégal, très souvent.
Le rap français s’est, une fois encore, prononcé, élevé ou engagé contre les violences policières, comme acteur principal ou auxiliaire de mouvements populaires. Y voir un signe de bonne santé critique, politique, voire subversive, c’est nécessaire. Mais il est surtout indispensable de ne pas perdre de vue le principal problème : que le rap français ait encore à traiter des bavures policières, de la violence et de l’impunité dont bénéficient les forces de l’ordre. La Scred Connexion crachait en 2001 : Moi j’ai de la colère dans l’coeur quand je vois un flic meurtrier / Et des bavures étouffées, dossier classé et tiroir secret / Situation critique : un frère s’est fait buter / Y a trop d’histoires tragiques et de flics mutés / Encore une famille en larmes / Une perquis’ et des gendarmes / Encore une famille en deuil / Qui s’demande qui lui porte l’oeil / Encore des bagnoles qui brulent ce soir et des vitrines qui pètent / Et le rouges dans nos yeux c’est la haine qui se reflète / Police partout, mais justice nulle part. Et, en février 2017, il nous est impossible de contredire un seul de ces vers.
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