Je ne sais plus combien de temps j’ai marché dans cette forêt, mais le poids de mes jambes m’indique que cela a du durer plusieurs heures. Je n’ai plus aucune notion du temps. Je ne sais pas où je suis, ni même qui je suis. Tout ce que je sais, c’est que je suis devant ce club, parmi une faune de gens qui semblent tout aussi paumés que moi. L’enseigne verte de la boîte clignote et se reflète sur les arbres : nDMA. Je fais patiemment la queue en observant les variations de lumière provoquées par les néons, puis arrive finalement au niveau du videur. Il me regarde et me fait signe d’ouvrir la bouche. Il y dépose un cachet violet. Je l’avale. Il hoche la tête et m’indique un escalier du doigt, sans dire un mot.
Niveau -1 : A peine franchie la porte du club qu’une violente montée d’adrénaline me saisit. J’ai besoin de me défouler. Visiblement, la foule semble être de mon avis. Les murs deviennent fluorescents, et les angles de la pièce trouvent des angles irréels. Un pogo général se déclenche, certains vont même jusqu’à danser avec les murs, mais ils ne semblent pas en souffrir. En quelques minutes, je passe par plusieurs états d’esprits, mais toutes ces pensées ne me mènent qu’à une envie : celle d’évacuer mon trop plein d’énergie. Ce rush d’adrénaline est intense mais s’éteint rapidement. La première vague est passée, le produit est assimilé : je décide d’aller voir à l’étage inférieur.
Niveau -2 : L’ambiance semble beaucoup plus calme ici. Les murs sont matelassés, tout le monde porte du blanc. Je baisse la tête pour vérifier la couleur de mes vêtements : visiblement, je n’y ai pas échappé non plus. Je me dirige vers le comptoir, la barmaid est vêtue comme une infirmière. Je commande un shooter, qu’elle me sert à partir d’une seringue. Je l’avale rapidement et me retourne. Une personne détonne parmi la foule : cette fille vêtue d’une robe noire, et d’un pendentif en forme d’Ichtus. A peine l’ai-je remarquée que mes yeux ne peuvent plus se décoller d’elle. Elle m’inspire une peur injustifiée, me rappelle de bien mauvaises sensations. Quelques secondes de plus, et je risquerais de retrouver la mémoire. Une seule solution pour éviter la désincarnation : la fuite en avant. Niveau suivant.
Niveau – 3 : Les choses sont plus saines ici. La décoration est bariolée mais harmonieuse. Mes compagnons de voyage se reposent et méditent au son d’un sitar. Les idées fusent dans ma tête, je n’ai pas le temps de développer une idée que je suis déjà passé à la suivante. La vérité semble se trouver dans ces flashs éphémères. Je sens que le sol s’affaisse tout autour de moi, tandis que mon coin de plancher s’élève. Le monde est immobile et j’ai la sensation que c’est moi qui distribue les cartes. Moi qui jongle avec les idées. Moi qui décide des mouvements de la foule. Les gens m’ennuient ici, et je décide d’aller exercer mon nouveau pouvoir ailleurs.
Niveau -4 : A peine arrivé à destination, que je suis déjà passé à autre chose. La fête semble toucher à sa fin ici, ne reste plus que les gens dopés aux meilleures substances sur la piste. Le long des murs, un certain nombre de clubbers sont affalés, l’air bien entamé. Je saute au milieu de la foule, tente vainement de danser avec les filles qui paraissent les plus inaccessibles, par pur goût du défi. Je ne pense plus qu’à la chair, je ne veux plus rentrer chez moi. Comme dirait l’autre, je veux niquer tout ce qui bouge. Pour oublier. Quelques minutes de triste défoule, un passage par les toilettes avec cette fille… Je ne sais plus si je trouve ça beau ou déprimant, et je passe à l’étage inférieur.
Niveau -5 : Je m’approche de la nouvelle pièce puis m’arrête sur le perron. Elle ressemble à un purgatoire urbain, entièrement bétonnée et bourrée de symbolismes étranges. Je franchis finalement la porte qui se referme derrière moi. Les caméras de surveillance se braquent sur moi. Je m’assois sur un des bancs en cherchant à avoir une vision d’ensemble. Un vieil homme barbu est assis à mes côtés. Il me chuchote à l’oreille qu’il est ici depuis des années, mais qu’il n’a toujours pas trouvé la réponse. Une horde de paumés traînent dans tous les coins de la pièce, certains font les cent pas, d’autres sont recroquevillés sur eux même. Les heures passent et je finis par accepter mon destin. J’accepte ma propre perte, ma haine et mon amour, ma rancune et mon envie de pardon. Mes paradoxes s’unissent et je ne fais plus qu’un. La porte s’ouvre pour moi et je ressors.
