Ce dimanche 22 Octobre alors que l’arbitre vient de siffler le coup d’envoi du classico, JUL se fait conduire au poste et laisse sur le bas-côté la Merco. Un excès de vitesse, de la fumette, une barrette, et un passager calibré, le rappeur passe la nuit au poste. Rien de dramatique, une connerie qui aurait pu rester anecdotique. Mais les chiens de garde n’ont que peu de dignité, il n’a pas même eu le temps de remettre ses lacets. Pas le temps d’attendre qu’il finisse ses 24h de GAV, l’information doit être rapide. Il faut parler, même de ce que l’on ne connait pas. Alors, de la presse quotidienne régionale aux grands titres de la scène nationale, les médias se sont jetés sur ce cadeau que leur faisait « le rap ». L’aubaine était trop grande, le piège trop facile, il fallait s’engouffrer dans la brèche… Faire du Zemmour, écrire en filigrane, sous les titres racoleurs, que le rap reste cette « sous-culture d’analphabètes ».
Dimanche, tout le monde a titré sur un fait divers pour en faire une actualité rap. Trente ans maintenant que le hip-hop s’est installé en France, qu’il a revisité le genre pour construire la singularité de l’identité francophone, qu’il a révolutionné l’industrie du disque, qu’il s’est imposé comme la musique la plus écoutée. Trente ans que les grands médias ne savent pas en parler, qu’il est ridiculisé sur les plateaux, discriminé et injurié. JUL est l’artiste le plus écouté en 2016. Il s’offre le luxe d’une certification disque d’or avec un album gratuit. Quoi qu’on en dise, il fait partie du paysage rap. C’est à ce titre, sans regard sur sa musique, sur ses propos ou sur son identité artistique, qu’en tant qu’activiste du hip-hop ou simple amateur de rap, il faut s’insurger d’un pareil traitement médiatique. Car le plus grave n’est pas que les médias parlent de ça, mais bien qu’ils ne parlent que de ça. Le rap n’a le droit de cité dans leurs colonnes que lorsqu’il fait un pas d’écart, qu’à nouveau il révèle sa nature de lascar.
Jusque-là rien de nouveau, la ronde habituelle des corbeaux. Kekra se disait « entouré de culture vulture », c’est le rap entier qui en subit les incessantes morsures. Mais parfois dans les rédactions ça s’emballe, les raccords actus tombent, et alors si on donne le bâton pour se faire battre il faut tous s’y mettre… Pendant que c’est encore chaud. Il paraît qu’un stagiaire du Huffington Post a, dans un subtil trait d’humour, balancé le post Facebook d’excuses de JUL dans la chaîne mail d’actualité du journal. Cette fameuse base de données qui permet à l’armée de rédacteurs de se couper du bruit, de s’envoyer l’info en circuit fermé, de trouver ses papiers.
Cette fameuse chaîne sur laquelle sont également branchés les gros du journal. La numéro 2 du titre, en charge des pages buzz, a vu que le sujet pouvait être traité, le Huff était premier. Puis il y a eu Le Figaro, Libération, France Info, LCI, BFM, Le Parisien, La Provence, la page Bescherelle Ta Mère et tant d’autres… La plupart ont eu la pudeur de ne pas titrer sur ce qui fait le fond de leurs articles, la forme du message d’excuses. Pas qu’un rappeur ait conscience que son public soit désormais jeune, qu’il l’écoute religieusement, qu’il scrute ses moindres faits et gestes et qu’il faille donc se montrer digne de ces responsabilités. Sur le fond, JUL a été irréprochable, personne ne revient là-dessus. La bourgeoisie médiatique préfère tomber à bâtons rompus sur ses fautes d’orthographe, c’est tellement plus simple. A l’image de 20 Minutes, qui dans une neutralité totale accroche son lecteur en citant le rappeur « je tenez a mexcusez », à vous de juger… A moins que le community manager ne prenne les devants et s’offre une gloire virtuelle en se fendant d’un « On ne trahit jamais la pensée d’un auteur », jubilation connecté, éjaculation likée.
Dans tout ce bruit nauséabond une cloche retentit, un écho du passé, le traitement d’une autre affaire, plus grave, plus vite oubliée. Il y a quelques mois Benoît Magimel, était conduit au poste de police à l’issue d’une course poursuite. Après avoir renversé une grand-mère et pris la fuite il était parti se calmer comme le font les grands de ce monde, avec un peu d’héroïne et de cocaïne… Avant de se faire arrêter par la BAC, lui aussi. On avait alors dressé le portrait d’un homme descendu aux enfers dont le salut devenait la croisade des médias dans l’attente d’une condamnation judiciaire qui aurait pu être selon leurs dires « exemplaire ». 3 mois de sursis, pas de quoi sortir des rails.
Derrière cette asymétrie de traitement médiatique, et bientôt judiciaire, il n’y a que la condescendance des puissants qui ne dissimule en rien la lutte des classes qui se perpétue. Tourné en ridicule par la presse, JUL se voit propulsé dans les Top Tweet. Les chiens de garde salivent, même le peuple rit du bouffon des rois qui vient d’être désigné. Du mépris de classe, le même qui accompagne le hip-hop depuis sa naissance, qui a fait de lui un gamin incontrôlable. Un gamin qui étonnera toujours et rentre en studio pour confier au micro qu’hier il a passé une Mauvaise Journée. Un gamin au sang chaud, adepte de la pique acerbe qui oublie parfois qu’il subit les mêmes amalgames et se rue sur la punchline. Taipan, comme trop de monde dans le milieu, a fait l’erreur enfantine de rire du malheur des siens. Vous n’êtes que des traîtres enchaînés aux canards. D’autres ont permis à ce gamin d’avancer la tête haute, lui ont tendu la main. Parfois, la lumière vient de là où on ne l’attend pas. Depuis son obscurité, Vîrus a rappelé que « Les plus grandes revendications s’orthografient avec plein d’phautes ».
Les rappeurs cassos sur les réseaux il leur faut un orthotune… Ça corrige les fautes comme l’autotune mais pour l’orthographe
— Taipan (@_TAIPAN) 24 octobre 2017
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