DJ Jean Maron, True School

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On aurait pu passer des heures à légitimer telle ou telle école, citant Nas ou Rocca entre deux larmes nostalgiques. Mais avec DJ Jean Maron, pas besoin de dramatiser pour édulcorer son discours : intègre et droit, le producteur est en phase avec le blaze de son second album, True School. La vérité, et rien que la vérité, donc mettez vos protections, celle-ci fait mal, surtout lorsqu’elle est donnée sans concession. Entretien avec Jean Maron.

Le début de ton activisme dans le hip-hop, tu le passes derrière les platines pour des groupes puis pour des soirées. Comment t’es venu cette passion pour le turntablism ?

Il faut se remettre dans le contexte de la fin des années 90, et plus particulièrement dans la peau d’un provincial loin de tout. C’est donc par nécessité que je suis devenu DJ. Un pote qui rappait a eu besoin d’un DJ, et je me suis improvisé DJ. J’achetais un peu de vinyles certes, mais je n’avais encore aucun matériel. Je me faisais la main et j’apprenais cet art chez DJ Skeezo.

Je trouve que depuis une quinzaine d’années, on ne porte plus le turntablism à sa juste valeur, les DJ’s sont plutôt dévalorisés, as-tu le même constat de cet art ?

Je ne pense pas, au contraire, je dirais même. De nos jours, le DJ est devenu le personnage central, il n’y a qu’à voir les cachets et les scènes que font les DJ Edm/ Electro. Si bien que bon nombre d’artistes finissent même par jouer au DJ. L’aspect plus technique du turntablism a vu naître des supers-groupes comme Birdy Nam Nam et C2C. Après si on parle du rôle de DJ dans le cadre d’un groupe, alors là oui, entièrement d’accord.

Tu te lances ensuite dans la production, et d’entrée de jeu, c’est outre-Atlantique que tu vas faire tes premières connexions. Pourquoi la scène US plus que la scène francophone ?

C’est pas tout à fait comme ça que les choses se sont passées. J’ai tout d’abord produit en France, pour mon propre groupe Troobl Faits, puis pour la structure Fat Flow Prod (Rachid Wallas et Fat Flow Staff), il y a d’ailleurs quelques traces vinylistiques de cette époque. En revanche, quand il a été question d’une aventure solo, j’ai effectivement fait le choix de viser outre-atlantique.  Pourquoi ? Tout simplement pour me rapprocher de la source, mais aussi car avec l’avènement de Myspace, je sentais que de grandes choses pouvaient dorénavant se faire à distance.  De là, j’ai commençais à tisser des liens, et à me lier d’amitié avec quelques artistes.

Niveau matériel, quelles sont tes machines de prédilections, la MPC  5000 je suppose?

Je pense que tu fais référence à la cover de Run MPC, mon premier projet en tant que producteur, et vu que mon second projet s’appelle True School, je me dois d’être honnête. Je n’ai jamais possédé de MPC. J’ai fait mes débuts sur un petit sampler Yamaha SU10. Puis je suis passé à un Akai S2000 piloté par un Amiga, puis un PC. Puis finalement, durant la réalisation de Run MPC, je suis passé au tout PC/MAC avec Cubase et Kontakt comme sampler virtuel, le tout contrôlé par des pads et un clavier maître Midi.

Sur tes deux opus, tu as travaillé avec Jazz E Cut pour le mix et le mastering, tu peux nous expliquer l’importance d’un bon mix et d’un bon mastering quand on fait un album ?

Avec Jazz E Cut, on se connaît depuis plus de 10 ans. J’ai passé des centaines d’heures, pour ne pas dire des milliers dans ses studios. Il a été un véritable pionnier, et donc un modèle en ce qui concerne le rap et le son hip-hop. Ce n’est pas un ingénieur du son qui vient du rock. Il était DJ et faisait déjà des allers-retours à New York dans les années 80. Si bien qu’on a les mêmes références en terme de son. Quand il mixe mes morceaux, on ne parle presque pas, je le laisse me faire une proposition. C’est ensuite que je viens rajouter mon grain de sel, comme mettre tel élément de la batterie plus en avant, etc, car au moment où je compose, je sais déjà si la batterie devra prendre le dessus sur le sample, ou ce genre de choix artistique. Sur la partie mix, il est là pour tirer le maximum de chaque piste de son, c’est un rôle que je qualifierais dans un premier temps de technique (par exemple, éviter que les fréquences des basses ne chevauchent trop les basses fréquences du kick…).

