Mood, la nuit nous appartient

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1h42 du matin, la pièce a beau osciller entre 22 et 23 degrés, la pluie ruisselant sur la baie vitrée de son salon lui donne des frissons digne d’un dimanche soir de novembre. Clope au bec, la cendre commençant à pointer vers le sol, il hésite à appuyer de nouveau sur play. Dans la platine, le Day With Dr. Yen Lo, un album propice à l’ambiance froide et sombre du mois de novembre, il sourit et regarde par la fenêtre les rues vides de sa ville. Novembre rassemble tout ce qu’il aime quand les autres se plaignent du froid, de la pluie, du jour qui décline rapidement pour laisser place à l’obscurité, lui se ressource marchant lentement dans les rues les écouteurs fixés aux oreilles, toute cette ambiance qui semble suicidaire aux autres le ressource et le fait revivre. Les dimanches soirs comme celui-ci sont ses moments préférés, alors que sa platine fait tourner le meilleur de la mélancolie et de la noirceur du rap, lui s’assoie à quelques centimètres de la baie vitrée, de façon à sentir la chaleur de l’intérieur et le froid de l’extérieur. Il reste là à regarder au loin ou de près les gouttes sur la vitre comme hypnotisé, sa tête se vide pour mieux laisser rentrer l’atmosphère austère de l’automne.

Ayant retourné dans tous les sens l’album du duo Dr Yen Lo, il sent l’envie incompressible d’avoir une nouvelle bande sonore adapté à son spleen. Autour de sa platine, c’est un vrai bordel de tas d’albums empilés sans queue ni tête, au fond pourquoi vouloir se borner à structurer les choses pour le bien commun, quand on se sent bien dans son propre foutoir ? Il ne met pas longtemps à repérer les albums qu’il n’a pas écoutés. Tha Soloist, Kirk Knight, Freddie Gibbs, Markis Precise, les rééditions japonaises des classiques chopées à Gibert Joseph… Non, il ressent que ces albums ne sont pas adaptés à la situation. Lui reste donc comme choix le dernier album des anglais Triple Darkness ou l’album de Mood, le nom de ce dernier va résonner très loin dans sa mémoire, il se rappelle avec plaisir les bons moments passés à faire tourner en boucle le son Karma. 18 ans après, Mood se reforme sous la production de Mil, habituel responsable du mastering des albums du label Effiscienz. Pour que le groupe décide de le suivre, il y a fort à parier que Mil a mis les moyens. Il se décide donc pour cet Into The Mood, en espérant que cela ne vienne pas lui casser le sien.

Il se rallume une clope après s’être servi un verre de Santiago de Cuba 20 ans d’âge, et va s’asseoir sur son fauteuil club. Il touche le verre qui le sépare de la pluie et du froid comme pour se recharger, puis appuie sur play, fixant l’obscurité de la nuit. Le saxo de jazz de Mood Is Back le réconforte directement dans son choix, l’instru sied parfaitement à l’ambiance recherchée. La cendre se détache et vient s’éclater sur le parquet en bois, il ne le remarque même pas, plongé dans l’ambiance obscure de The Maschine, Donte et Main Flow le maintiennent capturé, chuchotant à son oreille sur un beat qui se veut discret. Le morceau fini, il remarque la cendre dispersée, par flemme ou attiré par l’ambiance jazzy chic de Snakes & Vultures, il l’étale avec son pied nu, dehors le vent se fait plus fort et vient faire taper la pluie avec plus d’intensité sur la vitre. Tout est parfait, hip-hop et lyrics, le trio devenu duo rend la pareille au travail de Mil.

Son verre terminé, il se lève pour rejoindre la cuisine où la moitié de la bouteille de rhum l’attend, il ne sait pas qui de NEWS ou du carrelage froid lui procure des frémissements, mais l’ambiance toujours aussi froide et classieuse que distille Mil le satisfait dans son choix musical. Donte et et les scratches de Dj Djaz finissent d’écraser tout scepticisme. Pragmatique, il fait un pas en arrière afin d’attraper la bouteille et retourne s’asseoir, la nuit est encore longue. Le vent se montre de plus en plus virulent, par à-coups, les gouttes frappent comme des grêlons, un prémisse à l’apocalypse en parfait avec la spirale angoissante du skit In Someone’s Skin. Il tape la mesure de la main droite sur All Seeing de quoi le retenir d’allumer une cigarette dans la minute, la tête remue au rythme du débit de Main Flow tandis que sa main gauche imite le mouvement de scratch rendant hommage aux cuts de Dj DJaz. A l’heure où la plupart des gens préfèrent dormir espérant une météo plus clémente au réveil, lui rêve de solstices d’hiver, il ne sait pas s’il doit s’auto-déclarer aliéné, en tout cas la folie, elle, postillonne des enceintes, Illness sur une ambiance angoissante et pesante, Mood donne une dernière leçon de mceeing avant de s’en retourner. And After The End ? clôture l’album sobrement comme une mise en bière solennelle. S’en suivent deux remixes, un de Mil dans la lignée de l’ambiance de l’album, et un de Dj Brans en coupure nette avec l’ensemble des compositions de Mil, une espèce d’éclaircie pour répondre à l’outro.

Il reste là quelques minutes, toujours tournant le dos au réconfort que pourrait lui offrir l’intérieur chauffé et sec de son appartement, les vitres ont beau être bien isolées, une goutte d’eau se balade sur la face intérieure de la baie. La condensation ou le pouvoir des nuits d’automne ? Il n’en sait rien, il attrape le boitier de l’album dont la couverture claire est en opposition avec son contenu. L’album est court, certes, mais il fait partie de cette catégorie d’albums qui s’écoutent comme un tout, et où l’ensemble des morceaux forme une unité. Il ne cherchera pas à faire ressortir un ou deux morceaux parmi les dix, ce serait enlever l’essence même d’Into The Mood. Des années après Doom, et avec l’aide de Mil, Donte et Main Flow redonnent vie au groupe référence de Cincinatti dans une ambiance jazzy parfaite, pour qu’il puisse se délecter seul des nuits glaciales et humides qui s’annoncent.

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