Le 2 mars dernier, dans l’anonymat le plus total, la bombe Que La Famille est lâchée, PNL était né. Depuis, l’embrasement ne s’est guère estompé. Aidés par un relais médiatique impressionnant, le duo des Tarterets s’est créé en quelques mois une place au soleil dans une industrie musicale en berne. Au point que des quartiers aux maisons de disque, des bobos du Palais de Tokyo aux petits bicraveurs, tous n’aient plus en tête que ces initiales : #PNL #QLF.
Quelques extraits et des millions de vues plus tard, Le Monde Chico a tout de l’album le plus attendu de l’année. Cinq rédacteurs pour six avis, contradictoires ou complémentaires, afin d’explorer Le Monde Chico, et tout ce qu’il y a dedans.
Aborder PNL, c’est d’abord se confronter à son entourage, à ses partenaires de crime chez ReapHit et à la concurrence. C’est se demander pourquoi j’en suis arrivé à cliquer pour écouter. Pourquoi eux, plutôt qu’un autre groupe de rap français, quand je ne traite que de rap US ? Une tape trouvée en diggant sur Internet, un pote qui refile le bon plan, bref, un attrait de l’entourage proche, une étincelle de pertinence qui pousse la curiosité. Non, j’ai cliqué sur PNL comme un gros con incapable de passer au-dessus d’un buzz orchestré par certains suiveurs du journalisme et des blogs.
La merde ne vient pas d’en-bas, qu’on se le dise, elle ne vient pas te claquer dans la gueule parce qu’elle est un produit brut, non, elle est complètement synthétique et bien formatée par 2-3 spécialistes qui ont cherché à intellectualiser de la merde. L’émission #33 de l’Abcdrduson qui ressemblait bien plus à un bukkake intellectualisé et préparé qu’à un débat ne nous laissait pas le choix, quand le présentateur Mehdi affirmait que le duo était « un groupe qui à l’air de mettre tout le monde d’accord », « une sorte d’unanimité parfois étonnante ». A partir de ce moment, on a le droit à une muraille de Chine érigée afin de défendre coûte que coûte le soldat PNL, d’Olivier Cachin nous exprimant sur le Nouvel Obs que « si PNL n’a rien inventé, le duo semble avoir tout réinventé » aux Inrocks considérant Le Monde Chico comme l’attente n°1 dans le paysage français.
Interdiction donc de perdre la face, surtout quand les médias généraux si longtemps méprisants avec le rap s’engouffrent dans la brèche. La rue c’est eux, ce n’est plus nous, ce n’est plus le gars dehors, ce n’est même plus les banlieues, la rue n’a plus qu’un terrain, celui du web où même les Inrocks sont capables de prévoir ce que les squatteurs de hall écouteront bientôt. Au fond, ce n’est si pas mal et ça permet directement d’éclater un non-dit : tous ces magazines, tous ces blogs, tous ces spécialistes n’ont au final que des points communs : la trentaine, plus ou moins dans la « hype », et cette surprenante envie de s’accrocher au rap sans laisser la main aux générations prochaines.
Le rap est à eux, en tout cas si vous passez votre temps à consommer le rap via cet unique canal, le rap est midtown et se consomme en afterwork, plus besoin de payer 90€ pour aller voir NTM à Bercy, PNL squatte les halls des péniches parisiennes. Les années 90 avaient vu arriver une génération de kickeurs venu démonter l’instru, pour le plaisir, pour les potes, pour la famille, et si ça marchait, pour l’argent. 20 ans après, on réinvente la formule, pas besoin de l’approbation du bas et du mépris du haut. Aujourd’hui PNL, peut-être plus victime que gagnant dans cette affaire, se retrouve à se faire adouber par le haut sans avoir à craindre le mépris du bas grâce à une machine marketing bien huilée, et sans frais pour le groupe.