Une fois que le traitement  de chaque piste séparée est effectué, c’est là qu’interviennent les choix artistiques sur le dosage des effets , la répartition dans le spectre, ce genre de chose qui font qu’un même beat mixé par deux ingés son ne sonneront pas du tout pareil. Et là pour le coup, ma consigne a été très claire. Je veux sonner boom-bap, mais boom-bap 2014, pas boom-bap 95. Sans doute que cela ne signifie pas la même chose pour moi que pour toi. Mais pour Jazz et moi, ça veut dire un mix clair, très largement réparti dans le spectre, et des éléments batteries bien distincts (au détriment de la patate parfois). Sauf qu’avec ce genre de mix, quand tu écoutes sur ton baladeur mp3, tu te dis que c’est bof bof niveau basses, mais sur une grosse sono, là je défie bon nombre de sorties US indé de sonner aussi propre.

La mastering, c’est l’art de faire que tous les morceaux sonnent bien ensemble. C’est l’art d’harmoniser des morceaux qui n’ont rien à voir les uns avec les autres. De ce côté, vu que tout vient d’un seul producteur, et vu que tous les morceaux ont été mixés par la même personne, le mastering a presque été une formalité, si ce n’est pour optimiser le niveau de sortie sonore, et de passer en 16 bits.

« Je n’ai plus l’utopie de croire que les journalistes, au même titre que les radios, n’aient comme but de mettre en avant les artistes »
Il y a un personnage qui va marquer ta carrière au niveau des collaborations, c’est M-Dot. Comment as-tu fait sa connaissance ?

J’en reviens à ma réponse où je citais Myspace. A cette époque, Termanology et son morceau « Watch out it goes down » m’avait redonné envie de me ré-intéresser à la scène de Boston. J’ai donc navigué de pages en pages, cherchant des artistes inconnus avec qui je pourrais collaborer. Je suis tombé sur Ravalation. Le courant est bien passé entre nous, mais plutôt que de bosser avec lui, il m’oriente vers M-Dot, un membre de son crew, EMS (dont je fais maintenant partie). A ce moment, je pense pouvoir dire que c’est le mec qui en voulait le plus sur Boston, j’ai rarement rencontré d’artiste aussi motivé, et du coup motivant. J’avais l’impression de me retrouver à mes débuts et c’était frais. Il n’avait pas de DJ, je faisais donc ses scratches à distance jusqu’au jour où il m’a proposé de  partir en tournée aux USA durant 3 semaines, et donc d’être son DJ sur scène. Je pense pouvoir dire que c’est durant ces 3 semaines que nous sommes devenus de vrais amis. Bon, c’est clair que passer 3 jours et 2 nuits à Las Vegas complètement bourrés, ça aide à tisser des liens.

De cette rencontre va naître ton premier opus, Run MPC, comment l’avez-vous travaillé ?

A l’origine, c’était mon premier album solo en tant que producteur, et très vite M-Dot s’est retrouvé sur la quasi-totalité des morceaux, si bien que j’ai sorti Run MPC comme un projet commun.  Dans les faits, mis à part Big Shug, c’est moi qui ai ramené tous les featurings, également tous ceux de Boston.  Le bon côté de cette connexion, c’est que ça a assit sa réputation à Boston, et en même temps, ça lui a donné une opportunité d’approfondir les relations qu’il avait déjà avec certains de ces artistes. La réalisation s’est effectuée sur 18 mois, le tout à distance, sauf en ce qui concerne les sessions studios avec Big Shug par exemple, vu que M-Dot était sur place. Par contre, une fois le master en main, nous sommes montés tous les deux une semaine à New York pour démarcher les labels.

On perçoit déjà l’attirance pour les grands noms du hip-hop et les old timers, Masta Ace, Kool G Rap, Edo.G, Big Shug, Craig G, tu penses que la génération actuelle ne pourra la dépasser ?

