Depuis l’apparition de « Bloqués » sur Canal Plus, l’univers des Casseurs Flowteurs tend à se développer dans le monde visuel. Mais les deux amis ne se sont pas contentés du format court, puisqu’ils sont allés jusqu’à passer l’étape du long-métrage avec Comment c’est loin. A l’annonce du pitch du film, on a très vite compris qu’on allait de nouveau s’attarder sur les années de galère d’Orelsan et Gringe, pour mieux décrire cette période difficile que traverse un certain nombre de jeunes aspirants artistes de leur génération : celle où l’on est supposés entrer dans la vie active et gagner sa croûte, mais où l’on ne veut pas faire une croix sur ses rêves. Le problème avec tout cela, c’est qu’on ne peut pas rester un aspirant toute sa vie, cantonné dans sa position d’éternel adolescent, et qu’au bout d’un moment, il faut bien se bouger le cul.
Riche programme donc, pour une nouvelle déclinaison du petit monde des Casseurs Flowteurs. Restait à voir s’ils allaient parvenir à éviter la redite, après avoir déjà cristallisé cette période de leur vie dans plusieurs œuvres, qu’elles soient musicales ou audiovisuelles.
Comment c’est loin, c’est donc l’histoire de deux losers post-post-ado (ça commence à faire) qui ont signés un contrat avec un petit label du coin. Cinq ans plus tard, alors qu’ils n’ont toujours rien enregistré de concret, les deux patrons du label décident de les virer et de récupérer leur matériel d’enregistrement. Orel’ et Gringe leur demandent une dernière chance : ils ont 24 heures pour faire un morceau pertinent et « qui parle à tout le monde ». Une mission difficile pour les deux potes dont le mode de vie est plus éparpillé que jamais…
Les deux jeunes rappeurs vont ainsi traverser bon nombre de non-aventures au travers de leur ville avant de toucher à leur but… Sortir manger un bout, aller bosser de nuit à l’hôtel, décider de bosser sous la pression des potes qui veulent aller boire un verre : tout se transforme en péripétie, mais cette fois, plus question de reculer, la deadline est bien là.
Comme prévu, le film comporte bien une grosse part de comédie, et les vannes fusent. On a à faire à quelques tentatives de blagues de mise en scène assez réussies, malheureusement, faute d’une véritable science du gag (réaliser une comédie, c’est pas si facile), tant dans la construction des historiettes que dans les cadrages, le film reste assez pauvre sur ce plan-là, et on se contente donc d’un comique de dialogue qui décroche assez peu de rires francs, mais qui fait indéniablement sourire à de nombreuses reprises.
Les fans du duo seront en tout cas bien servis, puisque de nombreuses séquences font directement références à des morceaux de l’album commun d’Orelsan et Gringe. De plus, on retrouve de bien belles scènes d’enregistrement, avec comme pic émotionnel, la séquence de conception du morceau final, qui aura hanté tout le film.
Là où Comment c’est loin surprend, c’est qu’il va beaucoup plus lorgner du côté du film indé doux-amer que de celui de la comédie pure. On pense parfois à certaines productions Apatow, et notamment à Step Brothers et son duo de frangins incapables de sortir de l’enfance, mais qui parviendront à employer leur gaminerie à des fins artistiques, ou encore aux Clerks de Kevin Smith dont le duo rappelle celui composé par les deux cannais. Dans son portrait générationnel, le premier long-métrage des Casseurs Flowteurs touche à une certaine mélancolie et dépeint des phénomènes sociologiques propres à la génération Y. On traverse bien toutes les étapes du disque, mais la rétine est finalement beaucoup plus marquée par la couleur de Des histoires à raconter ou par celle de A l’heure où je me couche que par les morceaux à tendance plus comique du duo.
Soulignons aussi l’audace d’être venu à bout de cette œuvre dans le paysage cinématographique français, dont les comédies ne se sont, à notre connaissance, jamais penchées sur cette catégorie sociologique de population qu’incarnent Orel’ et Gringe : une jeunesse provinciale paumée, aspirant à quelques chose de plus grand, mais abonnée à la procrastination. Une jeunesse constamment rattrapée par un mode de vie bordélique, toujours en train de fuir ses propres qualités, et se cantonnant malheureusement à sa médiocrité. Un petit vent d’air frais au milieu des deux catégories majoritaires de la comédie française : celle des petits films parisianistes et des rouleaux-compresseurs financés autour de gros noms tels que Jugnot ou Merad, et s’attardant bien trop souvent sur une petite-bourgeoisie quarantenaire finalement assez plate.
Comment c’est loin est donc assez rafraîchissant dans le paysage français et remplit tout à fait sa mission, allant même jusqu’à nous surprendre à quelques reprises. Le film a les limites que l’on pouvait attendre, celles d’un humour qui manque parfois de profondeur, faute d’une véritable métaphysique du rire, mais surpasse les attentes sur le plan émotionnel et dans sa construction globale. Mais surtout, il parvient à toucher à des choses que l’on ne traite quasiment jamais dans le cinéma français et qui font pourtant partie de notre pays… Sans atteindre des sommets, le film vaut largement le coup d’œil, tant pour les fans des Casseurs Flowteurs que pour ceux qui désireraient suivre l’évolution potentielle de la comédie française, car si le film marche, il pourrait bien ouvrir d’autres portes. C’est en tout cas clairement un pari réussi pour Orel’ et Gringe : reste maintenant à voir si ils parviendront à se libérer de cette image qu’ils se sont construite, et à développer de nouvelles thématiques.
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