Dilated Peoples – Directors of Photography

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S’attaquer à Dilated Peoples, c’est s’attaquer à un pilier du rap américain. Plus qu’un groupe, Dilated Peoples est avant tout un symbole de la passation entre deux générations : il est le juste milieu entre les années 90 et les années 2000. Un pied dans la old school et un pied dans la new school, Dilated Peoples a tracé à l’encre indélébile une route qui, aujourd’hui, fait figure de patrimoine national du rap.

Apparu au grand jour via leur premier effort The Plateform, les Dilated Peoples sont devenus un porte étendard d’un certain type de rap. Originaires de la côte ouest, le trio s’est très vite désolidarisé du style californien pour s’orienter sur des sonorités made in New York. Un choix qu’ils ne furent pas les premiers à emprunter, puisque des groupes comme Jurassic 5 ou les Hieroglyphics avaient déjà pris ce tournant, mais leur vision musicale d’un juste équilibre entre le maintien d’une forme classique de production et d’une vision moderne de sa création apporta un vent de fraîcheur assez symbolique pour en faire une bannière, et ainsi ouvrir la voie à une nouvelle génération comme Planet AsiaPhil Da Agony ou encore les SAS.

A l’origine indépendants comme le furent les membres du Wu-Tang à leurs prémisses, c’est via la création de Dilated Peoples qu’EvidenceRakaa et DJ Babu lanceront leur carrière pendant six ans. Un but commun, mais une vision personnelle. Six années dignes d’un grand huit où le groupe a tenté, rencontrant le succès via leur deux premiers albums The Plateform et ExpansionTeam puis créant un certain scepticisme avec Neighborhood Watch et 20/20, pour au final s’éclater. Une séparation qui ressemblait comme une fin de parcours, mais qui au fond était logique : Dilated Peoples n’était que la plateforme de lancement de 3 gars indépendants et qui après six ans, éprouvaient le besoin de partir chacun de leur côté pour réaliser leur but initial.

Un nouveau départ avec de nouvelles interrogations, car Dilated reste avant tout la coexistence de 3 talents formant un tout : le fait de partir chacun de son côté se résumait à 50% de chances de se prendre un mur. Le premier à se lancer seul dans la bataille fut Evidence avec The Weatherman LPUn double challenge puisqu’Evidence revêt la casquette de producteur sur une bonne partie de l’album. Un succès au final, au vu de l’accueil honorifique des médias, et aussi la naissance d’un nouveau personnage, sous le nom de Mister Slow Flow.

Un album qui lève aussi toute inquiétude sur la séparation du groupe pour un autre motif que celui invoqué, puisque l’on y retrouve Rakaa Iriscience et DJ Babu. A partir de là, Evidencen’est plus perçu uniquement comme l’un des trois piliers de Dilated Peoples mais comme un artiste à part entière, sentiment qui se renforcera avec la sortie The Layover EP un an plus tard, EP qui sera les prémices du duo Step Brothers qu’il forme avec son ami d’enfance, le producteur Alchemist. Un coup de force bien maîtrisé et une signature chez Rhymesayers plus tard, Evidence enchaînera avec un second effort correct, même si le personnage de Mister Slow Flow l’amène à être de plus en plus dans une forme plus parlée que rappée.

Il suffisait de conclure cette aventure solo avec un LP des Step Brothers, Lord Steppington, certes plutôt anecdotique, mais qui ferme la boucle d’une aventure solo maîtrisée de bout en bout. Le nouveau statut d’Evidence n’aura pas eu de répercussions sur ses collègues, et malheureusement pour Rakaa, l’aventure en indépendant se traduira par un simple album, Crown Of Thorns, passé plutôt inaperçu malgré un casting attractif. Un manque de visibilité à ne pas forcément interpréter comme sévère, tellement le résultat à l’oreille sonne plutôt sans réelle plus-value. Enfin, Dj Babu s’est cantonné à continuer entre turntablism avec crew des Beat Junkies DJ, et ses tapes dont le 3ème volet des fameuses Duck SeasonA noter tout de même sa collaboration d’avec LMNO sur le projet No Apologies, seul album où DJ Babu gère la production de A à Z pour un résultat tout à fait honorable.

