Comme pour l’album précédent, la sortie du nouveau disque de PNL est un événement. Et comme pour Le Monde Chico, les auditeurs seront partagés. Au sein de la rédaction, nous avons évidemment tous notre avis sur la question, et après l’écoute de Dans La Légende, voici quatre d’entre eux.
La légende raconte que la nuit ne tombe jamais sur Namek, trois soleils pour une journée éternelle. Elle raconte également que l’année y est plus courte, et que les Dragon Balls s’y régénèrent plus vite. PNL a eu Le Monde Chico et tout ce qu’il y a dedans, les boules de cristal ont été réunies, Shenron a été invoqué, leur vœu a été exaucé, ils ont mis les leurs à l’abri. Pourtant, le spleen revient, lancinant. Le cul sur une étoile filante, ils ne font plus de vœu, mais le bilan, les boules de cristal resteront dispersées, pour que sur la mif jamais ne retombe l’obscurité. Quant à la terre, au loin, elle se reflète sur les lunettes, les visages eux, restent pensifs. « J’voulais le monde, aujourd’hui je veux jongler avec, demain j’lui pisse dessus et j’pars sur Namek ». Demain c’était loin, et malgré un arrière-goût amer, demain les deux frères y seront, Dans La Légende.
N.O.S sort faire du cash et peut se taper de la couleur du ciel. Là-bas, loin sur Namek, il est éternellement vert. De ce même vert que la mer de billets dans laquelle il fait désormais des longueurs. Puisque les billets bleus sont devenus violets il peut s’apaiser, l’enfant est parti, avec lui ses craintes. Enfin il peut confier « Je n’ai plus peur du noir, je suis rassuré par le violet ». Entre bien et mal, paradis et enfer, les deux frères n’ont jamais choisi entre le crétinisme de la légalité ou le romantisme de l’illégalité. Tout romancer amèrement, voilà le substrat de ce qui suinte du stylo. Paradoxalement ou non, la musique ne se voit jamais élevée au rang d’art, reste seulement un moyen, un charbon comme un autre. « J’compte, j’vends. Un peu comme avant, un peu comme Adé. J’recompte, j’recompte mon cœur, J’fais mon beurre, jusqu’à ce que l’avenir ne leur fasse plus jamais peur ». Le nihilisme du désillusionné, le pragmatisme du billet. Au fond, c’est eux qui le disent le mieux, Tu Sais Pas. Car pour entrer Dans La Légende, le duo des Tarterets s’est défait du superficiel, se vide dans le cul de l’artificiel et s’offre le luxe de s’envoler en totale indé. Pour la famille, par la famille, CQFD.
Car c’est bien invariablement elle qui croque, alors quand la fratrie assume – « On dessert la ceinture, la banquière prend le tour de taille » – s’amorce une nouvelle vie pour la F. Projet après projet, le groupe nous avait habitué à œuvrer avec cet attachement intrinsèque à la famille, « Mira » en est la consécration. Hymne à la vie, la mère, la paix, le monde ; en somme, ce qui élève. Paroxysme métaphorique pour ceux qui se veulent « Plus Tony Que Sosa » que l’énième clin d’œil à Scarface dans l’utilisation du pélican. Alors oui, regarde Many : les pélicans s’envolent, pour que vole petit pélican ! C’est le sacrifice du grand qui permet au petit frère de briller. Comme l’oiseau, il nourrit sa famille et irait jusqu’à se percer la chair pour la nourrir de son sang. Référence religieuse au sacrifice du Christ, lourde de sens et allégorique au possible. Si PNL monte sur Namek, c’est pour le salut de la famille avant celui de l’humanité.