Non, je ne me considère pas comme un mec bloqué en 95. J’écoute et apprécie bon nombre de nouveaux artistes, heureusement d’ailleurs, vu que je mixe encore en club. En revanche, j’ai voulu me faire plaisir et donc forcément je me suis dirigé vers mes légendes. Mais clairement, même si je respecte tous les artistes que tu viens de citer, la nouvelle génération est composée d’artistes qui bien heureusement, sont meilleurs que les fondateurs. Mais les fondateurs restent les fondateurs, et ça personne ne pourra jamais leur enlever.

Déjà sur cet album, on sent ta volonté de lâcher des productions efficaces, des bangers, comment tu qualifierais la touche DJ Jean Maron ?

Run Mpc était une sorte de brouillon , un énorme fourre-tout. J’imagine que c’est très représentatif de mes différentes facettes et des différentes humeurs à travers lesquelles j’ai composé ces dix dernières années. Alors si tu qualifies certains morceaux de bangers, tant mieux, mais rien n’était vraiment calculé.

Quand je me remémore la sortie de Run MPC, je crois que ce qui me choque le plus, c’est le mépris des médias spécialisés à te relayer, alors que leur mission première est de mettre des artistes en avant. Pourquoi ce boycott, à ton avis ?

Primo, je pense qu’il n’y a plus vraiment de média spécialisé. Secundo, je débarque de nulle part avec un projet qui à l’époque, ne rentre pas vraiment dans une case prédéfinie (un français, certes mais avec des rappeurs US). Tertio, je n’ai plus l’utopie de croire que les journalistes, au même titre que les radios, n’aient comme but de mettre en avant des artistes, ou du moins des artistes qui indirectement n’aident pas à rentrer des thunes en pub. Le seul média aujourd’hui où l’on trouve encore des gens intègres et neutres, c’est sur les blogs, et encore faut il que ceux qui écrivent aient les connaissances et le talent pour rédiger des critiques. Alors effectivement, la couverture médiatique a été très décevante, même en ce qui concerne les blogs. Je ne suis pas parano, je ne le prends pas comme du boycott, mais ça en dit long sur le devenir de ce que l’on ose encore appeler un mouvement ou une industrie. Qu’ils écrivent et décortiquent les clips de  Jul, moi ça me va bien.

Partant de ce constant pour True School, j’ai voulu palier à ce manque de couverture en embauchant un/une attachée de presse. Sur 4 boîtes contactées (dont 3 spécialisées en cultures urbaines) seulement deux ont montrées de l’intérêt pour mon projet. Sur ces deux boîtes, l’une ne m’a jamais recontactée suite à l’envoi du projet, quant à la dernière, elle a eu l’honnêteté de me dire qu’ils ne savaient pas comment travailler un tel produit en France, et qu’ils n’avaient pas le réseau pour. Donc on en revient à ma première impression…manque de professionnalisme, qui tout doucement se transforme en manque de réseau. La boucle est bouclée, et si ces boîtes coulent…tant mieux.

« Première fois que je veux collaborer à distance avec un rappeur US : j’envoie 150$ par Western Union pour un couplet…j’ai jamais rien reçu. »
Run MPC a été plutôt bien accueilli par le public, est-ce cette reconnaissance directe qui t’as poussé à l’étape supérieure True School ?

Oui, clairement, déjà en termes de retombées médiatiques dans le reste du monde, mais aussi en termes de ventes. Soulspazm Records (même label que Marco Polo) a été agréablement surpris. D’ailleurs, trois ans après, l’album se vend encore sur iTunes et génère toujours des revenus, notamment grâce au streaming.  Après la sortie de Run MPC, j’ai vu un grand nombre de projets similaires avec souvent les mêmes feats sortir, si je voulais ressortir un projet et sortir du lot, je savais qu’il fallait dorénavant faire un truc soit différent, soit plus gros. J’ai pris le parti de ne rien sortir pendant 2 ans, au risque de tomber aux oubliettes, mais de revenir avec ce qui, je l’espère, ne sera pas égalé avant un petit moment. J’ai donc investi 100% des mes cachets de DJ, mais aussi 100% des revenus de Run MPC dans True School, je ne suis pas un joueur de poker mais j’ai fait all in.

Donc True School, comment à germé cette idée ? Tu t’es dit « je vais prendre les plus gros noms du hip-hop et les mettre sur une galette » ? Ou derrière la liste prestigieuse des blazes de cet album, il y a avant tout un concept ?

