L.O.A.S : Les pieds sur le bitume, la tête dans l’au-delà

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 ©Matteo Carcelli
Il y a près de trois ans, nous interviewions L.O.A.S, Hyacinthe et Krampf, qui n’étaient alors qu’au début de leur aventure. Les bases du style étaient posées, mais les personnages pas encore poussés jusqu’à leur paroxysme. Trois ans plus tard donc, L.O.A.S a eu l’occasion de tisser son univers en solitaire, avec un premier album, NDMA, paru en 2015, puis avec Tout me fait rire, qui verra le jour le 14 avril. La sortie de ce nouvel album fut donc une parfaite occasion pour rencontrer à nouveau l’artiste, seul, cette fois, et pour mener une longue discussion, en tentant de disséquer ensemble cette nouvelle œuvre, tout en tissant des ponts entre sa musique, sa vie personnelle, et des sujets plus englobants, du tarot marseillais au concept de masque en passant par l’élévation par la culture pop.
Dans VLV tu dis « Tu connais la rengaine, si t’aimes quelque chose ne cherche pas à savoir comment c’est fait ». Du coup qu’est-ce que tu attends d’une interview ?

Ah ouais c’est meta de suite ! Peut être que le plus intéressant c’est de ne pas savoir comment les choses sont faites, mais plutôt de savoir pourquoi elles sont faites.

Depuis notre dernière interview (janvier 2014), comment considères-tu que les choses ont évoluées, pour toi et pour DFHDGB en général ?

On a fait cette interview peu de temps après la sortie de Ne pleurez pas Mademoiselle. Après ça il y a eu une énorme période de creux, moi dans ma vie personnelle et aussi, du coup, dans la musique, et là dessus toute l’année 2013 elle a été dans le vent… Et ça c’est ressenti… Parce qu’après Ne pleurez pas Mademoiselle il y avait vraiment quelque chose à embrayer, et au lieu de mettre 6 mois, on a mis un an et demi. Du coup quand on a redémarré les choses, il n’y avait pas le même élan…
Pour le reste, les choses n’évoluent que dans le bon sens, et se construisent naturellement, organiquement.

Justement quand tu m’as envoyé l’album, tu m’as dit qu’il était prêt depuis un petit moment déjà. Y a-t-il une raison au fait qu’il ne soit pas sorti plus vite ? Est-ce uniquement pour des raisons de calendrier ?

Dans tous les cas, il y a toujours un décalage entre le moment où tu crées la chose et le moment où tu vas la rendre accessible. Au début tu es plutôt dans la logique de faire un morceau, de te dire qu’il est bon, de le clipper et de le balancer dans la foulée. Mais ensuite en se professionnalisant, tu pars dans l’idée de construire un album, que tu dois sortir dans des conditions particulières. Là sur l’album que je t’ai fait écouter, les morceaux sont déjà dépassés pour moi. Si ça prend autant de temps, c’est parce que j’essaye de jouer sur cet album, avec la grosse machine de l’industrie musicale… Et du coup vu que c’est une grosse machine, c’est extrêmement lent, et tu dois passer par des étapes qui cassent les couilles, il y a des problèmes juridiques qui peuvent freiner de manière excessive les choses.

Le format de production n’a pas changé, c’est toujours DFH qui fait ses trucs avec des bouts de ficelle, les problèmes viennent plus de la distribution. Après soit on joue le jeu de cette machine, qui nous permet potentiellement de toucher plus de personnes, ou alors on le sort sur Bandcamp un peu comme j’ai fait avec NDMA.

J’ai la sensation que Tout me fait rire est un peu plus introspectif que le précédent disque encore, du moins de manière plus directe. On était déjà dans l’introspection avec le précédent, mais il fallait un peu recoller les morceaux pour voir ce qu’il y avait de personnel, alors que dans Tout me fait rire, il y a quelque chose de plus construit sur cet aspect-là.

Je pense que c’est vrai, après j’aime imaginer mes projets comme des morceaux, des pièces, que l’auditeur doit rassembler. C’est donc aussi une volonté de ne pas tout structurer, il faut qu’il y ait un effort de réflexion, il ne faut pas que ce soit complètement accessible à la première écoute. J’aime bien que les gens aillent chercher quelque chose, l’idée que mes albums sont des labyrinthes qui communiquent entre eux.

Après, c’est vrai qu’il est peut être plus cohérent. En même temps, il faut savoir que des morceaux j’en ai fait beaucoup, et que j’ai viré tous ceux qui ne rentraient pas dans l’esprit. Au bout d’un moment, il y a une certaine couleur qui se dessine : t’empiles des morceaux les uns sur les autres, et ça forme une espèce de matière. Tu donnes une forme à cette matière, c’est de la sculpture, et très vite tu vois qu’il y a des choses qui n’ont pas la même couleur, pas la même forme, et tu ne pourras pas les mettre dedans. Du coup, il y a eu une décision un peu radicale au bout d’un moment d’enlever des morceaux pour garder une cohérence

C’est en faisant que tu trouves où ça va aller, quelque part.

