‘Tant qu’on est là’ : Hugo TSR au sommet de sa tour

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Qu’elle soit de Babel, d’ivoire ou HLM, Hugo est au sommet de sa tour.

Hugo TSR, éléphant dans une tour d’ivoire, sur la défense avec les dents et la sagesse TSR, Tease Shit et Rap, Tuerie Sur la Rythmique, Toutes Surfaces Rayées, Toujours Sur les Rails ou Tout Ski Roule… Comprendra qui pourra, chacun lira ce qu’il souhaitera. Un acronyme énigmatique. Les trois lettres d’un Crew au rap issu des souterrains. Un rap ne voyant le ciel qu’en empruntant le métro aérien. Un rap dur, sincère, toujours authentique. Un rap qui chante le « Paris vu des toits, il pue la rue, il pue les squatts ». Un rap aux relents de whisky et d’herbe, un rap à la conscience toujours acerbe. Le rap de celui qui éludait « J’ai pas changé d’adresse, pourquoi j’aurais changé de flow ? ». Ce Old Boy qui confesse que ce n’est pas lui qu’il rappe mais davantage un vécu, un quotidien, une vie dans un quartier qui est le sien. Une entité supérieure, omniprésente et transcendantale dans son œuvre musicale. Un Hitchcock avec Fenêtre Sur Rue, Paris 18ème.

Retourné à sa brume après avoir traversé le Passage Flouté avec le TSR, il était réapparu Là-Haut, sur sa butte, pour regarder la ville et mieux se dissiper dans sa fumée. Mais Hugo est un éléphant dans une tour d’ivoire, sur la défense avec les dents et la sagesse. Quelle soit de Babel ou HLM, il est toujours au sommet de cette tour où paraît que tout va bien Tant Qu’on Est Là pour en parler.

L’indépendance comme formule bénie, c’est l’intransigeance d’un jeune qui vieillit. « Niveau son j’ravitaille toujours mon flow d’2004, j’te mitraille c’est GTA sur une console de mixage » Hugo c’est ce mec qui aurait fini San Andreas sans utiliser un seul code si le jeu avait été un rap game. Classique et mythique comme une RockStar, TSR revient avec son flow inchangé et rare. Depuis la première offensive les salves lyricales se ressemblent, l’arme est la même, Hugo fait du TSR, mitraille avant d’apprendre à se taire. Il traverse les époques avec un même style, construit sa trajectoire singulière au rythme des vices qui inspirent autant qu’ils détruisent. Alors il rappe… Tant qu’on est là.

« J’suis bloqué, j’suis obsolète mais j’monte chaque jour d’un cran, on m’a noyé dans du formol, j’aurai toujours vingt ans », mais la main qui a écrit ces lignes n’est plus celle qui disait pe-ra par envie, qui à 19 ans ne voulait pas grandir, elle a vieilli. Sa mine d’or reste un corps. Les doigts qui tiennent la plume collent, éternelle résine et tremblent quand elles s’parfument à l’eau d’Pologne. Lui-même l’avoue « J’ai plus 20 ans, j’suis attendu par le toubib » puis élude « même si la rue m’va comme un gant, faut qu’j’envisage un relooking ».

Hugo est ce moine qui a trop péché mais qui garde la foi. Exilé dans les ruines d’une tour de Babel, il affûte ses katanas, psalmodie ses katas. C’est cet isolement qui le conduit à vivre dans une réalité qui est la sienne au milieu du paysage rapologique « M’exprimer, j’arrêterai quand ça m’saoulera, aucun produit dérivé, j’crois qu’j’suis l’dernier samouraï ». Un guerrier qui suit sa voie, écrit son traité des 5 roues et mène son art de la guerre. La victoire est trop facile face à ses pairs, ses contemporains. Les vieux de son âge qui lui font tous la morale avec une fiole dans l’anorak, qu’il regarde nager dans leur bocal. Des âmes parfois blasées, un peu frustrées, souvent nostalgiques mais définitivement impuissantes. De ceux qui désormais « pensent que l’bonheur est dans un caddie à Darty, que l’art est dans les galeries à Paris »

Marginal, il assiste au passage du temps, machinal, il conserve sa rage de militant. Personne n’y échappe, son intransigeance est de marbre « Maintenant les flics ils ont mon âge, ils veulent me saboter le moral, inculpez moi, libérez moi, dans les deux cas, niquez vos races ». Les ennemis restent, ne sont jamais de circonstance, un révolutionnaire qui ne fait pas d’alliances : « c’est navrant leurs balivernes, moi, j’manifeste comme eux le faisaient avant ».

Des convictions intactes mais une solitude plus forte encore, un Iceberg à la dérive qui attend l’Titanic, attend sa légende. Une métaphore de la place qu’il occupe dans la société, par extension dans le rap. Alors que l’Homme tel Icare précipite sa chute en s’envolant défier le soleil, Hugo est ce noctambule, cet enfant de la lune. S’il sait ne pas être le premier des blocs de glace à se noyer dans un verre, il y navigue selon son propre cap. « Bloc de glace qui fait trembler les gros paquebots » il dérive pareil à un bateau fantôme pavillon 18ème dressé. Son étendard est un étendoir, des rappeurs aux lascars il est un cauchemar. Mais les nuits se succèdent, se répètent alors éviter le soleil, rester dans l’ombre devient son fardeau.

