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Date de sortie : 23 mars 2018
No Label
Production : Monsieur Connard, Corrado, Monkey Green, Naej
Featuring : JubOs
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Six heures. Parfois l’heure à laquelle je me lève. Pour le moment, je ne suis toujours pas couché. Je dois retrouver le Dude dans les rues noires et humides de la capitale. Y’a que lui pour filer des rencards à cette heure-là. Quoiqu’il en soit, je me suis chauffé au gin fizz pour patienter. Et aussi, faut le dire, pour le goût. Je jette un œil à mon téléphone. Je ne m’impatiente pas et jette mon mégot en entendant le moteur de la Mercedes avant d’en voir les phares qui descendent tranquillement la rue de la Cour des Noues. Il s’arrête à mon niveau et je monte. C’est parti pour une journée en compagnie de Moïse the Dude et le planning est chargé.
L’élégance fait homme de ce quintal hirsute. Des effluves de vodka et de Kahlua parfument délicatement l’auto. Lui aussi s’est bien chauffé avant le rencard. Il m’explique qu’il était en charmante compagnie, courte vêtue avec laquelle il a fallu mettre les choses au clair. Ce mec est un genre de salaud magnifique, et c’est aussi pour ça qu’il a tout mon respect. C’est la personnification de l’abîmé en perpétuelle remise en question quant à l’avenir. Avec lui, rien n’est moins sûr que demain. Ce qui est certain en revanche, c’est que cette nuit sonna comme un adieu pour la femme Renarde. Il s’en remettra vite. Elle, c’est moins sûr.
On remonte la rue Belgrand, puis les Pyrénées direction Belleville. On discute de nos sentiments respectifs rapport à un quotidien à côté de ses pompes, mais toujours bien au-dessus. On conclut bien vite que c’est grâce à ce sentiment de supériorité qu’on garde encore la tête hors de l’eau. Et gare à celui qui se voudrait un peu trop familier. On a la mandale facile. Mais trop sereins, on a fait confiance à une vie qui n’en valait pas la peine. On a la rue pour nous tout seuls. Sur la droite, un cycliste sur son vélo de course. Tristesse et drogues se lisent sur ses traits. Pas de vieux os pour les jeunes loups. On tourne à droite sur le boulevard de la Villette. Nous revoilà là. Là ou il y a quinze ans, nous n’étions pas encore les hommes durs et froids que nous sommes devenus. On misait pas sur les bonnes chattes. Je lui parle du dernier film que j’ai vu au ciné. Il connaît déjà la fin, gravée dans la chair.
Arrivés à Colonel Fabien, le Dude effectue la manœuvre créneau les yeux fermés. Pour mieux la sentir, qu’il me dit. On descend sans un mot, je sais ou on va. On bifurque vers l’avenue Maturin Moreau menant aux Buttes et on se stoppe devant le numéro 56. Porte blanche et poignée dorée qui ne dénote pas avec les briques rouges du quartier. On entre sans frapper, évidemment. Nous sommes attendus. Au fond du couloir en forme d’utérus, une autre porte. Deux fois la taille de la porte d’entrée. Là, il faut frapper. Par respect. Le Pasteur nous accueille les bras ouverts. Debout sur un tapis en forme spiralique et dans quelques volutes de fumées sortants d’on ne sais-où. C’est très cinématographique. Presque trop. A dire vrai, c’est très kitsch. Mais nous ne sommes pas là pour épiloguer sur la déco. Nous jaugeant par dessous ses lunettes fumées, je ne peux m’empêcher de fixer sa raie à droite, parfaitement dessinée. C’est toute la rigueur communiste qui se dessine dans ses cheveux façon champ de maïs.
-Messieurs, bienvenue.
Ce qu’il vient de se passer est absolument hors du commun. J’en prend la pleine mesure une fois le cul posé dans la caisse. La drogue fait son effet et j’ai du mal à raisonner correctement. Le Dude, lui, est droit comme la justice. Celle de Dieu, pas celle des hommes. Dans un éclair de lucidité, je lui demande si c’est vraiment prudent de conduire. J’ai pas encore eu le temps de lui prendre les clés qu’un schlag frappe à la fenêtre coté conducteur. Ni une, ni deux, j’ai pas le temps de réagir. Moïse est déjà dehors. Quelques vociférations gutturales plus tard, schlaggyboy est en PLS. Il couine que lui aussi fait du rap. Il miaule même. Sans pitié et comme un seul homme en surcharge pondérale, le Dude nous sort un écrasement de tête incroyable. Débonnaire, il repose son cul dans la caisse. Le trip est à son paroxysme. J’en viens, par un élan de conscience, à me demander si tout cela est bien réel et tente de me remémorer le cours de la matinée. Il est huit heures. Le jour se lève et le véhicule est toujours au point mort.
Depuis combien de temps somnole-je ? En pleine possession de mes moyens, on est à Gare du Nord. Deux gonzesses sur la plage arrière. Tout est très nwar. Le ciel est gris. Moïse écrase le cul du joint sur le rétro. Le daron risque de n’apprécier que moyennement. Mais d’autres préoccupations nous assaillent à ce moment. Contre ma volonté absolue, je repars, loin. A mon réveil, le soleil est facilement à quarante-cinq degrés et ma mâchoire douloureuse. Je vois les deux filles s’éloigner en guettant à gauche. Lui les suit du regard. Il me dit qu’il a déconné. Que la pilule serait de mise, mais que c’était leur problème.
On trace à cent-dix sur le boulevard de Starsbourg. Je crains entre deux états de semi conscience qu’il ait récupéré les clés. Décidément, le boug est à toute épreuve. Si vous ne le connaissez pas, sachez que le boulevard est long, très long. On file à toute berzingue vers Châtelet. Je prie secrètement pour que ce ne soit pas notre point de chute. J’ai trop d’embrouilles dans le quartier. Heureusement, il tourne à droite sur Étienne Marcel. J’ai une pensée émue pour le plus grand rappeur de tous les temps, Moïse mis à part. On croise Roger. Permettez-moi, ô lecteur, de faire l’impasse sur cette histoire…
Putain, je dois descendre de cette voiture. Il me demande de revenir. Nan, putain. Ouais, j’ai faim, mais on bouffe quoi en Haïti ? Ah, au temps pour moi. Il a une bonne montée, il cause tout seul. Quand il se mit à évoquer ses ex, j’ouvrais mes esgourdes. Il est mon ami. Il est tout ce que j’ai. La Merco fait des écarts. Je commence à me sentir moins en sécurité. Les effets de la drogue se dissipent. Il me souhaite la mort. Je ne cautionne pas.
On a fini à pied. La caisse abandonnée à Hôtel de Ville. Ni lui ni moi n’étions capable de quoi que ce soit. Tonitruants, c’était cacophonique. Et face à Notre Dame, sur le parvis, nous avons eu l’échange le plus pur et le plus sain étant donné à des hommes de haute qualité. Quasimodo hurlait. Remontés par Charon, nous avons fui. Pas lâchement, non. Juste par instinct. Aucun regret. Je sors mon téléphone et checke l’heure. Dix heures. Ce n’est pas la nôtre. Mea culpa. Mea maxima culpa.
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