Exactement, les projets correspondent à des émotions, à des périodes de ta vie. Je suis encore quelqu’un qui fait de la musique depuis peu et je n’en suis pas encore au stade où je réfléchis. Je fais les choses de manière spontanée.

Tout a donc été fait dans un temps assez restreint ?

Pas forcément, les choses se sont un peu étalées. C’est plus un panel d’émotions, une expérience émotionnelle. C’est pas forcément dans le temps où je fais l’album qu’il y a une cohérence, c’est plus dans le champ émotionnel que j’explore. Le premier album était plus une sorte de cri de haine… Je te parlais de cette période de ma vie qui a été un creux, en 2013 notamment. J’avais beaucoup de choses à exprimer par rapport à ce que j’étais en train de vivre. Alors que ce second album, Tout me fait rire, qui correspond aussi déjà à mon passé donc, est plus dans le désespoir qui suit le cri de colère.

La manière dont tu le décris, on a l’impression que ta musique passe avant tout par la sensation et l’émotion, que ce n’est pas mathématique.

Je dirais que c’est un peu comme les peintres qui jettent de la peinture… C’est plus dans le mouvement et la manière de jeter la peinture que dans ce que je vais dessiner. Je vais mettre plein de couleurs un peu instinctives sur le tableau et après je regarde ce tableau, et je me dis « ah mais là je vois quelque chose, j’ai voulu dire ceci ou cela ». Et après je rassemble tout cela avec d’autres choses pour trouver la cohérence. De toute façon la cohérence est là, au niveau de l’émotion.
Après je dirais que c’est tout de même un peu mathématique, il y a toujours quelque chose de mathématique dans ce que l’on fait, dans le langage, le jeu avec les mots, la structure, le rythme. Forcément, il y a toujours des mathématiques.

Tu as sorti deux disques qui font tous les deux 11 titres. As-tu une préférence pour ce type de format d’albums courts ? Y a-t-il une justification au fait que tu privilégies ce type de format ?

Il y a plusieurs choses. Déjà, moi-même, je suis incapable d’écouter un album de plus de dix titres. Déjà au-delà de 5-6 titres , je zappe inconsciemment. Bon ça après c’est mon problème d’attention… Mais au-delà de ça, j’aime bien ce format là. Je pourrais faire des 20 titres, mais je préfère virer ce qui n’est pas cohérent, ce qui n’a pas sa place. Après je ne m’empêcherais pas un jour de faire quelque chose de plus long, ou de plus court, mais pour le moment c’est un format qui me correspond.
Et puis quand je fais un album sur la haine, je l’exprime, je l’exploite à fond, et je pense que sur ce type de sentiments, 11 titres, c’est le maximum que quelqu’un puisse encaisser. Se faire hurler dessus, même si les instrus sont bonnes et que c’est bien écrit, ça atteint quand même les gens… Même chose avec le fait que ça touche à la dépression, au-delà de 11 titres, je me demande si les gens ne commenceraient pas à suffoquer…

Quelque part c’est un peu similaire à ce qu’on peut trouver dans le punk. Il n’y a pas (ou presque?) d’albums punks de 70 minutes, parce que ce serait difficilement abordable, et aussi parce que ça va de pair avec la musique que c’est. Le format va de soi.

Oui, malgré le fait que je n’ai jamais vraiment écouté de punk dans ma vie, j’ai l’impression d’être la mouvance punk du rap. Je me trouve un certain nombre de points communs avec ces gens-là, et je remarque qu’il y a un certain nombre de mes auditeurs qui apprécie le punk, donc je me dis qu’il y a forcément un truc.

Parlons un peu du titre VLV. J’ai été surpris de t’entendre sur ce terrain. Pour moi il y a, sur ce morceau, une énergie qui est relativement similaire à celle que l’on peut avoir sur un titre tel que Derrière les cyprès, mais thématiquement, je ne m’attendais pas à ce que tu touches à un tel sujet. Peux-tu nous parler de la conception du morceau ?

Je peux te retracer l’historique du morceau qui est assez simple. J’ai reçu la production juste avant l’été 2015 et j’avais cette frustration, cette sensation que rien ne bougeait, du coup j’ai eu envie de faire un morceau pour inciter les gens à sortir. En fait, c’était ce que j’avais envie de faire : sortir et tout casser, et du coup j’ai voulu faire un hymne là-dessus.

