Haroun a marqué de son empreinte le rap français autant que les trottoirs du 18 ème. Malgré des années de silence radio, et une aversion sévère pour le rap jeu, l’enfant de la goutte d’Or continue son bonhomme de chemin, à pas feutrés, développant depuis la Suisse son personnage d’ « ancien tout frais ne laissant pas de place à l’à peu près ». Alors que le classique « Au Front » fête ses dix ans, rencontre avec un rappeur toujours Scred.
Au Front a fêté ses 10ans, quel regard portes-tu aujourd’hui sur sa création et son apport ?
En réalité à l’époque, je ne me mets pas une grosse pression au moment de sortir mon solo. Je ne rentre pas dans une préparation intensive ou un énorme processus de réflexion. Je faisais tout le temps du son, j’écrivais tout le temps aussi. Au fur et à mesure, je me suis rendu compte que j’avais un titre, puis deux, puis trois, que l’ensemble tenait la route, qu’il y avait une cohérence, un univers. Quand j’ai eu un petit nombre de morceaux, et que je me suis senti prêt, je me suis lancé. J’ai sorti mon album. « Au front » s’est fait comme ça. Sur une période relativement longue. Finalement, c’est juste une réunion de morceaux accumulés à droite à gauche depuis pas mal de temps. J’ai gardé ceux que j’aimais et que je trouvais cohérents pour faire un album. C’est parti comme ça. C’était plus une envie, une possibilité.
Au delà de ça, c’est un album m’a pas mal aidé, je te le cache pas. Aidé à ne pas stagner, à côtoyer d’autres gens, à avoir un objectif, à se professionnaliser, à trouver un appart… J’étais dans l’âge relou pour tout ça. J’ai sorti l’album j’avais à peine 25 ans. C’est l’âge où tes parents ne sont plus forcément là, où tu dois te loger, et forcément personne ne veut louer d’appart à un jeune mec, rebeu, seul, rappeur et sans fiches de paies. Sortir l’album, être un peu connu, gagner des sous, Au Front ça a été un tremplin pour moi, y compris dans ma vie personnelle.
Ce premier album solo, c’était un moyen d’exister sans le collectif. De s’extraire du groupe pour développer une identité qui t’était propre ?
Exactement. Un groupe ça reste quatre personnes, quatre individualités, donc c’est forcément une histoire de compromis. Un album en collectif ne reflète pas forcément l’univers de ses membres, c’est un espèce de patchwork des inspirations et des influences de chacun. Les albums de la Scred, et ça se ressent très bien, c’est un peu de l’univers de Koma, un peu de l’univers de Mokless, un peu de l’univers de Morad, et un peu du mien. A un moment, en tant qu’artiste, tu as envie de proposer quelques chose d’un peu plus personnel, d’avoir un peu plus de temps et de possibilité pour exploiter tes idées. En groupe tu as un couplet pour t’exprimer. Un couplet c’est très rapide.
Alors que lorsque j’écris un morceau entier pour un solo, je ne l’envisage pas du tout de la même manière. J’ai la possibilité de faire la structure que je veux. Pour le choix des instrus, c’est un bonheur tu es seul maître à bord. C’est le top. C’est surtout ça qui m’a donné envie de faire un album solo. Surtout que je suis beatmaker. Dans un solo lorsque je fais une prod, j’ai pas besoin de l’imposer aux autres. Si elle m’inspire un univers, je le développe. Dans ce contexte, les concessions que tu t’imposes, tu te les imposes seulement à toi même. Il y en a donc beaucoup moins.
D’autant que le contexte pour toi est particulier, tu es le plus jeune de la Scred, peut être y avait il plus à prouver ?