A l’origine, ça devait s’appeler Run MPC 2 mais vu que Run MPC c’était M-Dot et moi, et qu’il n’apparaît pas dessus (du moins pas sur le tracklisting…aka piste cachée) il me fallait un autre titre. Je voulais un truc qui soit comme un slogan, comme une marque. Quand j’ai décidé de faire un second album, j’avais déjà le morceau de Onyx en stock, j’étais déjà en négociation avec deux autres groupes, donc je savais déjà vers quoi je me dirigeais. Et on retrouve aussi des artistes déjà sur Run MPC (Kool G Rap, Masta Ace , Edo.G, Reks)…donc oui, il y a clairement un concept. Sur le papier, c’est une compilation, mais je l’ai construit comme un album avec un début, un milieu et une fin.

Dans la préface de ton album, tu expliques ta galère avec le MC Nature, comme on est dans un moment de vérité, tu peux nous en dire plus sur cette merde ?

Oh, je pense que ce qui est écrit dans la jaquette est explicite. Première fois que je veux collaborer à distance avec un rappeur US. J’envoie 150$ par Western Union pour un couplet…j’ai jamais rien reçu, puis silence radio, plus jamais de réponse du mec. Ça aurait dû me vacciner, mais heureusement que je suis pas le genre à baisser les bras au premier obstacle. Je ne suis pas non plus le genre de gars à cacher ça de façon honteuse. Donc je l’ai écrit noir sur blanc. Il m’a baisé, à mon tour de le griller auprès de tous les beatmakers européens.  En réalité, c’est une carotte que M-Dot et moi nous sommes pris, mais il n’a jamais voulu régler ça au mic, je pense qu’on est vengés maintenant.

Quand je prends le titre de l’album, je me dis que tu cherches un peu la merde. True School c’est un peu l’album qui derrière emmerde l’etablishment rap dans son ensemble, est-ce que tu avais des comptes à régler ?

Non, pas du tout, même si je me rend compte maintenant que ça fait polémique (cf review sur HipHopDX). Pour moi, True School ne veut pas dire old school, mais est tout simplement synonyme de « authentique ».  Comme a dit Rocca « old school, new school, là n’est pas la question ». Et c’est justement pour ça que j’ai volontairement intégré deux artistes actuels, qui sont au rap d’aujourd’hui ce qu’ont pu être des Rakim ou Masta Ace au rap des années 80 et 2000. Ceux qui pensent que j’ai voulu produire un album old school n’ont rien compris. J’ai voulu travailler avec des légendes du rap qui ont effectivement explosé dans les années 90, mais ce sont des artistes qui sortent encore des disques et qui sont toujours bons. Je ne suis pas allé déterrer d’anciennes légendes incapables de rapper dans les temps. Et ceux qui sont là depuis plus de 20 ans et démontrent une certaine constance dans la qualité de leur travail font partie de la True School.

Il y a quelques années, un autre frenchie a tenté le haut du panier, sauf que lui était assez wack au micro : Soulkast. Qu’est-ce que tu répondrais aux jaloux qui te mettraient dans la même catégorie ?

J’ai un avis différent sur Soulkast, dans la mesure où je n’ai pas écouté son album comme un simple auditeur. Après écoute, on ne peut pas nier qu’il y a mis du cœur, et que ça sent la passion. Sa démarche est en accord avec mes valeurs. Wack est un mot très fort. Tout comme moi, il a fait ses armes pendant des années pour enfin arriver en grande pompe, et que ce soit en terme de prods, de visuels de clips, de mixage, et du choix et de la cohérence des invités, j’ai trouvé ça très pro et très bien dosé. En ce qui concerne le fait d’être rangé dans la même catégorie, pour moi la question ne se pose même pas, car lui c’est un rappeur et moi un producteur. Dans mon cas, ça irrite sans doute moins les « jaloux », pour reprendre ton terme, car je n’ai pas à me mettre en avant ou à parler de moi dans le contenu de mes textes.  Je peux juste dire une seule et unique chose à son sujet. Je l’ai contacté pour obtenir le contact de Onyx. Il m’a répondu de façon très brève et m’a introduit à Fredro Starr comme ça, sans aucune condition ou contrepartie, et sans qu’on se connaisse. Donc moi, je ne retiens que ça. Soulkast fait parti de la True School .

