Nusky & Vaati, super héros du quotidien

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Les duos rappeurs-compositeurs se répandent de plus en plus dans le rap français contemporain. On les retrouve régulièrement du côté des fanatiques de boom-bap, chez qui la formule est traditionnelle, mais il se développent aussi dans les marges et dans les plis, chez ceux qui, plutôt que de se concentrer sur une petite portion de terre, préfèrent étendre chaque jour un peu plus leur jardin. C’est le cas de Nusky & Vaati. Après un premier EP commun sorti il y a trois ans, sous le nom de Lecce, les deux compères présentaient Swuh, leur premier album, en juillet 2015. Ajoutons à cela quelques clips inspirés, des projets en solo, et une grosse poignée de concerts : Nusky et Vaati sont encore jeunes, mais démontrent chaque jour un peu plus l’étendue de leur univers.

Ce qui surprend à première vue lors de notre rencontre, c’est l’étonnante complicité des deux jeunes hommes, l’un venant toujours compléter la pensée de l’autre, rebondissant sur ses propos pour mieux les polir. L’alchimie surprend presque. La maturité et la finesse de l’approche aussi. Entretien avec Nusky et Vaati.

Selon vous, qu’est-ce qui vous rassemble musicalement ?

Vaati : Je pense qu’on a beaucoup d’influences en commun. On aime beaucoup les mélodies tous les deux.
Nusky : On aime les mêmes musiques, mais pas forcément les mêmes choses dans lesdites musiques.
Vaati : Et on a tous les deux des goûts assez larges, mais on est assez synchro dessus. On aime bien les mêmes choses dans le rock, dans le rap, etc. C’est le grand huit musical qui nous rassemble.

Ne serait-ce pas aussi un peu générationnel ? J’ai l’impression qu’il y a de plus en plus d’artistes qui ont des influences un peu éclatées.

Nusky : C’est peut être l’effet Youtube, étant donné qu’on a accès à tout, tout le temps. Après c’est aussi un état d’esprit, parce qu’on peut très bien se contenter d’un seul style. Mais on est des enfants curieux !

Pouvez-vous me parler de votre processus créatif, et de comment vous construisez un morceau ? Avez-vous une méthodologie globale sur laquelle vous vous basez toujours ?

Vaati : Il y a un genre de schéma, qui bouge au fil des morceaux. Généralement, on se voit ensemble en studio pour poser la base des instrus. C’est plus moi qui est derrière l’ordi que lui, mais c’est important qu’on soit ensemble. On fait l’instru, on se décide sur une structure, et souvent sur la mélodie du refrain qu’on aime bien chercher tous les deux. Une fois que l’instru est suffisamment avancée, il peut partir de son côté et écrire son texte, partie sur laquelle j’interviens moins…  Après cela, on se retrouve, et on fait des arrangements suivant comment ça colle entre ce qu’il a écrit et la production. C’est beaucoup de ping-pong en général. C’est assez classique comme manière de travailler pour un duo finalement.

Vous pourriez chacun bosser de votre côté en vous renvoyant la balle ?

Vaati : On aime bien passer une semaine ou deux ensemble avant d’attaquer un projet en général. On est ensemble, on crée l’ambiance…
Nusky : Ce qu’on veut comme texture, comme rythme, comme couleur…
Vaati : …comme thème aussi. On discute souvent ensemble des thèmes à aborder. Une fois que les bases sont bien posées il peut écrire, et moi je peux faire un travail de composition plus poussée, seul dans ma chambre.
Nusky : Mais on a quand même besoin de se voir pour poser le projet. De toute façon on traîne tout le temps ensemble, on se voit quasiment tous les jours.

Vous parlez assez régulièrement de vos influences musicales, et d’ailleurs souvent de vos influences hors-rap, mais qu’est-ce qui vous a vraiment fait rentrer dans le rap ?