Très honnêtement je n’ai jamais eu ce complexe de l’âge. Ni le complexe de l’âge, ni le complexe d’être dans l’ombre de Fabe ou de Koma. Au contraire, je pense que c’est une situation qui me convenait pas mal de part mon caractère. Je n’ai jamais eu une énorme envie de me mettre devant. Donc pour ma part, être entouré de mecs plus grand que moi, ça m’arrangeait je crois. Dans cette situation, tu fais ton taff, tu es en retrait, tu as pas besoin de répondre à toutes les sollicitations, de faire trente-six interviews, d’aller sur le devant de la scène, de trouver quelques choses à dire au public… tu te contente de faire du son. Je pense que c’était vraiment une situation parfaite pour moi.
Et du coup 10 ans plus tard, quel est le bilan de Au Front ?
Honnêtement, je crois que mon album, je l’ai découvert, il y a deux ans maximum. Je ne l’avais pas écouté depuis des années. Lorsque tu fais un album, tu as tout le processus de création, tu écris, tu enregistres, tu le sors, tu le défend sur scène… Pendant quelques années, tu n’as aucun recul possible sur ce que tu as créé. Tu le vis, tu es dedans. Mais il y a deux ans, je l’ai écouté. Pas réécouté d’ailleurs. Écouté. J’étais seul, je devais taffer, j’ai mis ma chaine youtube et les sons se sont enchaînés. J’ai pu tout écouter calmement, avec du recul. Pour la première fois, j’avais l’impression d’être auditeur lambda. Au même titre que n’importe qui. Et, là je l’ai apprécié. J’ai enfin compris pourquoi on me parlait tout le temps de cet album, pourquoi il avait marqué les gens. J’ai compris ce que le projet avait d’intimiste.
Dix ans plus tard, je ne suis plus la même personne. Ce que je vivais à l’époque je ne le vis plus forcément, ou en tout cas plus de la même manière. Je m’entendais parler moi même, mais cette fois avec du recul. Avec 10 ans de recul. Et bizarrement, je me suis moi même emmené dans mon univers. J’ai enfin pu l’apprécier. Avant ça, chaque fois que je retombais dessus, je l’écoutais comme un artiste, je n’entendais que les défauts. J’étais encore dans mon obsession, dans ma recherche du « bien ». Pas la recherche de la perfection, mais la volonté de faire ça bien.
C’est un album qui est ancré politiquement et socialement. C’est pas un peu déprimant de se rendre compte 10 ans plus tard que l’album est encore d’actualité ?
Je pense que ce qui a vraiment changé en dix ans, c’est juste mon positionnement. Sur « Au Front », on comprend vite que j’étais dans l’âge des revendications. J’étais dans le rôle et dans la vie du mec qui ne comprend pas le monde et qui veut le cogner. J’oscillais entre revendication et frustration. Aujourd’hui, j’ai une sorte de résignation. C’est malheureux. J’ai toujours cette colère, cette incompréhension, mais je ne suis plus dans cette frustration. Je ne me construit plus du coup sur une posture d’opposition.
Je pense qu’à l’époque, il y a dix ans, j’avais un peu plus d’espoir que maintenant. J’espérai peut être plus sincèrement que le monde change. Parce que si tu es dans la revendication, dans la frustration, c’est que quelques part, tu crois qu’il est possible d’améliorer les choses. Peut être qu’à l’époque je croyais sincèrement que la France allait écouter nos disques et comprendre les revendications des jeunes de la rue, notre mode de vie, ce que l’on subissait. Y réfléchir un peu. Aller dans le bon sens. Pas changer le monde, mais allez dans la bonne direction. Aujourd’hui j’y crois moins.
Il y a une sorte de malédiction du deuxième album chez la Scred. Ça vient du fait d’avoir tout dit ou la peur de ne pas faire mieux ?
Tu ne peux faire qu’autrement c’est sur. Pour un premier album, tu as un aspect de découverte qui n’est pas négligeable. Ce qui marque l’auditeur, c’est la nouveauté, l’inattendu. Et ça tu ne pourras jamais le recréer avec un second projet. Moi on me connaissait déjà à travers la Scred, mais en réalité beaucoup de gens n’imaginaient pas ce que je pouvais faire seul, ce dont j’étais capable. Comme tu l’as dis j’étais le plus jeune, le plus discret aussi. Il y a eu un vrai effet de surprise lorsque j’ai sorti « Au Front ». Aujourd’hui, les auditeurs qui en France attendant encore mon nouvel album, ont peu de chances de me découvrir. Ce sont des gens qui me suivent, qui me connaissent, il y aura moins de surprise.