« J’ai mis seul sur la table le budget qu’offrait Sony pour la réalisation d’un premier album à la fin des années dorées du rap en France. »
Financièrement, c’est forcément un investissement lourd pour avoir une guest list de cette envergure. Quand tu es parti dans ce projet, tu savais que t’avais un risque de ne pas retrouver tes petits, niveau compte en banque ?

Oui, mais après 15 ans passés dans la musique, j’ai appris que ça ne sert à rien de faire les choses à moitié : « go hard or go home ». Je n’ai pas d’équipe derrière moi à part mon graphiste. Je suis pas de Paris, et n’ai donc pas accès aux bons plans copinage.  J’étais donc obligé de prendre de plus gros risques que la concurrence.  Si l’on veut être plus concret, j’ai mis seul sur la table le budget qu’offrait Sony pour la réalisation d’un premier album à la fin des années dorées du rap en France. La seule différence, c’est qu’étant seul et indépendant, mis à part le pourcentage du distributeur, tout le reste me revient

Parfois, on a l’impression sur des morceaux comme « Get Up » d’Onyx, ou « You Can’t Hide » des M.O.P., que tu as construit tes beats vraiment pour eux, genre j’ai les Onyx, donc je fais du Onyx. Est-ce que j’ai tort ?

Il y a trois cas.

Cas n°1 : La collaboration été prévue depuis longtemps, et donc ayant déjà l’accord des artistes, j’ai pu produire sur commande en fonction de leur univers (environ 1/3 de l’album).

Cas n°2 : Une opportunité de bosser avec tel ou tel groupe que j’ai démarché, mais les choses devaient se faire vite. Dans ce cas, j’ai pioché dans la short list des beats que j’avais retenu pour True School. Mais de toute façon, j’avais un beat dédié à chaque groupe/artiste avant de les contacter, et vu qu’aucun artiste n’a rejeté le beat que je leur ai proposé en premier choix, au final chaque artiste a posé sur le beat qui lui été destiné.

Cas n°3 :  Je n’ai pas pu réunir le groupe ou réaliser le morceau que j’envisageais pour un beat. C’est le cas du beat du  morceau « My DJ », je le réservais initialement soit à EPMD, soit à Das EFX. Pour EPMD, impossible de joindre Erick Sermon, et dans le cas de Das EFX, l’un d’eux ne veut plus faire de Das EFX et se concentre uniquement sur sa carrière solo. J’ai donc utilisé le beat pour le morceau sur lequel j’ai convié plein de DJ’s, car le groove à la Def Squad avec les bongos se prêtait bien aux scratches, et le fait que le tempo soit élevé a permis de mettre beaucoup de DJ’s, sans pour autant avoir un morceau qui dure dix minutes. Autre anecdote, le beat du morceau avec Masta Ace & Edo.G aurait pu être pour Rakim, mais malgré le fait que j’obtienne le téléphone perso de son manager historique, la proposition fut financièrement irréalisable pour ne pas dire irréaliste (le budget complet de mon album pour ce seul feat). J’ai donc recyclé le beat en y rajoutant un refrain chanté, et ça donne « It’s too », mon morceau préféré de l’album.

Dis-nous en plus sur ta façon de travailler. Par exemple, comment as-tu conçu le beat de « For My People » ?

Deux choses m’ont inspirées pour ce beat.  « Nasty » de Nas…grosse claque je me suis dis…On est bons là…c’est du vrai bon Nas à la new-yorkaise…et s’il peut revenir en 2012 avec ce type de son, comme avec son premier maxi, alors il me faut un beat comme ça, avec un beat de break pour laisser les oreilles se reposer, et ensuite renvoyer la sauce. C’est ma came, ce genre de son. Une autre inspiration a été la vidéo de Marley Marl qui dévoile comment il a composé « Mama Said Knock You Out » : seulement 4 pistes ! Et une double boucle de batterie. Je me suis alors dit qu’avant on arrivait à faire des boucheries, juste avec des petites boucles, et peu d’éléments. Je me suis donc forcé à faire un beat basique, mais le plus efficace possible. J’ai joué ma batterie, et j’ai rajouté une boucle de batterie en plus par-dessus. Découpé le sample, et rejoué et une basse bien grasse. A la première écoute, ça m’a fait pensé à Chief Rocka des Lordsof the Underground. Il ne restait plus qu’à les convaincre, mais c’était clairement fait pour eux ou Black Sheep.