8 années remplies de haut et de bas pour les 3 membres, et derrière, une attente des auditeurs d’un retour du groupe qui sera comblé par la déclaration d’Evidence en juin 2012 : « Directors Of Photography sera le prochain album des Dilated Peoples ». Une annonce qui réconfortera directement les fans de la première heure, et qui quelque part, symbolise le nouveau poids d’Evidence sur les autres membres… Premièrement, parce que ce titre renvoie directement à sa punchline « director of photography, I shoot people » sur son morceau « It Wasn’t Me » de l’album Cats and Dogs.

Deuxièmement, le groupe n’ayant plus de deal avec Capitol depuis 20/20, c’est vers le label Rhymesayers que va se construire le retour des Dilated Peoples, label déjà signataire dEvidence, et où il officie aussi dans le staff. Enfin, parce que levés de leurs obligations contractuelles, Evidence et Babu récupèrent l’ensemble de la production exécutive du projet, et donc la possibilité d’orienter l’album comme bon leur semble (processus d’autocréation propre, et baisse des charges liée au staff).

Conscients de la carte à jouer avec le retour de Dilated Peoples, les 3 associés mettront donc 2 ans à le peaufiner avec en arrière-plan l’envie de ne pas tomber dans les travers de 20/20, et surtout de profiter des 6 ans en solo pour mettre en commun le meilleur de cette époque. Directors Of Photography n’est pas un album qui se veut plus mature, car au fond, l’existence de Dilated Peoples est directement liée à cette vision mature depuis leurs débuts. Non, ce 5ème album officiel se veut être un juste équilibre entre une vision classique du rap, et l’intégration du meilleur de l’analogie actuelle, tout en étant seuls décideurs des choix à opérer, pragmatiques et réalistes.

Embarquer dans Directors Of Photography, c’est prendre conscience très rapidement que ce 5ème album est surement le plus déstructuré qu’ils nous aient livré. Un album qui dans ses thématiques et sa vibe n’a ni queue ni tête, mais qui retrouve une certaine cohérence : on est en face d’un diaporama de polaroïds musicaux, et le superbe packaging réalisé par l’équipe de Rhymesayers rend totalement ce constat (un intérieur de pochette contenant une enveloppe, avec à l’intérieur une série de diapositives venant représenter l’album, ses trois photographes principaux, et les titres).

On enchaîne les tracks comme on capte un instant de vie, puis l’on passe à un autre. Cette image se ressent surtout sur la musicalité des tracks. Si Evidence et Babu gardent la production exécutive, ils ne se risquent pas à produire l’ensemble de l’album, et font appel à des valeurs sûres. Dans le lot, on retrouve bien sûr les productions maisons d’Evidence et DJ Babumais aussi d’Alchemist, fidèle de la première heure, le retour de DJ Premier après son passage sur Expansion Team et de nouvelles têtes : Jake OneOh No9th Wonder et le légendaire Diamond D. Une liste de producteurs plutôt logique, mais qui démontre aussi cette envie d’éclater l’habituelle trame qui ressort des précédents opus.

Dans les oreilles, ce manque de cohérence frappe surtout sur le niveau plus ou moins élevé des productions. On passe assez facilement d’un Canon EOS à un appareil numérique premier prix. Dans le haut du panier, on se réjouira du travail de Primo sur « Good As Gone » , certainement la meilleure track qu’il ait produite cette année – mais de là à crier au classique banger, il y a du chemin – ceux qui goûtent à la touche Primo façon « Society is Brainwashed » sur le Ill Bill ne pourront qu’apprécier. Pour « Let Yours Thoughts Fly Away » , c’est à une autre figure légendaire qu’il faut s’adresser : Diamond D, une ambiance minimaliste addictive agrémentée de scratches bien réfléchis. Pour contre balancer tout cela, Jake One vient nous lâcher le beat lambda de l’année, mais excusable pour un beatmaker de seconde zone.