Après il y a eu plusieurs choses… Au départ je voulais le sortir pour Noël, au vu du titre. Puis il y a eu les attentats, et je me suis demandé si après tout cela, les gens allaient comprendre le titre. Un mois plus tard, je me suis rendu compte que finalement le morceau était plus légitime que jamais et dans la foulée, il y a tous ces mouvements sociaux qui ont suivi, et du coup je me suis dit que j’avais bien lu la frustration dans les gens autour de moi.

Généralement ce ne sont pas des sujets que je veux traiter en musique, mais là j’avais vraiment cette émotion en moi et j’ai senti qu’il fallait la traiter.

Au delà de ça, ça ne sonne pas vraiment comme un morceau de réaction à l’actu. Ça devrait pouvoir vieillir et ne pas rester un simple morceau ancré dans une période spécifique.

En fait je ne l’ai pas écrit par rapport à la période. La volonté était surtout de m’appuyer sur cette sensation de frustration que j’avais et de me dire, si je devais faire un morceau qui incite les gens à foutre le bordel, ce serait quoi ? Je n’allais donc pas me mettre à citer tel ou tel homme politique, ou telle ou telle date, c’est plus comme un hymne que tu vas reprendre. Concrètement, ça n’a pas fonctionné de pair avec les mouvements sociaux, et tant mieux en fait. Ça m’aurait fait chier qu’il y ait ce côté opportuniste du gars qui a fait le morceau par rapport à ça.

Avec le morceau que j’avais fait, j’avais juste à prendre des images du JT et je faisais un clip là dessus, avec des images de jeunes en train de bastonner des keufs… Ça aurait été hyper racoleur et ça aurait fonctionné de ouf, mais je voulais pas que ce soit ça.

C’est un peu une coïncidence s’il y a ce mouvement social populaire qui s’est mis en route pile au moment où je voulais sortir le morceau.

Le rapport à la paternité est évoqué de manière régulière dans l’album. On entend même la voix de ton fils…

Oui, effectivement c’est des choses que j’avais commencé à développer dans NDMA, tout comme j’avais commencé à aborder l’histoire de l’assassinat de mon ami. Après c’est toujours des choses délicates, je suis incapable de faire un morceau sur un thème. C’est plus des moments où il y a des phrases qui sortent et je les note.

La question de la fuite revient aussi quelque peu, cette idée de quitter la ville, d’aller vers autre chose.

Oui je suis souvent déchiré par cette problématique. Paris j’y ai vécu, ensuite je suis parti en Inde, puis dans le sud de la France, puis je suis revenu, et là ça me redémange… Mais au bout de trois ans éloigné d’ici, je sais que j’aurais envie de revenir.

Là je suis aussi ici pour continuer à développer ce que j’ai commencé à faire dans la musique, mais je n’exclus pas, quand ce sera possible, de partir et de continuer, mais en dehors de Paris.

Tu ne considères donc pas que ta vie musicale est reliée à cette ville ?

Non, après il y a des ancrages solides à installer, ensuite tu peux te permettre de partir.

Par exemple, tu fais de la musique avec un mec comme Tomalone, et lui évolue un peu loin de tout ça.

Oui, il est dans le sud, il habite à côté de là où j’ai grandi ! Effectivement ça n’empêche pas, je bosse aussi avec un mec comme New Fear qui est en Biélorussie, Robotnik qui dernièrement était au Japon…

Pour revenir aux thématiques de l’album, dans une phrase tu dis « Ce que t’appelles dépression, je l’appelle vérité ». Est-ce que pour toi c’est possible d’avoir les yeux ouverts sur le monde, d’être entièrement lucide, mais de rester heureux ?

Je dirais que la dépression est le sentiment qui accompagne ton impuissance à faire face à une vérité. Effectivement je pense que les gens dépressifs sont plus lucides, mais cette lucidité ils la payent, du fait qu’intérieurement ils ne sont pas assez préparés à cela. Donc oui, je dirais que c’est possible, mais que ça nécessite beaucoup de travail intérieur, celui pour aller la vérité d’abord, puis celui pour apprendre à s’en accommoder.

Plus les choses avancent, plus tu chantes, plus tu utilises de filtres, d’autotune … On a le sentiment que tu te diriges de plus en plus vers une musique hybride.

Je suis ultra-fan de cet album de Neil Young, Trans, qui est partiellement consacré à son fils handicapé. Cet album c’est un peu le 808 and Heartbreak de cette époque là. Il s’est fait pourrir quand il l’a sorti, un peu comme Kanye pour 808.
J’ai utilisé pas mal de filtres car ça correspondait bien à l’émotion que je voulais retranscrire, notamment quand je parle à mon fils. Et j’avais cet album de Neil Young en tête quand je chante …

C’est effectivement de plus en plus hybride ce que je suis en train de faire, la volonté était clairement d’aller à la frontière entre le rap, et une chanson pop française que j’assume plus ou moins selon des morceaux, et que je compte explorer par la suite.

