Cela faisait longtemps, on en arrivait même à croire que le mouvement hip-hop, et plus précisément le rap, avait enfin une place respectable dans les médias généralistes. Malheureusement c’était compter sans Le Figaro, qui une fois de plus ressuscite les démons d’antan…
Après 30 ans d’existence au premier plan, après le lynchage des années 90 par l’ensemble des grands médias, des classes politiques ou même de certains artistes, on pensait que le rap avait le droit au même traitement que les autres genres de musique. Même Michel Sardou, pourtant symbole d’un certain conservatisme franchouillard avouait son faible, en 2015, pour les textes engagés des rappeurs, sans pour autant approuver la musicalité du genre. Un réel pas en avant !
Mais dans un climat ultra sécuritaire, il fallait bien en remettre une couche, histoire de garder en tête que le rap fait autant de dégât que les récents attentats. Comparaison certes grossière, mais pas loin de la vérité quand Caroline Beyer « journaliste » au « journal » Le Figaro se fend d’une tribune titrée « Sexisme, drogue et violence : le « gangsta rap » fait des émules chez les ados« .
On notera que l’image utilisée est différente de celle que l’on retrouvait sur les réseaux sociaux. L’article datant du 17/02/2016 a été modifié le 18/02/2016, l’image d’Orelsan a-t-elle été jugée trop racoleuse ?
Jusque là tout va bien. Sauf que l’article sort au même moment que le rendu de justice attendu dans l’affaire qui oppose Orelsan et 5 associations féministes. Qui, au passage s’est conclue sur une relaxe de l’artiste, démontrant ainsi que les juges sont complètement largués face à la dangerosité des propos de ce grand Gangster rappeur…
Plus qu’une coïncidence de date, l’article se permet même de mettre l’image du rappeur en une de l’article. N’importe qui ayant suivi un tant soit peu la carrière d’Orelsan aura du mal à faire le lien entre l’univers du MC et celui du gangsta rap à la française. Même visuellement, ça ne tient pas. Qui peut s’imaginer sérieusement Orelsan avec sa carrure en train de recompter l’argent de la drogue, kalash en bandoulière avec en arrière plan des putes slovaques se frottant sur la taule de sa Ferrari FXX K. Et je ne parle même pas de ses cordes vocales de prépubère, imaginez Scarface doublé par Orelsan… Mais Caroline Beyer ne s’arrête pas là, le cas d’Orelsan est carrément l’introduction de son billet. Subtilement, elle ne fait pas le lien direct entre Orelsan et le Gangsta Rap, mais pour un lecteur non averti, l’amalgame se fait directement.
Sous couvert de l’affaire Orelsan, l’auteure de l’article dresse un portrait alarmant du gangsta rap chez les 13-16 ans. Qui s’intéresse au parcours de la journaliste chez Le Figaro notera que cette dernière reste une référente sur les articles traitant de l’éducation nationale et de ses problématiques. On s’attend donc dans l’article à obtenir des éléments factuels, démontrant pourquoi le gangsta rap fait des émules dans cette tranche d’âge précise… Et là, c’est le vide sidéral, on a le droit à des citations de Eric Faveyn, vice président de la Ligue de l’enseignement, qui sans aucun chiffre ou dires officiels, nous explique :
« Il suffit de laisser traîner son oreille dans un collège pour constater que cette question est majeure »
Ok… Entre les affirmations de M. Faveyn et celles de Paulo, pilier de comptoir depuis 20 ans au Balto, il n’y a qu’un titre de vice-présidence… On a même le droit à un début de complot des majors pour asservir l’esprit de nos jeunes âgés de 13 à 16 ans uniquement : « Ce sont donc les créateurs, les diffuseurs, les producteurs qui fabriquent l’essentiel des représentations chez les jeunes, sans la mise à distance et le jugement critique que l’on peut attendre de l’école et de la famille« .
On ne sait toujours pas pourquoi les 13-16 ans sont une cible de choix, et on ne le saura d’ailleurs jamais dans cet article. En échange, on a le droit à des petits piques racoleuses du type : « Loin des émois du monde adulte, les jeunes ados, de quartiers défavorisés et d’ailleurs, n’y voient rien que de très banal.« . Il était en effet important de préciser la dénomination « quartiers défavorisés » pour faire plaisir à son lectorat, plutôt que d’avoir le mauvais goût d’écrire « des quartiers huppés et d’ailleurs ».
Caroline Meyer continue son déroulé en nous rappelant que le gangsta rap, c’est
« l’éloge de l’argent facile, du trafic de drogue, mise en scène d’une virilité musclée agrémentée de «kalash» et de chaînes en or, image dégradée de la femme, matérialiste et «facile»… »
tout en ciblant uniquement les 13-16 ans. On est donc bien dans la merde avec une prochaine génération qui va perdre tous ses repères, et ainsi aller à l’inverse des valeurs républicaines de notre beau et grand pays. Dommage que Caroline Meyer n’ai pas pu s’emparer de ce sujet dès le début des années 90, il lui aurait suffit de changer les noms de « Kaaris, Niska, Gradur ou Booba » par « Snoop Dogg, Dr Dre, Ice Cube ou le Wu-Tang » démontrant ainsi le conservatisme de nos chers journaux… Bizarrement, aucun article ne dresse un portrait dramatique des 33-36 ans cultivés au gangsta rap d’antan, et depuis devenus de farouches délinquants en manque de repères et de valeurs.
On remerciera bien sur l’auteure de conclure avec cette très belle phrase pleine de démagogie pour son lectorat « Au passage, les valeurs portées par la société en prennent un sérieux coup », on aurait pu aussi bien finir par un « De Gaulle doit se retourner dans sa tombe » ou par un petit clin d’œil de l’appel au boycott de Claude Guéant, homme politique intègre et défenseur des vraies valeurs, suite aux propos « gangsta rap » de Nekfeu aux Victoires de la Musique.
20 ans après, les valeurs d’une certaine presse ne vacillent pas, restant bien ancrées sur ses bases. Il serait dommage de louer l’impact positif du rap sur l’ensemble des tranches d’âge quand on peut faire des « clics » en rappelant le danger du gangsta rap sur les 13-16 ans via une étude sociologique rondement bien menée de Caroline Meyer pour Le Figaro. Hypocrisie, méconnaissance et mauvaise foi.
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