A 60 km au sud-est de Marseille, en dépassant les calanques puis les stations estivales telles que Cassis ou La Ciotat, s’érigent les barres de béton de Toulon. A contrario de ses alentours, la ville n’est pas ce que l’on appelait une destination de goût pour passer son été, ou tout du moins ce qu’elle nous en évoque.
Toulon, c’est avant tout son équipe de rugby, qui depuis quelques années fait la fierté de ses supporters, remettant la ville sur la carte européenne, et moins esthétique, le port le moins cher pour rejoindre la Corse ou les îles italiennes. Eclipsée entre ses deux grandes sœurs Nice et Marseille, Toulon reste malheureusement le symbole de la montée du FN quand en 1995, la mairie était raflée par l’extrême-droite, plongeant la ville dans un coma social et économique. Sur le plan culturel, on aurait la facilité de classer Toulon dans les villes mortes du rap français, il faudra en quelque sorte attendre la « percée » de Deen Burbigo pour qu’enfin Toulon soit identifiée sur la carte du rap. Pourtant, la ville bat au rythme des beats urbains, évoluant dans un microcosme talentueux, ayant du mal à dépasser ses propres frontières géographiques.
John Sadeq n’acceptera surement pas le titre de leader ou de porte-parole de la scène toulonnaise, pourtant il en reste bien la symbolique. Vétéran de la scène rap local, Sadeq a été aussi bien témoin et acteur du bouillonnement musical local, sur plusieurs décennies. L’homme est le lien logique de son évolution. Pourtant, il doit son premier succès d’estime à la sortie en 2012 de son album Luna Park.
« Jusqu’à Luna Park, je cultivais l’art de provoquer. J’aimais explorer les terrains minés sur lesquels aucun MC n’allait. Puis j’ai marché sur une mine, et ma carrière a perdu une jambe. Quand ces champs de mines sont devenus des fonds de commerce pour MC en mal de reconnaissance, dissidents en carton abreuvés de délires youtubiens, j’ai eu envie d’arrêter, de ne pas rejoindre ce troupeau qui croit ne pas en être un. Mais j’avais besoin de conclure avec un album qui ne soit que de la musique, un truc plus universel dont je puisse être fier, alors j’ai fait Luna Park ».
Luna Park n’est donc pas un album de confirmation, mais un juste rétablissement de l’ordre naturel du rap toulonnais. Rappeur direct à la prose réaliste, Luna Park était une première salve pragmatique en forme de testament, variant entre rêves et échecs personnels. D’une configuration classique, dans le sens où John ne cherchait pas être dans la tendance mais dans les bases musicales traditionnelles, Luna Park enfonçait donc une porte trop longtemps restée fermée, celle du rap toulonnais.
« C’est justement un disque dont je suis assez fier, et que je prends plaisir à écouter ou faire écouter. Et je suis heureux de constater qu’il parle à beaucoup de gens, bien au-delà du public rap ».
Les retours sur Luna Park sont positifs, de quoi capitaliser pour John Sadeq. L’album ne met pas juste en lumière le MC, mais aussi toute équipe de producteurs locaux qui jusque-là étaient loin d’avoir une exposition à la portée de leur talent. Sadeq aurait très bien pu avoir une démarche égoïste en se focalisant sur lui-même, mais il préfère profiter de cette porte ouverte pour essayer de mettre en lumière la scène locale. On se dit qu’il y a des choses à faire, des talents à faire émerger, la naissance du label Première Presse part dans cette optique. Sid Biko, Contrebande, V-Num, mais aussi les beatmakers et deejays du coin. Une seconde pierre à l’édifice qui devrait donner naissance courant d’année à la compilation du label Volume 1. Du côté de John Sadeq, on se demandait ce qu’il adviendrait de lui :
« Entre Luna Park et Diwan, rien, hormis la sortie d’un disque en 2014, Fin de Bail, regroupant des titres stockés au moment de Luna Park et que je regrettais de ne pas avoir sortis, car ils le méritaient. Un disque sorti sans promo, sans tapage, juste pour ne pas laisser ces titres mourir sur mon disque dur ».
4 ans de pérégrination avec ses hauts et ses bas, et à chaque moment, un John Sadeq en équilibre sur un fil de soie prêt à rompre pour en finir une bonne fois pour toute avec le rap. Alors que l’on pensait ses aspirations personnelles bien loin de tout cela, John Sadeq revient quatre ans après avec Diwan, un projet qui prend à revers et qui fait fi des standards.
