Liquid contre le reste du monde

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Liqid contre le reste du Monde, le titre du premier album du Sieur donne le ton. Au delà de la petite provocation qu’il représente, après sa carrière au sein des Gourmets, c’estsurtout une bonne partie de l’univers de Liqid qu’il résume.

Un rap à part, en marge, mais surtout une référence évidente à Scott Pilgrim contre le reste du Monde, comic, film et jeu vidéo, totalement dédié à la gloire de la culture geek, et à l’old school gaming. Une certaine quête de puissance, d’une maîtrise technique, qui ne laissera pas insensible les amateurs du genre. Interview.

ReapHit : Salut Liqid, est-ce que tu pourrais te présenter pour ceux qui ne te connaissent pas ? 

Liqid : Je suis Liqid, MC, rappeur, depuis une dizaine d’années maintenant. J’ai commencé à rapper en 1999. Je viens de la banlieue lyonnaise –de Vaulx-en-Velin précisément. Ca n’a pas beaucoup d’intérêt dans notre histoire, mais c’est un élément de présentation comme un autre. Je suis passé par plusieurs formations. La principale, c’est Les Gourmets : un groupe actif de fin 2002 à fin 2010. Les Gourmets représentent une grosse partie de mon histoire et c’est, je pense, ce qui a défini tout mon parcours et ma couleur musicale. Depuis 2010, le groupe n’existe plus, ce qui explique que je sois en solo depuis ce moment-là. Je suis en solo mais je ne suis pas tout seul, puisque j’ai participé à la création d’un nouveau label, Mutant Ninja.

Peux-tu nous en dire un peu plus sur « Mutant Ninja »? 

On a créé Mutant Ninja il y a maintenant un an. Quand on l’a crée, on avait déjà l’ambition que ça devienne un label mais Mutant Ninja n’a véritablement eu une activité de label que depuis quelques mois. Le label est dirigé par Yannick -ici présent, mais qui préfère ne pas parler. Plusieurs projets sont à développer sur le label, mais pour l’heure on a déjà sorti un EP de TcheepTechnodrome, qui existe en vinyle et en digital et mon album, Liqid contre le reste du monde. L’idée, c’est vraiment de faire de beaux objets. Sans péter plus haut que notre cul, on a une volonté d’amener le label au même niveau que Rhymesayers ou Stones Throw, qui sont des labels que l’on kiffe. Voilà ce que l’on aimerait développer en France, malgré nos moyens bolcheviques.

Tcheep et moi sommes à l’origine du label, dans le sens où nous sommes ceux qui en avons eu l’idée, mais Arom (La Spirale) est une partie intégrante de l’équipe (puisqu’il est là depuis le début et même depuis avant le début). Andy Kayes, c’est pareil : il est là depuis des années et c’est vraiment la « famille ». Bonetrips lui aussi, est là en tant que producteur et « super réal studio ».

Et qui trouve-t-on derrière la vidéo? 

Derrière les vidéos, il y a plusieurs personnes en revanche. On doit les images de « J’irai rapper chez vous » à Aucune Notoriété. Mais ça varie, derrière « La fin de l’été », il y a 119 Films par exemple, ou Jac & Johan pour « Warp Zone ».

On a la volonté d’avoir de l’image mais il n’y a pas d’équipe vidéo dans la bande. La plupart des mecs qui ont fait nos vidéos sont des potes, des gens avec qui on partage la même vision de la musique et la même vision de la façon dont il faut faire les choses. Il y a aussi des mecs que l’on rencontre au gré des opportunités et qui vont manifester de l’intérêt pour un truc à un moment donné. Ça arrive même que l’on aille, nous, chercher tel mec parce que l’on se dit qu’il va nous faire un super truc.

A quel moment de ta vie as-tu découvert le rap, et comment le désir d’en faire est monté en toi? 

J’ai découvert le rap pendant la deuxième moitié des années 90, donc assez jeune, à 13-14 ans. C’était une période où il y avait pas mal de trucs qui tournaient. J’ai toujours été très sensible aux textes, initialement. Du coup, un peu comme tout le monde à cette époque, j’ai beaucoup écouté Fabe ou Assassin, même. C’est des trucs que j’écoute plus forcément maintenant mais auxquels j’étais très sensible à un moment donné.

