Grim Reaperz : derrière le blaze, une balle musicale à triple défragmentation. La première, capable de traverser tout alliage de protection façon cop killer, la deuxième, vive et douloureuse, pour dessouder la structure osseuse et la dernière, fatale et libératrice, pour exploser toute artère auditive. Très actifs depuis 10 ans, les trois hommes (Crown, Supervillain & Cystic) ont développé la déflagration de leurs cartouches musicales aussi bien sur la scène francophone que sur la scène US. Part du succès de Scylla à qui ils ont su fournir une identité musicale propre, on les a aussi retrouvé auprès des artilleurs de Philly Jedi Mind Tricks et Army Of Pharaohs dans un registre digne d’une sulfateuse.
Capables de produire pour leur propre compte des barillets à munition tels que leur EP Fuck U, leur premier LP Just Listen ou le Famas de Crown Pieces To The Puzzle, la maison Grim Reaperz est donc des plus respectables pour tout commando ou révolutionnaire ayant besoin d’armement à la hauteur de leurs causes ou contrats. Comparables aux frères Orlov, les hommes fournissent toujours les plus offrants sans regarder les étiquettes, tout en garantissant un niveau de force de frappe de haute noblesse. Pas non plus aveugles, les Grim Reaperz ne s’amusent pas à tracter avec n’importe quel idéologiste ou ersatz de Rambo du dimanche, la qualité doit se trouver des deux côtés, pro business as usual. Cette année, leur nouveau client se nomme Emcee Killa, l’opération porte le nom code de Zapatista, tout un programme.
Issu des quartiers sensibles de Londres, Emcee Killa fait partie de ces militants révolutionnaires prêts à en découdre par le sang et les actions clairement non-pacifistes. Rodé à la guérilla urbaine via son groupe Caxton Press dont l’opération Shame The Devil en 2012 avait déjà fait parler d’eux, Emcee Killa est aussi adepte des opérations solos via ses albums Mind A Tehranist et Next Level Concepts. Connu pour mettre plutôt deux pieds dans la gueule que pour prôner l’amour et la paix, les adeptes des lancers de fleurs et autres sittings de hippies anorexiques à barbes de bûcherons devront mieux passer leur chemin et aller directement à la case To Pimp A Butterfly.
Loin d’être un soutien à l’actuel premier ministre, prônant le renforcement des mesures sociales outre-Manche et les réformes par le feu, Emcee Killa s’est donc remis en contact avec ses anciens associés Grim Reaperz afin de fournir assez de munitions pour mener à bien la première phase de sa révolution Zapatiste et foutre la merde en cette année d’élection générale. Une phase rapide et qui devra faire assez de dégâts pour marquer les esprits, et démontrer qu’une autre voie au libéralisme anglo-saxon est possible, tout en pissant sur la tombe de la Margareth. 11 shots to kill en 40 minutes, le plan ne demande pas de complexification, mais une fluidité à toute épreuve. Une mission à laquelle les Grim Reaperz sont rompus depuis un bon moment, puisque que les mots qualité et performance sont gravés sur chacune de leurs cartouches.
Pour les cargaisons de bastos et explosifs, pas de soucis, mais encore faut-il que le tireur aie l’habilité demandée pour que l’attaque soit une réussite à tout niveau. Pas forcément exposé comme les Melanin 9, Cyrus Malachi, Lewis Parker ou Rhyme Asylum, Emcee Killa prend ses racines parmi ces MC’s soldats formés dans l’underground, loin de la lumière, et agissant de nuit. Rompu aux techniques de combat au mic, capable de placer ses lyrics sur tout type de blindage, Emcee Killa se lance dans son opération avec deux issues : la réussite ou la mort, aucune rémission possible à ce niveau, de quoi contenter les Grim Reaperz dans leurs opérations clandestines.
L’opération, sous forme d’album, a pour but d’immobiliser et de détruire les certitudes de l’auditeur, puis de leur reconstruire une vision alternative à la réalité d’aujourd’hui, pauvres cerveaux malades que nous sommes. Pas de promesse d’un lendemain sous le soleil, mais une lutte pour sortir d’un style de vie trop hard (Captain’s Voyage sur un sample très bien travaillé et renvoyant aussi au morceau Sentier Lumineux de Kheops sur Sad Hill Impact). Pas de faux rythme, on attaque directement aux explosifs sur une intro à faire jalouser les Snowgoons avec toute l’intelligence de placement de Emcee Killa qui rassure de suite et met de côté toute incrimination de révolutionnaires en carton.
Du côté Grim Reaperz, on sort les armements maison, sans surprise, certes, mais avec un ratio éclatage de rate à la première rafale proche du 100%, du piano crasseux sorti des entrailles de la terre comme une bonne vieille mine antipersonnel (Diablo, Bridge The Gap, Shame) à la grosse boucle ayant les mêmes caractéristiques que le débit d’une Ak-47 (Penny 4 The Guy, Lost Property), les marchands de beats armés continuent à arracher les oreilles sans anesthésiants, proposant même des sessions de corps à corps façon Splinter Cell avec finition au couteau cranté (Its So Hard, Shame), histoire de bien dé-boyauter l’ennemi capitaliste.
Dans la lignée de la nouvelle génération de MC’s d’outre-Manche, qu’ils soient révolutionnaires ou marchant à l’argent comme les mercenaires, Emcee Killa amène son style, rappelant qu’en Europe, la France est loin d’être la Mecque du rap. Éduqué dans les factions de l’armée zapatiste de libération nationale au Mexique, le rappeur est revenu sur son île d’origine pour miner les fondements de la City et foutre la merde dans les esprits trop capitalistes de ses concitoyens, mais aussi de tout auditeur averti. Une profession de foi en quelque sorte, qu’il délivre avec brio dans ses titres mélangeants toujours sa vision révolutionnaire à une mise à l’amende réglementaire (Sick Syllables), mais aussi, dans des textes plus techniques en tant qu’adepte de la métaphore, s’attaquant au diable que sont nos gouvernements occidentaux corrompus (Diablo) ou plus direct dans une vision sociale complètement en désuétude (Shame).
Fidèles à leur réputation, les Grim Reaperz viennent fournir l’arsenal d’Emcee Killa. Peu regardants sur les motifs, mais avertis sur la technique de combats des MC’s, les marchands d’armes auditives continuent à faire leur chemin sans déroger à leur style et à la qualité de leurs matériels. Emcee Killa a donc de quoi rendre l’opération Zapatista à la hauteur de ses ambitions, sans oublier que le succès de cette opération repose aussi sur ses propres skills et de son approche de la guérilla urbaine sans concession. Un projet qui ne laisse aucune place à la paix ni à une trêve, et que l’on ne peut que conseiller à tous les adeptes de rap révolutionnaire dans la grande tradition de Paris depuis son The Devil Made Me Do It de 1990.
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