Vaati : Pour ma part, ça a du commencer vers mes 14-15 ans, j’ai commencé à écouter du rap avec 1995, Mac Miller et Wiz Khalifa… C’est là que je me suis dit que c’était cool. Après j’ai fait mon chemin vers d’autres trucs !
Nusky : Moi j’avais un an de plus, mais c’était la même période. J’ai commencé à écouter du rap parce que j’ai rappé en fait ! Mes potes ont rappé devant moi et je me suis « Ah ouais il y a un truc ! ». Du coup en me mettant à rapper, je me suis mis à écouter tout ce que je croyais qu’il fallait écouter, des trucs old school, etc. La mode de l’époque un peu… Et c’est après ça que j’ai découvert la trap, les Young Thug, les Chief Keef, et ça, ça m’a vraiment mis une claque. C’est ce qui m’a formé dans le rap.

C’est marrant d’ailleurs, parce que vous n’êtes pas forcément catégorisés dans le rap. Après, c’est peut être quelque chose qui vous arrange, ce n’est pas forcément agréable d’avoir une étiquette.

Vaati : Je pense que les étiquettes se collent avec le temps. Nous, on nous demande souvent quelle étiquette nous correspond, mais on a pas envie de choisir. Après au bout d’un moment, c’est obligatoire pour pouvoir parler d’un artiste.
Nusky : Il te faut une case à la Fnac ! Pour savoir dans quel rayon te mettre. Je pense qu’on est trop rap pour être chanson française, et trop chanson française pour être rap. On aime bien la pop, les petites chansons, on ne se complexe jamais par rapport à ce qu’on fait.
Vaati : Parfois on fait des trucs un petit peu rock, et je pense que les rockeurs puristes doivent nous détester ! Ils doivent nous prendre pour des têtes à claques, et pourtant on adore ce milieu. Trouver une case pour nous, ce serait douloureux et complexe.

Et du coup selon vous, à quoi ressemble votre public ?

Vaati : On s’en rend compte en concert ! C’est très jeune, et c’est des gens qui viennent plutôt du rap. Je ne pense pas qu’on ait un public qui vienne du rock par exemple. Après on peut aussi toucher des adultes, les trentenaires ils nous aiment bien, ils sont gentils avec nous !
Nusky : Il y a beaucoup de filles aussi.
Vaati : Parce qu’elles sont plus expressives peut être.
Nusky : Et peut être parce que je parle beaucoup d’amour. Moi l’amour ça m’intéresse. Je suis un garçon. Hétérosexuel.

On remarque aussi un travail visuel important chez vous, des clips aux pochettes. Quelle importance vous accordez au visuel en général ?

Vaati : Une grande importance. C’est essentiel, mais on ne le fait pas parce que c’est essentiel, mais aussi vraiment parce qu’on aime ça. J’adore travailler sur les clips, les scénariser, et voir l’évolution du processus, de l’idée à sa finalisation. Et puis en tant que fan de musique, j’aime bien les artistes qui ont des visuels super travaillés. Des visuels qui font que tu peux écouter la musique en rêvassant et en imaginant un univers par rapport aux pochettes, aux photos et aux clips.

Vous avez des influences visuelles qui vous viennent comme ça ?

Nusky : Les pochettes des vinyles des années 60, 70, c’est un truc qui est important et qui m’a bien touché quand j’étais petit… J’écoutais tellement d’albums juste par rapport aux pochettes. Vu la taille de l’objet, c’est presque comme des petits tableaux. Quand j’étais petit, j’étais vachement fan de tout ce qui était Grateful Dead, Jefferson Airplane, et même la pochette de Robert Crumb pour Janis Joplin… Tout ça, ce sont des choses qui m’ont marqué.

En fait, tu es assez influencé par la culture pop « acidulée ».

Nusky : Ouais, un peu tout ce qui a commencé à parler de drogue, de sexe… Peace and love, c’est quand même des valeurs que je trouve géniales, peut être les meilleures pour moi.

Après, Crumb que tu cites, c’est quand même pas vraiment ces valeurs là.

Nusky : Ah oui il aime pas les hippies lui ! Mais c’est leur porte-parole quand même (rires). C’est aussi pour ça qu’il est intéressant, c’est comme Bob Dylan, le mec n’aime personne ! Crumb a même refusé une pochette aux Rolling Stones. Il ne pense qu’à son dessin, à son œuvre ! Je trouve ça très abordable comme truc, ça a un côté vraiment moderne, c’est des choses qu’on peut lire très facilement.

