« Réelle Vie 2.0 » : quand la retenue est la meilleure des vertu

In Chroniques by Florian ReapHitLeave a Comment

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Date de sortie : 2 mars 2018

Label :  LDS (Les Derniers Salopards)

Featuring : Dabs

Production : Bersa, Khayne, GapFresh

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Repéré par Mercury, soutenu par Booba, quasi inconnu il y a un an, avec son deuxième projet « Réelle Vie 2.0 », Maes est en passe de devenir la nouvelle sensation de 2018. Retour sur le parcours de la mauvaise graine du 93, devenu jeune pousse du rap français.

Originaire de Sevran Beaudottes, Maes baigne très tôt dans le rap et ses à cotés, comme tout jeune du 93. Parmi ses références, le rappeur cite volontiers les gros noms des années 90/2000. Il écoute Booba, Rohff, Sniper, se bute à Salif et accroche à la voix et au mélange des genres de Blacko. Dans le quartier tout le monde rappe, et dès ses 14 ans, Maes intègre son premier groupe : MSR. Mais tandis que la vie et les priorités éloignent les autres membres du micro, Maes persévère jusqu’à se lancer en solo, dès 2014 avec des premiers titres où l’on distingue déjà l’ébauche de son style et les prémisses d’une explosion.

Véritable produit de son environnement, Maes s’inscrit dans la lignée du classicisme rapologique du 93. A ce propos, c’est Hype dans La Sauce, qui vise le plus juste. Décrivant le style de Maes entre la froideur d’un Mac Tyer, l’énergie d’un Kaaris, et le style de MC Bolo, véritable pierre angulaire du rap sevrannais et par extension du style du 93.

2017 marque pour Maes un changement radical et le début d’une professionnalisation dans sa musique. Alors qu’il est incarcéré, le sevrannais sort son premier véritable projet, Réelle Vie en téléchargement sur Haute Culture. Un joli succès d’estime et un premier pavé lancé dans la mare de l’industrie, qui ne réussit pourtant pas à contenter le jeune rappeur. En interview, il explique : « J’étais dans une période où je pensais même pas à la musique, j’avais beaucoup d’autres soucis, tu vois. Mais dès qu’il est sorti, j’étais content que les gens le découvrent mais j’étais frustré, parce qu’il n’était pas abouti pour moi. »

Une visibilité nouvelle, et un recul sur sa musique révélateur de la maturité artistique du jeune artiste. 21 000 écoutes et 5000 téléchargements plus tard, lui qui n’avait pas pu finaliser son premier projet comme il l’aurait voulu prends toutes les cartes en mains pour réussir son destin. Repéré par Mercury pour un contrat de licence, Maes passe un cap, et avec son deuxième projet, s’inscrit parfaitement dans la hype du moment.

« Ca fait longtemps que je gratte j’ai pas enlevé la croute ». Ce qui frappe et interpelle avant tout chez Maes, c’est une certaine retenue dans son personnage et son écriture. Alors que la mode est à la surenchère, tant au niveau du personnage que de la musique, Maes navigue à contre courant, et développe un univers tout en retenue, ainsi qu’une écriture faites de successions d’images très simples, mais extrêmement efficaces.

Difficile sur ce point, comme il a été largement soulevé sur les réseaux sociaux, de ne pas prendre en référence le style d’écriture de PNL. Pourtant, il serait bien bête de penser qu’il s’agit ici d’une véritable référence tant le duo des Tarterets a, depuis 2015, façonné le rap français au point d’être aujourd’hui capable d’affirmer qu’ils sont à l’origine d’une tendance musicale. Difficile également de ne pas entendre au niveau des instrus, un mix de ce qu’a pu proposer la concurrence sur ces dernières années. « Switch Up » par exemple, rappelant de façon évidente SCH. En cause ? Une instru calquée sur le morceau « Drogue Prohibée » du marseillais. La faute au type beat sans doute. Mais inspirer n’est pas copier. Maes bouffe du rap depuis gamin, et comme tout un chacun s’inspire de son époque et de ses contemporains, à commencer par son pote Dabs.

Mélancolique, mais toujours énervé, classique sans être rétrograde, Maes navigue entre les époques et les genres pour développer un style propre et unique. Car si la variété de sonorités distillée dans Réelle Vie 2.0 est flagrante, c’est aussi et surtout la variété d’intensité dont est capable Maes qui impressionne et captive l’auditeur.  Le rappeur, entre les morceaux, passe du cri au murmure, du doux au rugueux. Une double utilisation de sa voix, tantôt criarde et colérique sur des morceaux street (Libérable, Sale Histoire, RS6) tantôt douce et fatigué sur des morceaux plus introspectifs. (Sur Moi, Mal à la vie) qui donne du corps et du cœur à ses récits et permet à l’auditeur d’être constamment surpris.

La voix, régulièrement transformé en cris, permet aussi au rappeur d’évoluer dans deux univers bien distincts, et de créer un double discours cohérent. Une quasi dualité opposant d’un coté le rappeur (et dealer) en représentation constante dans le rôle public qu’il doit jouer, s’occupant du terrain et de sa réput’, et de l’autre l’homme, qui une fois seul, se permet des réflexions plus intimistes et personnelles, se laisse aller à exprimer une certaine lassitude. Cette double lecture, ce double discours, permettant ainsi de transposer, une fois seul et délivré des artifices attachés au rôle qu’il doit jouer, la colère et la haine en mélancolie et le rejet en dégoût, les problèmes en habitudes.

C’est sur ce dernier point que la musique de Maes est captivante, et que nos écoutes acharnées et répétées prennent tout leur sens. Il ne s’agit aucunement de la volonté de construire un album hétérogène pouvant plaire au plus grand nombre, maximisant ainsi sa visibilité et ses chances d’exploser. Et même si Maes enchaîne les morceaux street et les titres skyrockables d’une bien jolie manière, passer pour le gentil dealer repenti afin de plaire aux parents de ien-clis n’est pas au programme. Il ne s’agit pas seulement de s’autoriser quelques refrains chantés, mais bien de la volonté d’être honnête et transparent, dans sa rage comme dans sa nonchalance. D’assumer une certaine timidité, un certain recul, d’accepter ses émotions contradictoires et d’utiliser sa voix pour accentuer l’impact sur l’auditeur.

Réelle Vie 2.0 est un condensé de tout cela. Une ébauche imparfaite certes, mais l’expression d’un potentiel indéniable, qui n’attend plus que la petite étincelle pour tout exploser. Bien conscient que « l’important c’est pas l’impact c’est la durée », il reste à Maes à se canaliser pour sortir cette année un premier album de qualité, sans jamais oublier sa si plaisante dualité. L’explosion tant attendue devrait logiquement suivre. On lui souhaite sincèrement.

Toujours est il que notre mois de mars s’est presque intégralement déroulé avec du Maes dans les oreilles, les mélodies de ses refrains sur les lèvres et qu’en 2018, un album qui donne autant envie d’y revenir est rare.

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Florian ReapHit

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