Interview – Isha, prince de la ville

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A l’occasion de son concert à la Maroquinerie de Paris le 28 juin dernier, nous avons rencontré ISHA pour évoquer avec lui son parcours dans le rap, son projet « La Vie Augmente vol .1 » mais aussi la suite de sa carrière.
Si une partie du grand public te découvre seulement aujourd’hui, tu as déjà une certaine carrière dans le rap. Maintenant que « La Vie Augmente », tu n’as plus besoin de Psmaker. Qui étais-tu avant, et par quels univers rappistiques es-tu passé ?

J’étais le même en plus jeune, je ne pense pas qu’il y ait de grande différence. Dans le contenu, dans la manière de créer, dans toute l’identité que j’ai aujourd’hui, je pense que c’était similaire, la maturité en moins. Et peut-être des choix de prods un peu moins pointus. C’était la jeunesse, la fougue, et ça pouvait se ressentir dans des discours un peu plus virulents. Mais sinon, ce que je fais actuellement s’inscrit vraiment dans la continuité de ce que je faisais à l’époque. Le changement de blaze, c’était surtout pour marquer le début d’un autre chapitre de ma carrière, une certaine évolution. J’avais besoin de changer.

Quelles sont tes influences ? Quels artistes de rap francophone ou de rap américain ont contribué à la construction de ton univers musical ?

En rap français, parce qu’il faut le dire, ça se passait beaucoup ici, j’ai écouté les X-Men, des mecs comme Nubi dont on ne parle pas trop, Nessbeal, Tandem, tout ça. En rap cainri, tout le rap new-yorkais en général, de Mobb Deep à The Lox en passant par Bad Boy, toute cette école-là en fait.

Du coup ISHA aujourd’hui, c’est qui par rapport à ce passé dans le rap, quelle direction musicale as-tu pris ?

C’est marrant, on me parle souvent de direction ou de choix mais il n’y en a pas vraiment eu. J’ai tout fait au feeling, je ne me suis pas dit : « Voilà comment je vais faire pour marquer le coup ». J’entends une instru qui me plaît, j’écris dessus. Des fois on me pose des questions, j’ai l’impression que les personnes pensent que j’ai cogité au changement, mais non. Tout s’est fait naturellement. Je suis même parfois un peu gêné lorsqu’on me demande : « Ouais, comment t’as construit, comment t’as pensé le truc… ? ». Je fais les choses le plus simplement du monde, je fonctionne à l’instinct.

Sur La Vie Augmente vol. 1, la prod rappelle les musiques de jeu vidéo type Tetris, et le titre du morceau évoque lui aussi la barre de vie d’un personnage de jeu vidéo. C’était un parti-pris et un clin d’œil conscient de ta part ?

Un pur hasard ! Ce morceau, c’est une prod de Veence Hanao et pour ceux qui écoutent ses albums à lui, on reconnaît bien sa patte. Plutôt minimale, avec des mélodies un peu enfantines par moments. C’est marrant parce que ce n’est vraiment pas le genre de prods que j’aurais pris à la base. Ça, c’est peut être un des trucs qui a changé depuis l’époque, je suis plus ouvert. Avant, personne n’aurait pu me dire : « Poses là-dessus ». Si je n’aimais pas, je n’aimais pas. Maintenant je suis plus ouvert, j’ai essayé. C’est un pur hasard mais c’est ça la musique, c’est du feeling. Des fois les choses s’emboitent et pour moi c’est la magie du moment. Ce serait un peu réducteur de dire que c’est seulement le hasard, en tant qu’artiste.

Avec le succès de Damso, JeanJass et Caballero ou encore Hamza pour ne citer qu’eux, on a l’impression d’assister à un véritable âge d’or du rap Belge. Ça fait quoi de participer à l’émergence de « sa » scène et de surfer sur cette nouvelle vague tout en ayant déjà une carrière dans les jambes ?