Par ailleurs, j’ai toujours été très intéressé par l’écriture. J’écris des trucs depuis que je suis gamin et quand j’ai découvert cette musique, je me suis rendu compte que je pouvais très facilement exprimer mes pensées par ce biais-là. Le rap, c’est un moyen assez facile de faire de la musique et de s’exprimer quand tu n’as pas forcément fait du solfège ou que tu n’as pas de connaissances musicales techniques. C’est une vraie porte d’entrée. C’est pour ça que je me suis engouffré dans le rap et je n’en suis jamais sorti.

Pour toi, le rap est un moyen d’expression avant d’être de la musique ? 

Non, le fait que le rap soit un moyen d’expression a seulement été ma porte d’entrée, comme je te l’ai dit. Je n’ai pas débarqué dans le rap avec une très grosse culture musicale ni un gros background par exemple. En revanche, je me suis vraiment construit ce background au fil du temps. Et cette culture musicale n’est pas que composée de rap. J’écoute des musiques électroniques, des « musiques du monde », beaucoup de musique arabe : énormément de choses qui m’ont enrichi. C’est pour ça que maintenant, je conçois vraiment le rap comme une musique. Si sur certains morceaux, j’ai plus envie d’exprimer des pensées, sur d’autres, j’ai juste envie de faire passer une émotion, de transmettre quelque chose par la musique. Si ma volonté première était vraiment d’écrire et de déclamer mes textes, elle a maintenant évolué et va peut-être un peu au-delà.

On t’a découvert avec Les Gourmets, et tu évolues désormais en solo: est-ce que cela change ta manière de travailler? Cela te permet-il de faire d’avantage tes propres choix et de te redéfinir en tant qu’artiste ? 

Effectivement, ça a complètement changé ma manière de travailler. Dans Les Gourmets, on était cinq, 3 MC’s et 2 beatmakers. On avait une vraie dynamique de groupe. Avec Les Gourmets, quand on s’attaquait à un morceau, il y avait 5 cerveaux pour réfléchir sur un morceau. Toi, t’arrivais avec tes idées et il fallait très vite qu’elles soient canalisées dans le truc donc en fait, ça allait très vite. Être en groupe, ça apporte un certain confort de création. C’est très stimulant mais ça pose tout de même un cadre. Là du coup, moi qui ai toujours évolué en groupe, je me suis retrouvé il y a deux ans et quelques, en solo. C’était un nouvel enjeu. Tout d’un coup, tu te retrouves seul face à ta feuille. Avant t’arrivais avec ton couplet dans lequel t’avais condensé toutes les superbes idées que t’avais. Tu avais ton 16 mesures et des idées en rab pour le refrain.

Maintenant il faut faire 2/3 couplets, un refrain et réussir à varier ton registre selon les morceaux. Au début, c’est presque effrayant. Tu te dis « comment vais-je pouvoir remplir tout cet espace ? » mais en réalité, c’est super excitant. C’est un nouvel espace, un nouveau terrain de jeu et de création. Pour moi, ça a été une super expérience. Ça m’a permis de comprendre ce que j’avais envie de faire à 100%. C’est aussi un moyen de m’exprimer de façon globale sur les morceaux mais aussi sur mon « personnage » de Liqid. Je sais maintenant ce que j’ai envie de véhiculer comme images, comme valeurs, comme univers.

Tu as sorti un album en cette fin d’année 2013, Liqid contre le reste du monde, peux-tu nous le présenter ? 

Liqid contre le reste du monde, c’est le résultat de ces deux ans d’expériences. C’est aussi la redéfinition de mon approche du rap. L’album rassemble tous les morceaux que j’ai crée après Les Gourmets. J’ai essayé de placer toutes mes pensées, toutes mes envies musicales et tous mes délires sur un format sur lequel on me retrouvait seul. L’album part dans pleins de directions mais il a quand même une certaine cohérence parce qu’il me représente vraiment. L’album me représente à l’heure présente, et rend compte de toute l’évolution qu’il y a eu au niveau personnel et musical. Donc je disais, il part dans plusieurs directions : quand j’ai commencé à écrire cet album, j’avais envie d’arriver à un résultat rétro-futuriste. Il en résulte des beats hip-hop relativement classiques – 90/95 bpm, avec des beats vraiment rap, SP-1200, comme on peut en connaître – avec des arrangements un peu plus futuristes, un peu plus électroniques. On retrouve cette combinaison dans des morceaux comme « Liqid contre le reste du monde », « Cours toujours » ou « Bifidus actif ».