L’imagerie du groupe se développe en tendant vers une singularité propre, les paysages désertiques et naturels se succèdent déjà loin de la grise banlieue. Très effacés, souvent en retrait, les deux frères tranchent avec le cadre dans lequel ils évoluent. Symptomatique d’un changement certain d’univers, du besoin d’acclimatation à une vie changeante pour ceux qui disent revenir « des abysses [alors si] les bleus sont toujours au fond, maintenant [eux ont] la barre à 6 ». La Vie Est Belle, la vie est neuve « Y a que des neuch’, nous on est khabat, on se tape sur la plage ». Un sourire aux lèvres, un spliff à la main, les deux frères consument ce nouveau mode de vie dans l’ivresse de la découverte. Mais la médaille a son revers, et les vieux démons reviennent au galop, l’habitude du vice, les automatismes de banlieusards comme le quotidien de bicraveur reviennent et se font récurent comme une énième entrave au salut. Pareillement, Nabil à beau savoir que sa liasse à raison lorsque elle lui chuchote « tu finiras jamais seul« , l’amour reste un horizon idyllique. La femme apparaît dans leurs textes pour la première fois, mais reste comme inaccessible, la faute au succès puisque oui, « Elle est belle mais elle kiffe trop PNL, j’pourrais jamais lui présenter mes séquelles ». Je t’haine. Bataille des egos, entre fatalité et désillusion l’amour leur échappe, volé à Nabil et Tarik par Nos et Ademo.
Ademo voulait « Le Monde Ou Rien », il l’a eu et mieux encore, mais reste cet homme éternellement tourmenté par un spleen prégnant. Assumant un avant et un après, il ne peut s’empêcher de l’illustrer dans le passé par un habile jeu d’auto références « J’suis pas là mais VR continue de voter dans l’escalier, j’veux du L j’veux du V j’veux du G… Président, ta grand-mère. Rigolo, prononce mon blaze j’aimerai bien rigoler, Soleil sur la tess, ça lève les compét’. Mon hall, tu me manques, et tu le sais, j’m’en pète ». La nostalgie, toujours là, insidieuse mais aujourd’hui comptée avec une esquisse de sourire aux lèvres, pas de révolution, une évolution. Quand Le Monde Chico oscillait entre spleen et idéal, Dans La Légende dépeint le spleen de l’idéal. Le but est atteint, la famille est à l’abri, les liasses sont coffrées, l’histoire est écrite mais la réalité les rattrape, « du sucre dans [une] bouche amère ». Le syndrome de Peter Pan qui les hante se révèle, cristallisant l’amertume. Faire le million pour sortir la Sega, embrasser le succès pour retrouver une jeunesse morte, déjà. Mais dans la jungle, Mowgli a grandi, trop vite certes mais, irréversible, le temps détruit tout et cette utopie de revivre l’enfance se transforme en mirage. Alors vainement, les deux frères emplissent leur univers d’innombrables références, presque volées à l’enfance qu’ils n’ont pas eu. Nimbés dans la lumière de la lune et sur des arpèges de guitare rappelant l’atmosphère de la vallée de Gerudo, ils chevauchent Epona, la monture de Link en devenant mauvais comme Kratos. Spleenique, l’idéal n’est qu’une autre peine.
PNL a passé les portes de la Salle Du Temps, déposé la famille sur Namek alors « Garde le double des clefs, [il] quitte la Terre » pour rentrer Dans La Légende. Dans la capsule, le spleen et la mélancolie côtoient l’ivresse d’une nouvelle vie, « Le mal pour les biens, l’enfer pour le paradis ». Ceux qui ne baissent les bras que pour un Genkidama ont eu le monde et prennent l’univers. Droits et immobiles, ils contemplent la planète bleue en souriant à l’envers.
C’est peu de dire que la sortie de Dans la Légende était attendue au tournant. Par les amateurs de cloud made in Corbeil, et les autres. On suivait depuis des mois les supplications d’un public n’en pouvant plus d’attendre après l’énorme bombe que fut Le Monde Chico, qui eux-mêmes étaient divisés entre les espérants et les fatalistes. Deux visages d’un même public exigeant qui ne laissera rien passer. Après tout, c’est vrai, Vîrus avait bien généralisé la chose par « Tu m’as déçu comme un deuxième album, mais tu m’as pas surpris… », mais quand même, le phénomène est tel qu’il est impensable que tant de talent, tant de créativité se trouvent gâchés par la sortie d’un nouvel opus plus que moyen, voir même seulement passable.