Ouais clairement, cet âge d’or, on le ressent. Tu vois là, il y a eu une expo chez nous, aux Beaux-Arts de Bruxelles, un gros bâtiment, ben on est rentrés dedans, ils ont fait une expo sur tout le rap, sur nous en gros. Donc ouais on voit un grand changement. Pendant un moment, j’étais quand même un peu sceptique, je me disais : « Ça fait longtemps qu’on ne t’a pas entendu, il y a plein de nouvelles têtes, le public ne te connaît pas », tout ça… D’autres ont essayé de revenir et peinent à y arriver. Pour le moment, on peut dire que c’est réussi par rapport à notre échelle. J’avais cette petite inquiétude et finalement, j’ai été porté par, il faut le dire, quelques mecs qui ont cru au projet, qui l’ont boosté. Et j’ai réussi à transformer l’essai. Après Stan, mon manager, me dit souvent que c’est le contenu aussi, que c’est ce que j’ai fait. Mais ces mecs ont participé à mon émergence, à notre émergence, c’est clair. Et ça me fait vraiment plaisir de faire partie de ce truc-là.

Quelle couleur musicale as-tu voulu insuffler au projet, comment tu travailles avec tes producteurs ?

Je voulais que ce soit bien fait, bien construit, bien emballé. Après, ma prétention, c’est de parler de moi, tout simplement. Le mec quand il écoute, je veux qu’il puisse s’identifier à ce que je raconte ou en tout cas qu’il puisse se sentir proche de moi, qu’il puisse me comprendre. Ça, c’était mon objectif premier. Après, je voulais aussi faire un truc qui s’écoute, je trouvais qu’il n’y a plus assez d’albums qui s’écoutent de A à Z. Donc je voulais faire un truc court mais cohérent. Je pense qu’on a réussi, en tout cas je suis satisfait parce que les retours sont assez cools par rapport à ça. Tout le reste, c’était du feeling. J’ai l’impression de pouvoir aborder un panel d’instrus assez large, de pouvoir faire pas mal de trucs, donc je n’ai donné aucune directive particulière à mes producteurs. Par exemple dans mon album, entre « Oh Putain ! » et « Frigo Américain », il n’y a pas à dire, c’est très différent. J’ai essayé de diversifier le truc.

Tu évoques Mike Toch, quelle est son importance dans ta carrière, sa place dans ta musique ?

C’est mon producteur et il s’investit aussi dans ma direction artistique. Avant lui, je n’écoutais pas vraiment les critiques, je ne raturais pas. Il y a un morceau tu vois, j’ai écrit quatre fois le texte, des mecs comme Mike ils me disent : « Non c’est pas bon, faut que tu le réécrives ». Ils valident ou ils ne valident pas. Des fois je me dis qu’ils sont relous, mais c’est quand j’arrive à me surpasser que je me dis qu’ils avaient raison. C’est l’une des meilleures choses qui puisse arriver à un rappeur, après le succès, dans la manière de créer tu vois. Avoir une équipe très difficile, très critique, très exigeante, qui te pousse à te dépasser, qui te dit : « cette phrase-là elle est nulle ». Je sais qu’il y a plein de rappeurs pour qui ce n’est pas le cas : dans leur entourage, on ne leur dit pas ce genre de choses. Moi, c’est ces mecs-là qui n’hésitent pas à me dire quand c’est nul, parce qu’il y a beaucoup de morceaux qui sont partis à la poubelle tu vois. Puis Mike c’est quelqu’un qui me suit, ça fait trois ans qu’on bosse ensemble mais quinze qu’on est amis donc il a toujours été là.

Tu es parti te pavaner au Salon de l’Auto édition 2017 avec JeanJass sapé comme dans les 90’s. Quelle est l’importance de la sape dans ton imagerie ?

Honnêtement, ça a toujours été important pour moi, j’ai toujours aimé la sape. Aujourd’hui, on est à l’ère du raffinement, il y a un retour aux belles choses, dans plein de secteurs, partout en fait. Donc c’est devenu bien plus important pour les rappeurs. Tu ramènes des lyrics, une personnalité mais une enveloppe aussi.