« C’est très difficile d’en parler. Un grand tournant dans ma vie personnelle, une purification par le feu. Le disque étant finalement assez impudique, je ne pense pas pouvoir en dire beaucoup plus. »
Format EP 6 titres, Diwan est un projet plus collaboratif que personnel, entièrement produit par Vargas alias le PDG, un habitué de l’univers de Sadeq. Oubliez ce que vous connaissiez sur John Sadeq, faites abstraction des productions passées de Vargas, Diwan est un voyage sans frontière où Sadeq va explorer de nouvelles contrées musicales savamment mis en place par le PDG.
Aux premiers notes d’Avant l’Oubli, on se croit serein et en sécurité avec son back angélique puis l’orgue, massif, emporte cette première impression bien aidé par son riff de guitare. « Un grand saut dans le vide… » Comme le dit lui-même John Sadeq, le titre est fulgurant et comme à son habitude la plume est directe pour aller à l’essentiel. « J’ai recommencé à écrire pour une belle qui me hante ». « Contre marées et vents », deuxième titre de l’EP, se place comme une mise au point, sur la continuité de sa carrière musicale, et sur la voie choisie. Là encore, le tournant loin du boom-bap adopté par Vargas prend un nouveau virage, une atmosphère qui oscille entre le cloisonnement et l’humidité d’une marée calme, mais traîtresse :
« Un regard sur mon parcours, le témoignage d’un moment particulier, d’un tournant personnel, et la volonté d’affirmer que je ne suis pas mort, pas condamné à la mélancolie et aux affres d’une vie un peu trop instable. »
Si Diwan doit être la dernière brique à l’édifice Sadeq, autant en exploiter toutes les possibilités. « Ma Muse » est un morceau qui alterne entre rap chanté et rap en détresse. Entre départ de son double amoureux et perte d’inspiration, Sadeq reste flou dans ce morceau empreint de culpabilité. On reste toujours dans cette démarcation musicale recherchée, Vargas limite les basses, fait ressortir les aigus et place un set de batterie ponctué par un riff de guitare.
« Tout est dit dans ce titre. Un suicide sentimental mal vécu, des regrets, mais l’envie et la force de sublimer tout ça par l’écriture, le désir de transformer la souffrance en œuvre d’art, pour la surmonter. C’est le premier titre de l’album dans l’ordre d’écriture. »
« Aux lueurs de Berkane », vrai coup de cœur, entre vibe orientale discrète et trip-hop minimaliste à l’anglaise, avec toujours ces chœurs angéliques qui avaient ouverts ce nouvel EP. Entre pragmatisme et spirituel, John Sadeq se place sur la mesure comme une puissance tranquille, une écriture simple et sans fioriture qui percute l’auditeur.
« Un œil tourné vers l’Essentiel, pour ne pas se consumer dans les flammes de la Passion amoureuse. Berkane, ville marocaine de grands saints et maîtres spirituels, en ligne de mire… »
Logiquement, l’EP devait au départ se terminer sur « Mes Songes », l’ambiance down tempo donnait cette impression d’au revoir. On reste dans une ambiance très aérée, avec un pic de riff qui se veut discret. Un ciel gris puis le soleil, John Sadeq a beau revêtir tout au long de son EP le costume de l’homme usé par la vie, les rêves restent intacts.
« Ecrit entre jour et nuit, jour de soleil et jour de pluie, joie et tristesse, sommeil et veille, j’y décris un état second, confus mais pas désagréable. Dur d’en dire plus… »
Rajouté à la dernière minute, « Van Gogh » coupe avec la note positive de « Mes Songes ». Morceau noir, testament d’un homme n’attendant que l’espoir d’un meilleur destin dans l’au-delà et continuant à souffrir de son vivant. La ligne de production est plus sombre, sans tomber dans la facilité mobb deepienne chère au rap français.
« Van Gogh est déjà l’après Diwan, la fin de la thérapie, la conclusion. Il est né d’un sentiment d’inachevé, très spontanément, la veille de la sortie officielle du EP. Il est celui qui représente sûrement le mieux la fumée apparaissant sur la pochette, la fin, le moment où je quitte le divan, consumé, évaporé. »
Quitte à tout perdre autant tout jouer, Diwan est un EP qui cherche son identité musicale sans s’accrocher à une vibe actuelle ou passée. Ce projet sera-t-il le dernier testament de Sadeq ? Il semblerait que ce retour ne soit pas le dernier, John a des projets mais pour le moment rien ne filtre, « explosive » sera la suite.
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