Fadah & KLM, un billet pour la galère

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On avait vu Fadah se perdre avec brio dans Les Loges De La Folie, rappant de sa voix éraillée les méandres de l’asile que formaient ses pensées. Depuis cet acte non manqué, peu de sons nous étaient parvenus des planches de son théâtre toulousain. C’était sans compter sur l’intervention de son comparse KLM qui lui offre un billet de sortie aux relents de Saydatyph.

Si l’on en croit les dires du compositeur Kin Hubbard : « Le meilleur moyen de doubler sa fortune ? Plier ses billets en deux et les mettre dans sa poche » ; c’est ce que ce Cher duo nous offre, un billet de 5 titres Froissés qu’on se passe De Mains à Mains et aux allures de Backchich lyrical en cette Fin de Mois hivernal.

Les poches vides mais la tête pleine du spleen de la ville rose, Fadah brasse des liasses immaculées qu’il recouvre de sa prose, l’esprit « froissé, comme l’état dans lequel finira cette feuille », il a le don de dépeindre routine et quotidien sans sombrer dans l’écueil. Toujours intègre dans la direction qu’il prend, et ce malgré les vices qui le ralentissent, il « compte bien enfoncer la porte et non embrasser le seuil ». Poussé par un saxophone laconique, il se fait vindicatif et adresse une critique sans langue de bois, des privilégiés aux infidèles, en passant par les politiques, il rend la monnaie de leur pièce à ceux qui l’ont froissés. Les cuts de Dj Spazm amorcent l’arrivée de KLM qui vient lâcher son billet gris d’homme dans « la fleur de l’âge [ayant] pourtant le moral fané ». Enlisé dans cette même galère routinière, il se prend à rêver d’ailleurs. Idylle et utopie sont pourtant gâchées par un constat des plus pessimistes, mais après tout, mieux vaut rester authentique puisqu’«on ira tous au paradis, mais certain n’en verront que le portail».

fadah 3

« Un pied dans le vide, obnubilés par le liquide » les deux comparses assistent à l’immuable course du temps en attendant, impuissant, le raz de marée qui engloutira tout ce qui leur est Cher. Balade mélancolique entre souvenirs d’un passé qui n’est plus et d’un futur qui ne sera pas, le présent est perçu comme une réalité qu’il faut assumer, le rappeur permet alors d’en cristalliser la singulière beauté. Un morceau aux allures d’ode à une obsession temporelle qui ne les lâche pas, mais à laquelle ils font face alors « remballe ton carnet de chèques, le sablier fera l’affaire ». Le refrain de Fadah contraste avec le propos en se faisant mélodieux, chantant et entêtant comme pour mieux affirmer le paradoxe puisque quoi qu’on fasse, « on paye le prix de nos échecs sans s’appeler Kasparov».

Débutant leur Backchich lyrical sur un extrait audio révélateur d’une prise de conscience du délitement d’un lien démocratique devenu un vulgaire mirage, Fadah et KLM introduisent leur dégoût pour une société vendue et corrompue. Admettant qu’elle se fait « un brin démagogique, la démarche est classique », les deux rappeurs pointent du doigt les rouages véreux d’un système oligarchique auquel ils ne croient plus, eux les exploités ayant ouverts les yeux sur une sordide réalité. Élevant l’intégrité au rang de valeur cardinale, ils tentent si ce n’est de résister, au moins de ne pas se laisser duper par cette vérité. Alors face à une « morale fiduciaire qui fait des siennes » Fadah élude « qu’il faudra plus que le beurre et l’argent du beurre pour [lui] graisser la patte ».

fadah (1)

S’ils étaient plongés dans le quotidien ici-bas dépeint, les Misérables d’Hugo auraient des engelures aux mains à force de chantiers de BTP, vendraient la came sous le manteau et prendraient le premier métropolitain pour faire la tournée des boites d’intérim. La misère est omniprésente et paraît même s’échanger de main à main alors « comment profiter du présent si tu crains la faim ». Jouant constamment sur le paradoxe et ponctuant chaque phase d’oxymores toujours plus révélateurs, les rappeurs ne sombrent pas dans des paradis artificiels aux allures de Saydatyph. Ils content avec une authenticité et une honnêteté rares leurs vies de galériens, et la subliment d’une plume paradoxale tenue par des mains « calleuses et non baladeuses ».

Cet EP se conclut sur une fin de mois qui n’est pas à confondre « avec le début du jeu », de la première à la dernière ligne les deux acolytes restent fidèle à eux-mêmes, jetant un dernier billet dans ce pari osé, restant authentiques sans jamais être trop égotrip. Rejoints par Stick, le duo dresse un constat amer d’une vie terre à terre aux ambitions sincères, trop souvent amputés par la galère. Le Billet de 5, c’est ce bout de papier que ces passionnés pourraient percevoir grâce à leur art, mais c’est surtout celui qui manquera toujours dans les derniers jours. Un projet aux allures d’immersion dans la vie « des gratteurs et des pinces, des fraudeurs en fin de droit et des crèves la dalle, des abonnés de la CAF et des affolés de la taxe, des cas soc’ et des tox » mais surtout des artisans de la plume, les vrais. Ceux qui se tuent à la tâche pour faire vivre ce par quoi ils sont mus : une seule et même passion qui réenchante tout un monde vérolé par l’omniprésence du billet.

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