A côté, les premiers morceaux que j’ai écrit étaient beaucoup plus perso. Forcément ! Dès que tu sors d’un groupe, tu te mets à raconter des trucs que tu n’as pas eu les moyens ou l’envie de sortir quand tu étais dans un délire d’équipe. Là je fais plutôt référence à des morceaux comme « Roue libre » ou « La fin de l’été ». Ce sont des morceaux qui sont plus personnels, et même plus traditionnels dans leur forme, mais c’était un truc que j’avais vraiment envie de faire. Après il y a des morceaux un peu plus fous, comme « Mallaaade » ou « Warp Zone ». Dans cet album, je navigue entre ces trois envies. Ca donne un côté un peu bordélique au tout mais ça correspond à ma personnalité et à ma manière de réfléchir, qui n’est pas forcément très académique. En revanche, il a entièrement été réalisé et mixé par Bonetrips (un ancien Gourmet). Bonetrips n’a pas forcément fait toutes les instrus mais il a eu un regard sur toutes. Grâce à lui et à son travail, l’album a une vraie couleur malgré mes délires variés.

Dans « Roue libre », on ressent cette envie chez toi de donner ta vérité et ta vision du monde. Est-ce une des raisons principales pour lesquelles tu fais du rap ? 

C’est vrai que « Roue libre » correspond à mes délires de gamin et à la période où j’ai commencé à faire du rap. Aujourd’hui, si tu me demandes à quoi ressemblerait mon morceau idéal, je te décrirais sûrement un morceau très différent de « Roue libre ». Mais mon Tarafa de 13 ans, il avait envie de faire ce morceau. C’est un morceau que j’aime beaucoup. Par contre, je l’ai fait à un moment de ma vie où j’étais dans un mauvais délire. Ce n’est pas le genre de morceaux que je peux facilement faire sur commande donc je ne sais pas si j’en ferai beaucoup, des titres comme « Roue libre ». J’espère ne pas trop en produire du coup… Parce que j’étais vraiment dans un mauvais délire quand je l’ai écrit !

En terme d’instrumentales, comment s’est passée la production de l’album ? Est-ce que l’on venait vers toi en te proposant des instrus et t’écrivais ? Est-ce que t’avais un regard sur les instrus ? 

Sur l’album, il y a plusieurs instrus de Bonetrips, avec qui je bosse depuis 10 ans. Avec lui, ça s’est toujours fait naturellement. Il a toujours pleins d’instrus et on se voit tout le temps. Pour l’album, j’allais le voir et je repartais avec des prods. J’écrivais un peu en random sur pleins d’instrus et finalement, je me focalisais sur une seule. A un moment, j’me disais : « c’est celle-là que je vais prendre ». Avec lui ca s’est passé comme ca. Simsima fait aussi pas mal d’instrus. On s’est connus un peu plus tard et on a tout de suite accroché. Il m’a filé deux trois prods, j’ai écrit dessus et elles sont restées telles que je les avais trouvé dans son disque dur. Autrement, il y a des mecs que je suis allé chercher plus spécifiquement parce que je voulais une certaine couleur par exemple. C’est le cas de Debmaster, qui fait la prod de « Mallaaade ». J’avais déjà écrit le texte, dans un délire un peu fou, super speed. Lui, je suis vraiment allé le voir en lui disant: « Voilà, j’ai un morceau rapide et assez court. J’ai envie d’une instru un peu dingue, d’un truc percutant, bien vénère et bien électronique ». Il m’a fait ça direct après à peine deux/trois essais.

Sur la version CD, il y a un inédit produit par DJ Honda, un producteur japonais assez culte de la fin des années 90. J’avais rencontré son manager, on s’était super bien entendus et on était restés en contact. Il avait vu les premiers clips que j’avais fait en solo et il avait trouvé ça mortel, du coup il m’avait dit: « Tiens, tu veux pas faire un truc avec Honda ? ». Je lui ai répondu « bah si, à fond ! ». J’étais très honoré ! Il m’a envoyé une dizaine de prods et j’en ai choisi une, avec Andy Kayes qui pose aussi dessus. Chaque morceau a une histoire vraiment différente. Le seul lien qu’il y a entre les morceaux, c’est Bonetrips. Il a tout mixé et tout rationnalisé sur le tracklisting.