Niveau -6 : Des néons bleus ciels. Une seule personne dans cette salle. C’est cette fille que j’ai connu. Très bien connu même, avant que les choses ne dégénèrent. Elle porte un t-shirt blanc sur lequel se reflète les images des moments qu’on a passé ensemble. Son regard est humide. Les choses se dérèglent peu à peu, et aux images de joies, viennent se superposer celles d’aigreur et de tristesse. Les néons bleus virent peu à peu au rouge, et le regard de la fille évolue vers la haine. Un couteau apparaît dans sa main, elle se précipite sur moi. J’attends sans sourciller, mais au moment où le couteau du me traverser, l’image de la fille et de son arme disparaissent. Il ne reste plus que moi, face à l’avenir. Je descends.
Niveau -7 : Je tombe nez-à-nez avec un vieil ami : Hyacinthe. Il n’y a que lui, moi, et nos fantômes dans la pièce. L’obscurité est quasi totale, seules quelques bougies sont allumées. Le mimétisme est immédiat, on est toujours sur la même longueur d’ondes. On échange sur nos problèmes personnels pendant que les fantômes tentent vainement de nous distraire. On les prend à parti en se moquant d’eux. L’opposition par le rire est toujours ce qui nous fait survivre. Après avoir vidé mon sac, je quitte Hyacinthe et poursuit ma route, non sans promesse d’une future réunion.
Niveau -8 : Les lieux sont remplis de miroirs. Chacun d’entre eux me renvoie le reflet d’un de mes alter-ego. Je les contemple un à un, à la recherche de mon vrai visage. Tous mes masques sont présents, certains me saluent de l’autre côté, d’autres me narguent. Je recherche ma vraie face pendant quelques minutes. Elle m’apparaît soudainement, mais je ne peux la contempler : un flash de lumière se répercute sur le miroir et je suis peu à peu envahi par d’étranges acouphènes. Peut être est-ce mieux ainsi …
Niveau -9 : Toujours personne ici. Le plafond de la pièce est rempli d’étoiles, on y voit même les différentes planètes du système solaire. Je m’allonge par terre pour contempler. Par l’esprit je parviens à déplacer les différents éléments. Je m’amuse à écrire mon propre pseudo avec les étoiles. Je crée des formes abstraites, des symboles religieux. Cela me détend pendant un moment et me permet de commencer à faire le point. Sentant que cette période à durée assez longtemps, je quitte les lieux.
Niveau – 10 : La musique d’une de mes chansons mélancoliques préférée résonne dans la pièce. Cela a quelque chose de reposant. Je suis toujours seul. Soudain, la musique se retourne et défile en mode rewind, comme si elle me forçait à faire le point, à revenir sur mon vécu. Je pense à ma solitude, au destin, à la mort, à tout ce qui m’est arrivé ces derniers mois. Je me sens à côté de mon corps, et me contemple de l’extérieur lorsqu’une phrase traverse mon esprit : « Car si on va tous crever, combien auront vraiment vécu … ». Ces quelques mots défilent en boucle dans mon esprit. Ma respiration s’accélère.
Je décide de ressortir et remonte quatre à quatre les dix étages. Je sors du club et cours au travers de la forêt. Je fonce au travers des arbres et continue ma course jusqu’à n’en plus pouvoir. Je m’effondre à genoux dans la forêt, désespéré. J’entends quelques bruissements de voix au loin et retrouve espoir, la civilisation semble proche. Je me relève et, guidé par les voix, me traîne jusqu’à la terre promise. J’écarte les dernières branches d’un revers de main et constate que je suis encore au même endroit, comme si cette forêt n’avait qu’un seul débouché. C’est le même club, le même videur, la même foule. Je n’ai pas encore trouvé la réponse.
Share this Post
- Avec « Bisous », Myth Syzer mêle rose et noir - 11 mai 2018
- L’étonnante réussite de Cardi B - 18 avril 2018
- 6ix9ine, la résonance des cris - 13 mars 2018