ET BIEN NON ! Dans la Légende, c’est la confirmation. C’est le pressage bien costaud sur la plaquette. Alors bien sur, ceux qui n’aimaient pas avant resteront sur leurs positions, et leurs convictions se trouveront bien renforcées à grands coups d’arguments éculés, martelés maintes et maintes fois sur les deux frangins et le monde (Chico) qu’il construisent brique par brique depuis bientôt trois ans.
La légende, ils avaient déjà les deux pieds et le reste dedans. Le titre n’était pas une promesse, c’était une affirmation. Ils le savaient. Tout le monde le savait… Et l’album arrive, comme un cadeau qu’on avait commandé. On sait ce qu’il y’a dedans avant de l’ouvrir, mais le kif est là en déballant. Pas de surprise majeure, mais encore une fois, on est sur le fion quant aux prises de risque. Le virage, ça sera pour un autre tour. Pour le coup, la route est bien droite. Et quelle route ! Aires de repos sur mesure. Ça fait valser sur du dancehall sans pression aucune, mais ça ne cherche pas à chiner vers d’obscurs horizons. La ligne directrice est maintenue pour notre plus grand confort. On tourne en rond sur les thèmes et le vocabulaire, mais encore une fois, on en revient au Monde. C’est limpide de fou. Tout s’éclaire enfin. Nabil et Tarik vous guident vers la lumière à bord d’un vaisseau bien douillet. Un tour gratuit dans une galaxie mystique dont eux seuls possèdent les clés.
Ayant réussi le grand écart entre bobo urbanisé et frustré de son enfance dans un patelin de merde de la campagne française et la nouvelle génération urbaine dont le niveau d’utilisation d’onomatopée ferait rentrer les pires MC’s de la Mafia K’1 Fry à l’académie française, les PNL sont, qu’on le veuille ou non, le phénomène musical de ses deux dernières années. Du style d’écriture BEP électrotechnique à la fraîcheur de leur univers musical, en passant par une stratégie marketing plutôt audacieuse, le duo déroute autant qu’il fascine. Sans juste milieu, les deux frères sont une fracture interculturelle amenant autant de haine que d’admiration. Après avoir chié allègrement sur le buzz qui entourait leur second album Le Monde Chico, je serai complètement hypocrite de ne pas avouer avoir chopé le virus à force d’écoute. Ce n’est donc pas dans une atmosphère de pure haine que j’attendais le troisième essai des deux frères, intitulé avec sobriété Dans la Légende. Dans une communication simple et efficace, on s’attendait donc à être « sur une autre planète », à détenir un « nouvel OVNI », un truc charbonné de la pire espèce.
La fusée PNL est lancée, et prête direction l’infini, mais voilà, Dans La Légende est au rap ce que Space X est à l’aérospatiale. Le lancement à peine enclenché, l’album explose sur son pas de tir. La faute n’imcombe pas forcément au disque en lui-même, mais juste à un style qui n’évolue pas. PNL ne sait faire que du PNL au fond, et ce troisième album ne fait pas exception. L’effet de surprise n’est plus, l’univers musical n’évolue pas, et les thématiques restent dans la même veine que les deux premiers albums. Il y a incapacité à sortir de leur pré carré, ce qui risque à moyen terme de faire redescendre la pression autour du groupe. Là où le top du mainstream – à l’image de Booba – recherche continuellement à se calquer sur l’air du temps, pour le pire ou le moins pire, le produit PNL n’aura eu qu’une DLC de 2 ans, se périmant avec cet album. Si le succès de ce nouvel opus est d’ores et déjà acté, et leur donnera raison d’user la corde du filon juteux qu’ils se sont eux-mêmes bâtis, il est fort à parier que la curiosité du phénomène s’estompe.
Depuis le début, le but a toujours été le même. S’extraire de la tess, sortir du lot. Pas pour briller, mais pour mailler. Partir loin sur Namek, mais pas seul, la mif dans le deuxième vaisseau. Bientôt trois ans que PNL nous conte leur litanie. Ecrire l’histoire et le quotidien, construire sa part de mythe, entrer dans la légende, et être finalement quelqu’un, comme disait l’ancien.