Nusky, j’ai cru comprendre que tu étais aussi comédien. Est-ce que c’est quelque chose qui te sert pour tes propres clips ? Quelle est la différence selon toi entre le fait de se mettre au service d’une œuvre dialoguée, et entre le fait de jouer dans un clip, et donc de se mettre au service de la musique ?

Nusky : La différence, c’est que dans une fiction, je ne défend pas une idée qui vient directement de moi. Quand je me mets en scène pour mes clips, c’est mes paroles, mon projet. Ce n’est donc pas le même rapport, mais après le métier n’est pas si différent… Il n’y a pas de texte dans les clips et moins de jeu aussi, même si il peut y en avoir. Après moi je sais que mon expérience de comédien me sert : si on me demande d’essayer des trucs, je suis très à l’aise. Ça m’aide surtout à n’avoir aucun complexe. Je suis donc potentiellement plus apte qu’un autre rappeur qui n’aurait jamais eu à gerber ou à chialer devant une caméra… Après je sais pas, il y a un truc de personnages vachement développé dans le rap aussi ! Un truc quasi fictionnel.

Toi aussi Vaati tu joues dans des clips…

Nusky : Ce qui est intéressant, parce que les beatmakers ne se mettent pas spécialement en scène en général.
Vaati : Oui c’est vrai, après moi ça fait un petit moment que j’ai oublié que j’étais un beatmaker, et que j’étais censé être cloîtré dans ma chambre. Aujourd’hui ça me paraît normal, d’autant plus qu’on est un vrai duo. Au début la caméra te stresse, puis tu finis par te rendre compte que c’est uniquement de l’électronique. Ça n’a pas à être intimidant.
Nusky : Faut que les beatmakers se montrent !

C’est vrai que les beatmakers sont peut être plus mis en avant qu’auparavant… On va plus facilement écouter un disque en se basant sur le nom d’un producteur aujourd’hui.

Vaati : Oui, je pense que les gens ont fini par se rendre compte que toute la musique qu’il y avait derrière, il y avait des gens qui la faisait en fait. (rires) Le public commence à être plus reconnaissant envers les beatmakers. Après, ça reste léger… Même en terme de cachet. Tu peux être beatmaker, passer ta vie à produire pour des stars, et finalement ne pas toucher tant que ça compte tenu de ce que ça devrait réellement représenter.
Nusky : Cette reconnaissance vient peut être du fait qu’aujourd’hui il y a de plus en plus de compo et que les styles des beatmakers sont vachement affinés.
Vaati : Avant il y avait peut être 4 ou 5 grosses cases, et aujourd’hui c’est beaucoup plus éclaté. C’était aussi plus compliqué d’avoir son style quand tu fais uniquement du sampling, car tu empruntes le style du mec que tu samples le temps d’un morceau. Pour moi c’est peut être plus facile de faire du sampling, car tu récupères directement un certain nombre d’éléments sonores. Cela dit, aujourd’hui il y a des mecs qui ont poussé cet art très loin, et qui font ça de manière très expérimentale et c’est mortel. Il y a même une scène énorme de mecs qui passent leur temps à faire des beats et ne font rapper personne dessus. Ça marche beaucoup sur Soundcloud.

Nusky, comment gères-tu le fait d’être un artiste multi-casquettes ? Est-ce que le monde de la comédie et celui du rap sont totalement séparés dans ta vie ?

Nusky : Oui, complètement. Même si les deux font partie de moi. Après, c’est juste une histoire de planning ! Ce n’est pas de tout repos, sans être l’usine non plus… Ce sont deux métiers d’intermittence, donc ça peut se marier tranquillement. Après aujourd’hui si je fais un projet, je vais plus faire gaffe à mon image globale, et à veiller à ce que les deux puissent se rejoindre quelque part.

Aujourd’hui il y a de plus en plus d’artistes qui ont ces deux casquettes justement, je pense à Childish Gambino notamment.

Nusky : Oui, effectivement. Mais il y a une fascination entre les rappeurs et le cinéma je pense. Il y a des musiciens qui le font bien en France, je pense à Benjamin Biolay, mais aussi à Jacques Brel ou Charles Aznavour à l’époque. Après j’avoue qu’en ce qui concerne les rappeurs, ça fait toujours un peu chelou de voir des rappeurs qui deviennent flics, mais en fait je trouve ça lourd ! On a le droit de changer, d’être accepté dans d’autres milieux… Personnellement, je fais quand même plus de musique que de cinéma, peut être est-ce une question de période.