Dans les thèmes que tu développes, on ressent une certaine nostalgie, l’évocation de noms comme Tony Hawk, ton côté daron un peu gamin, les souvenirs d’enfance sur Frigo Américain. ISHA, c’est un enfant qui a grandi trop vite ?

Ouais clairement, c’est vrai ça. Tu vois, c’est bizarre mais j’ai des souvenirs très précis, parfois je fais peur à ma mère ! J’ai des odeurs, des trucs qui me reviennent, je suis très connecté à mon enfance. ISHA, c’est définitivement un gamin qui a grandi trop vite.

Comment expliques-tu qu’en attendant le bus dans Bruxelles, tu te sois dit que le lendemain tu allais faire un banger avec l’accent du Sud ?

Ça, c’est quand t’arrêtes pas de réfléchir ! Je réfléchis tout le temps, je trouve des idées à des moments de ouf, dans le bus ou ailleurs ! J’étais avec des potes qui rigolaient en faisant « Oh Putain » avec l’accent et je me suis dit : « en vrai, il faut le faire ! ». C’était une manière de faire un clin d’œil au Sud mais surtout un exercice marrant et loufoque !

A contrario, la réalité sociale vécue à travers le regard désabusé d’un daron est prégnante, c’est elle qui donne sa teneur sombre et urbaine au projet. Comment jongles-tu entre ces deux dimensions (nostalgie de l’enfance et de l’innocence qui va avec d’une part et désillusion du daron qui connaît la dureté de la vie d’autre part) ?

Ce contraste, je crois que c’est vraiment un trait de ma personnalité. C’est ce que me disent les gens qui me connaissent le mieux. Ce n’est pas un exercice, je peux avoir ce côté enfant, nostalgique et puis switcher très vite de l’autre côté. Je n’ai pas de mal à jongler entre les deux. Après ouais, comme tu dis, il y a un équilibre dans ce projet. Je m’amuse à placer un décor, certaines phrases un peu douces, puis à ramener une bombe pour appuyer ce contraste. Je le place puis je viens le casser, ça donne du relief. Je n’essaie pas de choquer mais de frapper, de surprendre.

Après La Vie Augmente Vol.1, on peut logiquement s’attendre à une suite. Comment vis-tu l’engouement suscité par ce projet et en quoi ça donne de la force pour la suite ?

Je ne me mets pas trop la pression parce que j’ai compris que ce que les gens ont aimé dans le projet, c’est avant tout ce que je montre de moi-même. Je n’ai pas fait d’efforts, il n’y a pas eu de recherche particulière. Donc je me dis que je n’ai qu’à être moi-même. C’est comme si on me demandait de jouer un rôle au cinéma, qui soit mon propre rôle : il n’y a rien de plus facile au final. Je n’ai pas besoin de chercher à gauche, à droite. J’ai un pote, le frère de Mike Toch, qui lui a dit que l’album était trop bien, que je ne pourrais jamais faire mieux que ça, comme si c’était mon « classique », en quelque sorte. Puis il y a cette légende qui dit que le deuxième opus est toujours moins bon que le premier. Je ne sais pas si c’est vrai mais pour autant je n’ai pas trop de pression. C’est moi. J’écris comme j’ai toujours écrit. Après, je dépends de l’inspiration, ça va et ça vient, faudra que ça sorte au bon moment. On s’est dit que le Volume 2, il devait sortir pour le mois de novembre. Ça doit aller très vite, on n’a plus le choix, on est dedans là. Mais avec les interviews, les concerts et tout, je vois qu’il se passe un truc et ça me donne de l’inspi. Je n’ai plus qu’à refaire ce que j’ai fait en mieux !

(NDLR : Deux heures après notre rencontre, ISHA mettait le feu à la Maroquinerie qui se souviendra longtemps de la fureur avec laquelle le Belge a défendu son projet sur scène).

 

Interview réalisée par Le Scribe et Théo.

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