Djinn Carrenard – FLA (Faire L’Amour)

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Après le remarqué DonomaDjinn Carrenard revient cette année avec sa deuxième réalisation : FLA (Faire l’Amour). Nous avons eu la chance d’assister à l’avant-première du film dans le cadre de la reprise de la Semaine de la Critique à la Cinémathèque Française. Après une rapide présentation par Charles Tesson et Jean-François RaugerDjinn Carrenard apparaît sur scène accompagné d’une partie de l’équipe afin de prononcer quelques mots. « Entre Cannes et cette projection, j’ai retiré 25 minutes de film » annonce-t-il en rigolant. « Peut-être que Charles Tesson n’appréciera plus autant après ce second visionnage ! ».

Quelques mots qui en disent long sur le personnage qui semble habitué à tourner de manière frénétique avant de reconstituer son film au montage, méthode qui nous rappelle bien évidemment celle de John Cassavetes, même si Djinn Carrenard s’avoue plus influencé par l’émission Confessions Intimes que par ce dernier.

Pour Donoma, le réalisateur annonçait avoir tourné avec un budget total de 150€. Mais pour son second film, les ressources sont plus conséquentes. Le jeune cinéaste disposait ainsi du soutien de Arte et de Canal +. On pouvait donc craindre que cet afflux d’argent tue la spontanéité qui faisait la force de son cinéma, mais il n’en est rien. Djinn Carrenard a réussi à conserver les mêmes méthodes de tournage, et ce, malgré l’appui de ces gros investisseurs. Pas de plan de travail resserré, ni de directeur de production oppressant donc : grâce au succès de son précédent film, le réalisateur avait un argument d’expérience suffisant pour que la production le laisse opérer son cinéma-guérilla en paix.

Dès la scène d’introduction, le cinéaste va poser les bases du film : la scène est tournée directement dans la rue dans laquelle la post-production a été effectuée. On est dans la spontanéité, dans la scène tournée à l’arrache, non-prévue, les dialogues écrits sur un coin de table quelques minutes avant. On est dans le Do It Yourself le plus total, et dans l’humeur du moment.

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La démarche reste donc Hip-Hop, à tel point que c’est le rappeur français Despo Rutti qui campe le rôle principal – sous son véritable nom : Azu –  accompagné par Maha et Laurette Lalande. Un Despo Rutti qui va se révéler convaincant à sa manière, et même détenteur d’un potentiel comique insoupçonné.

FLA est un film fort. Fort parce que ses situations sont puissantes, réalistes et bien enveloppées par la caméra mouvante de Djinn Carrenard. Les cadrages sont surprenants, le montage se fait sec et nerveux, et la mise au point ne cesse de se faire et de se défaire. Dans FLA tout est toujours en mouvement, et cette manière de filmer colle donc parfaitement au fond du film. Dans FLA, on s’engueule, on crie, on tente de prendre le dessus sur l’autre avant de lui donner raison pour mieux revenir dans le débat par une astuce de rhétorique. Tout est combat, et les situations peuvent se renverser à chaque instant, à l’avantage d’un personnage ou d’un autre ; mais elles peuvent aussi se désamorcer d’elles mêmes, renvoyant des personnages dos à dos dans leurs béances personnelles.

Ces frontières et ces situations mouvantes sont aussi illustrées par la multiplicité des formats utilisés par le réalisateur qui n’hésite pas à naviguer entre Canon 5D et GoPro, illustrant par la même occasion de brusques renversements de tons, comme lors de ces quelques séquences où l’humour à froid s’immisce peu à peu au cœur du drame.

On pense notamment à cette séquence dans laquelle le personnage de Kahina ne cesse de revenir sonner à la porte de la maison de Laure et de Oussmane avant de se faire chasser. A chaque retour, la situation se règle d’une manière différente, et cette répétition formelle engendre une situation comique burlesque dans laquelle Djinn Carrenard envisage chacune des possibilités de résolution du conflit.

La diversité des formats filmiques et le peu de projecteurs utilisés pourraient gêner les esthètes du cinématographe, mais Djinn Carrenard effectue un excellent travail sur le grain et sur les textures qui rend le film assez surprenant sur le plan visuel. Mais il parvient surtout à trouver une véritable cohérence globale entre son esthétique et ses thématiques.

La comparaison avec John Cassavetes semble ainsi inévitable car les deux réalisateurs partagent une même manière de filmer et de construire leur films. C’est le même type d’énergie qui traversent les œuvres des deux réalisateurs, qui étirent également leurs séquences d’une manière similaire. Les moments de vie des personnages sont ainsi brutalement présentés aux spectateurs, mais il découle aussi un passé fort de ces scénettes de vie auxquelles on assiste. Les personnages ont des objectifs mais ne sont pas uniquement focalisés là-dessus, et comme dans la vie, les sous-intrigues se multiplient. Cela peut ainsi paraître désarçonnant aux premiers abords, mais il en résulte une opacité qui fait la force de ce type de cinéma.

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On disait de Jean Eustache qu’il allait chercher son inspiration au fond des chiottes, et on pourrait presque en dire de même pour Djinn Carrenard : l’homme ne blague pas quand il parle d’être inspiré par Confessions Intimes, mais il parvient réellement à transcender des situations dignes de ces émissions par sa mise en scène. C’est ce qui permet au film d’être aussi original et audacieux, même si certaines séquences paraissent assez douloureuses à suivre de par leur hystérie.

Pour palier à cette violence, le réalisateur use de petits interludes musicaux, rares moments d’onirisme dans lesquels les personnages naviguent dans des états plus rêveurs, et parviennent à s’échapper du réel. Cela permet aussi au  cinéaste de reposer quelque peu le spectateur face à la fatigue engendrée par certaines longues situations de conflit.

Par tous ces moyens, Djinn Carrenard parvient à bien traiter son sujet et à capter les instants de vie de personnages au carrefour de leurs vies, et prenant des décisions qui vont bouleverser le restant de leurs jours.

La fin, brutale et ouverte, laisse les personnages à un nouveau carrefour, et nous laisse une impression forte : celle de trois êtres dont les décisions n’ont pas forcément été les bonnes et qui risquent bien de s’enfoncer encore plus profond dans leurs problèmes. Des personnages qui partent du vide pour y revenir, avec une expérience supplémentaire à ajouter à leurs parcours de vie.

Avec FLADjinn Carrenard nous livre tout simplement un film sur la vie : les personnages tentant de faire au mieux face aux problèmes de santé, à l’amour, ou encore à la vie en commun ; entre désespoir et moments de jouissance. FLA est un film forcément imparfait mais puissant et énergique. Un cinéma qui se fait de plus en plus rare et qu’il semble nécessaire de défendre.

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