Pour en revenir au son, on ressent une vibe un peu 80’s dans votre musique.

Vaati : Je crois que dans les années 80 il y avait beaucoup de couleurs, et nous on adore les couleurs ! La fantaisie était très assumée. On sortait d’une époque un peu dure, notamment dans le rock, mais après les choses ont un peu éclaté, dans la pop surtout. Là c’était la folie, c’était le rose fluo… Des mélodies trop belles… Trop… Enfin tout était trop quoi ! Mais moi j’aime bien, c’est très esthétique, très léché. Plus concrètement dans les sonorités, il y a pas mal de choses que j’aime dans les années 80.

Sur la question de la couleur, c’est aussi un truc qu’on pouvait retrouver dans le cinéma, notamment dans les blockbusters.

Vaati : Complètement, dans la manière dont étaient éclairés les films à l’époque. Retour Vers Le Futur, c’est exactement ce genre de trucs qu’on kiffe. L’arrivée des supers-héros du monde moderne.

Vous avez beaucoup d’influences un peu pop culture en fait.

Vaati : Oui carrément. Les gens semblent parfois penser que c’est trop populaire pour être appréciable, trop issu d’un projet marketing pour réellement être bon, mais en réalité, c’est aussi populaire parce que c’est génial. Il y a plein de choses à digger dans ce qui est connu. Mon artiste préféré c’est Michael Jackson, et ça n’a rien d’original ! Si c’est le préféré de plein de gens, c’est aussi peut être pour une raison. En fait, on a aucun souci à ne pas avoir spécialement des goûts spé.

En parlant de cette idée de couleurs : vous faites des morceaux aux mélodies et aux productions parfois assez sucrées, assez mélodiques, mais en opposition, les textes peuvent être plutôt crus.

Nusky : On ne cherche pas forcément l’opposition, l’idée étant toujours de faire le meilleur morceau possible. Je ne me dis pas « Ah tiens, je vais lui ruiner son truc ! » (rires).
Vaati : En fait c’est juste qu’il est sincère sur mes sincérités à moi…
Nusky : …et ça fait notre truc ! Après dans l’art en général, j’aime bien les trucs pas trop parfaits, où on sent une égratignure, et c’est aussi ça que j’essaie d’emmener.
Vaati : J’ai tendance à faire des instrus avec beaucoup d’éléments, et lui il vient mettre sa sauce là-dedans. Il y a un coup de pinceau qui tremble un peu sur mes productions qui peuvent être trop droites.

Après ça passe aussi beaucoup par le travail de la voix, la manière dont tu découpes tes textes, les brusques changements de diction, etc.

Nusky : Oui, je pense qu’avant je manquais de technique, et je balbutiais mon truc d’autodidacte ! Mais aujourd’hui je chante peut être un peu mieux et on comprend peut être un peu mieux ce que je dis (rires). Après oui, on aime bien taffer la voix, en faire un instrument, clairement.

J’ai lu aussi que tu faisais du yaourt pour trouver des mélodies parfois.

Nusky : Oui c’est arrivé plusieurs fois, je le fais en ce moment d’ailleurs sur mon iPhone. J’allume le dictaphone, je fais un refrain… C’est intéressant de taffer comme ça. D’ailleurs, j’ai tendance à plutôt trouver des mélodies avec des mots d’anglais en premier lieu, mais c’est pas ce que je vais faire ! Je veux avoir un résultat vraiment français, mais bizarrement j’ai pas les mêmes idées de mélodies en français qu’en anglais. Je suppose que ça doit arriver à beaucoup de gens parce qu’il y a beaucoup de français qui chantent en anglais (rires). Après je prend mon yaourt anglais, et je mets des mots français dessus. Ça fait un résultat un peu particulier, comme si on avait fait un brouillon avant.

Vaati : C’est pas non plus ta technique absolue, tu ne commences pas tout les morceaux comme ça.
Nusky : Je le fais de plus en plus en fait ! Je fais une séance d’impro quoi. J’écoute le son une fois, et je balance quelques idées. Quand je le sens bien, je fais tout le son en impro. Après je réécoute, je prends les trucs qui étaient bien et je refais le son.