Derrière tes morceaux, on retrouve donc Bonetrips mais aussi Debmaster, DJ Honda, ressens-tu toujours ce besoin d’être entouré comme tu as pu l’être avec Les Gourmets ? 

Oui, j’ai tellement été conditionné par le travail en groupe qu’il est obligatoire que je m’entoure. En plus, contrairement à pas mal d’autres mecs qui sont autonomes et qui sont capables de faire leurs prods eux-mêmes (j’en suis jaloux d’ailleurs), je ne suis qu’un MC. Mon truc, c’est de prendre une instru et de la défoncer. Du coup, il faut forcément que je bosse avec des beatmakers. Mon délire, c’est vraiment l’aventure musicale. Sur Liqid contre le reste du monde, j’ai tout balancé. C’est comme si j’avais quinze ans quand j’débarque sur Liqid contre le reste du monde : tout ce que j’avais envie de raconter, je le raconte d’un coup. Pour la suite, je sais précisément ce que j’ai envie de faire donc je sais que je vais aller chercher d’autres mecs avec qui on va bosser d’autres couleurs musicales par exemple. C’est ça qui me passionne. C’est ça qui est intéressant. Cette « aventure musicale » est beaucoup plus compliquée quand tu es tout seul dans ta chambre, à moins d’être Damon Albarn !

Je suppose que l’approche des textes a été très spontanée ? 

Les textes sont très spontanés mais assez travaillés tout de même. Il y a pas mal de couplets ou de morceaux sur lesquels je suis repassé plusieurs fois. D’abord, parce que je suis perfectionniste, et ensuite, parce que c’est mon premier « bébé », mon premier projet solo. J’avais envie de lui donner le couffin qu’il méritait. Je suis du genre à beaucoup réfléchir mais une fois que je me mets la tête dedans, que je produis et que j’écris : ça va toujours très vite. Donc finalement, tu as raison, c’est toujours très spontané. Et puis de toutes les manières, je me rends compte que plus je me prends la tête, moins c’est bien.

Du coup, Liqid contre le reste du monde te sert aussi de matière pour aller de l’avant et prouver ce dont tu es capable ? 

Tout à fait, c’est une sorte de démonstration de ce que j’ai été capable de faire à un instant T, de la même manière que « Roue libre » correspond à ce que j’ai retiré de quelques mois de ma vie. Peut-être que dans 5 ans, je serai dans un délire complètement différent ! C’est pour ça que c’est intéressant, à un moment donné, de fixer les choses et de se dire: « Voilà, ça : c’est Liqid en 2013 ». C’est pareil quand on suit l’évolution dans le temps du lettrage d’un vandale. Quand je réécoute les premiers morceaux que j’ai enregistré, je peux en rigoler parce que c’est super puéril par certains aspects, mais je suis fier quand même parce que c’est ma création. Ça correspond à un moment très précis de ma vie et ça fait partie de mon évolution.

Quelle a été la genèse du projet ? 

La frustration. La frustration est un très bon moteur si tu arrives à bien la gérer. Les Gourmets, ça s’est terminé un peu d’un coup et je suis complètement malade si je n’écris pas, si je n’ai pas de projet ni de création artistique. Donc je n’avais pas le choix. Les Gourmets terminés, je n’avais plus de projet musical puisque c’était mon « truc » dans la vie. De façon naturelle, j’ai donc continué à écrire. Etant tout seul, je suis naturellement allé chercher des instrus, j’ai enregistré mes morceaux et rempli le vide qui s’était imposé à moi. Il le fallait parce que j’étais tout seul. Au final, ça a fait un album. Il n’y a aucun moment où j’ai trop réfléchi. Tout s’est enchaîné de façon très naturelle. La genèse du projet c’est « je n’ai pas le choix, il faut que je crée ».

On ne voit pas Kokane dans le clip de « Warp Zone », comment s’est passée la connexion ?

Tu as raison. En fait, elle ne s’est pas passée directement. Au départ on s’est échangés quelques mails, et c’est tout.

Mais pourtant le résultat est très bon ! 

Merci ! En fait, je suis un gros fan de funk et de G-funk devant l’éternel. Même si ça ne se ressent pas trop dans mes morceaux, c’est quelque chose qui m’anime particulièrement. Les trois-quarts des albums que j’écoute en ce moment sont des trucs West Coast. Or, il se trouve que j’ai la chance d’avoir un très bon pote qui se surnomme Al Bundy (que je big-up au passage) qui a des connexions de gars qui sont à L.A. C’est lui qui m’a arrangé le truc en trois coups de fil. En plus, Bonetrips a vraiment fait l’instru qu’il fallait.