Au fond, je ne peux pas en vouloir aux médias, je m’en veux d’abord à moi-même d’avoir mis le pied dans l’engrenage et de m’être fait absorber sur des futilités, car PNL n’est que futilité, au fond. Enlevez les sobriquets, les éloges et le tapis rouge de toute cette média sphère et il ne reste que du vide, et un vide tout aussi hypnotique que sans fond…
A la première écoute, le constat est simple et sans appel. Fort heureusement, PNL a fait du PNL. Totalement hermétique aux sollicitations extérieures, le duo des Tarterets s’est isolé, et à continué de travailler en famille. Refusant toute interview, tout featuring et jouant la carte de la rareté, la machine PNL n’a pas fait que démontrer sa maîtrise de l’outil médiatique, elle s’est protégée de toute tentation et sollicitation parasite.
Avec Le Monde Chico, PNL décline sur 19 titres, fidèles à eux-mêmes, l’univers ébauché par Que La Famille. Musicalement, pourtant, l’évolution entre les deux projets est notable, et dans un rap français trappisé, PNL continue d’imposer son nouveau standard. Seul représentant sérieux et actuel du cloud rap en France, PNL y reprend l’ensemble de ses codes. Un univers street et une relative pauvreté textuelle, l’utilisation d’onomatopées et de gimmicks, sur une touche musicale atmosphérique et hypnotique. En mettant le beat en arrière-plan comme simple habillage sonore, en mixant les aigus et délaissant la basse, le cloud s’exclue petit à petit du rap pour finir dans un univers qui s’acoquine sans honte avec électro-pop et down tempo.
PNL, n’a rien inventé, n’a rien réinventé, mais arrive avec les bons éléments aux bons moments, créant la bande son d’une jeunesse violente et désabusée, où chaque jeune aussi différent soit-il est capable de se retrouver dans des images faites de plaquettes a découper, de la froideur de la C ou du spleen de fin de soirée. « Tu trouves pas le bonheur, tu trouves la beuh, la coke, la MD »
Constat amer et dépressif, Le Monde Chico continue de décrire avec cynisme la routine de bicraveurs et la futilité des relations de Nos et Ademo. Un quotidien narré comme une litanie par ses auteurs sur des samples datés, smooth et jazzy, qui finissent d’accentuer un spleen qui transpire à chaque ligne. Aidé par des instrumentales enivrantes, et quelques contacts dans l’électro français, PNL s’offre tout de même avec « Mexico » , « Laisse » ou « Tempête » de jolis moments singles, et nous fait prendre conscience, si besoin est, d’un potentiel radio non négligeable et de toutes les cartes dont dispose le groupe pour conquérir un public plus large encore.
Mais pour PNL, la musique n’est qu’une autre came à fourguer. Constamment fataliste et conscient d’être un phénomène de mode, Nos et AD nous offrent au travers de l’album un regard en demie-teinte sur leur exposition. « J’lai vendu parce qu’on me l’a demandé ». Etre le son du moment expose à être l’ex-star de demain. Ancré sur le terrain, depuis « Mowgli » AD nous prévient « Gros le rap ça me plait pas, j’le fais parce que y a peut-être un billet. Un charbon comme un autre, tu manges, tu tires et t’es oublié ». Prendre le million et disparaître sur Namek. Le Monde Chico le fait d’une bien jolie manière.
Le génie involontaire d’un mix où les voix rentrent en collision avec une prod balancée à l’arrache sur une piste, bien contrebalancée par les voix des frères hybrides. Qui est qui ? Qui fait quoi ? Qui prend le butin ? Qui garde le navire ? PNL, ça reste de la musique de pirates, tant dans la méthode que dans les faits ; pour le meilleur et pour le pire. Ça a la tronche d’un groupe de garage sur un quatre pistes mêlé à un groupe de deep house classieux. C’est travaillé, mais ça reste de la musique instinctive : que les effets de voix ne viennent pas cacher l’essence de la musique.
PNL, c’est de la musique pour les gens qui ne dorment plus. Une couleur globale qui tient en équilibre sur une six cordes de blues tirée à quatre épingles. Des intonations poussées qui viennent sauver la vibe du naufrage au dernier moment : des mecs en flux tendus, tant dans la musique que dans le deal (cf : « J’vends). Des nappes qui se superposent, peu importe d’où elles viennent. Une came épurée dans laquelle on a subtilement enlevé toutes les graines, une à une, pour n’en laisser que l’essentiel.