Justement c’est la deuxième fois sur cet album que vous pitchez un morceau de chanson française/variété. Quel est ton rapport à cette musique ?

Je n’en ai jamais écouté et mes parents n’en écoutaient pas non plus, il était plutôt versés dans le son anglo-saxon et américain. J’ai énormément de lacunes là dedans. Je ne me sens pas héritier de ça donc. Je fais juste les choses à ma manière.

Pour les samples, c’est plus un concours de circonstances. La première fois c’était Krampf (ndlr : pour le morceau La fin), qui avait utilisé un morceau de Patrick Juvet (ndlr : De plus en plus seul), que lui avait filé SlikK tim, qui est mon batteur sur scène. Krampf en avait fait ce truc qui était assez génial.
En fait il y a ce truc profondément émo, sirupeux, qu’on a un peu aussi à notre manière chez DFHDGB, et qu’il faut assumer jusqu’au bout.

Là sur cet album c’est Koursky Lion qui fait la production, et en réalité on a pris la décision avec Krampf, quand on était en train de mixer le morceau, de rajouter ce sample à la fin, pitché de la même manière qui vient conclure tout ça.

Pour revenir à la chanson française j’en écoute assez peu. J’ai découvert Bashung très très tard. Quand j’étais jeune il y avait Gainsbourg mais il me faisait profondément chier. Aujourd’hui il y a des choses que j’aime bien mais son personnage ne m’intéressait pas vraiment, ça ne me touchait pas.
Cabrel, j’ai toujours trouvé ça un peu neuneu, même s’il y a de très belles choses.

Après globalement plutôt que de sampler toujours les mêmes morceaux de Soul Américaine etc. Autant aller sampler chez nous, même si c’est pas forcément ce qu’on écoute, ça peut faire son effet aussi.

@Jippé Core
Est-ce que tu peux nous parler un peu de la composition du morceau Un flingue en porcelaine ? Il y a quelque chose d’assez minimal là dedans, et la construction du son autour de cette espèce de mantra est intéressante.

Pour parler du refrain, c’était vraiment quelque chose que j’avais envie d’exprimer. A force de parler de drogues, je voulais quand même parler d’un ressenti qui n’est pas juste de l’auto-destruction pure. Il y a aussi cette facette là dans ce que vit une personne qui se défonce. Il y a deux versants de la montagne, tu montes, tu redescend. Et c’était important pour moi d’explorer ce deuxième versant là. Le gimmick s’adresse d’ailleurs à une personne qui existe vraiment.

Pour l’écriture, c’était purement instinctif. J’avais à disposition cette petite mélodie de piano, et j’écrivais dessus. J’avais des images qui me venait en tête et je me suis basé là dessus. Après c’est imagé mais ça décrit une réalité. J’écris littéralement ce que je vois à ce moment là.

J’ai la situation : je sais que je suis dans cette chambre d’appartement, j’ai la fenêtre, je vois les nuages qui passent, et comme je suis dans un état un peu altéré, les nuages ne sont pas vraiment des nuages, etc.

Peux-tu nous parler de cette idée d’avoir mis un morceau caché à la fin du dernier morceau. Penses-tu que les auditeurs sont encore prêts à accepter un tel dispositif, qu’ils ne vont pas immédiatement zieuter leur lecteur multimédia à la fin du premier morceau, et voir qu’il y a quelque chose de caché ?

Le morceau caché sera présent uniquement sur le CD. Si tu achètes le digital, tu ne l’auras pas. C’est une manière de rajouter un petit truc pour les gens qui achètent du physique.
Ce morceau caché fait référence à la fin de l’outro qui dit que je me suis débarrassé de ma haine. Il y a un espèce de chemin dans l’album, un point d’entrée, un point de sortie, un cheminement entre ces trucs là. Et ce morceau caché vient un peu comme une blague du type : « Ok j’ai tombé le masque, mais la pièce de théâtre n’est pas terminée. »
Ça m’amuse aussi que ça fasse peur aux gens, qu’il pense l’album terminé et que d’un coup, surgisse la voix de cet enfant, que l’auditeur se demande d’où elle vient, et que ce morceau bien violent arrive.

D’ailleurs vous avez des liens avec les mecs de Casual Gabberz ?

Ouais effectivement, Paulseul, qui a produit VLV fait partie de Casual Gabberz.
Sinon le remix est de RER E qui est donc composé de Paulseul, de Evil Grimace qui a fait un super remix de LIM qui s’appelle « Trois litres de Vodka », ça c’est un putain d’hymne, il faut l’écouter. Et le troisième c’est Furious D.

