Feu grand papy m’avait prévenu, enfant, de la menace : « ces putains de Chinois vont tous nous bouffer. Eux et ces enculés de bolchéviques ».
Si le temps lui avait donné tort sur la vision marxiste du monde agricole russe, il était dans le vrai sur la menace chinoise. Transition économique, eldorado de la vision mondialisée de la manufacture et de l’industrie, présence géopolitique de plus en plus oppressante, présent dans le top 5 des pays les plus haïs par Trump, il n’est plus bon de blaguer sur le Chinois comme au bon vieux temps du grand Michel Leeb. Même la culture se voit aujourd’hui menacée, et pourtant on pensait le milieu musical hors de portée après s’être tapé les bandes originales de toute la filmographie de Zhang Yimou. Il aura fallu attendre l’émergence du média 88Rising pour comprendre que les chinois de Chine mais plus largement les chinois d’Asie allaient aussi bouffer notre culture musicale… Rich Chigga, Pink Guy, Keith Ape et enfin le phénomène Higher Brothers.
Higher Brothers, doucement mais surement, ont commencé à créer un intérêt certain grâce à leurs clips, lâchés à un rythme réfléchi. On se marre quelques secondes face à la dégaine des 4 membres du groupe et leur environnement assaisonné de dabs complètement ridicules, et puis on lâche notre sourire supérieur pour comprendre que Masiwei, Pay P, DZ et Melo ne sont pas là pour blaguer, mais alors pas du tout.
3 tiges et 1 bouboule coupe au bol, des sapes dignes d’un grand déstockage chez Babou, des champs de colza, un chat iPhone ou encore du graphique 8bits façon Nintendo pour seuls effets dans leur clip, on frôle sur la globalité le ridicule, et pourtant, ce sacré mélange donne une vraie identité à ce groupe. Sans oublier que le quatuor n’est pas ici pour faire acte de présence et affiche un delivery bien carré.
Alors de quoi ils parlent ? En fait, on s’en fout, et si je parlais aussi bien Chinois que feu grand papy l’allemand, je pourrais sûrement vous répondre. Higher Brothers, c’est le même effet que de te taper ton premier album de rap US à 11 ans, t’entraves que dalle mais tu ressens la puissance du truc. Et si on pouvait présumer d’un phénomène éphémère uniquement adapté à Facebook, Black Cab, leur premier album, leur assure un premier succès d’estime. Derrière un mix et un mastering à la limite du dégueulasse, Black Cab offre le fondement d’une scène rap chinoise ouvertement orientée trap. Pas besoin de forcer l’écoute pour trouver leur merde addictive. Des laid back « Franklin » et « 711 » jusqu’au très électrique « Made In China » en passant par le désormais classique titre éponyme, Higher Brothers posent leur flow de façon complètement insensée en mode survie, quel que soit le type de beat.
Black Cab ne doit son existence uniquement à la vision et l’énergie des quatre membres (et à l’exposition du média 88Rising) qui réalisent ici avec des moyens que l’on sait pertinemment limités voir inexistants un premier projet clairement solide. Le potentiel est là et semble clairement améliorable avec des moyens supplémentaires. En tout cas, si vous pensiez que la Chine dormait sur le rap, Higher Brothers vient de lui donner la dose de Guronsan susceptible de la réveiller, attendez-vous à retrouver la mention Made in China sur vos playlists à venir. Tout est calculé, tout est allemand ou chinois, dirait le Roi.
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