Et le THC fait effet, avec PNL on se balade dans le coton. C’est doux, même si on se heurte parfois à des parties rugueuses (cf : l’agression subite du refrain de « Abonné »). On se laisse porter, on rentre la tête dans les parties filandreuses, les yeux fermés pour éviter que la matière pure nous rentre dans les yeux. Pour éviter les bases d’une matière qui ne devient consommable qu’après embellissement. Il faut faire confiance à la superposition d’un regard, d’une couleur de son appliquée sur une réalité trop violente, la représentation s’appliquant après la volonté. Enfin, PNL c’est des voix qui comprennent parfaitement les productions, genre l’alchimie d’un signe de tête entre conducteur et passager de noctilien. Tout le monde est trop fatigué pour parler, et les sons, les onomatopées, les gestes prennent le dessus. Bref, on s’comprend.
Quoi qu’on en pense, il y’a chez PNL cette petite chose qui touche droit à la sensibilité. Qui vient vous chuchoter à l’âme, contrebalançant les onomatopées gutturales qu’on prend en pleine gueule. La constante ambivalance tranchant dans le spleen des prods cloud, planantes et hypnotiques, et le phrasé pauvre, mais rythmé, la profondeur du discours décrivant un quotidien, ni plus, ni moins. Que ce soit au fond de son canapé avec un oinj au bec ou en after, dématé au whisky coca, l’écoute est toujours transcendantale. Ça pousse à l’introspection ceux qui sauront non seulement entendre, mais aussi écouter. Ça chante la banlieue avec le spleen Baudelairien. Et très vite, Rimbaud vient lâcher une bastos sur l’amour de sa vie, comme NOS et AD crient amour et haine à la rue, à la vie.
Les fleurs du mal floquées sur le Versace. Tout s’imbrique parfaitement. La voix traîne, comme pour bien appuyer le propos. L’imprimer à l’arme vocale en plein dans le cervelet. D’ailleurs, force est de constater que les gens qui écoutent PNL, ne savent pas le faire à moitié. J’ai capté une palanquée de bonzes qui n’écoutent plus que ça depuis que l’album est sorti. L’album pue l’été, la décompression totale au volant, direction les vacances et la plage. L’hardcorisme de la rue enveloppé dans une couverture douillette.
Le fil conducteur de l’album, s’il en est, expose la difficulté à vivre en restant fidèle aux siens, dans un monde ou les impératifs sont pressants et la tentation de trahir collant au cul comme des keufs trop curieux. Tiraillés également par un Islam plus culturel que cultuel, la question du regard de Dieu pose aussi problème, tout comme l’absence des anges, pointée du doigt. Comment se laver de ses péchés sans approcher du lavabo ? Comment garder le cœur pur en ayant les mains sales ? Que résulte de l’absence d’une figure maternelle ? Autant de questions auxquelles l’album ne prétend pas répondre, mais le Verbe est là. Comme au commencement. L’émotion en prime.
Il est là ça y est, et désormais pareil à Tony Montana, je ne veux plus qu’une chose, « le monde chico et tout ce qu’il y a dedans »… Au premier abord, et comme beaucoup de passionnés de rap, je me suis demandé ce qui pouvait bien me plaire autant chez ce duo de banlieusards plutôt lambda que forme PNL. Les thèmes évoquées sont vus et revus, les voix ont un timbre quasi chimique, les textes sont a priori d’une simplicité déconcertante, les refrains modelés pour nous rentrer en tête et mieux nous faire chantonner. Et puis j’ai compris. J’ai compris que c’était dans cette apparente simplicité que résidait la puissance du duo des Tarterets, une puissance douce, assommante et insidieuse. Alors je me suis mis à chanter, PNL gravé en vert sur ma plaquette de THC…
Des semaines que l’appartement était empli des airs chantants la paix et les lovés sur fond d’idéal mafieux, quand une petite voix me glissa à l’oreille « On attend plus l’arrivage, on ira chercher en Choupette ». Je suis resté éberlué, sans voix, je venais enfin de saisir ce qui m’avait transcendé insidieusement chez eux, cette manière de s’accaparer des images et des symboles, et de les imbriquer dans une réalité anachronique. En fait toute la puissance de PNL, c’est de ne pas faire du rap banlieusard, mais d’amorcer un go-fast dans la coccinelle de Disney. Exacerber les codes d’une enfance qu’ils n’ont pas pu vivre, ayant grandi trop vite.