Le remix aurait du être sur le vinyle mais ça n’a pas pu se faire pour des questions de délais.

Justement ce vinyle de VLV, sur le format un titre/plusieurs remixs, a un côté assez électro dans sa tracklist.

Ca a été fait quand on était en distribution chez Naïve, qui avait sorti l’album de Hyacinthe en digital. Moi j’avais sorti VLV tout seul de mon côté sur Internet, et Marie Audigier qui est la directrice de Naive qui a écouté le morceau et qui l’a trouvé fabuleux, et elle a tenu à le sortir pour le Disquaire Day. D’ailleurs c’est un peu la nouvelle lubie de l’industrie, de refaire des vinyles, en surfant sur toutes sortes de tendances.

Du coup, j’ai demandé à des copains de faire des remixs et on a sorti ça. Mais effectivement ça ressemble à un format électro. De toute façon c’est un morceau électro, le sample original de VLV est un morceau de Gabber. Chacun a apporté sa touche après, plutôt hip hop, plutôt drum’n’bass, plutôt cloud, …

Sur twitter, j’ai vu que tu parlais d’un mathématicien qui s’appelait Grothendieck. Est-ce que c’est un sujet qui t’intéresse ?

Je suis tombé dessus complètement par hasard via Internet. Je n’ai pas les connaissances pour aller lire des choses poussées sur le sujet. Après l’histoire de ce gars est fascinante : c’est l’un des plus grands mathématiciens du Xxème siècle, et il a décidé de tout laisser tomber du jour au lendemain. Il s’est cloîtré chez lui et refusait de parler à qui que ce soit. Il s’est mis à écrire des textes complètements délirants, c’est pour ça que j’ai dit que c’était le Despo des mathématiques.

J’ai donc récupéré les manuscrits de ce qu’il a écrit, des textes, en partie biographique, ésotériques, spirituels, … Forcément c’est de la matière pour moi, ça me parle énormément, je me reconnais dans ce genre de personnages qui vont jusqu’à se fumer le cerveau pour une pensée et à oublier complètement le reste.

On avait déjà parlé de Jodorowsky il y a quelques temps … Passons sur la question de son cinéma dont tu as déjà un peu parlé, Jodorowsky est aussi passionné par le tarot marseillais. Est-ce une discipline que tu as étudié ?

Oui d’ailleurs c’est marrant parce-qu’ici on est à quelques centaines de mètres du bar où Jodorowsky tirait les cartes il y a quelques temps (ndlr : il a maintenant laissé place à son « élève »).

Mais sinon c’est un sujet que j’ai étudié, plutôt par curiosité. Déjà j’aime beaucoup l’objet, je trouve ça fascinant. Là il fait chaud en ce moment je ne l’ai pas … mais quand il commence à faire plus froid, que j’ai une veste, j’ai toujours mon jeu dans ma poche. Je m’en sers finalement assez peu, c’est plus un truc que j’aime avoir sur moi. J’aime étaler les cartes, raconter des histoires.
Pour moi entre le tarot et le cinéma il y a vraiment une similitude, et d’ailleurs, quand j’étais à l’université, j’ai écrit quelque chose là dessus : comment on peut retrouver des archétypes du tarot dans le cinéma, comment la pratique du tarot est une forme de proto-cinéma (en mettant des images côte à côte, on raconte une histoire), etc.

En ce qui concerne le tirage, le plus important, c’est surtout de poser la bonne question. Tout est dans la question que tu vas poser. Ce n’est pas quelque chose que tu utilises pour lire l’avenir, ça c’est des trucs de fêtes foraines. Il faut poser des questions sur le présent, et la manière dont on les pose, c’est ça qui fait toute la différence, et même pas forcément que dans le tarot, mais dans la vie de tous les jours aussi. Savoir bien formuler une question, c’est avoir la moitié de sa réponse.

Dans la musique et dans la vidéo aussi. J’espère faire quelque chose qui interroge les gens. C’est pour ça qu’il y a des indices, des fragments, que ce sont des choses qui sont morcelées, éparpillées.

C’est vrai qu’il y a ça dans ce que tu fais, en solo ou avec Hyacinthe, et même lorsque ça touche à des trucs plus potaches. Il y a souvent des choses à reconstituer.

Oui c’est vrai qu’on est loin d’être toujours sérieux, mais même dans mes textes les plus ras les pâquerettes, j’essaye de toujours laisser un petit truc très intelligent, histoire de titiller un peu l’esprit. C’est ça que j’aime bien.

Interview « Faux »
Passons en revue quelques personnages qui ont joués avec l’idée de masque
Andy Kaufman : d’apparence on pourrait considérer que le mec est juste une grosse blague, ce qui est le cas, mais il y a quand même une couche plus métaphysique derrière tout ça. Est-ce un personnage qui te touche ?