D’ailleurs, pour la petite histoire, je n’avais pas dit à Bonetrips – qui est aussi un gros fan de Kokane – que c’était lui qui allait poser sur le morceau. Je n’étais pas sûr que le mec va se pointe au studio. Le mec a dit « ok » et moi je me disais « espérons que ça le fasse ! ». Du coup j’ai appelé Bonetrips et je lui ai dit : « Dans les deux jours, il faut que tu m’ai fait l’instru West Coast de ta vie. J’ai besoin que tu me fasses un vrai truc G-funk. C’est pour un feat. Je ne peux pas te dire qui c’est parce que ca va nous porter malheur » et il nous a envoyé ça ! C’était parfait. Kokane a posé dessus et tout s’est passé à merveille.

Le clip du morceau s’ouvre sur une image: « The Warp Zone Show ». Le spectacle est-il indissociable du rap selon toi ? 

Oui c’est sûr. Tout ça, c’est un jeu. Quand je suis en ninja ou en Terminator dans mes clips, tu te doutes bien que je ne me balade pas comme ça dans la rue. Je vois ça comme l’évolution des jeux de rôles de quand on était enfants. Les jeux qui consistaient à être des Tortues Ninja, par exemple. Je trouve ça très important de s’amuser. Certains te diront « c’est un show, c’est de l’entertainment » et ils n’ont pas tort. Je trouve ça bien de ne pas trop se prendre au sérieux. On n’est pas la LCR ! Que tu dises des choses très sérieuses ou que tu fasses le zouave sur scène, cela reste de la musique, et la musique, même avant que l’on invente des techniques d’enregistrement, c’est fait pour être joué en live, devant des gens qui te regardent. Donc oui, c’est un spectacle. Le spectacle est même aux fondements du truc. C’est très certainement un moteur pour 90% des gens qui font de la musique de « s’exhiber » d’ailleurs. Je pense qu’il y a un truc comme ca. Donc oui, le rap est un spectacle et on se montre. C’est l’étape deux de la création. Je refuse d’être un poète maudit qui écrit dans sa salle de bain, à l’abri des regards de sa famille ou de ses amis. Si je fais de la musique, c’est pour qu’elle soit entendue, dans une certaine mesure.

Tu sembles être influencé par le jeu vidéo et le cinéma en général, quelles sont tes références à ce niveau-là ? 

Ce qui définit mon univers, c’est la pop culture au sens large. Par exemple, le titre de l’album est une référence à « Scott Pilgrim VS the World » qui est l’un de mes films préférés, et qui est lui-même bourré de toutes les références que j’affectionne le plus. En terme de jeu vidéo, pour être honnête, je n’ai quasiment pas touché une manette de Xbox ou de Playstation 3 de ma vie. En revanche, je suis un gros joueur de vieilles consoles… J’ai encore ma Mega Drive et ma Dreamcast. Je suis un passionné de ça et de manière générale, je suis un gros consommateur de films, de bouquins, de musique et de jeux vidéos. Je suis comme tout le monde ici, un produit de mon environnement et de ma génération. Je suis né dans les années 80 et j’ai suivi le déroulement logique. Le nom « Mutant Ninja » est d’ailleurs l’alliance de deux termes qui renvoient particulièrement à cette culture-là.

On a remarqué qu’il y avait pas mal de synthés dans tes morceaux. Pourquoi ce choix de sonorités ? Est-ce un style que tu affectionnes particulièrement ? 

Oui c’est vrai. Ce sont des sonorités que tu retrouves dans mon album mais tous les beatmakers que tu trouves derrière l’album ne sont pas forcément des méga geeks/fans de jeux-vidéo. C’est vraiment moi qui suis allé chercher les instrus qu’ils avaient faites dans ce délire-là. Ce n’est pas forcément une volonté au départ, dans la création. Je pense que de manière naturelle, je suis influencé par les trucs que j’avais écouté étant gamin. Je suis très porté sur la nostalgie, je n’arrête pas de parler de ça, tu remarqueras. C’est pour ça que j’écoute pleins de B.O de jeux-vidéo de NES, Mega Drive… Je suis passionné par des compositeurs de musique de jeux. Les sonorités très spécifiques de la Mega Drive m’intéressent à fond et ça se retrouve forcément dans ma musique.

