‘Goldman’ : Dans la Tête de JeanJass

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Vous connaissez JeanJass. Mais si, c’est ce emcee et producteur de Charleroi (Charlouze pour les initiés) que vous avez forcément découvert avec l’Exodarap Crew, ou plus récemment lorsqu’avec son compatriote Le Seize, il s’est autoproclamé antipape. Une culture de groupe, donc, pour « le double J », qui s’essaie cet automne à l’exercice du solo.

Goldman, c’est une entrée graduelle dans la tête de JeanJass, une pénétration progressive au cours de laquelle on passe du frivole au sérieux. Bien sûr, les rêves sont l’un des fils conducteurs de cet album et ne sont jamais perdus de vue, mais le protagoniste les transforme au fur et à mesure de l’EP, pour se donner les moyens de les atteindre. Ce premier projet, c’est une chute en quatre actes de la fiction vers la réalité.

Goldman s’ouvre comme un vieux film d’action ; les violons volontaires nous font entrer dans un monde où le rappeur est encore plein de certitudes, ou plutôt, dont la désinvolture lui fait oublier la difficulté du quotidien : « Impossible de stresser le double J », eh oui, « sans appel », il est numéro 1. D’ailleurs, Goldman ne serait-il pas un bon nom de super-héros, pour qui rien n’est hors de portée ? Si oui, on se rend très vite compte qu’il s’agira forcément d’un super-héros sur le fil du rasoir, trempant dans des histoires peu claires.

« L’argent est plus que propre,
mes Uzi sentent la Soupline »

Les productions de JeanJass sont souvent teintées de cinéma, et celle de « NPQ » est intrigante à la manière d’une scène clé au cœur d’un film d’espionnage. Mais inutile de trop s’éterniser sur ses couplets égo trip, puisqu’à en croire le titre, toutes ces histoires ne sont qu’une bonne dose de n’importe quoi de la part de l’interprète. Celui-là nous laisse d’ailleurs plus d’une minute d’interlude instrumentale en fin de morceau pour nous remettre de ce moment de fiction pure, et nous permettre de mieux passer à la prochaine scène. Et, bien que « NPQ » soit – dans son genre – un témoignage de qualité, le meilleur reste à venir. Dès le troisième titre, le personnage principal commence à chanceler, ses jambes le supportant tout juste.

L’intrigue avance, et en effet, il lui devient difficile d’admettre que, pour commencer à réfléchir correctement, il vaut mieux « refuse(r) toute marchandise ». A contre-courant, ce sont les moments de lucidité matinaux qui paraissent « irréel(s) » à JeanJass. « Mes Jambes » illustre en fait de manière globale un type de figures de style que le rappeur utilise souvent, l’opposition (« Je quitte la ville ce soir, le rap, comment dire, c’est comme penser trouver le bonheur avec une fille de joie » (Goldman) , « Des fois j’accuse le coup, je me dis que ma petite femme aime un moins que rien, plus que tout » (Mes jambes). Les jambes, le mouvement, autre signe que nous sommes passés à un autre temps de l’EP : peu de chance pour que le bonheur ouvre sa porte sur un claquement de doigt (Goldman), il va falloir avancer seul.

« Je suis exigeant, si j’arrive à mes fins,
C’est un bon début »

Si l’ensemble de l’EP s’enchaîne de manière très logique (avec une évolution tous les deux titres), à l’écoute, « Pas de Problème » marque un tournant ; le flow déjà, sonne beaucoup moins je-m’en-foutiste et plus engagé, et l’instru lancinante à souhait aide encore davantage à garder le son bien en tête. Difficile de décrypter ce morceau à cet endroit du disque, mais JeanJass semble se parler à lui-même, histoire de se débarrasser de ses pensées superflues (« C’est quoi ton problème ? »). Et déjà l’outro – qui se démarque totalement du reste – indique que c’est le moment de passer à autre chose. Après la prise de conscience, c’est justement le moment de s’occuper de ses problèmes.

« J’ai touché le fond, j’ai besoin d’un remontant, En vrai les problèmes des autres ont toujours l’air moins important»

Arrivent deux titres moins sombres que les précédents ; un regain d’espoir, tout en étant bien clairvoyant sur les faits. De deux choses l’une ; JeanJass sera capable de satisfaire « c’que (sa) femme demande, un job, un gosse et un appartement », mais sans abandonner les rêves. Tant mieux pour nous : « et j‘offre un voyage à qui m’écoutera, toute cette merde, je peux te faire oublier tout ça, en moins de trois minutes c’est mon métier bébé, depuis mon premier printemps jusqu’au dernier été ». A ce moment, on arrive presque à faire une phrase complète avec les tracks 5 et 6 de Goldman : « Vivre Autrement » mais rester proche du but comme « Pippo Inzaghi » . Troisième entracte, dernier panneau du quadriptyque.

« Y’a comme de l’eau dans l’gaz, ça sert à rien de voir les choses en grand, Essaie plutôt de voir les choses en face »

Une fin en douceur, sur les conseils ressassés des potes (« Ne laisse pas filer ta chance, tout vient à point à qui sait attendre ») avec « Viande Grillée » (sur lequel il ne manque que les cigales), et une tirade calme en guise de conclusion. « Un truc » est une longue traite d’honnêteté, où notre héros n’est pas encore tout à fait à fait sûr de ses pouvoirs (« J’veux pas briser tes rêves, la vie s’en chargera »), mais au huitième essai et accompagné de la douceur d’un cuivre, il semblerait qu’on ait déjà bien avancé : « Faut que j’écrive ça, il se pourrait que j’en fasse un tube, relance une fois cette instru, je crois qu’il s’passe un truc ». Et c’est vrai qu’il se passe un truc avec ce belge, alors on peut relancer Goldman et tout réécouter à la lumière de l’ensemble.

L’ensemble ? Une prise de conscience un peu subie que s’il est simple et agréable de prendre ses rêves d’enfant pour la réalité, lorsque l’on se réveille, il est peut-être encore plus appréciable d’essayer de voir dans sa réalité, un rêve.

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