Comme tout le monde je l’ai découvert via le film « Man on the moon » avec Jim Carrey, qui est très bon … Jim Carrey est incroyable dedans déjà. Ça me parle à fond même si ça vient pas s’inscrire directement dans ce que je fais moi même.

J’ai découvert le personnage plus en profondeur en allant à une conférence (www.dailymotion.com/video/x2t5lct) de Pacôme Thiellement, et du coup c’est aussi par ce biais là que j’ai commencé à m’intéresser à ce que faisait Pacôme Thiellement qui est aussi un autre personnage assez intéressant, qui a lui, l’avantage d’être vivant et de n’être pas très loin de nous. Il se trouve qu’on a des amis en communs, et ça me ferait plaisir de pouvoir le rencontrer, je pense qu’on a plein de choses à se dire.

Son parti pris de partir de la culture populaire, via Lost, Twin Peaks, la musique pop, ou autre, pour remonter très loin et aller reconnecter tout cela à des textes antiques et sacrés est assez intéressante.

C’est une démarche que je trouve excellente, je suis tout à fait là dedans. C’est aussi ce que j’essaye de faire. De partir de choses qui sont en apparence vulgaires, agressives, de les emmener vers quelque chose d’un peu plus élevé. Après c’est aussi ma démarche à moi donc c’est normal que ça ressorte … Mais si je peux emmener des gens à se poser des questions, c’est parfait.

Au début de la conférence, Pacôme Thiellement a été pris d’un fou rire, un rire très aigu, je me suis dit : « mais qu’est-ce que c’est que ce truc?! » et après il est parti et c’était assez incroyable, j’ai pris des notes, j’étais comme à l’école.

Autre personnage : Castaneda. Déjà il y a tout ce trouble autour de son identité – même si à priori il y a une énorme part de mensonge – mais un mensonge qui constitue un masque en soit. Et puis il y a le fait que la philosophie de son maître Dom Juan professe le fait de se débarrasser pleinement de son identité, de tuer son passé. Ce qui quelque part justifie l’escroquerie que le mec incarne.

Je m’y suis intéressé forcément, déjà par rapport à tout ce qu’il y a autour du personnage. Je suis toujours fasciné par le monde des chamans et des amérindiens. Castaneda j’en ai lu assez peu, et ça me gonfle un peu. Le personnage, je pense qu’il mène les gens vers rien. L’idée développée est intéressante mais il n’y a rien derrière.

Je ne dirais pas qu’il mène les gens vers rien, mais plutôt qu’il peut incarner une porte d’ouverture vers certains sujets. D’autant plus que c’est un excellent narrateur et qu’il se lit facilement.

Oui c’est peut être une porte mais pour moi ça décrédibilise surtout tout un monde. Parce-que de fait, si lui ce qu’il raconte c’est du mensonge, les gens qui vont le découvrir vont se dire que l’entièreté de ce monde là est constitué d’affabulateurs. Moi ce qui me gène quand je le lis, c’est vraiment que je ne perçois pas la réalité qu’il décrit. Je sais pas il y a des chamans, des poètes, des rappeurs … des clodos dans la rue qui te parlent, qui te disent des choses incohérentes, mais tu sens la réalité derrière. Chez Castaneda, je ne la ressens pas.

Pour l’histoire du mensonge et de la vérité … Je dirais qu’il y a des mensonges qui mènent vers la réalité. La vérité c’est ce qui est fertile. C’est ce qui permet d’évoluer, d’avancer, de progresser. Un mensonge peut être la vérité. A partir du moment où tu en as besoin parce-qu’il te mène vers quelque chose … il y a une forme de vérité derrière

Si la vérité c’est quelque chose qui te frustre, qui te prostre chez toi, qui te force à rester affalé dans ton lit à regarder des séries télés … c’est pas une vérité. C’est juste contre-productif. C’est pour ça que la dépression est juste une attitude prise face à une vérité.

Autre personnage controversé : Freud.

Je déteste. Après il avait une super collection de masques africains, d’objets égyptiens, etc. Et ça je kiffe. J’ai lu un bouquin récemment là dessus … C’était un archéologue en fait. Tout ce qu’il a raconté sur la psyché humaine était à 90 % de la merde, c’est juste lui qui était en train de s’auto-analyser et il en a tiré des conclusions sur l’humanité entière. Après son intérêt pour les cultures était particulièrement intéressant. Selon moi, la démarche est bonne mais pas les conclusions.

Concernant Freud et Jung, c’est marrant parce-qu’aujourd’hui on tend à en faire des vérités scientifiques, mais c’est quand même deux personnes très versées dans l’ésotérisme.