Soyons un peu bourrins, beaucoup vont encore vouloir ouvrir leur gueule sur le fait que certains de tes samples sont grillés ou ont déjà été utilisés, qu’est-ce que tu réponds à ces remarques de rapix ?

C’est volontaire, dans la mesure ou je ne me limite pas aux samples qui n’ont jamais été utilisés. Je trouve d’ailleurs plus compliqué, et donc plus courageux de s’attaquer à un sample grillé, dans la mesure où les auditeurs ont une référence, et donc un point de comparaison. Donc forcément, l’auditeur est amené à comparer les deux morceaux et à juger quel est le meilleur. Dans le cas du morceau « You Can’t Hide » je passe tout de même derrière Timbaland.  De toute façon, un morceau, c’est pas qu’un beat. Donc il s’agit également de juger où les artistes ont emmenés cette « nouvelle version ».

Vous ne vous imaginez pas combien de beats j’avais en stock depuis des années et que je n’ai jamais pu sortir car Kanye West, Jay Dee et d’autres grandes pointures ont « grillés » ces samples. Ça serait à refaire, je pense que je les utiliserais quand même, car c’est quoi finalement le diéze ? Savoir qui l’a fait en premier, ou savoir qui l’a sorti en premier ? Pour moi, du moment que tu es honnête avec toi-même, et que tu n’as pas utilisé un sample pour faire comme untel…après tout, il s’agit déjà de la musique de quelqu’un d’autre à la base. Premier deuxième ou troisième personne à sampler un morceau….on reste juste des pompeurs de l’original.

On fête les 20 ans d’Illmatic, et les mecs se remémorent les sessions d’enregistrements dans les interviews, expliquant que c’est la présence des uns et des autres qui a modelé la personnalité de chaque track. Ce n’est pas frustrant d’avoir tous ces grands noms sur ton album, et ne pas pouvoir être présent lors des sessions d’enregistrement ?

Oui, bien entendu, cet aspect humain me manque beaucoup. Il ne faut cependant pas oublier que ce ne sont pas mes potes non plus. Donc ma présence n’aurait pas nécessairement amélioré la qualité de leur écriture. Au contraire même, peut être que certains ont écrit tranquillement au chaud chez eux, en prenant le temps de peaufiner. Ceux qui ont un home studio ont sans doute posé et reposé jusqu’à ce que ce soit parfait. Alors que si tout cela c’était passé dans un studio avec le compteur qui tourne comme un taxi qui t’attend devant chez toi…t’as qu’une envie…vite finir et te barrer pour réduire la note. Donc avantages et inconvénients.  Poser « one shot » et écrire « on the spot » dans un studio n’ont jamais été pour moi des méthodes de travail synonymes de qualité. Ça m’étonnerais que Kery James ou Oxmo écrivent leurs textes en une heure assis dans une pièce, avec 5 gars qui discutent autour, et la musique à fond dans les oreilles. Et puis, qui dit internet, dit possibilité de s’envoyer des maquettes et de changer certaines choses. Évidemment, tous les artistes ne sont pas aussi flexibles, mais certains s’impliquent plus que d’autres.  Mais oui, c’est frustrant pour l’aspect humain.

« Durant la période ou Mobb Deep été séparé, je n’ai pas dit à P que j’avais déjà un couplet de H. Je me suis contenté de les faire rapper sur le même thème, et sur le même beat. »
Déjà que certains gars n’ont pas dû être faciles à choper, comment on drive des mecs comme Mobb Deep, quand tu veux avoir un rendu comme « Itinerary » sans te faire envoyer chier ?

Mea culpa, mais il faut parfois mentir ou ne pas dire toute la vérité. Dans le cas de Mobb Deep, j’ai dû ruser pour obtenir exactement ce que je voulais. Les ayants eu séparément durant la période ou Mobb Deep été séparé, je n’ai pas dit à P que j’avais déjà un couplet de H. Je me suis contenté de les faire rapper sur le même thème et sur le même beat. Sauf que P n’aimait pas du tout le refrain avec les voix de GPS. Heureusement pour moi, j’avais quelqu’un sur place en studio avec lui, et il a posé un refrain en lui disant que ça sortirait comme ça. Et c’est sincèrement ce que j’avais l’intention de faire. Je voulais les faire apparaître sur des pistes différentes, mais sur le même beat, et du coup chacun aurait eu son refrain. Sauf qu’ils se sont reformés, et là, la tentation à été trop grande. Alors oui, je risque des problèmes et même un procès si le morceau cartonne trop. Ou si les gens n’arrêtent pas de les taguer sur Twitter à chaque passage radio du morceau, ça peut finir par les saouler et attirer leur attention.