La maîtrise est totale, d’une Fenêtre Sur Rue on passe en toute cohérence à La Cage, resserrage de la focale. Soutenu par une certaine misanthropie, Hugo vieillit, traîne ailleurs, resserre toujours son périmètre pour mieux l’étendre. On retrouve le souci temporel du morceau précédent, cette nécessité de quitter la rue, de changer de champs Tant Qu’On Est (encore) là.

Qui dit nouvelle muse dit nouvelle ruse, la dépendance est la même, l’emprise est toute aussi forte, « elle les tient, c’est pas pour rien si il y a le mot « cage » avant le mot escalier ». Hugo conte comment peu à peu ce presque chez soi est devenu sa maîtresse, comment il a succombé à ses charmes, comment il l’a saigné, crime passionnel. Il la personnifie dans une robe de vice, « c’est avec elle qu’on sert JB », le revoilà ce bon vieux pote. Celui-là même qui fait que « tu tournes en rond, même si elle est carrée ». Mais la cage est celle qui ne tue pas, elle rend plus fort, elle est cette inspiration qui dort. La destruction est créatrice, bédo ou stylo il confesse « J’y ai froissé plus de feuilles qu’un passionné d’origami ». Fenêtre sur escalier ou sur rue, le paysage est le même, les phrases d’Hugo résonnent « on déteste les capitalistes, on est les mêmes mais en pauvres » et semblent trouver écho dans « Leur cage d’escalier [qui] est un centre commercial, ça soupire dans la queue comme à la caisse du Leclerc ».

Pas de réchauffé, tant qu’il est là, Hugo fait dans le classicisme sans concessions, la dignité rebelle d’un chef qui a gratté avec tellement d’plumes qu’il a d’quoi se monter une coiffe d’indien. Si l’alchimie continue d’opérer, c’est qu’Hugo est fidèle à lui-même, mais toujours un peu plus fort. « Un stylo, un quet-bri, moi j’ai deux Bic, les deux crachent des flammes », des egotrips légendaires pour une concurrence qui doit l’avoir amère. Mais « Si tout l’monde fait d’la merde, pourquoi s’aligner ? Toujours sur la brèche, j’fais c’que j’aime y a de quoi saliver, j’suis pas sur leurs compils, j’suis en combi, où est ma fusée ? ».

Cette interrogation qui revient sans cesse chez ce « fraudeur de la NASA, ce clandestin en combi d’astronaute ». Toujours cette ambition de décoller au bord d’une fusée artisanale, l’art triste d’un art teasant. Celui pour qui l’avenir n’était que le nom d’un bar au fond de la rue Pageole avoue aujourd’hui que « Quand j’parle de mon avenir, pour eux, j’raconte un tas d’histoires. J’exaucerai mes vœux, allez-vous faire foutre, moi, j’y crois ». Hugo renoue avec l’espoir, prie pour que la lumière qu’il voit au bout du tunnel ne soit pas celle du train.

Hugo est Là-Haut, gargouille des temps moderne il se fait omniscient, voit tout. Il laisse la couronne aux pauvres rois, à ceux qui ont un royaume vide. Il dépeint la spirale infernale du système, celle qui fait que tous les rouages sont reliés, communiquent et actionnent inconsciemment quelque chose de plus grand. Ils s’écartent de ceux qui font tourner ce cercle vicieux. Ne trouvant son reflet nulle part, il ne voit surtout pas l’espoir dans leur Couleur Miroir. Le regard critique, l’œil affûté, il ne se laisse plus tromper, si cet hiver il a vu la neige sur les affiches du tro-m’ et cet été les tournesols sur les bouteilles d’huile, il est lucide en a « marre de toucher avec les yeux, veut regarder avec [ses] mains ». Une détermination sans faille même si c’est la 18ème fois, la 18ème marche, on peut rentrer dans son palais, celui où il décrit un monde pas net, c’est que l’départ, il prépare un monte-palettes.

Hugo TSR est prisonnier de sa tour d’ivoire, il est cet éléphant du rap, ce monument qui Tant Qu’On Est Là veille à l’écoute des bruits de la ville. En signant un album qui l’emmène Là-Haut, sur sa butte, c’est seul dans sa lutte qu’il éclaire à la bougie son chemin noyé dans la pénombre. Le vagabond a trouvé sa corniche, un jeune vieux qui a posé sur ses épaules le poids de ses vices. Même au sommet d’une tour personne n’est jamais seul, si l’on accepte de baiser les yeux on retrouver les siens, ses cieux : Nero, Omry, Vin7, Wassim ; ses frères. Définitif comme l’acide.

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Théo

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