Alors Jung je respecte. Après c’est obscur et j’ai pas encore eu le courage de m’y plonger pleinement. Mais de ce que j’ai pu lire et aborder, ça me parle beaucoup plus.

Je lis un livre qui s’appelle « Mensonges freudiens » en ce moment, et qui parle notamment de la manière dont les sociétés psychanalytiques ont verrouillé la pensée sur Freud, en interdisant notamment la consultation de bon nombre de documents, voir en faussant une partie de l’histoire. Le mec a, avec l’aide de ses disciples, crée un vrai mythe contrôlé, limite sectaire.

De toute façon c’est assez flagrant tout autour de tout, les systèmes sectaires sont partout, et pas forcément dans ce qu’on appelle les sectes … Elles sont là où on ne veut pas les nommer. Après on va combattre tel ou tel groupe de pensée, telle personne qui fait de la médecine alternative, … La majorité des structures en France est sectaire. Après Freud aura au moins eu le mérite de ramener l’attention des gens sur le rêve.

@Julia Weber
« Si tu m’aimes pas, c’est que t’as bon goût ». Est-ce que tu as un attrait particulier pour les choses considérées comme de mauvais goût.

La question c’est surtout, qu’est-ce que le bon goût, qu’est-ce que le mauvais goût ? La plupart du temps le bon goût me fait chier. Ca ne veut pas dire que j’aime le mauvais goût, c’est juste le diktat du bon goût qui m’emmerde, dans tous les domaines, que ce soit dans la musique, les sappes, l’architecture, … Mais c’est vraiment l’idée de diktat qui m’ennuie plus que tout là dedans en fait.
J’aime bien aller chercher des choses dans le mauvais goût, les en sortir pour aller un peu provoquer les gens.

Après cette phrase c’est aussi pour dire que je m’en fous qu’on m’aime, ce n’est pas mon cheval de bataille. Si les gens comprennent un peu la démarche c’est déjà cool.

Comment tu situes la limite entre toi et le personnage de L.O.A.S ?

Je sais de moins en moins où est le personnage de L.O.A.S. Au début c’est très clair, tu es une personne qui décide de s’ancrer dans la musique par un certain biais, et au fil du temps les frontières se trouble, et c’est moins évident de faire la distinction. Tu ne sais plus à quel moment tu portes le masque, à quel moment tu l’enlèves, …

Sinon qu’est-ce que tu as pensé de l’album ?

Je me suis d’abord familiarisé avec les 5 premiers titres, puis petit à petit j’ai réussi à rentrer entièrement dedans. J’ai eu temps d’appréhension mais plus ça avance plus je rentre dans le projet de manière globale. J’ai fini de préparer l’interview en écoutant en boucle 17072009.

C’est marrant parce que le titre que tu avais choisi pour la chronique de NDMA, c’est exactement ce dont parle ce titre. 17072009 c’est une initiation manquée. C’est le moment où tu passes de l’autre côté du miroir, que tu commences à voir des choses, que tu n’arrives pas à voir habituellement, et qui sont là autour de toi comme des réalités. C’est Déjà mort en fait, c’est le moment où je suis mort pour la première fois. Enfin une deuxième fois, si tu comptes la naissance comme une mort.

En fait toute cette thématique vient précisément de ce jour là …

D’ailleurs il y a un rapport aux dates assez fort dans le disque

C’était vraiment une volonté avec ce projet là de l’inscrire dans le temps. Il y a une réflexion sous-jacente dans cet album sur la temporalité. Le travail du temps, comment on s’inscrit dedans, tout cela faisait partie de mes réflexions au moment de l’enregistrement.

Il y a des morceaux qui paraissent un peu complexes pour le live, est-ce que tu t’adaptes par rapport à ça ? Est-ce qu’il y a du défi là dedans ?

En fait tout dépend des formules de live. Dans tous les cas, quand j’arrive sur scène, j’essaye de proposer quelque chose de très différent du disque. Quand tu viens à un concert de L.O.A.S, ce n’est pas juste pour écouter l’album. Il y a une interprétation différente, j’arrive avec mon batteur, SliKk Tim, … Par exemple un morceau comme « Quand tu m’tueras », au départ je ne le faisais pas en live, et aujourd’hui c’est devenu un des moments incontournables.
Je me pose assez peu de questions, je fais les choses assez instinctivement. La question c’est surtout de savoir faire les bons enchaînements. Par exemple, Carcosa, jusqu’à présent, s’insérait très bien dans le set, mais je vais peut être l’enlever … Souvent je teste des morceaux qui ne sont pas encore sortis que je fais en live, voir la réaction des gens est important pour moi. Dernièrement j’utilisais un peu d’autotune sur scène, des petites touches comme ça.

