« J’aime brouiller les pistes » admets James Dirty Dike. L’album Sucking on Prawns in The Moonlight en est certainement la meilleure preuve. Mais ce qui ressort de l’album est avant tout son penchant pour l’humour noir et sa vision réaliste et crue de sa propre vie. « A la bonne heure ! » diront ses fans. De fait, bien que Dirty Dike ai su mettre en valeur son incroyable talent de producteur sur des projets avec Ocean Wisdom, Rag N Bone Man et Lee Scott, cela faisait deux ans que notre Twat préféré n’avait pas sorti un album !
Le producteur et rappeur de Cambridge envahit donc à nouveau nos canaux auriculaires, avec des thèmes tenants autant à la vie, à l’amour qu’à la dépression. Dirty Dike n’a jamais été de ces MC moralisateurs vous poussant à expier vos pêchés afin de devenir un homme meilleur. L’album n’en est que la confirmation.
Lorsque je lui demande pourquoi avoir choisi ce titre, James me réponds volontiers : « parce que ça sonne bien ! En fait, je ne l’ai jamais dit à personne, mais Sucking on Prawns in the Moonlight, c’est comme mater des chattes. ». Derrière ce titre se cache en fait une manière crue et sans détour de raconter sa vie, qui pourrait tout aussi bien être la vôtre. Quoi, vous ne sucez jamais de crevettes au clair de lune ? Bien sur que vous le faites. L’expression n’est pas juste littérale, elle symbolise toutes ces activités espiègles et interdites que l’on ne fait qu’à la tombée de la nuit, et dont on sait que Dirty Dike raffole.
N’avez vous jamais fait le mur, bu dans un parc, traîné dans la rue tout en cherchant désespérément un bar ouvert à point d’heure ? En fait, n’importe quelle aventure nocturne, tant qu’elle vous a apparu excitante au point de faire transpirer l’adrénaline de vos rétines, a fait de vous ce sucker of prawns.
Ceci dit, dès la première écoute et tout en vous émerveillant sur l’artwork, vous comprenez progressivement en quoi ce titre colle aussi bien au corps du travail. Si Dirty Dike aime brouiller les pistes, la sensation procurée par l’album est pourtant claire et unanime : vous vous apprêtez en effet à vivre une des plus palpitantes aventures auditives de votre vie.
A la première écoute, on est un peu déstabilisé. C’est vrai qu’on a du mal à reconnaître ce petit énervé du mic qui retournait une scène, les deux doigts du milieu levés. On assiste en fait à la maturité de cet artiste, plus conscient de ce qu’il est et en même temps plus raffiné quant à sa réflexion. Il apparaît clairement que l’album se voulait être une sorte d’introspection, voire un questionnement intérieur : qui, ou que suis-je ?
Ainsi débute-t-on l’album avec « Great Attempt », ou Dirty Dike nous introduit à lui-même de la manière suivante : « Welcome to the fat naked version of a great attempted person ». La présence des rimes de Flixptrix, cerveau d’High Focus Records, nous rappelle à quel point ce label a grandit rapidement, devenant un des plus influents de la scène UK.
Dans « Alcoholic Tosser », Dirty Dike confesse ses problèmes d’addiction, de manière tellement sobre et éloquente qu’on en serait presque troublé. Il écrit : « I know it takes a man to slap a drunkyard« , suivi de « who’s brain is who’s mate I can’t be assed slap myself ».
Lors d’une interview, il confesse à propos de la sortie de son deuxième album : « the only reasons I write is to tear myself apart with self analyzation or to take the complete piss and have a laugh ». (Broken Culture).
C’est exactement ce que l’on retrouve dans ce voyage au clair de lune qu’est Sucking on Prawns in the Moonlight. De surface, on pourrait croire qu’on se retrouve dans une énième balade alcoolisée, errant avec l’artiste sans but précis ou tout au plus à la recherche d’un club ou se souler à nouveau. Puis en poursuivant l’écoute, l’artiste nous livre sa vision de la vie, au détour d’un chemin et d’une punchline. Tel est le cas dans « I ain’t got a clue » ou l’artiste répète inlassablement : « Money, Trust, Drugs, Love, Debt, Sex, and I ain’t got a clue why I live here ».
Côté production, chaque track dispose d’un beat qui lui est propre, comme fait sur mesure, de la monstrueuse « Ain’t got a clue » au beat chill de « Isleham Swamp ». On retrouve également le côté sombre de l’artiste sur « Feast » et « Mallory and Josephine ».
On en reste donc aux hauts standards auxquels James nous avait habitué, tout comme il l’a d’ailleurs fait récemment sur Butterfly de Lee Scott. C’est sans compter la présence de ses compatriotes Jam Baxter, Verb-T, Remus, Ocean Wisdom entre autre, dont le talent, tout comme celui de Dirty Dike, n’est plus à prouver.
Dike considère pourtant que rapper est le plus difficile des deux exercices. Ça n’est pas étonnant, c’est le moyen qu’il a choisi afin de voyager au plus profond de son être.
« Return of the twat was just for fun. This is for me ».
Derrière ces beats qui restent en tête, se dévoile donc cette vive image de Dike, qui il est, ce qu’il pense, ce qui l’entoure. Bien entendu, l’album ne serait pas vraiment de Dike s’il ne comportait pas sa dose de déconnade. Et dieu sait qu’il y en a. En fait, malgré toute cette évolution, on retrouve toujours notre bon vieux Twat, pour notre plus grand plaisir. D’ailleurs, conformément à ses dires sur « Poss cut 8000 », il continue à se faire des traces et à mater du porno, comme d’habitude.
Le fait que Dirty Dike parle de lui avec autant de véracité et sans concession nous donne finalement l’impression d’écouter notre bon vieux pote de collège nous raconter ses histoires, et bien que parfois vraiment sale ou tragique, on conclue toujours la discussion comme on conclurait l’écoute de cet album, par une tape sur l’épaule agrémentée d’un « Change rien, mec ».
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