C’est avec deux mains dans le cul qu’Alchemist vient nous pondre deux morceaux, rien de dégueulasse là-dedans, mais une impression de fainéantise assez affligeante. La preuve, même le travail de DJ Babu semble un cran au-dessus avec « Opinion May Vary » ou « Figure It Out » . Dans sa globalité et avec l’obligation de taper un replay value de 2 mois, on finit par adhérer au tout, mais il restera cette sensation d’inabouti au niveau musical, et ce questionnement : pourquoi avoir fait de « Times Squared » et « Hallelujah » les bonus tracks de l’album ? Surtout que la dernière se serait très bien intégrée en milieu de tracklist pour revitaliser l’ensemble.

Reste donc la partie mceeing. Les deux tributaires du rap mature next gen reviennent taper le duo au mic après 8 ans de off. Cette réunion est quelque part une bénédiction. Non pas que l’un ou l’autre n’aient de qualités en solo, mais avouons que les deux sont objectivement très chiants sur des formats longs alors que, réaction bizarre, quand vous mélangez les deux styles soporifiques sur du Dilated Peoples, d’un seul coup, le truc devient plus percutant, et plus pertinent. On remarquera quand même qu’Evidence est plus proche de Roc Marciano dans le style que de sa propre touche. Une volonté de modernité un peu incompréhensible, surtout pour un MC qui traîne son background depuis plus de 20 ans.

Sans prise de risque, et sans non plus changer de style, les deux MC’s enchaînent leurs performances dans la continuité des précédents albums. On n’en demande pas plus au fond, et sur ce point l’album est une réussite : rimes philosophiques, vision éclairée, OVNI et autres complots d’Etat. Le style d’écriture est plus affûté, Rakaa a vraiment progressé depuis ses débuts, et la distance entre les deux s’en voit raccourcie. Par contre, les amateurs de punchlines peuvent passer leur chemin, car c’est la disette sur ce point (ce qui au fond n’est pas plus mal).

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La vraie critique que l’on pourrait faire sur leur performance, c’est qu’avec 16 pistes et 2 bonus tracks, il y a un moment où ils n’ont plus grand-chose à nous raconter, comblant ce manque de conversation par des raccourcis simplistes (chill, weed, etc.). Pour les plus grands sentimentaux de l’époque Dilated Peoples, on remarquera l’absence de Defari sur cet album, n’apparaissant que sur interlude. On retrouve par contre Krondon sur « The Bigger Picture » mais le vrai plus reste la prestation microphonique d’Alchemist sur « Opinion May Vary« . Humour bien sûr, c’est affreux comme à son habitude. Plus sérieusement, la venue de Vince Staples sur « The Dark Room » est très intéressante, car le MC fraîchement signé sur Def Jam représente en quelque sorte l’héritage des Dilated Peoples à la nouvelle génération.

Que retenir au final de cette réunion, 8 ans après ? Directors Of Photography n’est ni meilleur, ni moins bon que les précédents opus, il est un condensé de ce que l’on retrouve de leurs précédents opus. On entre dans une galerie musicale où les diapositives s’enchaînent sans réel fil conducteur, mais où chaque auditeur pourra y trouver une sélection à sa convenance. Le MC-chroniqueur Praverb, malheureusement décédé cette année, avait pertinemment conclu sa critique de l’album : « Directors Of The photography démontre qu’après huit ans d’absence, les 3 membres ont su acquérir la capacité de contrôler véritablement le processus de création d’un album de A à Z. Malgré ses défauts, il en ressort quelque chose de substantiel, qui laisse présager un nouveau cycle de créativité. Espérons que Directors Of Photography en soit le brouillon. »


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