Si on connait le rappeur, tu es également beatmaker. Entre temps tu t’es remis à composer ? Ou du moins tu continues de composer ?
Je continue de faire les deux : écrire et composer. Même si j’ai eu un passage où j’avais envie de demander des prods d’autre beatmaker pour mon prochain projet. Le défaut principal que je trouvais à « Au Front », c’est le manque de titre pêchus. Ce qu’aujourd’hui on appelle des Bangers. C’est un album qui est très posé. J’aime cette ambiance, j’aime même beaucoup. Mais il aurait mérité quelques instrus plus énergique. C’est un album où peu de titres sont vraiment créés pour la scène, avec une ambiance un peu plus rentre dedans.
Ça vient bien sur principalement des samples que j’ai choisi. Je n’ai aucune barrière dans les samples que j’utilise. Je continue d’ailleurs d’écouter beaucoup de choses, pour assimiler plein d’influences et de musicalités différentes. Le sample c’est ça. C’est des sonorités spéciales. Il faut obligatoirement que les influences soient assez variées. Je ne peux pas te faire un album avec une seule et même signature sonore. Faire un album entier très connoté avec que des boucles de piano, ça ne m’intéresse pas. Au contraire, si il y a un instrument que je ne connais pas, même de nom, ça m’arrange. Ça a une sonorité qu’on a pas forcément l’habitude d’entendre, une patte qui est intéressante. C’est ce que je préfère dans le sample.
Sans faire de généralités, tu avais des sonorités assez acoustiques avec pas mal de guitare sèche. Aujourd’hui là nouvelle génération a presque abandonné ça. On est sur des sonorités très froides, très métalliques.
Là encore, ça dépend. Il y a deux nouvelles générations. Je ne sais pas si on peut les mettre dans le même sac non plus. Les gars du Gouffre, Demi-Portion, Lacraps, Mani Deïz… il y a encore une génération très Boom-Bap même si heureusement, ils ont fait évoluées les sonorités du genre. C’est des artistes qui même si ils ont leurs univers propres, s’inscrivent tout de même dans le sillage de la Scred ou en tout cas du rap de cette époque, avec des sonorités plutôt classiques et acoustiques.
Depuis, on t’a vu sous la bannière Frontkick. Ça a été un peu mystérieux en terme de com, on ne savait pas si il s’agissait d’un label, d’un groupe… Tu nous explique le projet ?
Frontkick… C’est un peu flou comme projet, tout simplement parce qu’à la base il n’y a pas de projet ! (rires). Frontkick c’est un label que j’ai monté pour pouvoir m’exprimer. A l’origine, je créé le label Frontkick pour pouvoir sortir mon album, et les projets de mon entourage direct qui m’intéressent.
Tu as pas mal bossé avec Aketo. Vous avez finalement des parcours assez similaires. Comment s’est créé l’envie de collaborer avec lui, de l’intégrer au label ?
Aketo, c’est mon frérot. Ça s’est fait simplement. Il m’a appelé pour sa tape « Cracheur de Venin ». On s’est retrouvé en studio ensemble. On a pas mal discuté, il me fait écouter son prochain album qu’il est en train de préparer. A ce moment là il était en litige avec son label, Sniper s’était séparé. Il se demandait ce qu’il allait faire, si il allait continuer le rap. Comme on s’entendait déjà bien depuis pas mal d’année avec Aket’, je lui ai dit de venir se reposer avec moi en Suisse, de prendre du recul. J’avais un concert de prévu, je lui ai demandé de m’accompagner sur scène. Et de là est partie une aventure qui s’est éternisée.