Ça a l’air de se faire pas mal chez certains rappeurs US en ce moment.

Nusky : Oui. Après moi j’ai remarqué que c’est souvent les premiers jets qui sont intéressants ! La première et grosse idée que t’as en général, tu n’en as pas une meilleure. C’est intéressant de faire ça pour ça : capturer le moment présent puis le retravailler. Essayer d’aller au meilleur en se basant sur la première intuition qui est la plus sincère.

Il y a aussi quelque chose d’assez marrant dans le titre de vos projets, qui se basent sur des sonorités pures, plus que sur de véritables mots. Est-ce que vous mettez un peu la même idée en place dans votre musique ?

Nusky : Je suis attaché aux idées en général. Je n’aime pas rimer pour rimer. Cela dit, j’ai une grosse sensibilité par rapport aux mots, je sais qu’il y a certains mots qui me plaisent vraiment dans leur son, et d’autres que je déteste ! Chaque lyriciste a sa sensibilité. Souvent j’écoute des textes et je me dit « lourd mais je l’aurais pas dit comme ça… ». J’aurais fait la même phase, juste en changeant deux ou trois mots, parce que ça serait mieux passé pour moi.

Dans Swuh on a souvent l’impression que tu parles à quelqu’un en particulier.

Nusky : C’est à dire que j’ai fait ce projet à un moment où j’avais un peu le cœur brisé, machin… Je repensais à cette personne, et j’ai effectivement écrit un EP pour elle. Je lui parle souvent dans cet EP, mais via plusieurs points de vues, de différentes manières… Après je m’inspire de la réalité mais je la déforme pour que ce soit une œuvre, pas juste un compte-rendu. Je parle toujours à quelqu’un, à moi même, à mes potes… Je dis peut être trop « je » d’ailleurs, enfin c’est aussi un truc de rappeurs.
Vaati : C’est quand tu prends la parole… C’est normal. A la troisième personne ça devient vite un storytelling.
Nusky : Après je mets aussi des « on ». D’ailleurs j’ai remarqué qu’il y a beaucoup de rappeurs qui mettent des « tu » quand ils devraient mettre des « je » ! (rires) .

A propos de gens qui manipulent les points de vue, j’ai entendu que tu étais fan de Bob Dylan !

Nusky : Oui je suis fan, après c’est difficile pour moi d’écouter certains morceaux qui sont vraiment longs. C’est très intéressant… Ce que j’adore c’est que sur chaque album, il construit un cadre dans lequel il se passe énormément de choses. Variations de points de vue, abstractions… Et pourtant le résultat n’est pas abstrait ni expérimental, ça reste assez terre-à-terre. Mais cette manière d’aborder les choses donne une vraie richesse à l’œuvre. Et quand il sort des descriptions hallucinées pour parler de lui, c’est tout aussi génial, parce qu’il a toujours une manière originale d’aborder les choses.

Sur la question des variations de points de vue, le morceau « Tangled in blue » sur Blood on the Tracks est assez fort.

Nusky : Oui j’adore ce morceau. Sur le même album, j’aime beaucoup « Simple Twist of Fate« , dans lequel il parle d’un couple qui se fait du mal et qui se sépare… Et il utilise uniquement « il » et « elle » alors que tu sais qu’il parle de lui. Ca donne une vraie richesse au truc, ça en fait une histoire, ça donne quelque chose de plus universel. C’est très intelligent en fait.

Tu as une période préférée dans sa carrière ?

Nusky : J’adore la période de Bringing it all Back Home à Blonde on Blonde, mais mon album préféré c’est Blood on the Tracks. La période de la Rolling Thunder Revue est magnifique aussi, même jusqu’au live de The Last Waltz. Il est magnifique à ce moment là. Tu sens qu’il est amoureux de Sara, qu’il a trouvé un truc assez grandiose… Après ça c’est un peu fini pour moi, même si il continue à faire de la musique jusqu’à aujourd’hui. Il y a tellement de choses ! C’est remarquable… Je pourrais en parler des heures !

Pour revenir au rap, que pensez-vous du côté plus décomplexé que la musique prend ? De l’aspect plus emo, plus chanté, des délires plus fous dans l’interprétation, etc. ?