Tu parlais tout à l’heure de rétro-futurisme, la musique électronique, c’est quelque chose que tu aimes particulièrement ?

Carrément. Mais tu as vu juste quand tu parlais de synthés. Au-delà des jeux vidéos et de l’électro, il y a un truc que j’aime plus que tout au monde : les synthétiseurs ! J’aime autant le son très cheap du synthé dans les jeux vidéos que les B.O de Carpenter par exemple. Et pourtant ça, c’est encore un autre délire. Je suis dingue des trucs comme Dam-Funk et de tous les mecs qui te font des solos de synthés de ouf. Dans ma tête, je ne dissocie pas les deux. Enfin je n’arrive pas trop à faire la distinction, parce que le synthétiseur est vraiment un instrument qui m’émeut. Je pense d’ailleurs qu’à l’avenir, il y a des projets dans lesquels j’accorderai une place centrale aux synthés, de manière beaucoup plus flagrante que ce que tu peux entendre maintenant.

As-tu déjà eu envie de jouer du synthé ou de composer ? 

Je n’ai ni la dextérité ni les compétences pour jouer du synthé. En revanche, oui, je fais et j’ai fait beaucoup d’instrus. Mais je traîne avec des mecs tellement talentueux que ce serait insultant pour eux que je pose sur les miennes. Par contre, c’est possible que je le fasse un jour, dans l’idée d’avoir un truc qui me ressemble à 100%, malgré que cela fasse un peu brouillon. Parfois, un brouillon est mieux qu’un truc qui a été bien travaillé, justement parce qu’un brouillon contient une sorte d’énergie brute très importante dans la création. Ce qui compte, c’est ce que tu transmets. L’énergie de l’instant, c’est fondamental. C’est pour ça que c’est possible qu’un jour, je pose sur mes instrus, même si elles sont bancales. Mais au moment de la création de Liqid contre le reste du monde j’ai préféré prendre des instrus de Tcheep, de Bonetrips, de Chicho Cortez, de Simsima, de Debmaster, de Zedo. Leurs instrus sont beaucoup plus sérieuses que les miennes.

Y a-t-il un morceau dont tu es particulièrement satisfait sur l’album ?

Oui je crois que c’est « Warp Zone ». Déjà, je le kiffe parce qu’il y a Kokane et j’en suis fier. Ensuite, parce qu’il est super frais. Tu peux le faire écouter à des gens qui n’aiment pas forcément le rap, et ils vont l’apprécier. Mais tu vois, je n’ai pas fait la pute pour faire ce morceau ! C’est un morceau de cœur à 100%. C’est le seul morceau un peu G-funk avec les bonnes basses comme on aime et en plus, il y a un solo de synthé à la fin. Donc oui, c’est mon morceau préféré.

Tu fais quelques concerts en ce moment pour présenter ton album,  je voulais savoir de quelle façon tu abordes la scène et si c’est un exercice que tu aimes ?

Carrément, j’adore la scène et j’espère qu’en 2014, j’aurais plus d’occasions qu’en 2013 (c’est plutôt bien parti pour). C’est un truc très important pour moi parce que c’est un véritable enjeu. Récemment, je me suis retrouvé dans des concerts de rap où je me suis profondément fait chier. J’ai peur de ça ! Je me rends compte qu’il y a beaucoup de travail à faire sur le live. Parce que le rap, sur scène, c’est facilement très chiant. Un délire: « un DJ, un MC»… je ne trouve pas ça drôle. Au bout de 3 morceaux, tu as compris que le premier enchaînait des tracks et que l’autre rappait dessus. Quand je disais que l’instantané était important, j’aurai dû rajouter que la mise en danger l’était également. Parfois, c’est à double-tranchant parce que ça peut partir en couilles, mais justement, c’est ça qui est bien.