Des dealers en prise avec le Sheitan qui se rêvent en Tony Sosa, mais qui sont atteint du syndrome de Peter Pan voilà ce qui au fond m’a séduit. « Écoute le cri de Mowgli, ouais, la hess [leur a] appris à muer », un apprentissage subi, une réalité qui s’impose à eux pour une enfance consumée dans la fumée d’un blunt. Les illusions de Disney en tête, mais la réalité urbaine du terrain sous les pieds « Pas d’conte de fée, le Clochard ne plaît pas à la Belle » voilà ce qui confère toute sa magie à PNL. Nous ramener insidieusement aux codes de notre enfance en nous plaçant sur un trottoir glacé à la réalité enfumée. Agissant en maîtres, ils réussissent un coup de génie qu’ils assument sans concession aucune, « Mon ami Pierrot je te hagar ta plume ; dans un froid polaire au clair de la Lune ». Prokofiev lui même s’est fait plagier lorsque les deux frères ont sorti leurs crocs pour dévorer leurs propres rêves d’enfant…
« A Paris c’est comme aux States mais t’enlèves au moins dix ans », Booba n’était pas prophète, mais réaliste dans les années 90. Surement la phrase qui marquera le plus l’artiste à la vue de sa carrière, rattraper le retard, rester d’actualité, Booba doit son succès non pas à ses qualités, mais à son anticipation. Le rap français, lui, n’a jamais aimé les tendances actuelles, trop d’égo pour être juste un ersatz francisé du rap. Le rap jeu français a toujours essayé de se démarquer de la tendance, ou de la suivre avec moins de 10 ans, mais un retard trop important pour que la vibe reste actuelle.
Les PNL sont peut être au fond les fils spirituels de Booba. Non pas pour le vocoder, les paroles ou les instrus, mais bien pour cette capacité d’anticipation. PNL ne réinvente rien, ils se servent au juste moment de ce qui se fait de mieux aux US, de Young Thug, Joe Blow à Chief Kief. On replonge dans les entrailles de l’emo thug : la vie est une pute alors je la baise avec des remords. PNL nous renvoient dans la gueule la réalité, ou plutôt la précarité des écrits US, un vocabulaire faible qui redouble sa 6ème, des images simples à comprendre, et des refrains en onomatopées, des thématiques raz du sol qui tournent en rond. PNL n’invente ni ne réinvente rien, ils transposent juste ce que le rap traditionnel n’accepte pas de voir, le tout en indé. De quoi se démarquer d’un Maitre Gims, car une fois signé en maison de disque, t’aurais surement bandé mou et tu serais passé à autre chose. Musique Kleenex, auditeurs sans couilles.
Quoi de plus hype que de planer avec du segpa dans les écouteurs, quoi de plus excitant que de pouvoir vivre enfin de la section enfants sauvages avec un verre de Prosecco dans la main. On trouve ça cool, on enrichit la pauvreté des écrits par de la condescendance, mais on n’arrive pas à juste dire que c’est de la merde.
Habitués à vos standards et votre standing, vous avez juste oublié qu’on a le droit d’apprécier la musique sans la classifier. Vous écoutez déjà de la sous-musique, de la sous-culture, acceptez donc d’écouter de la sous-merde sans justification. Maintenant addict à la touche PNL, vous n’allez avoir de cesse que d’y superposer des feuilles d’or, couvrez cette merde que je ne saurais voir. Par de pareilles musiques, les âmes sont blessées, et cela fait venir de coupables plaisirs.
PNL n’a pas une écriture alimentée au désespoir, mais une écriture désespérante, PNL n’est pas un subtil mélange d’analogies mais juste une suite d’idées brutes chiées sur du papier. Les superlatifs que vous, auditeurs de PNL, chercherez à y implanter comme des excuses, vous rendront bien plus coupables. A l’aube de votre trentaine ou dans son entame, vous vous faites chier, PNL c’est une nouvelle race d’indigènes que l’on vient vous présenter en réception mondaine, vous n’êtes au fond pas mieux que le fils de pute de la Duchesse…
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