Mais entre Aketo et moi la relation est très simple. On fait du rap. On bosse. On s’entend bien. On prépare des sons, il bosse son projet, je bosse le mien, on fait des scènes en commun. On se tire un peu vers le haut, on s’engraine mutuellement pour bosser sur nos projets. C’est agréable. On a notre petit cocon en Suisse. On a monté un studio, on fait des sites internet, des enregistrements studios, on réalise des clips. Une sorte de label multimédia. Et comme c’est un label d’artiste, on a pas du tout l’organisation ni les prétentions des maisons de disques. On essaie de développer un esprit d’équipe et on essaie de faire en sorte que tout le monde se tire vers le haut.
En parlant de ton futur projet tu évoques un album. En 2014, tu me disais que ce format ne te convenait plus. Que tu avais plus envie de balancer un son de temps en temps, ou à la limite un EP.
Ouais c’est toujours d’actualité. Je suis toujours bloqué là dessus. C’est vrai que je préfère cette méthode de fonctionnement, sans contrainte. J’ai envie de plus de spontanéité. J’écris un son, je l’enregistre, je l’aime bien, je le balance. Point. Aujourd’hui il y a des outils qui te permettent d’exister en faisant ça. Le net a beaucoup aidé à ce niveau là. Mais les gens veulent un album. Ils me laissent pas tranquille. Quoi que je mette, quoi que je balance sur les réseaux sociaux, tu peux être sur que le premier commentaire c’est « Et l’album c’est pour quand ? ». Mais tu as un son là frère ! Tu as de la nouveauté, il y a trois sons disponibles. Écoute ! Mais non, le public a envie d’un album, d’un vrai projet, d’un truc complet. Et je le comprends. Mais un album quand tu le fais en indé, c’est du taff, et c’est un processus qui est très long. Il y a plein de trucs à faire dessus. Il faut donc être patient.
L’avantage de travailler hors album, c’est que tu peux être tout le temps présent, sans être obligé de compiler pour un projet des textes d’il y a quatre ou cinq ans.
Moi je fais ça à mort. Et ça ne me pose pas de problèmes, parce comme je te le disais, je ne m’enferme pas dans une période, je ne réfléchi pas en terme de planning. Mon taff c’est d’écrire des titres. Donc d’abord j’écris des titres. Je ne pense pas à l’album ou a un projet tout de suite. Là je vois bien que j’ai de quoi faire un album, donc au bout d’un moment, il va bien falloir que je me motive et que ça sorte. Il faut que je commence à réfléchir à une pochette, à envoyer quelques disques à droite à gauche, réfléchir par quelle distrib ont va passer, ou même si on va passer par une distrib.
C’est quelque chose qui me tente pas mal, de réaliser un album en total indé. De miser bien sur sur le streaming, mais surtout sur la vente directe via le site internet. Limiter au maximum les intermédiaires. C’est quelque chose qui peut se développer sur les prochaines années, grâce à internet évidemment. Les mentalités évoluent mais les gens ont encore un peu de mal à consommer la musique de cette façon. Ça se fait, mais tu te rajoutes tout de même quelques handicaps, notamment en terme de visibilité, puisque tu n’es dans aucun bac.
Dans « l’Exode », tu parles d’un mec de quartier, qui réussi à changer, à partir. Je ne sais pas si je l’ai bien interprété, mais j’ai pas pu m’empêcher d’y entendre une certaine rancœur, tenace d’ailleurs, vis à vis de Fabe.
C’est quoi la définition de rancœur pour toi ?
Appelons ça une incompréhension si tu préfères.
Ce titre, et ce couplet, ce n’est vraiment pas pour viser Fabe. Mais, il fait partie du lot. Il fait partie du peu de gens, qui des années après me manque. C’est humain. J’étais jeune. C’est quelqu’un que j’aimais bien. Et je ne te parle même pas de l’artistique là. C’est quelqu’un humainement que j’appréciais énormément. On parlait beaucoup, on se comprenait bien lui et moi. On avait en commun ce délire de s’interroger sur tout, sur la société, sur la nature humaine. On cherchait à savoir comment s’améliorer, devenir quelqu’un de bien, comment réagir face à certaines situations de vie, certaines personnes. etc. On était un peu comme ça. Spirituellement, le mec me manque.