Sur scène, je suis avec Tcheep qui est l’autre beatmaker des Gourmets. Il a deux MPC sur scène et rejoue toutes les instrus en live. Arom nous accompagne aussi sur quelques scènes et ça amène un vrai truc. C’est un vrai live. Pour moi, le truc il est là ! C’est là que tu kiffes vraiment. Peut-être qu’un jour Tcheep aura un coup dans le nez et fera des conneries. Je ne l’espère pas mais c’est le genre de risques à prendre pour qu’un live soit vivant. Là, on a enchaîné quelques concerts. On a récemment fait un concert à Lyon et deux concerts à Paris et ils se sont tous super bien passés. Du coup, je suis plus chaud que jamais. Si il y a une scène là, j’y vais direct. Ça m’éclate beaucoup plus de faire des concerts que de faire des albums.

Cette année, qu’est-ce qui t’a marqué musicalement ? 

J’ai écouté un truc récemment qui défonce de dingue: c’est Chrome Canyon. Il est signé chez Stones Throw et a sorti un album en 2012 dont je n’avais pas entendu parler jusqu’à récemment. Ce n’est pas du rap, c’est du synthé à fond ! C’est génial. Si vous avez l’occasion de jeter une oreille dessus, faites-le. C’est des tonnes de synthés les uns sur les autres. A certains passages, on dirait presque de la musique classique mais jouée avec des synthés vintage ! Le mec est un virtuose. J’ai aussi adoré l’album de Daft Punk, qui a pourtant pas mal été décrié. Je l’ai trouvé cool. Bon, maintenant, dès que tu parles d’un artiste, t’as presque tout un côté sociologique qui y est rattaché. Random Access Memories, je l’ai écouté en me détachant de tout ça justement, parce que c’est que de la musique, en fait.

Toi qui aimes les synthés, qu’as-tu pensé de l’album de Kavinsky ?

J’ai beaucoup aimé les maxis qu’il a sortis avant l’album. L’album je l’ai trouvé cool mais il est arrivé tellement tard après le reste ! Ça fait partie des trucs que j’aime bien mais je préfère carrément Chrome Canyon, dans un délire similaire.

Des projets à venir pour toi ou le label ? 

Le prochain projet à venir est un EP de Arom qui s’appelle John Connor. Il va sortir au cours du premier trimestre 2014, si je ne m’avance pas trop. Un album d’Andy Kayes est aussi à venir. La date n’est pas encore arrêtée, mais ce sera avant l’été. Tcheep et moi, on est en train de finir un album aussi. On va essayer de le sortir avant l’été. Il s’appelle Imbécile heureux. L’idée de cet album, c’était d’arriver en studio, que Tcheep fasse une instru en un temps très réduit, que j’écrive un texte rapidement et qu’on l’enregistre direct. Souvent, la première prise était la bonne. On est super fiers de ce que l’on a fait. Vraiment, ça défonce. C’est assez différent de Liqid contre le reste du monde mais c’est super frais. On est en train de poser les derniers morceaux donc je pense que l’album sera bientôt terminé. Il a vraiment une couleur originale. Je suis assez content. Concernant les projets à venir, il faut aussi préciser qu’il y aura de nouvelles soirées Mutant Ninja et bien sûr, de nouveaux concerts.

Pour terminer, une anecdote à nous raconter ? 

Oui ! J’ai un truc marrant à vous raconter. Le morceau « Bifidus Actif » est un morceau plutôt freestyle, sur lequel posent Ilenazz, Andy Kayes, Arom (Tcheep et Bonetrips à la production). L’histoire de ce morceau est la suivante. Un soir, on était tous en studio et je n’étais pas trop inspiré, donc pour me mettre la chauffe, j’ai commencé à boire du whisky. J’ai picolé, picolé et d’un coup : trou noir complet. Je ne me souviens plus de rien. Je me réveille plus tard, sur un canapé, le morceau était terminé. J’avais enregistré mon couplet et pourtant, je n’ai aucun souvenir d’avoir fait quoi que ce soit. En plus, j’aime beaucoup mon couplet ! Je me suis rendu compte que c’était une technique qui n’était pas mal du tout finalement (rires). Donc voilà : « Bifidus Actif » est un morceau qui a été crée en trou noir total. Et les autres me disent « mais mec t’es fou, tu ne te rappelles pas » ? (rires)

C’est votre dernier mot, Liqid ? 

Non : « Taraf est bon pour ton cœur comme les oméga 3 ».

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On n’en doute pas une seconde. Retrouvez ci-dessous l’album Liqid contre le reste du monde en écoute intégrale, que vous pouvez soutenir sur iTunes ici. Ne manquez rien de Liqid en le suivant sur les réseaux, Facebook et Twitter.

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