Vaati : Je pense que tout cela est là parce que c’est la tendance du moment. Le rap est une des musiques qui suit le plus la mode. Il peut y avoir un style d’instru à la mode, et les cent rappeurs en vogue du moment vont se jeter dessus. Du coup, ces jours-ci, c’est à la mode d’assumer sa féminité, de chanter, de faire de la trap… Pour moi c’est une ouverture, mais elle est très calculée. Il y a beaucoup de mecs qui jouaient au pistolet il y a trois ans, et qui prétendaient détester cette musique là avant de se jeter dedans. Cette ouverture est positive, mais je pense qu’elle est rarement utilisée pour les bonnes raisons. C’est la même chose avec ce nouveau délire de faire du rap un peu tropical, très chanté, qui a un côté assez « mignon ». Je pense qu’il y a pas mal de mecs qui font ça aujourd’hui et qui auraient dit il y a cinq ans que c’était de la musique de pédés.

Il ne faut juste pas oublier que c’est une mode. Si demain on remet les kalashs à la mode, tout le monde y repassera. Chacun aura sa nouvelle double mixtape, avec réédition ! (rires) Le problème avec tout ça, c’est que quand tu as cent rappeurs qui se jettent sur la moindre nouveauté, ils brisent la moindre possibilité de magie que tu aurais pu avoir.

J’ai cru comprendre que vous étiez relativement proches de certains artistes de Montreuil. Est-ce que vous vous sentez des liens musicaux avec ce que produit cette ville ?

Vaati : Déjà j’adore la ville ! Et les mecs de Triplego, c’est des copains. Après Ichon et Big Budha Cheez, je me sens pas spécialement lié à eux par la musique car on fait pas la même chose, mais je vois le mood dans lequel ils sont et c’est très cool !
Nusky : L’ambiance artistique de Montreuil est quand même marquée et très ouverte ! Il y a une vraie scène dans le graff aussi, et dans l’art en général.

Vaati, peux-tu nous parler un peu de Jihelcee Records avec qui tu travailles ?

Vaati : Jihelcee c’est deux entités rap, Darryl Zeuja et Triplego, et des compositeurs : Juxebox, Nakatomi Plaza, Isma, Ugly & Durty et moi. Le concept du label c’est l’indépendance totale, et son but, c’est de détruire le monde en sortant de la musique et en la distribuant sans passer par les réseaux habituels pour récupérer nos sous.

J’ai aussi noté que tu avais un certain rapport aux jeux-vidéos, peux tu nous en parler ?

Vaati : Mon pseudo vient d’un Zelda sur Game Boy Advance SP. En réalité j’ai du y jouer trois fois dans ma vie mais ça m’a vraiment marqué, j’ai trouvé l’atmosphère vraiment belle. Le choix des noms, le design des lieux, la légende de Zelda… Tout l’univers autour du jeu m’a vraiment fasciné, autant que quand j’ai vu Harry Potter ou le Hobbit. J’ai pu retrouver ça dans certains jeux vidéos, sans avoir vraiment le besoin d’y jouer.

Par exemple, là j’ai acheté World of Warcraft, en fait j’aime pas trop le jeu, ça m’amuse pas tant. Mais je suis fasciné par l’univers, là encore. Je vais sur Wikipédia, je vais lire des trucs sur le background du jeu… J’aime bien les univers elfiques, druidiques, etc. Le fantastique en général.

Peux-tu me parler plus en détail de tes méthodes de composition ?

Vaati : Alors déjà je ne sample pas du tout. Je compose en jouant un peu de guitare, du piano numérique… Ça reste en tout cas de la musique fortement assistée par ordinateur.

Je compose de manière assez classique en général : je commence par une progression d’accords, au piano la plupart du temps. C’est ce qu’il y a de plus aisé pour moi, toutes les notes sont étalées face à toi de la même manière. C’est une visualisation que tu n’as pas avec une guitare par exemple. Il me faut un bon moment avant que je trouve une suite d’accords qui me plaise. Une fois que c’est fait, je choisis mon son de synthé… Après c’est de la recherche, je me pose la question du tempo, de comment emmener les mélodies. Puis j’ajoute plein de choses, des petites idées… Je met pas mal de temps à arriver au moment où je choisis les batteries. Le truc principal c’est la suite d’accords : elle définit toute la basse, les mélodies, la ou les gammes du morceau.