C’est marrant je relisais l’interview de Captcha dernièrement, et vous disiez qu’à l’époque vous ne saviez pas faire d’autotune.

Oui effectivement … Quand j’ai commencé j’avais très envie d’en faire, mais là il y a une petite overdose. J’aime ça, mais aujourd’hui tu vas voir un mec de label il te dit « ah il y a de l’autotune, ah ouais c’est comme PNL ! ». Les mecs ne comprennent rien … C’est un outil que j’aime bien, mais il commence à y avoir trop d’uniformisation avec ça.

Pour revenir à la question du concert, faut avouer que c’est parfois assez décevant sur le plan musical.

Oui parce qu’il y a des choses que tu ne peux vraiment pas refaire sur scène, c’est dur d’être aussi parfait techniquement que sur disque. Après si t’as une grosse machine derrière qui te permet tout ça c’est encore autre chose.
Mais c’est pour ça que j’essaye d’emmener une autre énergie, il faut que ça pulse différemment. Je fais pas mal de freestyles aussi sur des instrus plus ou moins connues

Dernièrement tu réalises un certain nombre de clip.

Oui j’ai fait Quand tu m’tueras, Nos yeux gonflés, l’ennui …
D’ailleurs je suis extrêmement fier de celui de Quand tu m’tueras, même s’il est tourné un peu à l’arrache avec un iPhone.
Celui de l’ennui a quelques maladresse, après il est fait avec zéro moyens … Il y a toujours ce décalage avec ce que j’ai dans la tête et ce que je peux techniquement faire. On en finit toujours par se dire « bon ben pas grave, on a que ça, on va faire avec ».
Ca me plait beaucoup, après je n’arrive pas à passer le cap de réaliser pour moi, en me filmant moi même.

Si non pour approfondir le sujet Tomalone : le point de départ de Tout me faire rire, ce sont deux instrus qu’il m’a envoyé : celle de 17072009 et celle de La lune. C’est sur la base de ces deux morceaux que j’ai construit le projet en fait. Et j’étais beaucoup en contact avec lui en fait, dès que je finissais un morceau je lui envoyais, il le cleanait un peu … Tout me fait rire, sur toute la première partie de la conception de l’album, ça s’est fait en dialogue avec Tomalone.

D’accord, en fait c’est un peu comme ce que tu faisais avec Krampf précédemment ?

En fait Krampf a pris la suite, et on a l’a peaufiné ensemble.
Mais Tomalone a quand même donné un peu la couleur du projet. En retour, je lui ai fait un clip. C’est des services mutuels !

Sur ce morceau on a eu envie de faire un truc plus adolescent, plus frais, pour montrer une autre facette. On en a un peu marre de toujours être catégorisés comme des mecs ultra-vulgaires, alors que ce qu’on est fait beau, sans vouloir nous vanter, mais les gens ne se focalisent que sur le gros mot, sur la partie trash. Il ne voit pas l’atmosphère générale du morceau et s’arrête sur des trucs au hasard « Ah mais putain il a dit pute ?! ».

Pareil pour les clips, avant on faisait des choses un peu extrêmes, mais pour ce projet là je ne me suis presque pas impliqué dans la réal’ et j’ai fait appel à des gens de qui je respecte les clips : Kevin, Julius, Nico …

On aura des clips un peu moins concepts qu’au début de DFHDGB. Au début on mettait le paquet là dessus et les gens en oubliaient presque la musique.
Du coup je me suis un peu dégagé de ça, on va faire des trucs un peu plus dans le cadre, et vraiment rester concentrés sur la musique.

Après les clips c’est bien, je m’y remettrai, si j’ai d’autres propositions, si on me demande de réaliser des trucs avec des moyens à peu près corrects, je fonce. C’est quelque chose que j’ai envie de continuer à approfondir, à travailler. De toute façon j’écris tout le temps, si c’est pas pour le rap, c’est des scénarios, des concepts, je suis tout le temps en train d’écrire, le rap c’est que 5 % de ma production écrite.

Justement ça ne t’intéresse pas de réaliser autre chose qu’un clip ?

Ah si bien sur. De toute façon, ce que je m’étais fixé dans le début de ma vingtaine c’était : un album, un film, un livre. L’album c’est fait, je continue parce que ça me plaît mais je suis déjà en train de réfléchir à la suite. Comme je prends un peu de l’âge, je réfléchis en décennies …

Faire du cinéma, ça me plaît, et je vais le faire. Et le bouquin c’est pareil, je le ferai quand je serai complètement incapable de sortir de mon lit, de chez moi, je serais obligé. J’aurai la main tremblante et je ferai le déroulé de toute ma vie. Il y a aura des choses à raconter, t’inquiètes.

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Nadsat
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