Mais ce morceau là, c’est plus des gens de mon quartier qui me l’ont inspiré. Des mecs avec qui je traînais, et que je n’imaginais jamais quitter le quartier. Les mecs faisaient partis de murs, toujours assis sur le banc, ancrés dans le décor. Et quand eux, sont parti avant moi, alors que moi depuis le début j’aspire à me casser, ça m’a fait un choc. J’ai vu les mecs du quartier se mettre bien, s’en sortir, partir dans tel ou tel pays, trouver du taff, se poser, avoir des gosses… et moi rester là. A un moment j’avais l’impression que c’est moi qui fermait le square Léon.
Ça a été une prise de conscience. Parce moi, même si j’ai grandi à la goutte d’or, j’ai mes deux parents, tous les deux travaillaient, pour un Smic, on était pas fortuné, mais j’ai grandi avec des gens qui avaient beaucoup plus de difficultés que moi. Des familles éclatées, l’illettrisme, la drogue, ou même l’immigration tardive. Ces personnes, avec qui j’ai grandi et que je côtoyais, avait sur le papier beaucoup plus de difficulté pour s’échapper de là. Pourtant à la fin pendant qu’ils avançaient, moi je restais là. Ça a été un déclic.
Au delà du texte, y’a pas mal de tentatives sur ces nouveaux morceaux. Une volonté de « faire autrement » comme tu le disais tout à l’heure. On sent des placements un peu plus audacieux, des prises de risque. C’était important de continuer à tenter des choses ?
Bien sur c’était important. Pas obligatoire mais important pour moi. J’ai envie de continuer à m’amuser. A me mettre la pression, à prendre des risques. Et ça c’est petit encore ! Sur « L’Exode » j’accélère un peu sur quelques mesures, mais sur l’album il y a évidemment des prises de risque plus importantes. J’ai voulu amener du changement mais sans que ça dénote avec mon univers. Les personnes qui me suivent ne seront pas totalement perdues. Je n’ai aucune volonté de proposer une simple redite d' »Au Front », mais malheureusement je pense que c’est ce qu’attend une partie de mon public. Les gens sont nostalgiques, ils ont kifé un délire, et veulent absolument rester dedans, retrouver quelque chose de similaire.
On en parlait déjà en 2014, mais tu es un collectionneur de vinyles. Aujourd’hui il y a une sorte de schizophrénie commerciale entre le dématérialisé et l’objet collector.
Je suis pas un collectionneur. Je ne suis pas très soigneux, c’est ça mon problème. J’en ai eu plein mais tout ce que j’ai perdu, tout ce que j’ai cassé…. c’est impressionnant. Je suis attaché à l’objet, mais pour autant je suis sur que l’avenir est dans le streaming et le dématérialisé. Au début, comme beaucoup je pense j’ai eu du mal. J’étais carrément dans le boycott pur et simple. J’avais besoin de voir le visuel, d’avoir une pochette, de lire des crédits. Mais aujourd’hui même un Macbook n’a plus de lecteur CD. Dans notre studio en suisse, on a même pas de lecteur CD. Là je me suis rendu compte qu’on avait passé un cap. Tu es dans un studio d’enregistrement, tu veux écouter un CD, tu peux pas. C’est un délire.
Tout ce processus est déjà lancé depuis longtemps. L’industrie musicale, et l’industrie high tech se projette de plus en plus vers ces nouveaux marchés. Mais ça ne veut pas dire que les deux industries sont forcément concurrentes. Au contraire. Je pense que c’est la dématérialisation qui a relancé l’industrie du vinyle. En réaction à ça en fait. La façon de consommer à changer, on écoute de plus en plus de musique, et face à ça, certaines personne ont besoin de conserver un objet, un collector, du palpable.