Ça a commencé comme une petite voix, une suggestion. Quelques notes aériennes et des refrains chantonnés. Des productions synthétiques mêlées à de rares samples acoustiques, et d’innombrables envolées sous autotune. Des lyrics simples et sincères qui ont tout de suite marqué, ou fait parler. L’esquisse d’un nouveau son et, avec Triplego, l’une des premières expressions d’un cloud français. La petite voix s’est faite écho, et c’est bientôt tout le monde, Chico, qui ne parlait que de ça. Un univers et une imagerie marquée, extrêmement bien « vendue » et travaillée ont fait de PNL en quelques mois l’un des groupes les plus cohérents et intéressants de cette nouvelle époque du rap français. Véritable machine a hit, le premier album sera disque d’or avec une sortie indé. Le rap est à terre, le duo contemple.
Avec Dans la légende, les frères tentent une nouvelle foi la victoire par K.O. Si l’excitation du premier album, un an plus tard, est retombée, l’attente du public n’a pas disparu pour autant. Mais désormais rodé, et habitué à la capacité qu’à PNL de se réinventer, le couperet du jugement n’en sera que plus aiguisé. Ici pourtant pas de révolution, mais une sincère et franche évolution. Le terrain n’est plus à tenir, et les frères n’ont plus le même spleen à chanter. NOS et Ademo ne papotent plus avec leurs poches, les cliquos n’apparaissent plus à la lumière des réverbères. Bien sur, ils comptent toujours les billets, mais sans la peur du frigo vide ni celle de la perquise. « J’suis sur le cul d’une étoile filante. J’fais pas de vœux, j’fais le bilan. ». Sur seize titres, les frères ralentissent le temps et changent de rythme. S’éloignant un peu plus de codes qu’ils ont eux même détournés, Dans la légende se veut varié, et assume des sonorités qui n’auront été jusqu’ici qu’esquissées. Moins de rap, et des refrains chantés. Au point, sur certains morceaux, d’être déstabilisé par une première écoute compliquée. Pourtant, la concordance entre la production et les voix des deux rappeurs n’a jamais été aussi forte. En épurant d’avantage les flows, espaçant les placements, étirant leur syllabes, les voix se confondent à l’instrumentale, et le duo réussit à tirer le meilleur parti de ses productions. Au point que l’on se laisse vite rattraper par le charisme et l’aura qui se dégage de ces deux-là.
Malgré les innombrables clins d’œil aux morceaux passés, les ambiances douces amères du Monde Chico et son univers cruel et poétique laissent place sur l’ensemble de l’album à une relative sérénité. Non pas que Nos et Ad aient trouvé le bonheur recherché, mais au moins se sont ils rapprochés quelques peu de l’idéal depuis si longtemps esquissé. Sortis du hall et sur le trône, le duo s’autorise à penser à l’avenir et à la vie sous de meilleurs auspices. Les voyages et la découverte du monde, le combat contre ses démons, l’argent propre et l’éducation du petit frère, ou la construction d’une relation. Les séquelles s’estompent, et celui qui était dans le four, déjà mort, évoque aujourd’hui la paternité. Pourtant, le cynisme et le spleen d’antan sont toujours bel et bien présents. « Igo, j’suis dans un milieu d’hypocrites ». Toujours aussi conscient de leur phénomène, et aussi peu enclins à jouer le jeu de l’industrie, totalement inadapté au milieu auquel ils aspiraient pourtant, PNL énumèrent leurs faits d’armes avec un sentiment de victoire inachevée. « J’voulais le monde, j’le veux toujours oh oui ». Déjà nostalgiques du combat qu’ils ont mené, déçu de ne pas avoir assez maillé ou un peu trop brillé, PNL cherche avec Dans la légende un autre défi à relever. Car si la France est conquise et désormais territoire occupé, le monde lui reste encore à croquer.
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