Avec « Nuit », Jazzy Bazz s’illustre face à l’insomnie

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©David Delaplace
« On parle tous la même langue quand on se tait » ; Jazzy Bazz pratique la discrétion et lorsqu’il lève à nouveau la voix c’est pour le meilleur.

Depuis P-Town 2 ans se sont écoulés et l’Ultra Parisien a pris son temps pour montrer que rien n’a changé dans son 19ème fait de peines et d’exigence. L’album commence au Crépuscule, et comme une longue insomnie il s’échoue à 5 du mat’ sur l’autre rive. Jazzy Bazz a la nuit pour rapper, pour penser et panser les plaies, pour cracher et gratter ses peines.

A la manière d’un journal intime interprété tous sens en éveil et à bout de souffle, le Presidente impose sa souverainté. L’argentin reste fidèle à Bonnie Banane, Nekfeu ou Esso Luxueux qui l’entourent depuis P-Town et entend laisser transparaitre les années à travailler son rap précis et technique, avec l’air de ne pas forcer. Et les producteurs Monomite et Loubensky du label Grands Ville Records, à l’origine de quasiment tous les morceaux du projet, de lui offrir la cohérence musicale de son ambition. « La crème des rues alentours » s’est transformée en beurre de baratin, et dans la nuit Jazzy Bazz et son Entourage sont seuls face au monde.

Si la vie est furtive les pensées de Jazzy Bazz, elles, sont autrement plus lourdes. C’est leur poids qui l’entrainent dans les tréfonds de la nuit ; le soleil décline et les derniers espoirs avec lui. L’espoir de trouver une sortie de secours face à l’impasse de l’éternité, l’espoir de distinguer la vérité au milieu des ronds de fumée. Doucement les planètes s’alignent pour laisser parler la rue et ses enseignements, le personnage semble en escale avant le sommeil éternel, ce néant qui fait peur et fantasmer, fantamser devant l’immensité.

Concentré du cri du coeur contenu dans l’album, le morceau Parfum semble lancé dans la douleur des premières lueurs d’un autre jour ressemblant cruellement aux précédents. « Les années passent et arrachent les petites mains des vieilles paluches ». Le temps qui blesse, le temps qui passe et qui prend au coeur jusqu’aux tripes, c’est ce qui porte la voix du rappeur. La nuit et la mort se confondent dans leur noirceur commune et par la profondeur de leurs limbes.  « Tout commence après minuit », la vie ne semble plus avoir la même saveur une fois le train du sommeil passé. Jazzy Bazz ne fait plus qu’un avec la nuit, enivré par le doux vacarme de la ville, alors que son avenir s’assombrit au rythme des nuit sans sommeil et des jours sans réveil. Il raconte la peine de soi, la peine de ceux partis là haut, ceux là même qui ne laissent que solitude et détresse comme compagnons nocturnes. Et même si « la lune libère », c’est le souvenir de la rue du Soleil qui maintient en vie ceux qui restent, fidèles à la vie de chien qui s’offre à eux ; Jazzy Bazz se fait la voix des solitaires forcés.

Le coeur scindé entre paris et buenos aires, entre chaleur et grisaille, il est l’éternel déchiré entre la ville de ses jours et le continent de ses nuits, passées à rêver de traverser l’océan des possibles. Derrière le hublot toujours pas de paradis mais les souvenirs semblent se mêler aux envies de bien faire et de mieux vivre. L’influence du cloud rap mêlée à la vibe du 19ème et aux effluves d’Argentine dont il est originaire donnent à l’album des allures de voyage initiatique vers la ville qu’on surnomme le « Paris de l’Amérique Latine ». Puisqu’il a la Nuit pour charbonner, Jazzy Bazz ira jusqu’au bout avec détermination et maitrise, avec pour objectif de faire groover la routine.

Le spleen du parisien s’efface au fil de l’album et des interventions de ses compères qui le grandissent. Incisif aux cotés de Nekfeu, il s’aventure ensuite sur le terrain du chanteur Lonely Band, délivrant leurs Sentiments grâce à deux couplets lâchés comme un seul homme, comme un seul et même coeur brisé en deux. Voix de la raison contre élan de désir, entre filles de joie et femmes de roi, la tornade se déplace vers le champ de l’amour et de ses désillusions avec davantage de légèreté. Amour magique ou amour obsessionnel, il devient un fond d’écran d’ordinateur dans « Stalker », un espoir diffus de terminer cette Nuit de solitude à « Cinq heures du matin ».

Teinté de travail sans compter, le rappeur du 19ème va au bout de sa démarche artisitique, sans précipitation. Dans la tendance musicale actuelle, chaque morceau est pensé, murit et nourrit d’influences diverses. Jazzy Bazz conserve son écriture héritée des années d’Entourage, passées au coin d’un feu d’inspiration qui semble sans fin. D’abord seul puis bien accompagné dans la deuxième moitié de cette Nuit d’errance, la réussite de cet album repose sur la sincérité de l’artiste, dont la mise à nu laisse présager d’autres nuits d’inspiration. Producteurs, chanteurs ou rappeurs, tous semblent converger dans ce projet autour d’une esthétique musicale commune, acquise au fil des voyages et des moments de vies. Porté par l’envie de réussir ou de tout perdre selon l’heure de la Nuit, Jazzy Bazz nous embarque en quête perpétuelle de la rue du Soleil pour exorciser ses nuits, et les nôtres, du démon de l’insomnie.

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Maëlle

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