Le streaming, pour toi, c’est surtout un bon moyen de continuer à générer du profit sans repasser par une distrib. Tu as une visibilité sur les écoutes ?
Je ne pourrais pas me situer, je n’ai pas accès aux comptes d’autres artistes. Je ne sais pas si en 2018, la Scred fait plus ou moins d’écoutes que d’autres rappeurs de notre génération, mais ce qui est sur, c’est que depuis le début, je suis surpris et agréablement surpris, par l’impact de Au Front. A l’époque mes objectifs étaient vraiment bas, je ne savais pas où j’allais, j’ai sorti cet album parce que je ne savais pas je devais continuer à faire du rap. J’étais justement à l’age où il fallait me décider à trouver un appart, un taff, une stabilité, et cet album était juste un moyen de savoir si le rap m’apportait quelques chose dans ma vie personnelle, est ce que je pouvais en faire professionnellement. C’était juste ça en vrai. Se jeter à l’eau et voir ce que ça donne. A part ça j’en attendais pas grand chose. Et finalement cet album, j’ai réussi à en vivre. 10 ans plus tard j’ai encore des bons échos, et le rythme de streaming et de téléchargement légal ne baisse pas. C’est ça qui me choque le plus. Bien sur il y a eu l’élan, le pic des deux premières années, mais depuis à l’euro prêt, mes royalties continuent de tomber tous les mois, ils sont fixes. C’est ça que je trouve le plus bizarre avec ce projet, on dirait qu’il ne vieillit pas.
Tu as souvent dis que quitte à refaire un nouvel album ça serait le dernier.
Oui c’est vrai, mais j’en sais rien. Franchement je sais pas frère. Parce que tout ce dont on parle depuis tout à l’heure, du changement de musique, du changement de distrib, du streaming, de la possibilité de proposer d’autre format, d’autre façon de consommer la musique…. ça chamboule.
Certaines choses que je dis dans « Au Front » par rapport à l’indépendance sont maintenant à nuancer. Internet c’est une victoire. A l’époque on était dans une configuration ou un mec, une seule personne, détenait une radio nationale, il gérait le tout. Il arrivait à faire plier toutes les majors autour de lui. La seule question des années 2000 dans le rap c’était « Est ce que Monsieur Bouneau acceptera de jouer notre artiste ». Le mec a littéralement tué des artistes, juste parce qu’il ne sentait pas leur single. La maison de disque considérait qu’il y avait trop de risques à produire sans certitude de diffusion, et ils laissaient l’artiste mourir à petit feu dans un tiroir. C’est un seul mec qui a décidé de ce qu’allait devenir le rap, puisque en décidant de mettre en avant un style de rap plus qu’un autre, il a éduqué toute une génération d’auditeurs, qui maintenant sont devenus des consommateurs.
Le digital a mit fin à ce monopole. Les cartes ont été redistribuées. C’est un pouvoir que les auditeurs de ma génération n’ont pas encore compris. Oui il faut liker, faut partager, faut relayer. Parce que c’est ça aujourd’hui la communication et la promotion d’un projet. Google n’en a rien à foutre que tu sois en indé ou signé chez machin. Il attend juste de savoir est ce que ça plait à des gens. Alors oui, je sais que c’est bizarre pour un mec de quarante ans de se dire qu’il doit suivre un artiste et le liker, mais aujourd’hui, c’est un vrai moyen de décider qui doit être mit en avant. Alors plutôt que de ce plaindre que le rap ça va pas, que tel artiste devrait pas être mis en avant… il faut jouer le jeu de la communication, du relais et des réseaux sociaux. Sachant tout ça, je vais déjà sortir le nouvel album, et on verra pour la suite.
On termine donc par la question évidente. On a parlé du nouvel album pendant prêt d’une heure. On peut se dire 2018 ?
C’est maintenant ou jamais.
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