« Indigo », second album du Togolais Elom 20ce, à mi-chemin entre art et activisme, un cri du cœur de la jeunesse du peuple de Cham ; Quand Féla Kuti rencontre Thomas Sankara.
Togo : couloir étroit saignant depuis 6 siècles, qui marquera profondément la plume affranchie de l’Arctivist militant Elom 20ce. C’est une éducation consciente et politisée qui forgera l’homme et l’artiste en le poussant à exprimer sa colère et ses frustrations de manière idéologiquement talentueuse et parfaitement musicale. On a pu le retrouver sur des projets africains comme « Burkina Bâ » de Joey le Soldat, et en France avec Zalem sur « Seul dans la Foule », ainsi que « Cold Path » de Maleiva Kem et James Klynn.
Après avoir sortit l’EP « Légitime Défense » en 2010, sous le label Asrafo Records, dans lequel on découvrait déjà un personnage sensible à l’histoire de son continent et attaché à une justice sociale, aussi révolté que révolutionnaire, le guerrier était prêt à partir au combat avec un album solide. Et c’est ainsi qu « Analgézik » vit le jour en mars 2012. Un quinze titres déjà sombre aux productions travaillées et aux textes creusant le sillon de ce que sera le prochain album, que je ne saurais trop vous conseiller d’écouter afin de comprendre l’intégralité de ce qu’Elom a entreprit. Album considéré par l’auteur lui-même comme « un succès d’estime. Des scènes. Des rencontres. » Rencontres qui auront leurs importances quant à la suite. C’est donc après 3 ans de maturité qu’il nous revient avec « Indigo ».
Elom est le fils d’une Afrique qui saigne. La puissance du Panafricanisme portée par la jeunesse du peuple de Cham. Entrer dans « Indigo », c’est avancer vers un inconnu bercé de chants rituels établissant des bases en un hommage rendu au grand Duke. Quand très vite un Elom grognant vient nous rappeler pourquoi on est là. Les thèmes sont établis assez rapidement concernant le propos. Celui-ci brandira ses valeurs et idéaux de manière brutale. Mais un homme qui crie n’est pas un ours qui danse…
La richesse des productions de l’album ne dénote pas avec l’empire pluriculturel établi par les textes gravés en lettres rouges d’un peuple ayant trop souffert. Des instrumentales jouant à cloche pied entre le hip-hop et le jazz. La présence de musiciens confirmés comme Nathalie Ahadji, Elias Damawou ou bien encore Charles Duwor raviront les oreilles des gourmets de cuivreries et autres amateurs éclairés d’instruments de bois et de cordes. Vrai label d’authenticité.
On retrouvera également de grosses pointures confirmée dans les featurings, comme monsieur Oxmo Puccino et señor Le Bavar. Le Ghanéen que l’on ne présente plus, Blitz the Ambassador posera sur le morceau « Aveugles, bavards et sourds » et Sitou Koudadjé s’alliera à Zalem pour « Fourmis ». La liste est non exhaustive et je vous laisserais le soin de découvrir le reste des très bons collaborateurs à l’album.
L’album se terminera par un micro ouvert à l’historien, docteur ès sciences sociales Amzat Boukari-Yabara, qui nous contera la naissance du panafricanisme : pensée née à la fin du 18ème siècle par des Africains déportés ayant conquis leur liberté, anti-impérialiste, anti-capitaliste et devenue un mouvement de libération globale et d’unification des peuples africains. Il développera également l’idée que ce concept est encore d’actualité, en vue de libérer le continent africain des dogmes coloniaux et de la très violente domination économique occidentale sur ses peuples. Il fera également un constat de la situation actuelle et tentera intelligemment d’y apporter des solutions, et terminera la piste en suggérant quelques éléments littéraires à intégrer à la bibliothèque du parfait combattant intellectuel.
Le phrasé est militairement efficace. Les flèches atteignent leurs cibles. Le concept d’éveil de consciences endormies est méticuleusement appliqué et démontré méthodiquement au fil des morceaux. On utilise les armes de l’ennemi contre lui, comme une leçon à donner alors que les limites sont dépassées depuis fort longtemps. L’artillerie primaire, elle, perdurera à la manière d’un continent africain millénaire dont Elom porte courageusement l’étendard. Les cicatrices ouvertes par le colonialisme ne se sont pas encore refermées et laisseront longtemps couler le sang. 20ce intègre parfaitement la triste beauté d’une Afrique dépouillée par des machines sans visages.
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