Bref, une fois les batteries mises, je pousse encore plus loin le travail sur les mélodies, je peux mieux définir où je peux caler quelques trucs supplémentaires. Ensuite je reprend les mélodies une par une, je décide si elles doivent être doublées par une harmonie ou non …
Pour finir, si c’est un morceau solo, je passe aux arrangements. Si c’est un morceau avec rap, j’attends que la partie vocale soit posée, et je bosse les arrangements autour de ce qui a été fait. Recaler les kicks et les snares par rapport à ses flows, etc.

Il y a aussi une super méthode, qui est un peu comme le yaourt, que j’ai expérimenté il y a exactement une semaine. Sur mon logiciel de composition, je mets le micro ouvert sur mon ordi, j’envoie la prod sur une super longue boucle, je roule un joint, et je chante sur la production en essayant d’oublier qu’il y a un enregistrement activé. Quand tu oublies qu’il y a une prod et que tu improvises, tu peux trouver des mélodies assez perchées que tu n’aurais pas trouvé sur le piano. C’est très intéressant pour les harmonies, dans la mesure où tu as les gammes en tête. C’est un bon trick pour faire des choses un peu originales je pense.

Tu as une formation musicale ?

Vaati : J’ai fait des cours de guitare, du CP à la cinquième, en sachant que j’ai fait sauter deux ou trois années. Au collège j’étais assez mordu avant d’arrêter, puis j’ai été touché par le rap à la fin du collège, et c’est là que je me suis mis à la musique sur ordinateur. J’ai une formation technique de guitare mais je n’ai pas de formation de composition, et je n’ai pas fait de solfège. Cela dit, mes cours de guitare m’ont pas mal aidé dans tout cela.

En ce qui concerne les lives, sachant que vous jouez dans plusieurs types de formule, que ce soit en plateau rap, ou en festival, est-ce que vous avez une manière différente d’appréhender chaque type de live ? Est-ce que vous restez figés sur un set ?

Vaati : Chaque événement peut être différent. La dernière fois, on a joué dans un bar, et c’était assez stressant. On était au centre du bruit et de l’effervescence. Si on te juges, c’est pas une tête dans une foule immense, mais un humain juste à côté de toi. Du coup c’est un peu plus intimidant. Je me sens plus à l’aise sur les grandes scènes personnellement.
Nusky : Sur la question du set, on sait que ce soir on est sur un plateau plus rap (ndlr : Nusky et Vaati partageaient, ce soir là, la scène avec Big Budha Cheez, Caballero et JeanJass, Tiers Monde et Brav’, Fixpen Sill, Lemdi et Moax, et Deen Burbigo), et on s’adapte un peu à cela. Après le but est toujours le même : essayer d’aller chercher le public quoi qu’il arrive !

Vaati : Quand on sait qu’il y a des gens qui sont venus pour nous, c’est plus rassurant… Parce que quand tu fais une première partie et que tu sais que tu va potentiellement représenter la partie casse-couilles du concert, celle où les gens vont patienter 20 minutes en attendant le live qu’ils sont venus voir, ça peut être délicat. Même si il s’avère que des fois ça se passe très bien ! Après je sais que quand on fera vraiment des concerts seuls, sur lesquels on sera la tête d’affiche, ce sera un poids en moins.
Nusky : Ouais ça dépend, moi j’ai souvent la pression d’oublier mes paroles alors que le public est en train de les chanter ! Après c’est une pression un peu moins violente, ils ne vont pas me jeter des tomates (rires).

Pour finir, quels sont vos projets musicaux pour les prochains mois ?

Vaati : On sort un projet cet hiver, plutôt en janvier-février à priori. Il y aura des clips avec tout cela. Si les gens voient des événements live passer et qu’ils sont intéressés, sachez qu’on joue souvent des morceaux inédits en live. Pas mal de concerts sont aussi à venir pour cet hiver et ce printemps !

Merci à Sandra Paul et Jeremy Pichon de Canal93,
Pour l’aide apportée dans la réalisation de cette interview
Nadsat
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