Tous ces mecs doivent avoir un putain d’égo, comment tu fais quand tu reçois leur verse et que ça ne te convient pas, ou que le mec est hors-sujet ?

Étonnement, ils n’ont pas des egos sur-dimensionnés, si l’on rapporte ça à ce qu’ils ont pu être par le passé. Mais n’oublions jamais que pour eux, c’est un travail, et qu’il y a presque un rapport de client à fournisseur qui s’instaure. Pour ce qui est de les diriger, aucun souci, les mecs ne sont pas rigides.

En revanche, le risque du hors-sujet et sans doute le plus grand. Et là, malheureusement, dans la plupart des cas, ça vient d’un malentendu. Bon courage pour leur faire ensuite entendre que c’est eux qui ont mal compris, et pas toi qui a mal expliqué. Le mieux est donc de bien s’assurer, et de limite leur faire répéter de quoi il est question.

Ça, c’est l’expérience de Run MPC et le fait d’avoir beaucoup collaboré à distance. J’ai développé des méthodes de travail, et je verrouille tous les points en amont, m’assure que tout est vraiment clair pour eux.

Va falloir que tu nous révèles un secret : ça doit faire 5 ans que Sadat X enchaîne les tracks pourries, ou propose des guests moisis. Comment t’as fait pour qu’il se sorte les doigts du cul sur « Forbidden Love » ?

J’ai imposé le beat et le thème, et carrément plus, car le thème devait être abordé selon trois angles. Je lui ai attribué la religion. Ce n’est pas par hasard, car c’est un thème avec lequel les Brand Nubian jonglent depuis longtemps.  Comme j’expliquais plus haut, il faut laisser le moins de marge de manœuvre possible, et cadrer le truc au maximum. Malgré ça, il a quand même réussi à me livrer un couplet de 17 ou 18 mesures au lieu de 16, ce qui m’a obligé à revoir entièrement le séquençage. Soyez attentifs à la fin de son couplet et au petit bridge, vous rigolerez maintenant en l’écoutant.

T’as commencé comme DJ, tu peux expliquer l’importance particulière qu’a le track « My DJ » pour toi ?

J’ai surtout voulu partager la joie de la sortie de mon album en impliquant des DJ’s qui m’entourent depuis longtemps. Certains m’ont appris les bases, d’autres ont été des modèles. D’autres encore m’ont tendu la main alors qu’ils jouent clairement dans une autre division (je parle de Daddy-K) et puis, il y a quelques légendes, notamment Swamp, le DJ de Jeff Beck qui avait essayé de s’ouvrir le torse avec un vinyle aux DMC, et qui ensuite a inventé les disques de scratch Skip-Less (disques avec loops infinies qui ne sautent pas)

Sur ton album, la nouvelle génération est représenté par Reks et Skyzoo. Pourquoi ces deux-là, plutôt que d’autres ?

Tout simplement car je n’ai pas pu payer les autres. Non, plus sérieusement, c’est deux gars que j’écoute quotidiennement dans ma caisse, et je n’ai jamais trouvé un morceau décevant dans leurs discographies respectives. Au-delà des artistes, ce sont de bonnes personnes avec une certaine éthique.

Si t’avais le choix de rajouter deux MC’s sur cet album, tu aurais choisi qui ?

Rakim – Nas…j’ai pas mis EPMD, car j’ai depuis trouvé quelqu’un qui a le contact de E.Sermon  (heinn Mata).

Qu’est-ce qui fait, selon toi, de True School un album majeur de l’année ?

Ce n’est pas à moi de le dire, je ne peux pas juger mon propre album. Je peux juste dire que je l’ai fait avec mon cœur, que j’y ai intégré tout mon savoir-faire et plus de 3 ans de ma vie privée. Sans compter toutes mes économies (j’en ai marre des pâtes…achetez mon album).

True School est ton testament définitif, ou tu as des projets qui arrivent ?

C’est mon testament. Alea Jacta est.

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Thadrill
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